-Il y a quelqu'un qui est venu te chercher.

Je relève la tête, soudain tout excité. Quelqu'un est venu me chercher ! Je vais avoir un papa ou une maman ou un papa et une maman ! Je ne vais plus être tout seul ! Je vais avoir une famille ! Enfin !

-Un papa et une maman ?je demande à la dame qui est venue me chercher.

Elle me prend le peu d'affaires que ma maman-que-je-n'ai-jamais-vue m'avait données, m'aide à mettre mes chaussures et mon manteau et me prend par la main pour sortir.

-Un papa, me dit-elle.

Un papa ! Je vais avoir un papa ! Je suis sûr que ma maman-que-je-n'ai-jamais-vue ne m'en voudra pas d'avoir un nouveau papa. Elle comprendra.

Mon sourire s'efface un peu lorsque j'arrive devant l'homme. Je lance un regard effrayé à la dame. C'est lui mon nouveau papa ? Il n'est pas beau. Il est vieux, il n'a pas de cheveux, il ne sourit pas et il a des yeux qui font peur.

La dame donne au monsieur-pas-beau mon sac avec mes affaires et elle lui redit mon prénom. Le monsieur-pas-beau me dit le sien – il s'appelle Joseph. Je hausse les épaules : pour moi, il restera le monsieur-pas-beau.

Quand on arrive chez lui, il s'accroupit devant moi pour être à ma hauteur – je n'ai que quatre ans, je suis encore petit.

-Ecoute-moi bien. Ici, on est chez moi, c'est moi qui donne les règles. Est-ce bien clair ?

J'ai peur qu'il me frappe, alors je fais oui de la tête.

-Oublie ton prénom, me dit-il. Dorénavant, tu t'appelleras T.

-T ?je répète, sans comprendre.

C'est la première lettre de mon prénom, mais pourquoi le monsieur-pas-beau veut-il que je m'appelle par une lettre ?

-Oui, T. Tu t'appelles T, d'accord ?

Je fais à nouveau oui de la tête. Le monsieur-pas-beau a dit que c'était lui qui donnait les règles, alors je dois être bien sage et faire tout ce qu'il dit. Bon. T. Je m'appelle T. En fait, c'est rigolo de changer de nom, c'est comme un déguisement.

-Bien, très bien, me dit le monsieur-pas-beau. On va jouer à un jeu, T. Tu veux bien ?

Un jeu ? Oh oui ! Je veux jouer !

-Oui, je veux.

-Parfait. Je vais t'apprendre à faire en sorte que des petits garçons de ton âge parviennent à tomber amoureux de toi.

-Des garçons ? Pourquoi des garçons et pas des filles ?je demande sans comprendre.

Le monsieur-pas-beau me sourit.

-Parce que les garçons ont le droit d'aimer les garçons. Viens avec moi.

Je le suis et il me conduit en haut, dans une chambre. Un garçon est blotti dans un coin, il tremble.

-Steve, je te présente T. T, voici Steve. C'est sur lui que tu vas t'entraîner pour le jeu, d'accord ?

Je fais oui de la tête. Le monsieur-pas-beau me montre les gestes sur Steve. L'approcher doucement. Effleurer sa main. Coller mon genou au sien. Le mettre en confiance.

Je me raidis. Non. Non, c'est mal. Je ne peux pas faire ça.

-Allez, T. A toi.

-Non...Non, je ne peux pas...

-Séduis-le, T.

-Non...Non, laissez-moi, je ne veux pas ! Je veux...je veux ma maman.

-Séduis-le !

-Non ! Je ne veux pas ! Je ne veux pas ! Laissez-moi, je veux ma maman, s'il-vous-plaît !

-Ta mère ne sera plus jamais là, T ! Plus jamais ! Séduis-le !

Il prend une ceinture et me frappe. Je hurle. Il me frappe, encore et encore.

La dernière chose que je vois avant le noir est une jeune femme qui me regarde, horrifiée.