26 | 𝕊𝕖𝕔𝕣𝕖𝕥
« 𝕁e suis heureuse qu'Eli se soit si bien entendu avec les Haddison, lance Améthyste alors que je change mes draps. Sawyer est chanceux d'avoir été recueilli par une famille si aimante. Il paraît d'ailleurs être un jeune homme formidable. »
Et bourré de traumas, mais j'opine.
— Malgré les apparences, c'est quelqu'un de très sensible.
Je suis soulagé de ne pas avoir perçu l'énergie spectrale des deux gamins cet après-midi. Sawyer aurait eu du mal à s'en remettre si je lui avais annoncé qu'ils erraient encore dans le monde des vivants. J'aurais sans doute préféré lui mentir plutôt que de le laisser sombrer dans la culpabilité.
— Il aime profiter de la vie et fait de son mieux pour rendre celle des autres meilleure.
« La façon dont tu le décris est adorable. Est-ce ton petit ami ? »
Assise sur le coffre au pied de mon lit, Thys se pince les lèvres, retenant difficilement un sourire espiègle quand je la saisit du regard.
— Non.
« Ah bon ? s'étonne-t-elle. Mais vous avez tout de même été intimes. Inutile de le nier, je l'ai deviné à la façon dont il te regarde. »
Bah voyons !
— Et il me regarde comment ?
« Comme quelqu'un qui a apprécié ta nudité et apprécie encore plus l'idée de te revoir nu ! Donc, ce n'est peut-être pas ton petit ami, mais vous avez fait la chose. »
Son indéfectible pudeur, alors qu'elle se montre si intrusive, est presque risible. Je secoue légèrement la tête.
— Quand deux adultes célibataires sont consentants, il arrive qu'ils couchent ensemble. Oui.
« Et, en général, quand deux personnes célibataires s'apprécient autant, elles se mettent en couple » rétorque-t-elle, visiblement satisfaite de m'avoir entraîné sur ce terrain.
Je lève les yeux au plafond en ajustant mes draps propres sur mon lit.
— Sawyer n'est pas plus attiré que moi par le monde des Bisounours.
Elle pousse un soupir exaspéré.
« Toi et ton satané sarcasme... En toute indiscrétion, avait-il vraiment une affaire sur laquelle il avait besoin de tes lumières ? Ou alors, vous êtes-vous éclipsés pour... tu sais quoi. »
— T'avais qu'à nous suivre, puisque t'es si curieuse.
« Au risque de tomber sur toi cul nu ? Non merci ! Ce serait une vision d'horreur dont je ne me remettrai jamais. »
Un léger rire m'échappe devant son attitude dramatique. Thys sourit et reprend doucement, une de ses nattes entortillée autour de son index.
« Je sais que tu ne crois plus au grand amour depuis ta rupture avec Welsley- »
— Je n'y croyais déjà pas avant.
« Il est peut-être là, le problème, souffle-t-elle avec une moue attristée. Tu as tant d'amour à offrir, Séra, et tu mérites aussi d'être chéri par une personne qui t'aimerait tout autant. Tu t'acharnes pourtant à garder à l'écart les hommes qui souhaitent sincèrement conquérir ton cœur. À mon avis, Sawyer est- »
— Un ami, l'interromps-je une fois de plus. Que je connais mieux que toi, soit dit en passant. Alors ça ne sert à rien de vouloir jouer les entremetteuses. Même si j'étais ouvert aux relations suivies, ce ne serait pas le candidat idéal.
« Et pourquoi donc ? »
Je balance mes draps sales dans le panier à linge avec un soupir.
— Thys, je t'adore. Tu le sais. J'aime le fait de pouvoir replonger dans ma culture natale avec toi, et discuter comme avant de temps en temps, mais il faut que tu cesses de remettre en cause mes choix de vie.
« Je ne me le permets que parce que je souhaite ton bonheur. »
— Oui, eh bien, ça m'agace plus qu'autre chose. D'autant plus qu'on en a déjà parlé de ton vivant. Je n'aspire plus aux relations romantiques, ce n'est pas un drame. Ce qui pourrait l'être, c'est que je pète une durite parce que t'es dans mon espace vital H24.
Je vois bien que le sujet qui s'amorce lui déplaît, mais elle doit l'entendre. J'aurais dû l'aborder depuis plusieurs semaines, déjà. Je souffle un coup et m'assois au bout du lit, juste à côté d'elle. Son aura caresse subtilement la peau nue de mon bras.
— Tu ne peux pas savoir comme c'est épuisant de devoir vous ignorer, toi et les autres, pour paraître normal aux yeux des gens. Je suis piégé en permanence entre deux réalités, alors j'ai besoin de tranquillité et de moments de solitude pour rester sain d'esprit. En particulier quand je suis chez moi.
Sans doute embarrassée, et aussi un peu vexée, Améthyste détourne le regard vers ses ongles.
« Bien entendu... Je ne me rendais pas compte que ma présence à vos côtés pouvait t'être pesante. »
— Je sais que tu penses pas à mal, Thys. Mais oui, c'est parfois insupportable... En particulier quand tu t'acharnes à me dicter quoi faire. Qu'il s'agisse d'Akim ou d'autre chose.
« Je comprends, je vais te laisser tranquille » annonce-t-elle en se levant.
Je la retiens par le poignet.
— Je ne te demandais pas de partir tout de suite, petite tête. Mais penses-y, d'accord ?
« D'accord... »
Saisissant ma main entre les siennes, elle m'accorde un faible sourire. Ses doigts fantomatiques sont tièdes et donnent l'impression d'être humides, mais j'apprécie leur contact.
« Pour ce qui est de ta vie sentimentale, tu as tout à fait raison, elle ne concerne que toi. Tu as le droit de vouloir finir ta vie seul et aigri. »
Elle me tient d'un regard joueur, l'air faussement innocent. Un nouveau rire m'échappe.
— T'es une vraie peste, quand les choses n'avancent pas dans ton sens.
« Je n'ai jamais prétendu être parfaite. »
Notre attention se tourne simultanément vers la porte lorsque des coups délicats y sont frappés. Ma sœur et moi échangeons un regard.
« Ah non, je reste ! Je ne ferai aucun commentaire, mais je veux savoir s'il se passe quelque chose d'important. »
Ce ne serait pas une Beauchamp si elle n'était pas si butée. Je secoue la tête à cette idée tandis que je vais ouvrir à Akim. Déjà prêt à formuler ce qu'il vient m'annoncer, il reste en suspens quelques secondes avant d'articuler :
— Rebonsoir, Séraphin. Navré de te déranger.
— C'est rien. Qu'est-ce qui a ?
— Eh bien...
Son regard se perd par-dessus mon épaule et il se racle la gorge, semblant chercher ses mots. Me rappelant que je suis torse nu, j'attrape un t-shirt sur le crochet derrière la porte. Je l'enfile alors qu'Akim poursuit, les doigts crispés à l'extrémité de son haut de pyjama :
— J'ai beaucoup réfléchi et, passer du temps avec la famille Haddison m'a remémoré combien les liens du sang sont puissants. Alors, bien que je sache ce que tu en penses, j'aimerais vraiment retourner à NOLA pour Juneteenth. Je crois que j'ai besoin d'être entouré des miens, ne serait-ce que quelques jours. J'espère que tu comprends et que tu voudras bien m'accompagner.
— D'accord. Essaie de me dire assez tôt quand tu souhaites partir, je m'arrangerai avec le travail.
— Vraiment ? souffle-t-il, à première vue stupéfié.
— Ce n'est pas la réponse que tu voulais ? ris-je doucement.
— Si, bien sûr ! Je m'attendais juste... À ce que tu tentes de m'en dissuader.
— Fort heureusement, on a dépassé ce stade. Je t'ai donné mon avis, et je t'ai dit que la décision te revenait. Je le pensais.
— Merci.
— Je te demande juste une chose en retour.
Il fronce les sourcils, ses yeux bruns maintenant intrigués.
— Laquelle ?
— Ne communique à personne l'heure exacte de notre arrivée. Par pitié. Il me faudra une heure ou deux pour me poser tranquillement après le trajet, et pour me préparer mentalement à... tous ces trucs de famille.
Il est possible qu'une légère grimace m'échappe.
— Pas de soucis, sourit-il.
— Je suis sérieux. Je connais ma mère, elle va insister à mort et toi tu voudras pas lui mentir.
— Je resterai vague sur les horaires, promis.
Je tique toujours un peu quand il me lance une de ses promesses, pourtant j'acquiesce silencieusement.
— Eh bien, je ne vais pas te retenir plus longtemps. Bonne nuit à toi.
— À toi aussi.
« C'est fantastique que tu acceptes de retourner à NOLA pour Juneteenth ! exulte Améthyste alors que je referme la porte. Tu sais que papa a rénové ton ancienne chambre en chambre d'amis. »
— Tu me l'as déjà dit au moment des travaux.
« Oui, mais je voulais juste dire que tu pourras passer ton séjour à la maison. Ce serait l'occasion de renouer avec- »
— Je t'arrête tout de suite, craché-je, j'y vais pour Eliakim. Pas pour renouer quoique ce soit avec qui que ce soit.
Améthyste ne reste pas longtemps abasourdie par ma réaction. Elle, qui ne jure que par la famille, reprend vite ses mauvaises habitudes en me servant ses grands airs moralisateurs.
« J'aimerais bien savoir pourquoi tu en veux tant à nos parents ! Tu as toujours été leur préféré, surtout celui de maman. Du moins, avant que tu décides de nous abandonner pour t'exiler au Texas. Tu as pu faire toutes les bêtises que tu voulais, sans jamais être inquiété. Parce que tu es un homme, et qu'aux hommes, on pardonne tout ! Alors que moi, j'avais sans cesse droit à des : "Reprends-toi, Améthyste, les jeunes filles bien élevées ne font pas ci", ou encore : "Une femme éduquée ne se comporte pas comme ça". »
Je lâche un rire amer, presque incrédule.
— C'est ça, tes pires réprimandes ? Tu sais comment ils ont réagi quand je leur ai annoncé que j'aimais un garçon ?
Son visage se ferme tandis qu'elle croise les bras. L'ignorance est un privilège, et Améthyste n'a vraiment aucune idée d'à quel point elle a été privilégiée. Je ne lui laisse même pas l'occasion de répondre.
— Non, tu sais pas. Parce que t'étais leur petite princesse, trop précieuse et innocente pour qu'ils te laissent entrevoir la dépravation que j'osais ramener chez eux. Mais t'es adulte, maintenant, et puisque t'insistes toujours pour connaitre l'envers du décor, je vais te le montrer... J'avais que 17 ans, et le père que tu idolâtres tant m'a regardé droit dans les yeux en déclarant qu'il préférait avoir un fils vertueux mort, qu'un fils qui ne vit que pour être pédé.
Améthyste hoquette d'effarement, mais je continue sans faiblir.
— C'est à ce moment-là, que j'avais besoin que maman me défende bec et ongles. Elle ne l'a pas fait. Pas ce soir-là... Pas quand les élèves de ce putain de lycée privé, ou encore ses amis d'église, m'insultaient et me rabaissaient après mon coming-out. Aujourd'hui encore, c'est toujours la même rengaine. C'est pas ce que je qualifierais d'amour inconditionnel, et je m'y suis résigné. Voilà, maintenant tu sais pourquoi j'ai décidé de me barrer de NOLA en tirant un trait sur notre si belle famille. Je t'assure que je ne m'en porte que mieux.
Les éclats de voix excessifs n'étant pas ma signature, je n'ai pas eu un mot plus haut que l'autre. Améthyste est pourtant décontenancée par le poids de mes paroles. Ou peut-être est-ce l'effet des larmes qui s'amoncellent au coin de mes yeux.
« Je... Je n'en avais aucune idée. Tu m'en vois sincèrement désolée, Séra. Je n'aurais jamais pensé... qu'ils puissent te traiter ainsi. Pourquoi ne jamais me l'avoir dit ? »
— Tss... Au risque de ruiner l'estime que tu portes aux personnes qui comptent le plus pour toi ?
« Oui ! Cela me révolte que tu aies préféré souffrir dans ton coin, uniquement pour me protéger. Cela en dit long sur ta bonté, mais j'en suis si triste. Tu n'aurais jamais dû tant endurer seul. »
Je me mords la lèvre, les nerfs à vif, incapable de ne pas penser à Akim et à cet autre secret que je m'efforce de taire.
Le regard brillant, Thys chasse tendrement les larmes silencieuses qui dévalent mes joues.
« Dorénavant, je serai toujours de ton côté, Séraphin. »
Coucou !
Pour celles et ceux qui n'ont pas vu mon post, j'ai publié l'histoire sur mon site daneeshakat.wordpress.com et il y aura toujours un chapitre d'avance. Ce qui veut dire que le chapitre 27 y est d'ore et déjà disponible !
Je vous mets le lien d'accès direct en commentaire. 🖤
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