11
Joyeuse Saint-Valentin !
La salle est bondée, et à chaque nouvelle personne qui rentre, je peine à respirer. Cette sensation d'étouffement est apparue dès que nous sommes arrivés dans la rue et a pris plus d'ampleur à chaque étape : à l'entrée où l'on a vérifié nos badges, à la caisse pour que Lily puisse se rassasier, ainsi que dans les couloirs qui nous a menés à notre salle.
Je n'ai rien contre la foule. Je n'ai même jamais eu de problèmes auparavant. J'ai toujours adoré aller à des concerts, bien que cela est encore trop rare à mon goût. J'ai arrêté de compter le nombre de fois où je suis allée voir un film, une pièce de théâtre ou bien les marchés de Noël ou tout autre événement qui attire les gens.
Non, vraiment, je n'ai rien contre la foule. Parce que ce n'est pas ça le problème, je le sais. C'est le fait de savoir qu'il sera dans cette pièce, avec moi. Que nous ne serions qu'à une dizaine de mètres l'un de l'autre, mais que je ne pourrai rien faire. Je ne pourrais pas me précipiter pour l'embrasser ni même lui tenir la main. Nous sommes exclusives, mais nous sommes aussi discrets. C'est une décision mutuelle, pour se protéger, surtout moi j'en ai conscience. Jake a l'habitude des médias alors que moi... je n'ai pas envie d'imaginer ce qui pourrait se passer le jour où ils me découvriront. Je ne suis pas encore prête pour ça, alors c'est la seule et unique bonne décision.
Mais c'est dur. Si dur de ne pas pouvoir être cent pour cent avec l'homme dont je suis tombée amoureuse. Il y a son agenda, la distance kilométrique, et cette distance que l'on doit désormais mettre entre nous en public. C'est nouveau et j'ai du mal à l'accepter.
— Tu veux du pop-corn ?
Je me tourne vers Lily qui me présente son maxi paquet avec un large sourire. Je décline, l'estomac noué.
— T'es sûre ? Il risque de ne plus en avoir et ça assez rapidement.
Je hoche une nouvelle fois la tête, la gorge sèche. J'attrape en revanche la bouteille d'eau achetée à la caisse du cinéma et en bois deux gorgées.
— Je ne t'ai jamais vu dans cet état, me fait-elle remarquer en se penchant vers moi. De quoi as-tu peur ? Rien ne peut arriver.
— Justement, c'est ça le problème Lily...
Je jette un nouveau regard à ma meilleure amie, qui paraît ne pas comprendre si j'en croise ses sourcils froncés.
— Rien ne peut arriver entre nous ici. Je ne sais pas si c'était une bonne idée finalement. De venir ici, pour l'apercevoir quelques minutes, pour qu'ensuite il s'en aille et que je ne le renvoie pas avant... je ne sais même pas quand d'ailleurs. Je n'en ai aucune idée !
— Tu veux qu'on s'en aille ? On a encore le temps.
— Non, surtout pas. Ça risque de le déstabiliser s'il ne me voit pas dans la salle alors que je lui ai envoyé un message juste avant de prendre la route. Il risque d'imaginer qu'on a eu un accident, ce serait stupide. Non, non. On va rester et je vais prendre sur moi.
Il n'y a pas de bonnes décisions. Venir, c'est le bonheur de l'apercevoir un peu et la déception de ne pas être avec lui. Rester chez moi, cela aurait été la culpabilité de le savoir à une heure de route de moi sans pouvoir le voir. Aucune des deux situations n'est idéale. Notre situation ne l'est pas à vrai dire, mais... on finira par y arriver. C'est le tout début, on doit encore trouver nos marques, notre rythme, créer notre histoire.
Aucune relation n'est facile ou parfaite, mais Jake fait naître en moi des sentiments que je pensais perdus à jamais. Je crois que cela vaut bien que je me batte pour ça, que je fasse des concessions, que je fasse de mon mieux pour que ça marche, pour qu'on réussisse lui et moi. Le hasard, ou bien le destin, nous a mis sur la route l'un de l'autre et j'aime à croire que ce n'est pas en vain. Que ce n'est pas seulement pour nous mener à un échec cuisant.
Je suis arrêtée dans mes réflexions par le bruit des applaudissements des spectateurs. Je dépose mon regard sur le bas de l'écran où se tient désormais une jeune femme avec un micro. Elle nous remercie d'être là, pour la projection en avant-première de ce nouveau film. Elle le décrit, parle un peu du cinéma en général avant de souhaiter la bienvenue au réalisateur, puis à deux membres du casting. Je comprends qu'il ne me reste plus que quelques secondes avant de l'apercevoir enfin, après ces quelques semaines sans lui, loin de lui, vide. Quelques secondes et je...
Je me mets à sourire lorsque son nom est enfin prononcé. Tout le monde autour de moi applaudit, certaines personnes crient leur excitation alors qu'il entre à son tour. Mais j'en suis incapable, je suis hypnotisée par son image, par son visage. Il est là, enfin. Et que cela est dur de ne pas pouvoir me lever pour le rejoindre. Je m'imagine le faire, je m'imagine l'embrasser. J'imagine son regard plein de douceur et d'ardeur se poser sur mon visage, et je peux aisément imaginer son sourire.
Jake se positionne à côté de l'actrice précédemment accueillie par la foule avec autant d'enthousiasme. Un micro lui est alors tendu et je l'entends remercier le public pour leur accueil, mais ses mots sont un peu lointains. J'ai du mal à m'ancrer à la réalité, seule l'image est nette.
D'autres personnes font leur entrée, mais je n'ai d'yeux que pour Jake. Quant à lui, je le vois : il regarde minutieusement chaque personne présente dans la salle. Il a commencé par les premiers rangs. Je sais, je sais ce qu'il fait. Il me cherche, et une partie de moi est amusée par la situation.
Il n'est plus qu'à deux rangs de moi quand il est interpellé par la jeune femme qui les a accueillies. Une question lui est posée, auquel il répond tout en faisant une blague, si j'en crois les éclats de rire du public. Lorsque la question suivante est posée à l'une de ses co-stars, Jake reprend sa recherche. Il est un peu perdu les premières secondes, le temps de retrouver la rangée qu'il était en train de scanner avant d'être interrompu. Et puis... il finit enfin par poser son regard sur moi et quelque chose change en lui. Il y a toujours ce sourire, mais il paraît plus apaisé. C'est du moins ce que je pense discerner malgré la distance qui nous sépare. Jake hoche ensuite légèrement la tête, comme pour me dire bonjour. Comme de mon côté, personne ne me regarde — sauf Lily probablement —, je lui lance un petit signe de la main des plus discrets.
À partir de ce moment, il nous est difficile de nous lâcher du regard. Même si Jake est questionné de temps à autre, ses yeux retrouvent indéniablement leur chemin vers moi. Nous nous observons de manière complice, le sourire aux lèvres. J'ai tout oublié. J'ai oublié mes peurs et ma tristesse. Je me sens apaisée et pleine de vie. Jake est le premier homme à me faire ressentir ça. À me donner la sensation que tout ira bien. Oui, je me sens bien... Jusqu'à ce que Lily prenne la parole.
— Regarde-moi, m'ordonne-t-elle discrètement.
Je m'exécute et me tourne vers elle, plus par inquiétude que par réelle envie. Lily sourit, mais je comprends vite que c'est forcé quand je remarque que son regard a une pointe d'agitation. Instantanément, je perds mon sourire.
— Qu'est-ce qu'il y a ? l'interrogé-je sans attendre.
— Il faut que vous arrêtiez de vous dévorer du regard.
— Quoi ? Pourquoi ?
— Parce que je crois qu'il y a un couple de copines qui vous ont remarqué.
— Quoi ? Mais non, c'est impossible voyons. On est à des mètres l'un de l'autre.
— Je sais, mais il ne fait que regarder dans ta direction et ça a éveillé des soupçons. Le rang devant, à ta gauche, m'indique-t-elle sans attendre.
Je ne me tourne pas tout de suite, de peur d'éveiller encore plus les soupçons. En tout premier lieu, je me remets à regarder face à moi, sans poser mon attention sur Jake, la boule au ventre. Quand je me sens suffisamment courageuse, je jette furtivement un regard vers la gauche, et je désespère. Plusieurs filles m'observent en s'échangeant des messes basses.
Lily avait dit qu'il ne pourrait rien arriver de mal. En l'occurrence, elle a eu tort. Mais aucun de nous trois n'aurait pu imaginer que nous nous ferions prendre en étant séparés d'une telle distance. Comment aurais-je pu croire que ce serait trop risqué ?
Je baisse la tête, la peur ayant pris le pas sur tout le reste. Je n'ose même plus regarder Jake de crainte que d'autres personnes ne remarquent les regards amourachés que nous nous renvoyons. Je ne suis pas prête à être découverte. Cela fait si peu de temps que nous sommes ensemble lui et moi ! Et je ne suis même pas certaine que nous ayons un avenir ensemble, que cela peut durer dans le temps. Ajouter ça à l'équation... eh bien, disons que j'ignore si je peux le gérer. Pas tout de suite en tout cas.
— Aby, me murmure Lily à l'oreille. Ils sont sur le point de partir. Tu devrais quand même lui jeter un dernier regard ou lui adresser un sourire.
— Je ne peux pas.
J'ai toujours la tête baissée, comme figée par le regard de ces jeunes demoiselles. Et je m'en veux énormément de ne pas réussir à faire face à cette situation. Je me sens bête et je me sens faible. J'ai bien conscience de laisser des totales inconnues m'arracher ces quelques secondes de bonheur, mais la peur est malheureusement plus forte.
— Il est sorti, m'annonce mon amie d'une voix triste.
— De quoi avait-il l'air ?
— Je crois qu'il était un peu perdu. Tu ferais mieux de lui envoyer un message.
Lily a raison, mais maintenant que je sais que des personnes du rang juste devant nous nous observent, j'ai peur que d'autres personnes derrière nous fassent de même. Et si l'un d'eux regardait l'écran de mon téléphone portable ?
— Je crois que je vais aller aux toilettes avant que ça commence. Je lui enverrai un message une fois là-bas, loin des regards.
— Fais vite alors, je crois que le film ne va pas tarder à commencer, tu sais. Et la plupart des gens vont t'incendier si tu rentres en plein milieu et...
— Je fais vite, l'interrompé-je avant de me lever.
Je m'excuse auprès des autres personnes de ma rangée avant de descendre les escaliers et de rejoindre la sortie, mon téléphone dans la main. Le couloir principal du cinéma est en train de se vider. Je vois au loin, à ma gauche, une foule de personnes qui s'éloigne. Une voix me dit qu'il doit en faire partie, et c'est d'autant plus douloureux de prendre la direction opposée, mais c'est pourtant ce que je fais. Moins d'une minute plus tard, je pousse la porte des toilettes des femmes, et je me fige.
— Jake ? dis-je surprise.
Jake est là, face à moi, dans les mauvaises toilettes avec son téléphone en main. Il se met à rire avant de s'approcher de moi, tandis que je fais quelques pas vers lui toujours désarçonnée par sa présence.
— J'étais en train de t'envoyer un message pour que tu me rejoignes.
— Tu es dans les toilettes des femmes !
— Oh merci, je crois que j'avais remarqué.
Le visage de Jake n'est plus qu'à quelques centimètres du mien. Il s'approche un peu plus pour m'embrasser, mais j'esquive.
— Jake...
— Qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiète-t-il.
— Un groupe de filles a vu comment nous nous regardions.
— Elles ne sont plus là.
Sa voix est rassurante, mais je continue à avoir peur et à esquiver son regard. Jake pose ensuite sa main sur ma joue, et là je ne peux plus résister ni même me reculer.
— C'est risqué, lui expliqué-je d'une voix peu convaincante.
— Si tu veux, je peux m'en aller.
— C'est pas ce que je veux, et tu le sais. C'est juste que je ne suis pas prête à ce que tout le monde sache. C'était déjà limite avec... Enfin, tu sais.
Je fais référence à Carver, mais je n'ai pas envie de prononcer son nom. Je sais que ça lui a fait du mal.
— Je vais devoir partir, ma voiture m'attend... Est-ce que je peux t'embrasser ?
J'aurais hésité, si j'étais rationnelle. Mais quand je suis avec Jake, j'oublie tous mes doutes. Avec lui, c'est comme si tout était possible. Il n'a qu'à m'embrasser pour faire disparaître tous mes démons. J'aime cette sensation alors, avant même de lui avoir donné une réponse, je prends les devants et pose mes lèvres sur les siennes sans réfléchir.
Cela ne dure que quelques secondes, tel un baiser volé, mais ça me suffit. La magie de son toucher a fait son effet.
— Je t'appelle après la séance, me susurre-t-il.
Il dépose un nouveau baiser sur mes lèvres, furtif cette fois-ci, avant de me contourner et de se diriger vers la porte.
— Aby ?
Je me tourne vers lui, les papillons dans le ventre et le sourire aux lèvres.
— Tu es magnifique.
Et je fonds un peu plus...
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