Le Rendez Vous
Jisung fait les cent pas. Comme un lion en cage, il avance jusqu'à se retrouver à l'une des extrémités de la pièce et fait demi-tour pour faire le même chemin en sens inverse. Sa main passe dans sa crinière, enroulant une de ses mèches de feu autour de son index. A ce rythme là, il va finir par défaire la coiffure qu'il a eu tant de mal à faire ce matin.
Après encore quelques allers-retours inutiles, il se rend dans la salle de bain pour observer une fois de plus son visage sous tous les angles. Il passe ses mains le long de son visage et presse ses joues. Il les trouve trop rondes. Il écarte ses mains pour voir son visage dans sa totalité. A travers le reflet du miroir, il plonge dans son propre regard. Il voit ses yeux d'un bleu profond et dont la flamme en son centre ne cesse de danser. Elle s'agite bien plus encore qu'à l'accoutumée à cause de son stress. Il soupire. Sa main se glisse à nouveau dans ses cheveux. Il aimerait tant les teindre, il trouve cette couleur trop voyante. Il a déjà tenté de le faire par lui même mais ça s'est avéré être un véritable massacre et il n'a plus osé recommencer. Il a déjà pensé à adopter la même technique que Changbin : se raser le crâne. Mais ses cheveux poussent à une vitesse folle et il n'a pas le courage de s'en occuper. Un malheur ne venant jamais seul, chaque fois qu'il les coupe, leur couleur devient plus intense encore. C'est pour cette raison que Jisung a les cheveux qui descendent jusqu'au milieu de son dos. Généralement, il les laisse relâcher, dévalant comme une coulée de lave le long de ses omoplates. Aujourd'hui, il a décidé de discipliner ses cheveux en les tressant. Ou plutôt en demandant à sa mère de les tresser. Deux mèches de cheveux à l'extrémité de ses tempes se rejoignent à l'arrière de son crâne pour former une natte.
Il se sent un peu ridicule d'avoir pris autant de temps pour soigner son apparence mais il n'a pas pu s'en empêcher. Sans savoir l'expliquer, il voulait se sentir beau lorsqu'il allait accueillir Chan chez lui. Sa coiffure n'est pas le seul élément sur lequel il a passé du temps. Après son cours de natation, il s'est rendu chez sa voisine du dessous pour lui demander si elle avait encore d'ancien vêtements qui appartenaient à son fils. La cinquantenaire accueillit Jisung avec plaisir et sortir de vieux cartons poussiéreux dans lesquels se trouvaient les anciennes affaires de son fils qui avait quitté le nid familiale il y a deux ans. Le jeune hybride passa plusieurs dizaines de minutes à examiner un à un les habits qui se trouvaient à sa disposition. Il perdait petit à petit espoir de trouver une tenue habillée en sortant les jeans troués et les sweats noirs de l'ancien adolescent. Pourtant, en ouvrant un énième carton, il tomba sur un long cardigan tricoté à la main. Il était lavande avec des motifs de fleurs blanches. Ce fut immédiatement un coup de cœur pour le jeune homme. Sa voisine lui avoua, un sourire mélancolique sur le visage, qu'elle avait passé de longs mois à le tricoter pour l'anniversaire de son fils mais que celui-ci n'avait jamais voulu le porter. Après avoir aidé son hôte à ranger les cartons et l'avoir remercié une bonne dizaine de fois, il rejoignit son appartement en courant.
Les jours qui suivirent ne consistèrent qu'en une chose : le ménage. Son appartement était dans un état lamentable. Ni sa mère ni lui n'était des maniaques de la propreté, bien au contraire. Il n'est pas rare qu'ils laissent traîner leurs affaires sur la table ou, quand il n'y a plus de place sur cette dernière, par terre. La vaisselle s'accumule souvent dans l'évier pendant plusieurs jours et ils ne s'en occupent qu'une fois que plus aucune assiette n'est disponible. Les poussières sont faites à peine tous les mois et Jisung n'a pas le souvenir qu'ils aient déjà nettoyé les vitres.
Il s'est donc acharné tous les soirs pour rendre son appartement le plus propre possible, sacrifiant même quelques heures de sommeil. Il avait récupéré tous les produits ménagers qui traînaient dans la salle de bain et en avaient aspergé, un peu au hasard, tous les meubles de la maison. Il s'est donné énormément de mal pour rendre son cocon présentable et sa mère avait été très fière de lui, le gratifiant d'un bisou bruyant sur la joue dont elle avait le secret.
Malgré tous les efforts qu'il a fourni, Jisung a toujours l'impression que ce n'est pas suffisant. Il cherche le moindre papier a rangé, le moindre grain de poussière à balayer. Il passe son temps à replacer chaque bibelot qui croise son chemin pour que tout paraisse parfait.
Après un dernier regard dans la glace, il retourne dans la pièce principale et s'assoit sur une chaise pour arrêter de s'activer dans tous les sens. Il envoie un message à son groupe d'amis dans l'espoir de pouvoir se changer les idées. Malheureusement personne n'est disponible cet après-midi et il abandonne son téléphone des yeux en le réalisant. Il laisse son front reposer sur la table et prend une profonde inspiration. Il ne veut pas que Chan remarque son stress, il se trouve déjà assez stupide de s'être autant apprêté, il ne va pas en rajouter une couche en montrant à son camarade qu'il attend avec impatience de le voir.
Il se redresse d'un coup en entendant quatre coups contre la porte. Il se lève dans la précipitation et fait de grandes enjambées vers la porte. Il pose sa main sur la poignée mais s'arrête subitement dans ses mouvements. S'il ouvre tout de suite, il montre à Chan qu'il n'attendait que sa venue et il en est hors de question. Il prend une grande inspiration, réajuste ses vêtements, compte jusqu'à dix dans sa tête et finit par lui ouvrir.
Devant lui, Chan se tient droit, il semble si confiant et imposant que Jisung se sent minuscule. Le garçon de l'eau a un sourire éclatant qui s'élargit encore un peu plus en voyant son ami. Jisung le laisse entrer et se permet de l'observer alors qu'il s'avance dans la pièce. Il porte une chemise orange pétant avec des motifs informes dans une nuance plus claire. L'hybride sourit timidement. Il ne sait pas si c'est intentionnel mais le orange était sa couleur préférée lorsqu'il était petit et il espère au fond de lui que Chan s'en souvient et qu'il a choisi cette tenue pour lui.
- Je les mets où ?
Jisung sort de ses pensées en entendant la question de son invité. Il suit son regard pour comprendre de quoi il parle et ses yeux tombent sur les ingrédients nécessaires pour préparer la pavlova. En effet, c'est Chan qui s'est chargé de les acheter, c'est la condition qu'a fixé l'hybride après leur discussion à la piscine. Jisung récupère quelques aliments pour décharger son camarade et le guide jusqu'à la cuisine.
Ils déposent tous les ingrédients sur le plan de travail et Jisung sort un vieux livre de recette. Il l'ouvre à une certaine page, repérable grâce à un petit post-it qu'il a placé la veille. La langue dans laquelle sont rédigées les recettes est inconnue à Chan. Il devine sans mal qu'il s'agit de la langue de la république démocratique du feu et attend que Jisung lui donne des instructions pour commencer la préparation. Les minutes qui suivent laisse place au silence durant lequel Chan observe avec fascination son ami lire une langue dont il ne sait décrypter aucun symbole.
- Alors, qu'est-ce que je dois faire ? demande l'invité pour mettre un terme au silence.
- Je sais pas trop, je comprends pas tout.
Jisung paraît embarrassé de cette réponse, il joue avec le bout de ses doigts et son regard est fuyant. Chan ne comprend pas sa réaction et lui demande alors si tout va bien.
- J'ai du mal à lire le farol, répond-il timidement. Je sais le parler mais ça fait des années que je n'ai rien lu dans cette langue.
Le garçon de l'eau est attendri par sa réponse. Jisung semble très attaché à la culture de sa mère et ça lui fait chaud au cœur. Il a honte de na pas savoir lire le farol alors que Chan n'en connait pas le moindre mot. Personne ne va le juger. Alors que l'hybride cherche une tonne d'excuses inutiles, Chan se contente de passer un main dans ses cheveux pour lui caresser le haut du crâne en riant.
- On va s'en sortir, panique pas.
Il attrape le livre, le referme et se hisse sur la pointe des pieds pour le ranger sur une étagère assez haute pour que Jisung ne puisse pas le récupérer. Il se frotte les mains d'un air satisfait avant de déclarer :
- Tu m'as déjà donné les ingrédients et la quantité. Pour le reste, on y va à l'instinct, d'accord ?
L'hybride acquiesce sans réelle conviction. Il ne cuisine presque jamais alors il espère pouvoir compter sur Chan pour ce qui est de l'instinct. Lorsqu'il jette un regard ver ce dernier, il est déjà en train de récupérer les œufs et demande à Jisung de lui sortir un saladier. Le garçon réagit immédiatement et fouille dans un placard pour attraper un récipient en céramique. Le cuisinier auto-proclamé glisse ses mains contre les siennes pour récupérer le saladier. En voyant les rougeurs qui s'installent sur les joues de son ami à leur contact, il ne peut s'empêcher de rire.
Depuis quelques temps, il a remarqué le changement de comportement de Jisung. Le garçon est facilement embarrassé en sa présence, le moindre contact le rend timide et il suffit que Chan sourit pour que son ami devienne rouge pivoine. Le garçon de l'eau n'est pas né de la dernière pluie et il a conscience de ses sentiments. Il s'amuse avec Jisung, appréciant de le voir s'agiter en sa présence. C'est, en quelque sorte, sa vengeance à lui. Il se venge de toutes ses années où Jisung criait haut et fort qu'ils n'étaient que de simples connaissances. Lorsque Chan n'appréciait l'hybride que comme un ami, la situation ne lui posait pas de problème, il la trouvait même amusante. Seulement, au lycée, quand il a commencé à développer des sentiments plus fort pour Jisung, son rejet est devenu plus pénible. C'est à cette période que Chan a commencé à le suivre partout et à le coller un peu plus que nécessaire.
- Attends, tu dois pas mettre tout l'œuf !
Chan suspend son geste, sa main restant figée dans les airs. Il regarde Jisung d'un air curieux avant de comprendre. Il reprend son action, cognant l'œuf contre le rebord du saladier, appuie sur la coquille à l'aide de son pouce et le sépare en deux. Il laisse alors le blanc couler dans le récipient, passant le jaune d'une moitié de coquille à l'autre pour récupérer une quantité optimale de blanc d'œuf. Il réitère son action une seconde fois puis attrape le paquet de sucre en poudre.
- Tu peux sortir la balance ?
Jisung se précipite vers un tiroir, excité de pouvoir faire quelque chose. Il sort l'objet réclamé et l'installe sur le plan de travail. Il verse le sucre dans un pot récupéré au passage jusqu'à ce que la quantité nécessaire soit indiqué par la machine.
Ils continuent dans cette étrange harmonie à préparer la pavlova. Jisung est surexcité. Il n'en a jamais goûté et la simple idée de découvrir une recette traditionnelle du pays de sa mère gonfle son cœur de joie. Il a toujours rêvé de découvrir les coutumes de la république du feu autrement qu'à travers ses cours et les vieux bouquins de la bibliothèques universitaire. Ce simple dessert est déjà un grand pas en avant. Il aurait aimé en préparé un bien plus tôt, malheureusement les fruits coûtent chers et les dépenses inutiles ne sont pas possible. Jisung ne s'estime pas précaire, il sait que des gens vivent bien plus difficilement que lui. Mais l'argent ne coule pas à flot non plus et il ne peut pas acheter tout ce qu'il veut. Les cours de natation sont déjà un grand sacrifice dans ses économies.
Il sort de ses pensées en sentant quelque chose atterrir sur son visage. Il s'agit de la chantilly que Chan prépare en attendant que la meringue cuit. Le garçon de l'eau en a mis dans le creux de sa main et a soufflé dessus pour qu'elle s'écrase sur le nez de Jisung. Les deux garçons ont leur visage à une poignée de centimètres d'écart et le cœur de l'hybride s'emballe à cette constatation. Il passe sa main sur son visage pour se débarrasser de la chantilly qui y repose. Son geste ne fait qu'empirer les choses puisqu'il l'étale.
Chan éclate de rire. Jisung devient toujours une catastrophe ambulante quand il se montre un peu trop entreprenant. Il hésite à le laisser reprendre ses esprits mais il a envie de continuer de le taquiner et l'étudiant écoute toujours ses envies.
Il s'approche encore un peu plus de son ami, attrape son menton entre son pouce et son index pour lui faire relever la tête. Il penche son visage vers le sien et passe le pouce de sa main libre sur le coin de la lèvre pour récupérer la crème qu'il y a étalé. Il l'apporte ensuite à ses lèvres et lèche son doigt sans jamais lâcher Jisung du regard.
Ce dernier ne sait plus où se mettre et balbutie quelques phrases inintelligibles, le rouge de ses joues se répand jusqu'à ses oreilles. Il s'éloigne de quelques pas et s'appuie contre le plan de travail. Il a la sensation que ses jambes sont devenus du coton.
- C'était quoi ça ? demande-t-il en essayant de paraître en colère mais tout ce qui transparaît et sa surprise.
- Tu veux que je te montre encore ?
Chan s'approche d'une démarche féline, se collant presque contre Jisung qui ne fait plus qu'un avec le meuble derrière lui. Il approche lentement son visage de celui de l'hybride, son regard plongé dans le sien. Le garçon de l'eau ne cesse de sourire, fier de l'effet qu'il produit chez Jisung. Il a passé tellement d'années à espérer que ses sentiments deviennent réciproques, il n'en peut plus d'attendre. Chan entrouvre les lèvres, Jisung ferme les yeux. Leur visage se rapproche, leur nez se frôle, leur souffle se mélange.
Alors que Chan allait faire un dernier mouvement pour presser ses lèvres contre celle de l'hybride, il sent une pression contre sa jambe. Il baisse les yeux et découvre un chat bleu et rouge se frotter contre sa cuisse. Il est freiné dans son élan et se recule. Les paupières de Jisung se relève, la flamme dans ses yeux n'a jamais été aussi agité. Il pose son regard sur le petit être à ses pieds et un immense sourire s'installe sur son visage.
- Thot !
L'hybride semble avoir complètement oublié ce qu'il vient de se passer et s'accroupit pour caresser son animal de compagnie. Il s'agit d'un chat tacheté mais contrairement à ce que connaît Chan, son corps n'est pas bardé de différentes nuances de bleu. Son pelage est d'un blanc pur couvert de tâches bleu clair et rouge foncé. Le tout forme une harmonie étrange qui plait au garçon sans qu'il ne comprenne pourquoi. Il aime ce mélange de couleurs si peu commun. Dans le but de sympathiser avec Thot, il s'accroupit à son tour et passe ses doigts entre les poils du chat. L'animal ronronne et vient se frotter contre sa jambe.
- Il a l'air de m'aimer.
- C'est plutôt étonnant, il feule toujours sur les inconnus.
Jisung observe son compagnon de vie se frotter contre les jambes de son invité et sans savoir l'expliquer, cette vision gonfle son cœur d'une joie intense. Il reste ainsi, spectateur de la scène, pendant plusieurs dizaines de secondes avant de se relever en précisant à Chan qu'il va chercher des croquettes pour Thot. Il quitte la pièce, laissant le garçon et l'animal seuls dans la cuisine.
Après encore quelques caresses, l'invité se redresse et attend que les pas de Jisung soit suffisamment avancé pour sortir de la cuisine. Il est curieux de découvrir à quoi ressemble le lieu où son ami d'enfance a grandi. Il range la chantilly dans le réfrigérateur puis s'avance dans la pièce principale qui fait office de salon et de salle à manger. Elle est assez petite, il y a juste la place pour un canapé-lit, une table et trois chaises. Il y aussi un meuble d'appoint à côté du canapé où trône un cadre photo présentant Jisung, sa mère et Thot. Chan la prend dans ses mains et ne peut s'empêcher de sourire en voyant le visage plein de boutons de Jisung. Les souvenirs de l'hybride pendant leurs années de collège lui reviennent à l'esprit et il ne peut contenir un rire en se souvenant de la fois où son ami avait essayé de percer ses boutons. Au lieu de l'eau à laquelle il s'attendait, c'est de la lave qui est sorti de son acné. La surprise était telle que, des années après, Chan se souvient encore de l'anecdote.
Il repose le cadre et continue de découvrir l'appartement. A côté de la table se trouve une plante dont les fleurs sont toutes fanées. Lorsque le garçon de l'eau s'en approche, il réalise qu'il n'a aucune idée de ce qu'est ce type de plante, il n'en a jamais vu avant. Il s'agit sûrement d'une plante originaire de la République du feu. Le climat y est très différent, ce qui explique que les fleurs soient en si mauvaise état.
Chan ouvre une porte au hasard et tombe sur une salle de bain assez étroite et composée du strict nécessaire. Il se tourne alors vers la dernière porte présente dans l'appartement, pose sa main sur la poignée mais n'a pas le temps d'appuyer dessus que la porte s'ouvre, laissant apparaître Jisung juste devant ses yeux.
- Qu'est-ce que tu fais là ?
Chan regarde par dessus l'épaule de son ami pour essayer d'entrevoir la pièce. Il y voit un lit, un bureau et surtout, une tonne de papiers et de cahiers dispersés partout dans la pièce.
- C'est ta chambre ?
- Oui, maintenant laisse moi passer.
Chan se décale pour laisser la place à Jisung d'avancer dans le couloir. Il tient une gamelle remplie de croquettes. Il s'agenouille au milieu du salon et à peine a-t-il posé la nourriture que Thot court déjà pour la dévorer. L'hybride rit en voyant son chat bondir vers lui pour se goinfrer.
- Ta mère n'a pas de chambre ?
- C'est un interrogatoire ? demande Jisung un peu plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu. Après un petit silence, il poursuit. Non, elle dort sur le canapé-lit.
Un sentiment de culpabilité le prend à la gorge. Il sait depuis longtemps que la famille de Jisung n'a pas beaucoup de moyen. Ils sont arrivés dans le pays il y a une vingtaine d'année et les mentalités n'ont pas assez évolué pour les laisser vivre pleinement. Beaucoup de personnes refusent d'embaucher une personne du feu, aussi bien par racisme que par respect de la loi. En effet, beaucoup de lois ont été créé pour défavoriser les immigrés. Les employeurs sont souvent découragés devant toutes les complications auxquelles ils font face s'ils veulent embaucher une personne qui ne vient pas du pays de l'eau. Pour pallier à toutes ces contraintes, certains décident d'employer des immigrés illégalement. L'acte est parfois généreux, parfois intéressé. Nombreuses sont les personnes qui payent un salaire de misère pour des horaires indécents. Heureusement, ce n'est pas le cas de la mère de Jisung qui est agente d'entretien dans une boulangerie à quelques rues de chez elle. Elle s'est liée d'amitié avec la gérante et travaille pour elle. Même si son métier n'est pas toujours idéal, elle garde le sourire, consciente qu'elle aurait pu trouver bien pire.
Chan ne connait pas toute l'histoire de cette famille mais il en sait suffisamment pour savoir que l'argent n'a pas la même valeur pour eux et pour lui. S'il a choisi d'être maître-nageur, c'est parce qu'il en avait envie, pas parce qu'il était obligé. Ses parents ont assez d'argents pour lui payer ses études. En revanche, si Jisung fait des petits boulots à droite à gauche et qu'il faisait les devoirs des autres contre rémunération au collège, ce n'est pas parce qu'il en avait envie. Alors Chan s'en veut. Parce qu'il sait depuis le début de leurs cours que Jisung en pourra jamais nager et qu'il continue de lui payer ses leçons inutiles. C'est égoïste et maintenant il s'en rend compte. Il ne voulait pas lui dire pour ne pas le décevoir mais surtout parce qu'il voulait continuer de le voir en dehors de l'université.
- Jisung, à propos des cours de natation...
- Ah oui, c'est vrai, l'interrompt-il, les cours théorique.
L'hybride s'assoit sur le canapé et regarde avec attention son camarade, attendant qu'il lui dispense son cours. Son regard est si intense, si pétillant, Chan ne se sent pas capable de lui dire la vérité. Il force un sourire et vient s'asseoir à côté de lui. Il réfléchit quelques secondes pour trouver des conseils assez bateaux pour qu'il puisse convenir à Jisung. Il explique la synchronisation entre les mouvements et la respiration, les erreurs à éviter et explique les différentes nages en détail pour donner l'impression à son ami que son enseignement est complet. Pendant l'entièreté de son cours, il ne cesse de se faire interrompre par son élève qui lui pose des questions particulièrement pointues. Il se demande même si Jisung ne cherche pas à tester ses capacités, heureusement, il a réponse à chaque question de cet interrogatoire impromptue.
- Et voilà, je pense que je t'ai tout dit.
- Merci Chan, c'était vraiment instructif, répond Jisung avec enthousiasme. Maintenant, que dirais-tu de finir cette pavlova ?
Le professeur acquiesce et ils retournent dans cuisine sous le regard curieux de Thot qui a fini son bol de croquette. Tandis que Jisung sort la meringue du four, Chan s'occupe de découper les fruits en morceaux. Les deux discutent de sujet et d'autres sur un ton léger, le sourire aux lèvres. Ce moment passé ensemble est apaisant et Jisung regrette presque de ne jamais avoir proposé à Chan de venir avant. Même s'il ne l'a jamais considéré comme un ami, il se sent à l'aise avec lui et ça, il ne peut plus se le cacher. Le garçon de l'eau est d'agréable compagnie et Jisung aime être avec lui. Cette constatation ne l'agace plus autant qu'avant. Peut-être qu'après toutes ces années, il s'est résigné. Chan fait partie de sa vie et il n'en est pas autrement.
- Pourquoi tu prends des cours de natation ? Ils coûtent chers et je sais que tu as toujours fait attention à tes dépenses, demande l'invité d'une voix peu assurée.
- Un bon président du pays de l'eau se doit de savoir nager.
Chan ne peut retenir un gloussement. Il est aussi amusé qu'impressionné de voir que Jisung n'a jamais abandonné l'idée de devenir président après toutes ces années. L'hybride répartit la chantilly sur la meringue, une moue boudeuse sur les lèvres. Il demande à son camarade de ne pas se moquer et celui-ci lui donne un petit coup de coude dans l'épaule pour le taquiner. Ils disposent ensuite les fruits et, une fois leur préparation terminée, ils s'échangent un sourire satisfait. Le garçon de l'eau coupe une part de leur recette et l'approche des lèvres de Jisung.
- Monsieur le président me ferait-il l'honneur de goûter à cette délicieuse pavlova.
Le "président" approche son visage du dessert et croque dedans, mordant intentionnellement dans les doigts de Chan par la même occasion. Ce dernier ne peut s'empêcher de pousser un cri de surprise. La douleur est moindre mais il ne s'y attendait pas. L'hybride avale sa bouchée et tire la langue à son ami qui lève les yeux au ciel.
Il croque à son tour dans la part et constate avec plaisir que la recette est réussie. Leur pavlova est délicieuse et il se permet d'en prendre une autre bouchée. Il finit la part sous le regard attendri de Jisung. Le garçon est fier d'avoir pu partager une recette qui compte pour lui à son ami d'enfance.
Après encore quelques échanges triviaux, Chan regarde l'heure et est surpris de découvrir qu'il s'est écoulé trois heures depuis son arrivée. Il prévient son hôte qui semble tout aussi étonné. Les deux s'échangent un sourire gêné avant de se diriger vers la porte d'entrée. Thot en profite pour les rejoindre, bondissant sur ses pattes jusqu'à se retrouver près de Chan contre qui il se frotte allégrement. Le garçon de l'eau glousse en voyant le petit animal se donner tant de mal pour l'imprégner de son odeur. Il ramène son attention sur le garçon en face de lui qui se tord les doigts, les joues rougies.
- J'espère que ce rendez-vous en ma compagnie t'a plu.
- R-rendez-vous ? bégaie Jisung.
- Bien-sûr, je n'invite pas quelqu'un à manger une délicieuse... il laisse un silence plané en cherchant le nom du plat dans sa mémoire, pavlova sans raison.
Le visage de Jisung devient complètement rouge, du cou jusqu'aux oreilles. Il déglutit le plus discrètement possible et s'approche de Chan. Ses pupilles frétillent.
- Puisque c'est un rendez-vous, je peux faire ça.
Il s'approche du visage de son invité l'air déterminé. Mais en croisant son regard, il semble prendre peur et change de trajectoire. Il pose une main sur son épaule et laisse ses lèvres caresser sa joue pour y déposer un baiser.
Chan a à peine le temps de réagir qu'il lui claque la porte au visage, le cœur en pagaille et la respiration folle.
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