Chapitre 2
Je restai là, plantée en bas des escaliers, bouche bée.
-Vous vous connaissez ? demanda ma mère, brisant ainsi le silence gênant qui s’était installé.
-Disons qu’on s’est déjà croisé, répondit Rafael.
-C’est lui l’étudiant, qui va venir habiter chez nous ? le coupai-je.
-Oui, Rafael O’Lin est arrivé en avance, ce matin. Tu l’as croisé en cours, c’est bien ça ?
En réalité, il était arrivé la veille au soir. Rafael me lança un regard glacial qui me fit tressaillir. Apparemment, il ne voulait pas que je cafte son secret. Je hochai simplement la tête. Ma mère sembla remarquer mon malaise et se racla la gorge.
-On va vous laisser faire connaissance tranquillement. Tu veux bien montrer la chambre d’amis à Rafael, Ophélie ?
Je ne répondis pas et fis signe au garçon de me suivre. Il monta à ma suite et je le menai à la chambre d’amis.
-C’est là, dis-je en entrant.
Il passa la porte à ma suite.
-Je ne pensais pas que je viendrais habiter chez toi, dit-il.
-Je ne pensais pas non plus, grommelai-je.
-Si on continue à s’insulter à chaque fois qu’on se voit, ces prochains mois vont être longs.
-J’y peux rien si j’ai envie de te mettre des claques à chaque fois que je te vois.
Il me lança un regard noir.
-Tu m’énerves.
-Toi aussi.
-Mais il va falloir que tu t’habitues à moi.
Je ne répondis pas. Il avait raison.
-Je te guiderai au lycée, et je te croiserai ici, mais rien de plus.
Il hocha la tête et je tendis la main.
-On fait la paix alors ?
Il eut un sourire moqueur mais ne bougea pas d’un poil. Il s’assit sur la chaise et m’ignora. Je sortis de la pièce en fronçant les sourcils. Ce garçon était vraiment étrange. Et saoulant aussi. Jennifer me rejoignit.
-Alors ? T’as vu l’Américain ? me demanda-t-elle. Il est beau, hein ?
Je lui lançai des éclairs.
-Ce dont je suis sûre, c’est qu’il est vraiment très arrogant. Il m’a traitée de petite chose aujourd’hui !
Elle ouvrit de grands yeux étonnés.
-Sérieux ?
-Non, non je disais ça pour rigoler, répliquai-je ironiquement.
-T’as pas l’air de l’apprécier, fit-elle remarquer.
-Non en effet. Je sens qu’il va me pourrir ces prochains mois.
Elle me tapota l’épaule et s’éloigna.
-Courage ! Plus que quatre petits mois à tenir ! dit-elle avant de rentrer dans sa chambre.
Je soupirai et descendis les escaliers pour rejoindre mes parents. Il était temps que j’apprenne ma punition.
***
Ces quatre derniers mois me semblèrent durer une éternité. Surtout avec Rafael constamment collé à moi.
-Tu n’es pas obligé de me suivre tout le temps, tu sais, je lui ai dit.
-Tu es mon guide, a-t-il simplement répondu.
On était en binôme à chaque cours. C’était insupportable. Il ne cessait de me traiter de petite chose. C’était devenu mon nouveau surnom. Et moi, je me faisais un plaisir de le traiter par tous les noms. Bruno restait le plus clair du temps avec nous pour m’empêcher de tuer l’étudiant. Et Jennifer… Elle s’en fichait. Elle l’ignorait et ne s’en préoccupait pas. Mes parents, contrairement à nous, commençaient à l’apprécier. Ils lui posaient des questions durant les repas auxquelles Rafael se faisait un plaisir de répondre. J’ai donc appris grâce à ça que les parents de Rafael étaient souvent en voyage d’affaires et qu’il ne les voyait que très peu. Qu’il était fils unique et qu’il était fan de basket. Évidemment mes parents ne purent s’empêcher de lui dire que je faisais du basket depuis mes huit ans et que je voulais devenir professionnelle. Il fut d’abord étonné, mais ne fit pas plus de commentaires. J’ai seulement remarqué qu’il assistait à tous mes matchs et même mes entrainements. Ce mec est un psychopathe. Et puis les examens du bac sont arrivés. J’ai révisé comme une dingue avec Bruno. Rafael ne semblait pas le moins du monde stressé. Comme s’il s’en fichait. Et je l’ai passé ! Bruno aussi… Et Rafael. Mais je ne m’en préoccupais pas. J’avais mon bac, mon meilleur ami aussi, c’était tout ce qui comptait à mes yeux. Le dernier jour de cours, j’ai demandé à mes parents si Bruno, Jennifer et moi pourrions aller à une petite fête organisée par le lycée. Ce n’était pas comme si je demandais à aller en boîte de nuit, aussi mes parents n’y virent pas d’inconvénients. Ils dirent oui seulement si Rafael venait avec nous. Super… Du coup on était tous les quatre plantés devant la porte du lycée, une foule d’étudiants tout excités autour de nous.
-Je sens que ça va être génial ! s’écria Bruno.
Je souris. Jennifer semblait aussi enthousiaste que lui.
-Quand est-ce qu’ils ouvrent ?
Comme pour répondre à sa question, deux AED ouvrirent la porte d’entrée. Les élèves se ruèrent à l’intérieur. Bruno et Jennifer coururent et je les perdis rapidement de vue. Pareil que Rafael. Je rentrai alors dans les derniers. La musique avait été lancée et des adolescents dansaient un peu partout. Je vis Bruno au milieu de la piste de danse (qui était en réalité la cour) et me faufilai jusqu’à lui. Un garçon me bouscula ce qui me fit tomber à la renverse mais quelqu’un me rattrapa avec force et me releva. Je m’attendais à ce que ce soit Bruno mais fus surprise en voyant Rafael me tenir l’avant-bras. Il me lâcha précipitamment et s’éloigna rapidement. Bruno me rejoignit alors que je voyais l'homme du lampadaire se diriger vers les toilettes.
-Qu’y a-t-il ? me demanda mon meilleur ami.
Je lui fis signe de me suivre et me dirigeai à la suite de Rafael.
-Qu’est-ce que tu fais ? me demanda-t-il.
-Je suis Rafael, ça se voit pas ? grognai-je.
Bruno ne répondit pas. Rafael venait de rentrer dans les toilettes des garçons.
-Eh merde, soufflai-je.
Soudain, les bruits autour de moi me semblèrent devenir plus intenses, plus puissants. J’eus l’impression que mes tympans allaient exploser. Je me pliai en deux, les mains plaquées sur les oreilles. J’entendais chaque note de musique, chaque conversation, chaque respiration et même les battements de cœur affolés de mon meilleur ami.
-Ophélie, ça va ?
Je ne répondis pas. Au loin, j’entendais la voix de Rafael. Il était en pleine discussion avec quelqu’un. Je me concentrai sur leurs paroles, ce qui n’était pas simple.
-Alors ? Tu l’as identifié ?
-Non pas encore. La cible a sûrement demandé à un sorcier de l’ensorceler pour nous empêcher de l’identifier. Un puissant sorcier.
-C’est tout ce que tu as fait pendant ces longs mois ? s’énerva l’autre personne que je ne connaissais pas, de voix en tout cas.
-Ce n’est pas si facile.
-Rafael, tu es un de nos meilleurs éléments ! Je n’arrive pas à croire que tu aies autant de mal !
-Je trouve que la fille ainée de la famille chez qui je loge est assez étrange. Je le sens. C’est elle. Elle n’est pas humaine. Mais je ne sais pas ce qu’elle est.
-Eh bien trouve ! Et vite !
-Bien monsieur.
Mon cœur s’emballa. Il revenait. Mais la discussion me troublait tellement que mon cerveau ne put s’empêcher de la faire tourner en boucle dans ma tête. Il avait dit que je n’étais pas humaine. Qu’entendait-il par-là ? Il avait parlé de sorciers aussi. Comment ça des sorciers ? Heureusement, mon ouïe redevint normale. Je me redressai et Bruno me lança un regard inquiet.
-Qu’est-ce que tu avais ? me demanda-t-il.
-Rien, juste une migraine, répondis-je du ton le plus rassurant possible. Je vais rentrer je pense. Si tu croises Jen, dis-lui que je suis à la maison.
-Mais on vient à peine d’arriver !
Je ne répondis pas et courus vers la sortie. De l’air. Il me fallait de l’air. Une fois dehors, je pris une grande goulée d’air frais. La rue était déserte.
-Tu ne devrais pas rester là, c’est dangereux.
Je me retournai en sursaut. Rafael me toisait depuis l’entrée du lycée. Je lui lançai un regard noir.
-T’en as pas marre de tout le temps me suivre ? grognai-je.
-Ce n’est pas comme si j’avais le choix.
-On a toujours le choix.
Il haussa les épaules. Je décidai alors de me lancer.
-J’ai entendu ta discussion avec l’inconnu dans les toilettes des garçons. Je n’ai pas vu qui c’était.
Il me lança un regard surpris, puis son visage se ferma.
-Tu ferais mieux de te mêler de ce qui te regarde, gronda-t-il.
-Et ça me regarde ! criai-je en me rapprochant. Tu as dit que je ne suis pas humaine.
Il plongea son regard bleu dans le mien.
-Et c’est le cas ? me demanda-t-il à voix basse.
Je ne répondis pas, décontenancée par sa réaction.
-Je… Bien sûr que oui ! Les extraterrestres ça n’existe pas !
Il se détourna.
-Non, en effet…
Il resta silencieux un long moment, puis reprit la parole.
-Tu ferais mieux de rentrer. C’est dangereux ici.
Je levai les yeux au ciel.
-Tu me casses les pieds avec ton danger invisible ! m’écriai-je.
Il me fit un petit sourire en coin puis retourna à la fête. Je restai plantée là, bouche bée. Il m’avait souri ! Il m’avait souri, quoi ? Trois, quatre fois depuis que je le connaissais ? Et c’était toujours pour se moquer, des sourires narquois ! Mais non, là, c’était un sourire franc ! Un petit sourire, mais un vrai sourire ! Je secouai la tête pour revenir à la réalité et me dirigeai vers la maison.
***
Je ne dormais toujours pas quand Rafael et Jennifer rentrèrent. Je les entendis aller dans leurs chambres respectives sans parler et bien évidemment Jennifer râler en se prenant les pieds dans le câble de son ordinateur qu’elle avait laissé trainer. Je me retournai dans mon lit, mais le sommeil ne venait toujours pas. Le visage de Rafael et son sourire en coin me hantaient. Je me redressai d’un geste brusque en entendant un bruit. Je me levai et me dirigeai sur la pointe des pieds vers la porte de ma chambre. Je l’entrouvris légèrement et vis Rafael qui descendait les escaliers à pas de loup. Je fronçai les sourcils. Où allait-il ? Je me retournai et enfilai rapidement quelques vêtements quand mon ouïe devint subitement plus fine. Je me courbai en deux alors que les ronflements de mon père me parvenaient. J’entendais chaque pas que faisait Rafael et chaque respiration de ma sœur. J’ouvris les yeux que j’avais fermés sous le coup de la douleur. Je n’avais pas allumé la lumière, si ? Ma vue aussi était devenue plus puissante. Je voyais chaque poussière, chaque pli que formait mon drap et chaque rayon de lune qui s’infiltrait dans ma chambre. Je me relevai en titubant et me massai les tempes. Rafael venait de sortir en refermant soigneusement la porte derrière lui. Mais je l’avais entendu. Pas le temps de comprendre ce qui m’arrivait, je courus hors de la maison pour suivre Rafael. J’étais à bonne distance de lui et marchai la tête rivée vers le sol, les mains dans les poches. Mes sens redevinrent étrangement normaux et tout me sembla soudain silencieux et sombre. Raf ne semblait pas avoir remarqué ma présence. Il tourna dans une impasse. Je décidai de le suivre. Je me cachai derrière une poubelle. Heureusement que mon odorat n’était pas aussi développé que ma vue et que mon ouïe parce que sinon je n’aurais pas fait long feu ! Rafael regarda autour de lui. Je sentis mon cœur s’accélérer et me cachai un peu mieux. Il toqua à une porte. Celle-ci s’ouvrit et quelqu’un s’avança sur le seuil. Je ne distinguai pas son visage dans l’obscurité. Puis ma vue se fit plus nette et je vis dans le noir comme en plein jour. Mon ouïe s’ajusta également. Nom de Zeus ! Mais que m’arrivait-il ? Pas le temps de réfléchir plus longtemps, Rafael engageait déjà la conversation.
-Keln, cela fait bien longtemps que nous ne nous sommes pas parlé, dit-il de sa voix habituelle.
-La dernière fois que l’on s’est vu, tu as essayé de me tuer, répondit l’autre.
Sa voix était caverneuse, rauque et basse. Pourtant je l’entendais et elle me fit l’effet d’un seau d’eau froide qu’on me renverse sur la tête.
-En effet, mais tu avais enfreint la loi en tuant cet humain, répliqua sèchement Rafael.
Je fronçai les sourcils. C’était la deuxième fois qu’il parlait d’humain comme s’il n’en était pas un. Tout comme son interlocuteur au visage impassible. Avait-il vraiment tué un humain ? Et Rafael avait-il vraiment essayé de le tuer ?
-Pourquoi tu ne retentes pas ta chance ?
-Je te propose un marché. De l’or contre ta vie.
J’écarquillai les yeux. Cette conversation devenait de plus en plus étrange… Et l’interlocuteur de Rafael sembla aussi étonné que moi. Mais pas pour les mêmes raisons.
-De l’or ? Tu sais très bien que nous les démons y sommes terriblement allergiques ! Que mijotes-tu Grensh ?
Je sursautai. Quoi ? Comment ça démon ? Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Depuis quand les démons ça existe ? Trop de questions se bousculèrent dans mon esprit embrumé. Mais Rafael semblait surtout en colère.
-Ne prononce pas le nom de mon peuple comme ça ! Nous sommes les voyants de la justice, pas les Grensh !
-Ton peuple ? Mais à quel peuple appartiens-tu, Rafael Tenack ?
Tenack ? Mais son nom de famille était O’Lin, non ? Pourtant, l'homme du lampadaire ne cilla pas. Il semblait hésiter.
-C’est ça qui arrive quand on est un croisé, ricana le soi-disant démon.
Rafael sembla agacé. Il tendit la main.
-Alors ? De l’or contre ta vie.
L’interlocuteur le regarda dans les yeux puis referma la porte. Rafael se remit à tambouriner dessus.
-Ouvre Keln !
Le démon rouvrit et lui lança un regard noir. Je sentis ma gorge se serrer et mon cœur manquer un battement. Non, c’est impossible… Pourtant, c’étaient bien des cornes rouge sang qui avaient poussés sur la tête de l’homme-démon.
-Si tu n’as pas compris, c’est un non catégorique.
Et il tenta de refermer la porte. Mais Rafael glissa son pied juste à temps. Il était rapide le bougre ! Le prénommé Keln le toisa avec mépris.
-Je t’ai dit non, Grensh.
A la vitesse de l’éclair, Rafael projeta son poing dans sa figure. Je regardai avec le plus grand des étonnements un liquide noirâtre s’écouler du nez de l’homme à cornes. Son visage se déforma de colère.
-Tu vas me le payer, Tenack.
Et cette fois-ci, avant que Rafael n’ait le temps de l’arrêter, il claqua la porte de l’appartement avec tellement de force que la structure s’ébranla. Rafael cogna dessus une bonne dizaine de fois en criant le nom du démon, mais celui-ci ne répondit pas. Avec un grognement, Rafael fit demi-tour. Moi, j’étais bien trop secouée pour esquisser le moindre mouvement. Démon, Grensh, Tenack, lois, peuple, cornes… Ces mots tournaient en boucle dans ma tête. J’étais tellement perdue que je n’entendis pas Rafael bondir devant moi et me plaquer contre le mur. Un poignard dans une main, il me tenait fermement les poignets au-dessus de la tête. Je me débattis comme une bête.
-Lâche-moi ! Mais lâche-moi bon sang ! hurlai-je.
Il me reconnut enfin et me relâcha. Je glissai le long du mur et m’assis par terre en me frottant les poignets.
-La vache, t’as une de ces forces ! m’écriai-je.
Il me regarda, éberlué. Son poignard toujours en main, il s’accroupit face à moi.
-Mais qu’est-ce que tu fais là ? gronda-t-il. Tu me suivais ?
Je grimaçai.
-Si je réponds oui, qu’est-ce que tu me feras ?
Il me lança un regard noir.
-Qu’as-tu vu ou entendu ? me demanda-t-il.
-Tout.
-Tout ? C’est-à-dire ?
-Eh bien, l’homme cornu qui dit qu’il est un démon et ta super conversation avec lui où tu lui demandes de l’or en échange de ta promesse de ne pas le tuer. Sympa comme deal !
Il se passa la main dans les cheveux. Son masque d’indifférence était enfin tombé, laissant place, enfin, à une vraie émotion sur son visage. De la colère.
-Qu’est-ce que c’est que cette histoire, Rafael O’Lin ? Ou plutôt Rafael Tenack, vu que tu as menti sur ton identité ! Sur quoi d’autre as-tu menti au juste ?
Il me regarda dans les yeux. Ses pupilles bleu nuit me détaillèrent puis il dit enfin :
-C’est trop dangereux.
Décidemment, c’était vraiment sa réplique préférée ! Mais je décidai de ne pas me laisser abattre.
-Pourquoi ? Parce que je suis humaine et toi pas, c’est ça ?
Il me lança un regard étonné. Mais il n’eut pas le temps de formuler une réponse. Quelque chose le tira en arrière avec une force exceptionnelle, le propulsant de l’autre côté de la rue. Heureusement que cette route n’était pas très passante, parce que sinon les voitures auraient fait de sacrés écarts en voyant un garçon de 18 ans voler !
Mais à la place de voitures, une créature horrible se tourna vers moi. Elle mesurait au moins trois mètres de haut avec des membres fins, surmontés de longues griffes. Sur sa tête, deux cornes rouge sang brillaient au claire de lune. Ses yeux écarlates me fixaient, comme s’il était à deux doigts de bondir pour me couper en rondelle. On aurait dit qu’il réfléchissait. Il finit cependant par se décider et se dirigea à toute vitesse vers moi. Ses membres lui servant de jambes raclèrent le béton de la rue tandis que ses membres avant lui servant de bras étaient tendus vers moi. J’écarquillai les yeux et poussai un petit cri en tombant en arrière. J’avais trébuché sur le trottoir. Je regardai le monstre se pencher dangereusement au-dessus de moi. Il me regarda d’un œil mauvais, sembla hésiter encore quelques secondes puis brandit ses longues griffes juste au-dessus de ma tête. Je fermai les yeux, me préparant à ce que ses ergots me transpercent le crâne. Mais le coup ne vint pas. A la place, j’entendis un hurlement de douleur suivi de bruits de combat. Je me décidai à rouvrir les paupières. Rafael avait sorti une épée de je-ne-sais-où qu’il maniait habilement. Sa lame mesurait un peu plus de son avant-bras et était recouverte d’un liquide noirâtre jusqu’à la garde. Tout en bas de ladite lame, une inscription : Sentinelle. Cette marque luisait d’un éclat bleuté. Rafael esquiva les attaques de la créature et l’assena de plusieurs coups d’épée. Il se déplaçait avec rapidité. A certains moments ses mouvements devenaient flous. Ses gestes étaient fluides et contrôlés. On aurait dit qu’il était un combattant-né. Le démon était agacé. Il poussait des rugissements à chaque attaque de son adversaire, mais, n’étant pas assez rapide, n’arrivait pas à lui faire la moindre égratignure. Je restais assise par terre, bouche bée, à observer le spectacle qui s’offrait à moi. Je rêve ? Non la douleur à ma cheville était belle et bien réelle. Je vous le garantis ! Je me redressai en douceur. Mais mes mouvements n’échappèrent pas au monstre. Il tourna ses yeux enragés et accourut vers moi. Je n’eus même pas le temps de réagir que Rafael s’interposa entre lui et moi. Une de ses griffes le toucha et il l’envoya valser plusieurs mètres plus loin. Il l’avait pratiquement éventré et l'homme qui m’avait tant énervé depuis qu’il était arrivé en France baignait dans une mare de sang. Je déglutis difficilement et la bête se tourna vers lui. Elle se rapprocha lentement, comme si elle avait peur qu’il simule. Pourtant il était bien blessé. Qu’est-ce que je fais là, moi ? Mon regard fut attiré par un objet jonchant le sol. L’épée ! Je ne l’avais pas tout de suite vue dans le noir car le mot Sentinelle ne brillait plus. Sans réfléchir, je courus et l’attrapai à deux mains. A peine je l’eus touchée que Sentinelle s’illumina d’une lueur bleutée. L’épée n’était pas très lourde, mais pas très légère non plus. Je me retournai en même temps que le monstre. La vache, il a les sens super affutés ! J’esquivai avec une agilité qui m’étonna et lui plantai mon épée dans le ventre. Il poussa un cri de douleur et se retourna vers moi. Il était déjà très blessé, et ne vit pas l’épée lui trancher la gorge. Du liquide noir s’échappa de la plaie et la créature s’écroula à mes pieds, morte. Je reculai avec un sursaut et lâchai l’arme par mégarde. Je l’ai tué ! Je l’ai vraiment tué ! Je viens de passer de simple étudiante à Wonder Woman 2.0 en deux minutes ! Je secouai la tête pour chasser ma bêtise de mon esprit et accourus auprès de Rafael. Il était toujours conscient, ce qui m’étonna fortement. Il me tendit un galet sur lequel était gravé un S.
-Serre-la, m’ordonna-t-il d’une voix faible.
-T’es sérieux ? m’écriai-je. Tu es mourant et tu veux que je prenne un caillou ?
-Serre-la ! réitéra-t-il, plus fort cette fois-ci.
-D’accord, d’accord, dis-je ne prenant sa pierre.
Ne me regardez pas comme ça ! Vous avez déjà essayé de refuser quelque chose à quelqu’un de gravement blessé, vous ? Je serrai la pierre de toutes mes forces, comme si le simple fait de l’étouffer aller soigner Rafael.
-Raf, je suis vraiment désolée, c’est ma faute si tu es dans cet état, je n’aurais pas dû te suivre.
Il ne répondit pas. Il fixait mon poing renfermant sa pierre. Est-il déjà mort ? Non, sa poitrine se soulevait au rythme saccadé de sa respiration. Mais il était bien vivant.
Soudain, mon poing se mit à luire, comme si je tenais une lampe dans le creux de ma paume. Je tentais de l’ouvrir mais impossible de desserrer les doigts.
-Qu… Qu’est-ce qui m’arrive ? m’écriai-je en me tournant vers mon colocataire.
Il écarquilla des yeux en voyant la lumière. Il se tourna vers moi et son visage se décrispa, rassuré.
-Les secours arrivent, dit-il d’une voix douce.
-Quoi ?
Ma main s’ouvrit enfin et la pierre m’échappa. Elle tomba par terre mais je ne la ramassai pas. Rafael avait fermé les yeux. Et ça ce n’était vraiment, mais vraiment pas bon signe !
-Raf ? Rafael ! Non ne me laisse pas !
Je lui secouai doucement l’épaule mais rien n’y fit. Il avait perdu connaissance. Je me reculai d’un pas. Que faire ? En bonne abrutie que je suis j’avais laissé mon portable dans ma chambre. Je pourrais aller chercher de l’aide. Mais Rafael avait dit que les secours arrivaient. Pourtant il n’avait appelé personne ! D’ailleurs ça m’étonnais qu’aucun habitant de cette fichue ville n’avait entendu le boucan qu’on a fait. Toulouse est pourtant une ville assez peuplée !
-Jeune fille ?
Je me retournai en sursaut. Un grand homme aux cheveux noirs bouclés me faisait face. Ses yeux gris-vert me fixaient intensément. Il semblait assez musclé et ne devait pas avoir plus de 18 ans. Mais ce qui me choqua le plus ce furent ses oreilles. Pointues. Elles étaient pointues. A ses côtés se tenait une belle blonde aux yeux gris comète qui me regardait durement.
-Ou… Oui ? demandai-je d’une petite voix.
Je pense que les oreilles m'ont légèrement déstabilisée.
-Que faites-vous ici ? demanda la femme.
Sa voix était sèche et sévère. Je frissonnai. Était-ce normal qu’elle me fasse plus peur que le monstre que j’ai égorgé ?
-Je… Mon ami et moi nous sommes fait attaquer par cette créature, répondis-je en pointant le corps sans vie du monstre. Mais mon ami a été blessé. Et j’ai tué la bête.
J’espérais franchement pouvoir leur faire confiance. Je n’étais pas d’humeur paranoïaque d’habitude mais quand je me trouvais en face d’une femme ayant certainement envie de m’étrangler, d’un homme aux oreilles pointues qui ne cessait de me dévisager de la tête aux pieds, qu’un monstre cornu égorgé jonchait le sol en plein milieu d’une rue de Toulouse et que, derrière moi, un crétin de première classe était en train de se vider de son sang, mon cerveau avait légèrement du mal à s’y remettre.
-Votre ami ? s’étonna la femme blonde en me fusillant du regard. Et… Vous l’avez tué ?
Mais qu’est-ce qu’elle a l’autre pintade, là ? Je pris m’en courage à deux mains et serrai les poings.
-Il a besoin de soins, et vite.
Les deux inconnus se regardèrent.
-Qu’est-ce qu’on fait ? demanda l’homme.
-On l’emmène, décida la blonde.
Elle se dirigea vers Rafael en me contournant, non sans me lancer un regard suspicieux et prit Rafael dans ses bras. Je la regardai faire, incrédule. Quelle force ! Derrière moi, l’homme aux oreilles pointues s’activa. Il agita légèrement les mains dans l’air en rond et la rue s’illumina. Sous mon regard ébahie, un rectangle noir brillant apparu. La blonde passa en première, Rafael dans les bras. L’homme se tourna vers moi et me tendit la main. Hors de question que je prenne la main d’un parfait inconnu. Je décidai de l’ignorer et me rapprochai jusqu’à être juste devant le portail. Il n’y avait rien derrière, juste du noir. Mais qu’est-ce que je fabriquais ? Je pourrais très bien retourner chez moi et faire comme si rien n’était arrivé. Mais mon côté fan de cinéma prit le dessus. C’était irréel. Je m’avançai encore d’un pas, mon nez touchant presque le rectangle. Je ne pouvais pas laisser Rafael avec ces inconnus. Certes c’était un abruti qui se prenait pour le plus fort (bon en vrai, il était fort), il restait sous ma responsabilité. Et il m’a sauvé la vie. A moi de lui rendre la pareille. Avec un dernier instant d’hésitation, je parcourus la petite distance qui me séparait des ténèbres lumineuses et traversai le rectangle. Un goût sucré s’insinua dans ma bouche, mais disparu aussitôt. J’étais à présent dans un tout autre endroit. En plein milieu d’un couloir aux murs et au sol sombres avec des flambeaux accrochés aux murs. On est dans un temple ou quoi ? Du rectangle sortit l’homme aux oreilles pointues. Puis la noirceur disparue. Des portes étaient réparties le long du couloir, menant à des salles qui m’étaient inconnues. Puis un Ding me fit sursauter. Une porte d’ascenseur au bout du couloir s’ouvrit. Un peu étrange un ascenseur au milieu de ce décor d’ailleurs. En sortit un grand homme aux cheveux châtain clair presque blonds lui descendant aux épaules et aux yeux marron foncé. Il était assez mince et avait également des oreilles pointues. Et ben ça alors ! Il me faisait penser à Legolas du Seigneur des anneaux ! Sauf que Legolas est plus blond et qu’il a des yeux bleus. Raté !
-Bonjour ! dit-il d’une voix douce. Comment t’appelles-tu ?
Je m’apprêtais à répondre quand je me fis couper la parole.
-Qu’est-ce que ça peut bien te faire ?
Je regardai par-dessus l’épaule du nouvel arrivant pour voir se tenir une femme d’à peu près le même âge que le garçon aux oreilles pointues, c’est-à-dire 25 ans. Elle portait un débardeur affreusement court et une jupe lui arrivant aux genoux. Si j’étais sortie dans cette tenue mon père m’aurait tuée ! Ses cheveux blancs étaient très longs et elle avait quelques mèches rousses. Elle avait des yeux rouge clair, une peau métisse et était petite et fine. Sur son ventre, elle avait une marque en forme de deux ailes, une blanche et une noire, juste au-dessus du nombril. Bien qu’elle me regardait méchamment, je ne pus m’empêcher de trouver qu’elle était vachement belle.
-Je m’appelle Ophélie, répondis-je avant que le jeune homme ne puisse dire quelque chose à sa partenaire. Ophélie Rivère.
Il s’approcha de moi.
-Et moi c’est Leny. Leny Yupi.
Je lui souris et lui tendis la main. Il me regarda avec étonnement et ne serra pas ma main. Il paraissait vexé. La fille aux cheveux blancs ricana.
-Laisse tomber Len, c’est une humaine.
Je grognai. Encore on me disait que j’étais humaine comme si eux ne l’étaient pas. Leny écarquilla les yeux et se tourna vers l’autre homme aux oreilles pointues qui s’était posté à mes côtés.
-C’est vrai ? C’est une… Humaine ?
Il hocha la tête.
-Christelle et moi n’avons eu d’autres choix que de l’emmener. C’était très étrange. Elle a été témoin du combat entre le démon et Rafael et l’a même tué.
Donc la femme sévère s’appelait Christelle. Je l’aurais plutôt nommée Flippante, moi. Mais bon, ce n’est que mon avis. Oui, je sais, on dirait une gamine, mais je l’assume totalement ! La fille en débardeur s’avança.
-Impossible !
Je ne répondis pas à sa remarque, obnubilée par un détail dans la phrase de l’homme aux cheveux noirs.
-Démon ?
-La créature que tu as tué est un démon nommé Keln.
Je lui lançai un regard abasourdi.
-Co… Comment ? Keln ? Mais c’était le nom de l’homme avec qui Rafael discutait avant l’attaque ! m’écriai-je. Enfin le démon, je l’ai entendu le dire lui-même, mais je ne pensais pas qu’il pourrait être cette… Chose.
-Lui et la créature sont la même personne, m’expliqua Leny. Il avait juste une apparence plus… Passe-partout.
-Passe-partout ? Je ne suis pas sûre qu’un homme avec des cornes rouge sang sur la tête ça passe inaperçu ! grognai-je.
Les trois inconnus me lancèrent des regards ahuris. Ce fut Leny qui parla en premier.
-Tu… Tu as vu les cornes du démon ? Mais c’est impossible ! Les humains ne peuvent pas voir ce genre de chose. Tu n’aurais pas dû voir l’attaque, ni même les bruits.
Ah, ça expliquait pourquoi personne ne venait.
-Pourtant j’ai tout vu et tout entendu. Tout comme je vous vois.
Leny me sourit.
-Parce que nous te le permettons. Mais tu ne vois pas nos particularités car nous ne sommes pas comme toi. Nous ne sommes pas humains. Si tu nous voyais comme nous sommes, tu hallucinerais !
Pourquoi est-ce que je ne suis pas surprise ? Je crois que j’étais tellement sous le choc de l’attaque que je n’arrivais pas à paniquer.
-Croyez-moi, j’hallucine déjà. Surtout quand je suis face à deux mecs avec des oreilles pointues.
Là, je crois que je les ai vraiment surpris car ils me dévisagèrent avec de grands yeux. Un silence pesant s’installa. Ce fut la femme qui le brisa en croisant les bras.
-Elle en sait trop, il faut qu’on lui efface la mémoire.
J’écarquillai les yeux.
-Pardon ?
L’homme aux cheveux noirs s’interposa entre elle et moi.
-C’est hors de question ! Elle a sauvé la vie de Rafael et a tué un démon ! s’écria-t-il.
-Tu l’as vu ?
-No… Non mais elle nous l’a dit.
-Et tu la crois ? cracha la femme. On ne la connaît même pas !
-Moi non plus je ne vous connais pas, mais je vous crois ! dis-je, indignée.
Elle me lança un regard noir et Leny intervint.
-De toute façon, vous ne pouvez rien faire sans l’autorisation de Christelle.
La femme grogna et se retourna brusquement, me fouettant le visage de ses cheveux. Je grognai. Je ne pensais pas qu’elle était aussi près ! Elle se dirigea sans un regard en arrière vers l’ascenseur.
-Excuse-là, me dit l’homme aux cheveux noirs bouclés. Moi je m’appelle Tëlm.
Je décidai d’éviter de lui tendre la main, je n’avais pas très envie de le vexer lui aussi. Nous fûmes interrompus par la femme blonde qui avait porté Rafael. Elle se tourna immédiatement vers moi.
-Rafael te demande.
-Il… Il est réveillé ? m’étonnai-je.
-Il est guéri.
Je sursautai.
-C’est impossible ! Je l’ai vu se faire éventrer devant moi.
Personne ne répondit. Je compris que je n’aurai pas d’explication.
-Pourquoi veut-il me voir ?
-Aucune idée, j’aimerais le savoir. Vous venez donc vous aussi, dit-elle à l’adresse de Tëlm et Leny.
Les deux hommes se regardèrent, mais n’émirent aucune objection. Christelle nous conduisit jusqu’à l’une des nombreuses portes du couloir. Que me veut-il ? Qu’est-ce que je vis ? Je suis vivante ? Est-ce que je rêve ? Mes pensées furent interrompues quand la femme sévère ouvrit la porte. La pièce était plutôt grande avec un lit double, une étagère, une commode, une armoire et un meuble à armes… Attendez, quoi ? C’étaient bien des armes qui étaient accrochées dans la chambre. Toutes avaient le mot Sentinelle en bas de la lame. Mais l’inscription ne luisait pas. Rafael, quant à lui, était assis sur le rebord de sa fenêtre. Il avait retiré son tee-shirt, révélant un corps plutôt musclé et une marque identique à celle de la fille aux cheveux blancs sur le côté de son buste, au niveau de ses côtes. Mais ce qui attira mon attention, ce fut son ventre. Il n’avait plus rien. Seule sa peau pâle totalement intacte. Ses cheveux étaient humides, signifiant qu’il avait pris une douche. Sa blessure ne s’était quand même pas refermée au contact de l’eau ! A moins que ce ne soit un triton… Non mais qu’est-ce que je raconte ? Je crois que toute cette histoire me monte à la tête…
Rafael tourna la tête vers moi. Son visage était indéchiffrable et je n’osais pas parler. Ce fut la femme blonde qui fit le premier pas.
-Alors Rafael ? Qu’est-ce que tu as de si important à nous dire ?
Tous nous attendîmes sa réponse avec impatience. Sans me quitter des yeux, il prononça d’une voix aussi indéchiffrable que son visage les deux phrases qui changèrent ma vie à tout jamais.
-Tu n’es pas humaine Ophélie. Tu es une voyante de la justice.
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