Chapitre 36
Gwendolyn
Malgré le début du week-end plutôt tranquille, Kaede avait passé la matinée dans la cuisine pour essayer de se détendre, le fait de voir sa mère après une année le stressait plus que n'importe quel examen. Adams restait près de lui, tout en surveillant Fried et la reine. Celle-ci semblait apprécier notre nouvelle recrue au vu des sourires qu'elle lui adressait.
J'avais laissé le jeune démon seul et avais plutôt aidé Gerd à faire une transfusion sanguine à Fried. Ça n'avait pas été simple, sa peur des aiguilles paralysait le prince et il semblait préférer perdre ses pouvoirs plutôt que de devoir affronter sa phobie. Adams l'avait maintenu et Gerd put enfin poser le cathéter.
À mesure que le sang s'écoulait, je ressentis des picotements dans mon poignet, suivi d'une brûlure qui dura le temps de la perfusion. Une nausée s'accrochait à moi alors que la teinte argentée reprenait sa place dans mon tatouage. La Sentinelle d'argent revint dès que le sang de la souveraine eut fini d'être incorporé dans les veines.
Je regardai l'horloge, 10h30. Je partis me changer, je devais faire bonne figure devant la mère de Kaede. J'enfilai une simple robe noire et détachai mes cheveux qui m'arrivaient en dessous des épaules, je me maquillai un minimum et mis du parfum. Quitte à devoir faire bonne impression, autant sortir les grands moyens. Je regardais une dernière fois mon reflet, quand Kaede déboula en trombe dans ma chambre.
— Qu'est-ce qui se passe ? demandai-je.
— J'arrive pas à m'habiller, tu peux me passer un coup de main ?
Je rigolai devant cette urgence. Kaede ne se souciait jamais d'être classe, il préférait être lui-même quitte à passer pour un délinquant. Je n'eus donc pas d'autre choix que de créer une chemise blanche, une veste noire et une cravate rouge.
— Bordel, j'arrive pas à faire ce nœud, s'exclama Kaede.
— Pourtant tu le fais tous les jours vu que la cravate fait partie de l'uniforme scolaire, dis-je en rigolant.
— Euh...Julius l'a noué la première fois et je l'ai laissé.
Je secouai la tête. Même dans un établissement respectable, Kaede ne se souciait que très peu de son apparence. Il n'accordait pas d'importance aux vêtements, et se moquait de ce que les autres disaient. Mais dès le moment où il s'agissait de rendre son père fier, il utilisait tous les moyens pour ressembler à un fils de bonne famille. Pierre de Villiers n'était réapparu et je sentais que son absence travaillait Kaede. Il trouvait du réconfort auprès d'Adams qui faisait son possible pour le soutenir.
— T'as fini le gâteau ? demandai-je.
— Oui, dit-il avec un sourire qui n'inspirait rien de bon.
Je ne posai aucune question, mais redoutais ce qu'il avait prévu. Kaede semblait vouer une grand haine à sa mère, et il abordait sa visite telle une provocation de guerre. Le jeune homme accrocha une boucle d'oreille pendante à son lobe et tira la langue à son reflet. Je ne comprenais pas son attitude, était-il réellement stressé ou jouait-il la comédie ?
Kaede m'avait raconté que ses parents s'étaient séparés alors qu'il avait sept ans. Le jeune démon s'était toujours senti plus proche de son père et il n'avait jamais pardonné à sa mère d'avoir trompé Pierre. Il n'avait même pas pu choisir avec qui il voulait rester, et sa mère l'avait séparé de Pierre durant huit ans. La haine qu'il vouait à cette femme était désormais compréhensible.
Kaede décida d'y aller avec Flash. Après une heure de trajet, nous arrivâmes dans une petite ville que je ne connaissais pas. Nous arpentâmes les rues pour enfin arriver dans le quartier résidentiel. Je regardai le morceau de papier que le beau-père de Kaede lui avait donné, il indiquait le vingt-quatre.
— Kaede, le vingt-quatre.
Il hocha la tête et s'arrêta devant une maison blanche entourée d'un petit jardin. Je descendis et Kaede me passa le carton qui contenait le gâteau. Attachant Flash à la barrière, il inspira fortement avant d'expirer. Visiblement, le jeune homme était plus que stressé. Je poussai le portail et rentrai, Kaede sur mes talons. J'entendis un cri à l'intérieur, et la porte s'ouvrit sur une femme. Elle était très belle, ses yeux verts contrastaient avec ceux de son fils, alors que ses longs cheveux noirs bouclés ressemblaient davantage à ceux de Kaede. Très en beauté dans son tailleur gris, elle ne semblait pas avoir 38 ans. Elle était parfaite. Elle se précipita vers Kaede, suivie par son conjoint.
— Kaedi, mon chéri, dit-elle en pinçant sa joue.
Kaede se dégagea, dégoûté par ce contact et cette familiarité. C'est avec un regard assassin qu'il s'exclama :
— J'ai un prénom, alors utilisez-le, merci.
Sa mère prit un regard blessé et lui dit :
— Mon chéri, ça fait un an qu'on ne s'est pas vu, tu pourrais être plus gentil.
— Je te rappelle le nombre d'années où je n'avais pas vu papa depuis votre séparation ?
Sa mère se tut et se tourna vers moi. Elle me détailla de haute en bas, je voyais dans ses yeux un air hautain et méprisant.
— Ah mais voilà ta petite amie, je ne l'imaginais pas comme ça.
Kaede serra les poings et je vis ses yeux briller d'un air dément, preuve qu'il était énervé et que sa nature démoniaque menaçait de prendre le dessus.
— Bonjour Madame, dis-je poliment en essayant de ne pas faire attention à sa remarque.
— Entrez voyons, dit-elle en se dirigeant vers l'intérieur.
Kaede m'agrippa le poignet.
— Ne fais pas attention à ce qu'elle dit, elle essaie de te déstabiliser.
Une fois à l'intérieur, elle nous mena dans la salle à manger où trônait une grande table recouverte de plats plus beaux les uns que les autres. Je m'assis à côté de Kaede, en face de sa mère. Nous commençâmes à manger quand Mme de Villiers se leva et dit :
— Kaede, je voulais te le dire depuis longtemps, mais Marc et moi allons nous marier.
Kaede faillit tout recracher et toussota en fixant sa mère d'un oeil meurtrier.
— Je souhaiterais que tu reviennes vivre avec nous.
La réponse fut immédiate et virulente.
— Jamais de la vie !
La mère de Kaede le regarda et dit :
— Kaede, reviens avec nous, tu seras plus heureux, tu auras une vraie famille et...
— J'ai dit non, je suis heureux avec papa et mes notes remontent enfin !
Les yeux de Kaede brillaient de façon inquiétante, je posai une main sur son avant-bras pour essayer de le calmer, mais rien à faire, la colère du démon était palpable. Son beau-père prit la parole à son tour :
— Kaede, essaye de comprendre ta mère, elle vit sans toi depuis un an.
— J'ai vécu sans mon père pendant huit ans ! Et puis de quoi tu te mêles aussi ? Tu n'es pas mon père et tu ne représentes rien pour moi !
— Ne me parle pas sur ce ton, demanda Marc.
Kaede, qui n'avait pas encore donné le gâteau, l'envoya valser à la tête de son beau-père. Je poussai un petit cri alors que le gâteau, détruit, tomba au sol.
Kaede se leva, faisant tomber sa chaise au sol. Il repoussa ses cheveux en arrière par un mouvement de tête. Ses canines avaient poussé et il en pointa la droite en direction de son beau-père, avant de passer un ongle sur sa gorge.
— Viens on se casse.
— Kaede attends, s'exclama sa mère.
— Non, je rentre, on n'a plus rien à se dire.
Je suivis Kaede. Le jeune homme ouvrit la porte et la referma avec fracas, brisant presque les carreaux. Il tapota les flans de l'étalon et soupira pour tenter de reprendre son calme.
Pendant tout le long du trajet, je lui caressai le dos d'un ongle. Quand nous fûmes arrivés, Kaede rentra précipitamment, sans pour autant claquer la porte, j'avais la certitude qu'il l'aurait faite sauter de ses gonds tellement la colère l'étouffait. Sans grand étonnement, Kaede prit la direction des cuisines, non sans m'avoir demandé si je voulais l'accompagner, ce que j'acceptai aves plaisir. Je mis le tablier que m'avait tendu Kaede, lorsque j'entendis le jeune démon rigoler.
— Pourquoi tu...
Avant que je ne puisse finir ma phrase, un vent de farine m'enveloppa et me fit tousser. Essuyant le blanc qui couvrait mes yeux et mes joues, j'entendis le rire cristallin de Kaede.
— On dirait un bonhomme de neige !
— Tu vas voir, m'écriai-je en attrapant le pot de farine qui trainait sur la table.
Sachant parfaitement ce que j'allais faire, il déglutit et contourna rapidement la table, pensant être ainsi intouchable. Mais j'avais de la suite dans les idées, et il était hors de qu'il s'en sorte aussi facilement. Lui courir après n'aurait servi à rien, il fallait être plus malin. Me rappelant de ce que nous avions appris avec Gerd, je choisis de prendre le chemin le plus court : je sautai sur la table et renversai le pot de farine sur ses cheveux noirs.
— Quelle horreur ! Je ressemble à un ange maintenant.
Je savais de source sûre que Kaede détestait les anges, mais après tout c'était un démon, il ne pouvait pas être leur meilleur ami, c'était quelque peu logique. Dans les yeux rouges du jeune homme, la lueur de colère qui les avait fait briller semblait avoir été muselée, mais menaçait de resurgir à tout moment.
— Kaede ?
— C'est moi oui.
— Pourquoi refuses-tu de parler calmement avec ta mère ? Ça pourrait résoudre le conflit si elle comprenait.
— Non. Je ne veux plus avoir de contact avec elle. Durant huit ans je n'ai pas eu mon mot à dire, c'est fini Gwen, je ne lui parlerai plus jamais. Maintenant si tu permets, je vais laver mes cheveux !
Kaede sortit de la pièce, et je sentis un poids sur le coeur. Je l'avais blessé et la culpabilité remontait, j'étais idiote, pourquoi lui avais-je demandé ça ? Je n'en avais pas la moindre idée. La farine maculant mon visage et ma robe commençait à coller, il fallait moi aussi que j'aille me doucher.
***
J'activai la Sentinelle d'argent, et aussitôt Fried fut entouré d'un halo argenté et les picotements sur mon poignet se firent sentir. Après quelques minutes de transe, il se releva et dit :
— Cette fois, il s'agit d'un monde magique. J'ai entre-aperçu une jeune fille avec des ailes et des oreilles pointues, ainsi que des cristaux roses.
— Le monde des elfes, s'exclama la reine. Qu'as-tu vu d'autre ?
— Des cristaux noirs, et une elfe emprisonnée, elle portait une couronne.
— Je suppose que vous devez sauver la reine des elfes pour avoir la Marque, est-ce que tu l'as vu ? demanda Gerd.
— Sur la jambe droite.
L'action fut remise au lendemain. Mon coeur s'affolait, il cognait contre ma poitrine tandis que je regardais Kaede jouer avec sa boucle d'oreille qu'il n'avait pas quittée depuis notre retour à la maison. La voix de Gerd me ramena à la réalité.
— Je vais aller faire des courses, il ne reste plus de farine. Les enfants, tâchez de vous occuper.
J'approuvai et sortis de la pièce pour aller faire mes leçons de métamorphose, c'était l'une des matières qui me posait le plus de problèmes, j'aurais voulu demandé à Julius ou Fried, mais aucun des deux n'étaient à disposition. Je ne revis pas Kaede avant le souper, le jeune homme avait comme déserté le terrain et passait son temps libre dans les écuries avec Flash ou avec Adams.
Mise à part l'attitude du jeune homme, ma principale inquiétude était la Marque. J'avais lu plusieurs documents sur le monde des elfes. On disait qu'il était coupé en deux, un côté était aux elfes déchus et c'était là que se trouvait ce que je cherchais, du moins d'après les indications de Fried...
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