06
— Comment s'est passé le tournage ?
Je ne sais pas si c'est par simple curiosité ou parce que je n'ai pas envie de penser à Lily et au potentiel affrontement entre elle et lui, mais j'ai besoin d'avoir l'esprit occupé. Et puis, mon côté cinéphile est toujours avare de détails sur la réalisation d'un film et d'anecdotes de tournage. J'ai en plus une place privilégiée et une oreille attentive, prête à attraper au vol des informations qui ne seraient jamais divulguées dans les bonus.
En premier lieu, je souris et je ris. J'accueille son récit avec joie et intérêt. Au bout de quelques minutes, mes pensées reprennent le dessus et des questions apparaissent : quand serait son prochain film ? Ou son grand événement sur tapis rouge ? Je sais que les avant-premières peuvent durer des semaines, tout dépend du nombre de pays dans l'agenda. Dire que je ne lui ai même pas demandé combien temps il pouvait rester ici, en Angleterre, avec moi. Je crois que je n'ai pas posé la question de peur de ne pas aimer la réponse. Avons-nous des jours ? Une semaine ? Plusieurs ? J'oublie le mot « mois », ce n'est pas réaliste.
— Je l'ai dit à Sierra, me dit-il très heureux.
Malgré les messages échangés, il n'a jamais fait mention de Sierra. Je sais à quel point elle a une place importante dans sa vie, en tant que meilleure amie. Qu'il lui ait annoncé la nouvelle, c'est un pas important pour... et ça me surprend. Il me faut toute la volonté du monde pour me concentrer sur la route et ne pas lui jeter un regard.
— Quand ça ? je l'interroge abasourdie. Et pourquoi ne m'as-tu rien dit avant ? Et comment a-t-elle réagi ?
— Oh ça l'a rendue très joyeuse, bien qu'elle ne semblait pas étonnée. Tu lui avais fait une très bonne impression lors de la soirée, tu te souviens ?
— Bien sûr que je me souviens. Mais, elle n'était pas étonnée ? Même pas un peu ?
— Pas le moins du monde ! approuve-t-il en riant. Elle m'a dit que c'était plutôt l'inverse qui l'aurait surprise. D'après elle, je n'invite pas n'importe qui chez moi. En fait, je n'invite pas grand monde.
— Donc, j'émets avec espoir, tu crois qu'il y a une chance pour que je puisse éviter l'interrogatoire de ta meilleure amie ?
Jake éclate de rire, ma question faisant écho à la situation qu'il s'apprête de vivre d'ici une dizaine de minutes. Il décide d'ailleurs de ne pas me répondre, soit parce qu'il ignore les intentions de Sierra, soit pour me torturer un peu. La deuxième proposition me semble plus correcte et, si c'est le cas, c'est bien joué.
Mon regard est attaché à la porte de la fleuristerie et, même si je ne le vois pas, je sens celui de Jake sur moi. Il doit être en train de se poser des questions ou me prendre pour une folle : cela fait vingt secondes que j'ai coupé le moteur et que je n'ai plus rien dit, dévisageant la façade de ma propre boutique.
— Hum, Aby ?
Je lève la main, l'incitant à suspendre sa phrase avant de me tourner vers lui, un rien gênée.
— Je pense qu'il vaut mieux que j'y aille en première, l'informé-je peu convaincue par l'idée.
— Je peux faire face à Lily, m'affirme-t-il avec un sourire amusé.
— Ce n'est pas vraiment à cause de Lily que je m'inquiète...
— Alors pourquoi restes-tu planter dans cette voiture ?
Je n'ai pas envie de me faire passer pour la femme qui devient totalement paranoïaque... Même si, je l'avoue, je suis plus attentive et mon côté scénariste invente des récits insensés. Ma brève relation avec Carver m'a fait comprendre certaines choses, des concepts assez basiques quand on fréquente une célébrité. Des vérités qui ne correspondent pas forcément à ma façon de vivre. Toute relation a ses hauts et ses bas, ses côtés positifs et négatifs, ainsi que des concessions à faire. Certains changements doivent s'effectuer pour le bien du couple, même si c'est difficile et parfois un peu pénible. J'ai encore beaucoup à apprendre, mais je sais déjà que je vais devoir faire des efforts sur tout le côté sociable de sa vie. Se faire discret est déjà une chose que j'ai assimilée depuis des années : je ne suis pas le genre de filles dont on parle. Je suis plutôt discrète et j'évite les réseaux sociaux. Je crois être restée que deux heures sur Instagram avant de m'y désinscrire. À quoi bon poster ma vie ? Qui est-ce que ça intéresse ?
Alors oui, je ne suis peut-être pas une adepte, mais je ne pourrai pas poster une photo de mon amoureux et moi en photo de profil sur Facebook. Ni même changer mon statut, le passant de « célibataire » à « en couple ». Je ne m'en plains pas trop. Non, ce qui m'ennuie le plus, c'est de devoir regarder derrière mon épaule et analyser chaque personne qui passe près de moi, comme à l'aéroport. C'est d'avoir peur qu'on nous voie, c'est ne pas pouvoir aller se promener.
Je me suis déjà fait repérer à cause de Carver et, bien que je n'ai aperçu personne depuis plus d'un mois et demi, cela ne veut pas dire que je suis en sécurité. Je n'y faisais pas attention quand j'étais avec lui, car c'était la première fois et que je n'y connaissais pas grand-chose. Avec Jake, c'est différent. J'y ai déjà un pied, sans oublier que lui et moi, c'est du sérieux. Je veux que ça reste entre nous le plus longtemps possible. Je veux profiter de lui avant qu'ils puissent débarquer dans ma vie. Je ne me sens pas prête à me retrouver dans les journaux à sensation ou devoir affronter les flashs de ces satanés appareils photo. Sans parler des groupies qui se permettent de débarquer et d'imposer leur présence comme si elles étaient légitimes.
Je suis décidée à vivre cette relation, coûte que coûte. Jake me fait ressentir des émotions que je pensais perdues.
— Aby ? me relance-t-il.
Depuis son arrivée inattendue à mon appartement, il y a environ un mois, je n'ai plus eu d'absences. Jusqu'à aujourd'hui, il semblerait. C'est un surplus de questions et l'anxiété, ça passera, j'en suis sûre.
— Je préfère vérifier qu'il n'y ait aucun client dans la boutique, je lui fais savoir en ouvrant la portière, attends-moi ici !
À peine me suis-je approchée de la boutique que j'entends un autre claquement de portières. Je me retourne, lui fais de gros yeux et indique la voiture d'un geste de la main.
— Qu'est-ce que tu fais ? paniqué-je en lui barrant le passage.
Jake s'avance et dépose ses mains sur mes avant-bras. Il prend ensuite une profonde respiration et me regarde sans cligner des yeux.
— Écoute, débute-t-il très sérieusement, on ne va pas vivre comme ça. Je vais rentrer dans cette boutique Aby. Et si, par après, on a envie d'aller se promener, on ira se promener. De toute façon, les paparazzis apprendront notre relation un jour ou l'autre, autant vivre normalement jusque-là. Je ne veux pas que notre vie de couple soit rythmée par les mauvais côtés que pourrait avoir la mienne. Ne t'inquiète pas à propos d'eux.
— Tu n'es jamais inquiet ? Par rien ni personne ?
— Bien sûr que si, me rassure-t-il. Lily fait partie de mon top trois si tu veux tout savoir.
Je discerne un soupçon de regret dans son regard. Je crois qu'il n'est pas totalement prêt à endurer sa colère... ou sa folie. Pourtant, c'est d'un pas assuré et déterminé qu'il se dirige vers la porte et qu'il pousse cette dernière sans aucune hésitation. Je m'empresse de lui emboîter le pas, histoire de pouvoir me mettre devant lui s'il reprenait à Lily l'envie de le gifler comme la dernière fois. J'entre pratiquement en même temps que lui et refermer la porte aussitôt. Je remarque que la pièce est vide de tout client et je me dépêche de pousser Jake jusqu'à l'arrière-boutique où Lily, installée sur l'une des chaises hautes, est silencieuse et stoïque. Son regard est posé sur nous, sans étonnement, comme s'il avait su que Jake serait là. Nous nous stoppons et la dévisageons, attendant de savoir sur quel pied danser.
— Est-elle toujours vivante ? m'interroge Jake dans un imperceptible murmure.
Je hausse doucement les épaules, assez flippée de la voir dans un tel état. Cela fait dix ans que je la connais, je ne l'ai pourtant jamais vu comme ça calme.
— Lily, Jake. Jake, Lily, tenté-de de plaisanter.
Même pas un sourire, ça alors !
— Je me suis préparé à subir ton interrogatoire, prend-il la parole, ô vénérable Lily.
Je tourne mon visage vers mon petit ami. Sérieusement ? Vénérable ? Il pense quoi ? Gagner des points ?
— Alors, installe-toi face à moi, l'invite-t-elle à faire d'une voix très solennelle.
Ah oui, donc à lui elle lui répond, mais pas à moi ?
Je vois l'homme de la pièce s'avancer vers l'une des femmes les plus étonnantes que j'ai pu rencontrer dans ma vie. Il s'installe sur une chaise, de l'autre côté du plan de travail. Il ne manque plus qu'une musique stressante et je suis tout droit transportée dans un film policier.
— Vous ne trouvez pas que vous en faites un peu trop ? leur demandé-je en tapotant nerveusement du pied.
— Il faut bien que j'y passe un jour, autant maintenant.
— Lil...
— L'interrogatoire ne peut être interrompu, déclare-t-elle.
Je roule des yeux, considérant cette situation excessive.
— À nous deux, clame-t-elle d'une voix forte qui nous fait sursauter.
— D'accord, que veux-tu sav...
— Je t'arrête tout de suite mon petit gars ! Toi, tu m'écoutes et c'est moi qui parle. Tu as le droit de prendre la parole seulement quand je te pose des questions. Et n'essaie pas de te disperser. Oublie également les excuses totalement débiles, ça ne marche pas avec moi. Pour le moment, l'opinion que j'ai de toi est vraiment mauvaise, voire passablement médiocre malgré tes prouesses au lit.
— Bordel, Lily !
Je fais un pas vers eux, mais elle m'arrête d'un geste de la main.
— Ne bouge pas ! s'écrie-t-elle. Règle numéro deux : personne n'entre dans notre espace.
— Je me propose comme avocat, lui refuserais-tu ?
Ma meilleure amie me foudroie du regard. Apparemment, je n'ai pas le droit de jouer aussi cela leur est strictement réservé.
— Pour le moment, reprend-elle, j'ai pu remarquer plusieurs choses : tu es un menteur, peut-être même un manipulateur, ainsi qu'un froussard sans oublier le côté égocentrique qui doit être né au même moment que ta pseudo-carrière.
— Ma pseudo-carri...
— Qu'est-ce que j'ai dit ? Non, mais regarde-moi ça Aby, je ne suis même pas respectée dans ma propre boutique. Pff ! Où en étais-je ? Ah oui, égocentrique. Tu ne penses qu'à toi, à tes petits sentiments et tu ignores totalement la femme qui, pour le moment, est encore ta petite amie. Je vous ai pardonné après votre premier mensonge, monsieur Cameron.
— Ce serait gentil de te souvenir que c'est avec moi qu'il sort, j'interviens, pas avec toi.
— Je suis une extension de toi. S'il sort avec toi et qu'il te blesse, il me blesse aussi et je me transforme en furie. Aby est ma meilleure amie, ajoute-t-elle en regardant Jake. Je refuse que tu lui fasses à nouveau du mal.
— Je ne lui ferai pas de mal, répond-il.
— Il n'y avait pas de point d'interrogation à la fin de ma phrase, jeune homme ! T'as un problème avec les lois aussi ?
Jake et moi échangeons un regard, désireux que la conversation se termine le plus rapidement possible. Au même moment, Lily se lève de sa chaise et commence à faire les cent pas.
— Néanmoins...
Elle laisse sa phrase en suspens, ayant toujours adoré laisser miroiter ses victimes.
— Tu veux bien accoucher avant qu'un client n'arrive ? la supplié-je.
— J'allais dire qu'en dépit de toutes les conneries que tu as pu faire... Je ne l'ai jamais vue aussi excitée qu'hier, dit-elle en m'indiquant du doigt. Ni aussi heureuse que ces dernières semaines. Et tu n'étais même pas là. Maintenant que c'est le cas, j'ai hâte de voir ce que ça va donner. Ou pas. J'ai peur de voir un marshmallow à la place de mon amie. Tout ça pour dire que ce serait bête de ne pas te donner une seconde... Non, une troisième chance plutôt.
Si la conversation me faisait peur, ce n'est rien lorsque je vois Lily contourner le plan de travail et s'arrêter juste devant Jake. Cette proximité m'inquiète au plus haut, m'ayant préparé à un autre coup de sa part. Je ne m'approche pourtant pas.
— Je t'ai dans ma ligne de mire, cow-boy, l'avertit-elle en imitant le pire accent américain possible.
Mon amie est de dos, je ne vois donc pas ses traits. Cependant, je mettrais ma main à couper qu'elle lui a jeté un regard meurtrier. Rien de bien surprenant, c'est plutôt la suite qui m'abasourdit : Lily est en train d'enlacer Jake. Je répète : Lily est en train de lui faire un câlin ! J'observe la scène, les yeux ébahis et la bouche grande ouverte. D'ailleurs, lui aussi ne s'y attendait pas, car il met plusieurs secondes à lui rendre son accolade.
Lily se recule ensuite et se tourne vers moi.
— Sinon, ça vous dit qu'on commande la nourriture chinoise pour ce soir ?
Au final, tout s'est mieux passé que je ne l'espérais.
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