S E L F I S H
"Égoïsme (n.m) : Attachement excessif à soi-même qui fait que l'on recherche exclusivement son plaisir et son intérêt personnels."
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Si on vous disait "Amour", à quoi est-ce que vous penseriez en premier ?
Aux roses peut-être, synonyme de passion et de beauté. A quelques romans de gare aux pages cornées et couvertes de post-it colorés, où les héros hétéroclites vivaient une vie de rêve, si vous êtes des mordus de lecture. Aux différentes façons de dire "je t'aime" sans vraiment le faire, si vous êtes de grands rêveurs romantiques.
Mais, si vous demandiez à Éros, celui-ci vous répondrais sûrement "Enfer".
L'enfer oui, cet endroit signifiant torture et malheur pour toujours dans l'imaginaire collectif.
Pour comprendre ce choix légèrement extrême, il faut revenir à des mois de ça, sur les bancs de la faculté où le jeune homme poursuivait ses études dans l'espoir d'atteindre le Master.
Le vent soufflait déjà fortement pour un mois d'octobre et la pluie alternait entre tempête et finesse, installant progressivement l'automne.
C'était ce jour de rentrée, celui que chacun redoutait, là où la plupart abandonnaient, où tout le monde pleurait.
C'était ce bruit de talonnette claquant le bois ciré et odorant de l'amphithéâtre qui poussait les élèves à se taire, signifiant l'arrivée du professeur.
Et c'était surtout ce professeur. Monsieur Anani. Celui qui faisait tant baver les étudiants en tout genre, nourrissant leurs pensées et fantasmes les plus profonds.
Éros n'était pas une exception, loin de là. Il passait plus de temps à admirer le professeur que de vraiment écouter sa voix grave récitant le même cours pour la vingtième fois de sa carrière.
La matière qu'il enseignait n'était pas des plus passionnantes, loin de là, mais c'était pourtant celle qui attirait le plus de monde.
Personne ne restait indifférent aux costards et aux cheveux plaqués qui le caractérisaient.
C'était étrange, cette aura qui tournait autour de lui ; envoûtante, charismatique, dominante et qui vous attirait jusqu'à tomber dans ses filets.
C'était sûrement pour ça qu'Éros allait presque toujours le voir à la fin des deux heures obligatoires avec lui, avec les questions les plus stupides qu'il n'ait jamais entendu de sa carrière.
Mais, comprenez-le, comment était-il censé draguer quelqu'un qui avait sûrement une vingtaine d'années de plus que lui, et qui représentait une telle supériorité aux yeux de la loi ?
Au final, il n'avait pas eu à le faire. C'était ce cher Monsieur Anani qui avait fait tout le travail :
"— Monsieur Flee, vos résultats sont catastrophiques. Ce n'est pas très conventionnel, mais j'aimerais que vous veniez chez moi dans le but de faire quelques cours particuliers. Si vous acceptez, je compte sur vous pour faire preuve de la plus grande des discrétions, naturellement."
Si vous étiez en train de lire le même roman de gare que celui cité un peu plus tôt, Éros aurait accepté et, arrivé chez son professeur, celui-ci lui aurait ouvert la porte sûrement torse-nu en lui répétant à quel point il le désirait, bravant tous les interdits moraux et sociaux.
Malheureusement pour l'adolescent — pourtant adulte aux yeux de la loi — plein d'hormone qu'il était, Monsieur Anani avait ouvert en étant en costume, tout ce qu'il y avait de plus normal.
Aussi, il ne l'avait pas accueilli en le plaquant contre la porte tout en visitant sa cavité buccales avec son muscle lui servant communément à avaler, mais simplement avec un hochement de tête signifiant qu'il avait une minute de retard et un autre pour lui indiquer le chemin, tout ce qu'il y avait de plus formel.
Alors, comment est-ce que tout cela pouvait-il mal tourner ?
Et bien, Éros supposait que ça le pouvait quand l'endroit dans lequel son professeur le fit travailler semblait organisé. Trop bien organisé. Même pour le plus maniaque des personnages, un livre de travers ou une légère poussière par manque de temps pouvait tout de même faire partie du décor. Pourtant, l'élève eu l'impression qu'il était le premier à ne serait-ce que bouger la chaise sur laquelle il prit place.
C'était comme si personne n'habitait vraiment là.
Son professeur aussi d'ailleurs. Quand Éros lui demanda un stylo, car le sien avait décidé de rendre l'âme en plein milieu de sa rédaction — qui ressemblait fortement à une punition telle que les lignes faîtes en primaire —, l'enseignant fit bien cinq tiroirs avant de trouver celui renfermant les encres retenues par du plastique.
Enfin, ce n'était qu'un détail après tout... tout comme le fait que le frigo n'était pas branché, que certaines pièces qu'Éros pouvait apercevoir étaient tout simplement vides, qu'une étrange odeur de fer flottait dans l'air et que les placards débordaient de produits ménagés en tout genre...
Oui, tout ceci n'était que des détails.
Malheureusement, Éros aimait les détails. Certains disaient qu'il était observateur, d'autres un peu trop curieux... Mais, tout ce qu'il savait, c'est qu'il n'aurait jamais dû aller aux toilettes.
Monsieur Anani lui avait juste indiqué vaguement la direction, en lui précisant que la porte d'à côté était verrouillé et que sous aucun prétexte il ne devait essayer de l'ouvrir.
Et désolé si cela vous déçoit, mais Éros était plutôt obéissant. Il n'a même pas voulu regarder trop longtemps cette fameuse porte — la situation le faisait un peu penser à Barbe bleu — et était entré dans les cabinets.
Ce qu'il n'avait pas prévu, par contre, c'était qu'en ouvrant la cuvette, il trouve une main flottant dans l'eau.
Arrêtez de vous frotter les yeux ou de nettoyer en boucle vos lunettes, oui, vous avez bien lu. Une main humaine suivait les légers mouvements de l'eau, alors que l'élève poussait un cri à réveiller les morts.
En parlant de réveil, ce fut juste après ça que tous ses souvenirs devinrent flous. Il ouvrit donc les yeux, ligoté à une chaise dans ce qui semblait être une cave.
Son premier réflexe fut de retenir sa respiration. L'odeur de fer lui montait à la gorge et lui piquait les yeux, tandis qu'un parfum de corps en décomposition s'ajoutait au mélange.
Alors qu'il baladait ses yeux effrayés sur la pièce, ce qu'il découvrit lui glaça le sang.
Des cadavres, partout. Du sang peignant les murs, comme s'il servait de papier peint. Des femmes, des hommes, peut-être même des enfants. Certains éventrés, d'autres décapités, quelques-uns étaient suspendus au plafond, pendant que les autres étaient, eux aussi, attachés à une chaise.
Éros voulu hurler. Exprimer sa peur face aux organes dégoulinant et repeignant le sol, aux yeux vides mais pourtant remplis de terreurs le fixant, à ses propres membres impossibles à bouger car fermement accrochés à la chaise sur laquelle il était installé. Pourtant, il ne put pas, il était paralysé.
Puis, en regardant de plus près, il reconnu ces personnes. Chacune d'elles étaient étudiantes. La brune accrochée au plafond, c'était sa voisine la plupart du temps, au fond de l'amphithéâtre, sur la place de droite. L'homme gisant dans l'hémoglobine au sol, c'était celui qui fumait devant la faculté tous les matins.
Il ne pouvait même pas pleurer, ni même bouger. Puis, il entendit du bruit. Il se dit que ça y est, c'était son tour, et que lui aussi allait se retrouver avec ses intestins en tant que tapis.
Et, en regardant l'escalier qui semblait servir d'entrée et de sortie, il vu apparaître Monsieur Anani.
Son sauveur. Lui aussi devait sûrement ne pas comprendre ce qu'il se passait, être dégouté par ce spectacle morbide et le détacher, pendant qu'ils fuiraient le psychopathe qui l'avait enfermé ici.
Mais, en regardant de plus près, alors que les yeux de son professeur se baladaient sur le décor de ce qui était définitivement une cave, un sourire éclot sur son faciès.
Et quand ces mêmes yeux se posèrent sur le corps effrayé de son étudiant, ce sourire devint un rire.
Sourd. Puissant. Glaçant le sang, et malheureusement pas celui qui décorait la pièce.
Puis, l'homme en costume s'approcha, ne se souciant pas du sort que subissaient ses chaussures.
"— Tu es enfin réveillé, murmura-t-il en lui caressant la pommette, j'ai cru que tu n'ouvrirais jamais les yeux... Ça aurait été dommage, j'ai mis du temps à ranger la pièce rien que pour toi."
Le professeur se redressa, alors que l'étudiant ne pouvait toujours rien faire.
"— Regarde, j'ai mis exprès tous ceux que tu connaissais, je ne voulais que le choc soit trop grand et que tu sois dépaysé. J'ai dû couper la tête de tous ceux qui t'étais inconnu... Mais ne t'inquiète pas, je les ai gardés dans mon armoire ! Tu pourras faire leur connaissance ! Ne suis-je pas gentil ?"
Éros jeta rapidement un coup d'œil à ce qui semblait être une femme, si on en croyait le corps, puisque la tête manquait. Son cou encore sanguinolent laissait dépasser un bout d'os coupé en biais, et qui, apparemment, avait bien résisté avant de céder.
Devant le manque de réponse de l'autre homme, Monsieur Anani s'impatienta. Il leva sa main droite et claqua le visage de l'étudiant si fort que celui-ci suivi le mouvement, de nouveau sonné. Puis, lui attrapant les cheveux, il releva la tête d'Éros pour que celui-ci le regarde dans les yeux.
"— Petit bâtard, ta mère ne t'a jamais appris à répondre ? C'est comme ça que tu me remercies ? Je te laisse en vie, t'accueille avec des têtes que tu connais, te donne ma meilleure chaise et j'ai même attendu que tu découvres ma main porte bonheur avant de t'enfermer, et tu oses ne pas me répondre ! A moi ?!"
Et il commença à le secouer. Fort. Puissamment. Son oreille interne s'alarma, et il se sentit partir. Le monde tournait. Et quand son professeur le lâcha enfin, il eut à peine le temps de se pencher avant de vomir.
Avec une moue de dégoût, l'homme se recula un peu et chuchota presque :
"— Pathétique. Tu es franchement pathétique. Mes victimes chouineraient déjà. Et toi, tu préfères me repeindre les chaussures. Tu vas nettoyer, n'espère pas t'en sortir comme ça. Mais avant, j'ai une petite précaution à prendre..."
Peut-être était-ce à cause de l'adrénaline, peut-être était-ce parce qu'il était encore paralysé, mais il ressenti pas de douleur quand l'ébène lui brisa les chevilles. C'est quand ce dernier le détacha et le força à rester debout ensuite, qu'il poussa un hurlement de douleur, et sûrement de terreur, légèrement en retard.
Sa rencontre avec le sol lui fit presque du bien. Quand il rouvrit les yeux, quelques secondes plus tard, il tomba nez à nez avec ce qui semblait être un intestin, et jura qu'il aurait pu régurgiter de nouveau s'il ne venait pas de le faire.
Difficilement, il se mit en position assise et fixa avec de grands yeux pleins de terreur son assaillant.
Ce dernier s'accroupi pour être à sa hauteur, peigna un faux air compatissant sur son faciès et parla avec une douceur trop poussée pour être réelle.
"— Pauvre petite chose... Tu as l'air si perdue... ne t'inquiète pas, je vais bien m'occuper de toi. Si ça peut te rassurer, les autres ne s'en sont jamais plaint."
« Peut-être parce qu'ils sont tous morts et servent de décoration », aurait-il sûrement répondu en temps normal. Mais, est-ce que cette situation était vraiment normale ?
Ce petit manège avait duré un mois. Un mois où la seule chose qu'il voyait quand il se réveillait — enfin, s'il arrivait à dormir — était des cadavres, toujours et encore des corps sans vie. Un mois où il avait le droit à un repas par jour, le soir exclusivement, et que la seule qu'il pouvait faire était ramper, puisque ses chevilles ne semblaient pas apprécier le traitement qu'elles avaient reçu.
Au final, il s'était habitué à l'odeur. Le visuel de la pièce ne le dérangeait plus tellement, et il avait presque hâte de revoir son professeur chaque jour, car il était toujours accompagné d'un repas — qui s'apparentait beaucoup aux restes de la cafétéria universitaire, mais soit, c'était le seul geste encore banal qu'il recevait —.
Au bout d'un mois, son physique avait changé aussi. Ses cheveux lui arrivaient maintenant aux épaules, et étaient gras. La saleté sur sa peau lui servait de protection face aux amas de poussières, les aillons l'habillant encore un peu pourraient presque faire partie d'une nouvelle collection automne-hiver édition kidnapping, ses chevilles n'étaient plus qu'un lointain souvenir, de même pour ses ongles (petit héritage des quelques séances de torture dont il avait fait le cobaye) et son visage était méconnaissable, abîmé par la fatigue et les coups réguliers.
Il avait aussi fini par faire connaissance avec les têtes découpées de l'armoire. Forcé à faire la bise à chacune d'elles, Éros aurait presque pu faire une tier-list de leurs états de décomposition.
Mais, au bout d'un mois, une confiance s'installait aussi, doucement mais sûrement.
"— Tu sais, petite chose, j'ai bien envie de te faire monter, pour que tu vives vraiment chez moi. Tu pourrais me préparer mon repas, ramper sur un parquet tout neuf... Tu aimerais ça, petite chose ?"
Monsieur Anani avait toujours une voix très posée quand il s'adressait à lui, peu importe la situation. Comme maintenant, où il venait de faire cette proposition absolument incroyable pour l'élève, pendant qu'il s'amusait à découper des lanières sur ses avant-bras.
"— Bien-sûr monsieur, répondit Éros calmement, ne sentant même plus la douleur, ce serait un honneur, monsieur.
— Est-ce que tu te comporteras bien, petite chose ?
— Du mieux que je peux, monsieur. J'apprends vite les règles, monsieur."
Et c'est ainsi qu'il s'était retrouvé à ramper sur un paquet qui ne dégorgeait pas d'hémoglobine. Au début, ce changement ne l'avait pas tant bouleversé que ça. Puis, il avait été réveillé avec le soleil. Cette énorme boule de feu que chaque humain trouvait banale, voir même ennuyante, lui, avait presque oublié son existence. La chaleur d'un environnement de vie aussi. Les couleurs sur les murs, les cadres remplaçant les hommes et femmes décapités, les couteaux coupant autre chose que sa peau...
Tout ça lui paraissait merveilleux.
En contrepartie, il devait juste faire le repas du soir. Son instinct de survie semblait être envolé, puisqu'il n'avait jamais essayé de faire quoi que ce soit avec ce privilège, si ce n'est en profiter.
Il avait même le droit de manger à table avec son professeur, de temps en temps, quand ce dernier ne le faisait pas manger par terre dans une gamelle. S'il devait dire la vérité, Éros l'aimait bien sa gamelle, tout compte fait. Nonobstant, il préférait toujours quand il était attaché à sa chaise près de la table (pour ne pas tomber, puisque ses chevilles étaient hors service), et qu'il se faisait bercer par la voix du plus vieux racontant sa journée, comme si tout cela était banal.
Cependant, le bonheur et l'amour aveuglait un peu trop le jeune homme. Il s'était donné quelques libertés, et un soir, il avait parlé, pendant le repas :
"— Monsieur, excusez mon impolitesse, mais qui donc la jeune femme sur la photo dans l'entrée ? J'ai vu le cadre en rampant tout à l'heure, monsieur, et je me suis posé la question."
Alors, Anani était entré dans une colère noire. Il l'avait insulté de tous les noms, et l'avait torturé jusqu'à ce qu'il s'évanouisse de douleur. Apparemment, il ne fallait pas poser de question sur la femme de la photo.
Le lendemain, Éros avait dû se crever les yeux, pour se punir de les avoir laissé traîner. Pendant des semaines, il avait rappris son environnement, pour pouvoir continuer à ramper sans se prendre chaque meuble et pouvoir également continuer à cuisiner.
Mais, Éros n'apprenait jamais de ses erreurs.
"— Monsieur, excusez mon impolitesse, mais n'êtes-vous pas un peu égoïste, de garder la vue pour nous deux ?
— Je ne suis pas égoïste, je n'aime juste pas partager. Tu devrais le savoir maintenant. D'ailleurs, je n'aime pas non plus le fait que tu puisses encore parler."
Alors, après le repas, Éros avait dû se couper la langue. Ce soir-là, l'humidité avait traîné sur ses joues. Peut-être était-ce du sang, peut-être était-ce des larmes, tout ce qu'il savait, c'était qu'il était le seul à l'avoir, et juste ça, ça lui suffisait.
Maintenant, si on vous disait "Amour", à quoi est-ce que vous penseriez en premier ?
Peut-être aux cadavres pendus au plafond, si vous êtes attachés au début de ce récit. Peut-être au dégoût, si vous prenez ceci avec recul. Peut-être aux cinq sens, maintenant qu'il n'en reste plus que trois.
Mais, si vous demandiez à Éros, celui-ci vous écrirait sûrement "Lui".
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... Salutations ?
Alors, ce one-shot édition Halloween ? Il vous a convaincu sur quelle définition de l'amour il fallait avoir ?
Normalement, il ne fait pas trop peur. Il fait quand même 2741 mots, et même si ça ne paraît pas énorme, sachez que pour mon 1300 mots habituel c'est un grand pas !!
J'espère que vous avez sortis vos plus beaux déguisements pour ce jour si spécial (et même si maintenant je le célèbre par obligation, cette fête reste ma préférée, juste pour le regard pleins d'étoiles des enfants avec leurs petits paniers remplis de diabète en portion).
J'espère également que vous avez réalisé vos plus meilleures citrouilles (ou potiron, pour les gens qui aiment la soupe comme moi) ! Aucune impasse possible là dessus par contre, je pourrais passer ma vie à creuser des potirons.
J'aimerais aussi remercier iclingtoimagination pour ses nombreux conseils et sa relecture de presque une heure (j'ai cru qu'elle mourait devant le docs...), car sans elle cet os n'aurait jamais vu le jour ♡︎
Bref, tout ça pour vous souhaiter une bonne fête horrifique (ou pas d'ailleurs...)
Bisous sur vos sculptures en support comestible,
Munroe
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