— Tu attendais quelqu'un ? m'interroge-t-il Jake en haussant un sourcil.

Je le quitte du regard en jetant un œil au hall d'entrée, tout aussi perplexe que lui.

— Non. Mais bon, apparemment tout le monde se ramène chez moi depuis vingt-quatre heures, le taquiné-je. C'est sûrement Lily, je ne vois pas d'autres possibilités.

De nouveaux coups à la porte se font entendre et j'affiche une moue indécise. Dois-je aller ouvrir ou prétendre qu'il n'y a personne à la maison ? Si c'est vraiment elle, ça risque d'être compliqué de lui demander de partir sans qu'elle ne fasse irruption dans mon hall d'entrée. Je ne l'ai jamais laissée sur le seuil de la porte, il est évident qu'elle va se douter de quelque chose. Il faut que je trouve une excuse en béton. Je n'ai pas d'autres choses que d'ouvrir la porte, elle va finir par ennuyer les voisins ou me harceler d'appels téléphoniques. Si je lui fous un vent, elle serait capable de défoncer ma porte pour s'assurer que je suis bien en vie.

En aucun cas elle ne doit voir Jake. Ce n'est franchement pas le moment des retrouvailles, il faut que je lui parle de ce qui s'est passé en tête à tête.

Les coups se font de plus en plus insistants. Il n'y a plus aucun doute quant à l'identité du visiteur.

— C'est bien Lily...

La panique m'envahit tandis que j'ordonne à Jake de rester caché dans la cuisine. Je me rends ensuite dans le hall d'entrée, mes idées fusant à la vitesse de la lumière. Après un rapide coup d'œil au judas, avec l'espoir vain de me tromper, j'aperçois bien ma meilleure amie, impatience comme à son habitude. Je fais tourner la clé de la porte et l'ouvre de quelques centimètres.

— Hey Lily ! la salué-je d'une fausse voix faiblarde.

— T'es malade ? me demande-t-elle aussi tôt.

Comme réponse, je toussote deux ou trois fois en hochant la tête.

— Je pense que je vais rester dans mon lit toute la journée, lui annoncé-je tristement. Entre ça et mes vertiges, ce n'est pas la forme. Je n'ai pas envie de te refiler ça...

— Des vertiges ? Je vois... Tu as aussi tes règles ?

Je réponds à l'affirmative, sans trop réfléchir.

— Je peux au moins te donner les délicieux beignets que j'ai été acheter spécialement pour toi ?

Des beignets... ou la cuisine de Jake ? J'ai plus la certitude de me rassasier grâce à ma meilleure amie. Il vaut mieux accepter, j'aurai un plan de secours au cas où ça foire avec le petit-ami.

Je hoche doucement la tête avant d'ouvrir un peu plus la porte et là... Tout se passe bien trop vite pour que je puisse réagir. Lily met son pied comme obstacle, m'empêcher de refermer la porte après réception du délicieux colis. Je lui fais de gros yeux, mais elle reste silencieuse en me scrutant le visage, seule partie du corps qu'elle peut apercevoir.

— Tes règles sont la semaine prochaine, m'apprend-elle mieux informée que moi sur mes menstruations. T'es vraiment nulle comme...

— Comme menteuse, terminé-je exaspérée de ne rien pouvoir lui cacher. Oui, je sais. Tout le monde me le dit !

— Qu'est-ce qui se passe Aby ? T'étais en train de faire quoi ? Pas de conneries j'espère !

Je vois que j'ai désormais affaire à Lily, l'inspectrice. Je n'ai plus aucune chance de la faire sortir de chez moi sans qu'elle ne voie Jake.

— Il n'y a rien ! tenté-je de feinter.

Lily pousse un peu plus la porte et, pieds nus, il m'est impossible de la retenir au risque de me blesser. Elle passe sa tête et aperçoit alors mon accoutrement.

— Oh mon dieu ! s'écrit-elle avec effroi.

Il lui faut moins de trois secondes pour atterrir, de force, dans mon hall d'entrée.

— Abigail Griffiths ! Mais que diable...

Je n'arrive pas à savoir ce qui se passe dans sa tête tant ses traits changent d'une seconde à l'autre, passant de la surprise, à la colère et même de... de la fierté. D'accord, ça c'était impensable.

— Lily, dis-je son prénom avec un grand calme. Si tu veux bien, je t'expliquerai tout plus tard... Tu veux bien ?

Ma meilleure amie est sourde à tout ce que je peux lui dire. Lorsqu'elle a une idée en tête, impossible de la lui ôter. C'est donc une Lily inarrêtable qui se dirige à vive allure vers la cuisine où se trouve Jake, torse nu.

— Oh mon dieu ! s'exclame-t-elle d'une voix suraiguë.

— Salut Lily ! la salue Jake avec un large sourire et très embarrassé.

— Toi ! le menace-t-elle en pointant le doigt vers lui d'un air dangereux.

Avant que je n'aie pu comprendre la situation ou anticiper sa réaction, Lily s'est retrouvée à quelques centimètres de Jake et lui a... violemment giflé la joue gauche. Je lâche un cri effaré avant de placer ma main devant ma bouche. Je ne m'étais pas préparée à une réaction aussi véhémente de sa part.

— Ça, mon cher Jake, c'était la très légère brise Lily, annonce cette dernière furieuse. Et crois-moi, il vaut mieux éviter la tempête Lily à l'avenir.

Jake reste silencieux et stoïque. Je crois qu'il ne s'était pas préparé à l'idée de se recevoir une gifle. Personne n ne l'était. Pas même Lily ! Elle est trop spontanée pour imaginer ses propres gestes.

Lily fait ensuite volte-face, me regardant avec un large sourire.

— Téléphone-moi s'il faut de nouveau recadrer ce petit. Oh et tu te rappelles la promesse que tu m'avais faite au sujet de Carver ? Eh ben ça vaut aussi pour Jake et je n'aurais pas à attendre cette fois-ci.

Ma meilleure amie m'embrasse la joue avant de s'apprêter à partir, mais elle se tourne de nouveau vers Jake.

— Le deuxième beignet est pour toi si tu veux, lance-t-elle joyeusement avant de définitivement partir.

La visite brève et étrange de Lily nous laisse tous deux dans un état second l'espace d'une petite minute.

— Bon... Je m'attendais à pire, déclare-t-il sur le ton de la plaisanterie et en massant sa joue.

Je m'approche de lui en déposant le paquet sur la table et dépose un baiser sur sa joue intacte.

— Je suis sincèrement désolée, murmuré-je coupable.

— Tu n'as rien fait, tu n'as donc pas à t'excuser. Je l'ai mérité, je le sais... Mais j'espère qu'ils sont bons ces beignets !

Je lâche un rire stupéfait, ne m'étant pas attendu à ce que Jake puisse sourire aussi rapidement après la situation que nous venions de vivre. Il s'y était sûrement préparé, au moins un peu, durant le vol. Après tout, Lily aurait très bien pu être avec moi hier soir. J'essaie d'ailleurs d'imaginer comment la conversation aurait pu tourner si tel avait été le cas. Mais quelque chose détourne mon attention : Jake m'enlace doucement par-derrière en posant ses mains sur mon ventre.

— À quoi penses -tu ? m'interroge-t-il au creux de l'oreille.

— Je me demande à quoi aurait pu ressembler la soirée d'hier si Lily avait été là à ton arrivée.

Penser à son arrivée, me ramène indéniablement au départ rapproché et au retour lointain. Au moins un mois. Comment vais-je réussir à gérer sans devenir totalement folle à l'idée qu'il redevienne silencieux ?

— Jake...

Une boule se forme au niveau de mon ventre. C'est aujourd'hui que quelque chose débute. Je n'ai aucune idée du futur, aucune possibilité de me projeter à la semaine prochaine. Cependant, je sais une chose : je veux démarrer sur des bases saines. Et je ne parle pas de lui, mais de moi cette fois.

— Hum ?

Sa tête posée sur mon épaule, je sens son souffle sur frayer un passage entre mes mèches de cheveux et se déposer délicatement sur mon cœur.

J'ai peur de sa réaction, car je n'ai pas envie qu'il m'en veuille après ces semaines passées à souffrir tous les deux. Mais lui cacher serait malhonnête de ma part. Et puis, les choses qu'on tente de cacher finissent toujours par sortir !

— J'ai omis de te dire quelque chose.

Je ne vois pas son visage, il m'est donc difficile de savoir si ses traits ont changé ou dans quel état d'esprit il est. J'ai besoin de savoir si son sourire a disparu et quels sont les termes appropriés pour que la discussion puisse relativement bien se passer. Je me recule et me tourne vers lui, prête... enfin, je crois.

— ça ne sent pas bon, devine-t-il à mon regard.

— Ce n'est pas si grave...

— Aby, dis-moi ce qui s'est passé.

— Bon... Eh bien... Quand je sortais avec...

Je ne suis pas certaine de l'utilité de mentionner son prénom, ça a tendance à blesser Jake.

— Avec l'autre, je reprends, ton ex-manageur est passé à la boutique.

Je me mordille la lèvre, attendant patiemment sa réaction, la craignant un peu.

— Je t'en prie, continue...

Jake ne semble pas en colère, mais plutôt soucieux. En tout cas, pour le moment.

— Il était saoul...

— Saoul ? répète-t-il absolument incrédule. Je ne l'ai jamais vu dans cet état... Il a été violent ?

— Il était agressif. Mais... Carver a fait de son mieux pour le faire sortir et il s'est ramassé un coup de poing au-dessus de l'œil. Tout s'est passé très rapidement. Nous avons à peine pu parler, il était beaucoup trop grossier pour que je prenne le temps de taper la discussion. Lily voulait te le dire, j'ai refusé.

— Mais pourquoi ne m'avoir rien dit Aby ? Je ne comprends pas !

— C'était plus fort que moi, je n'avais pas envie de t'inquiéter. En plus, tu n'aurais rien pu faire.

— J'aurais pu appeler l'agence, me contredit-il en soupirant lourdement. Tu n'as pas à supporter les erreurs de mon passé. Imagine s'il était revenu à la boutique à un moment où tu étais toute seule ? Qu'aurais-tu fait Aby ?

— Je n'y ai pas réfléchi. J'aurais certainement appelé la police.

— Entre l'appel et l'arrivée, il aurait pu te blesser... ou pire !

Jake n'est pas en colère, il est plutôt terrorisé à l'idée que quelqu'un me fasse du mal.

— Je suis désolée Jake...

— Ce n'est pas grave, mais ne me refais plus jamais ça. C'est beaucoup trop dangereux...

— Tu ne m'en veux pas ? répété-je en fronçant les sourcils.

— Après ce que j'ai fait, ce serait malvenu de ma part de t'en vouloir quand tu essayais simplement de me protéger... Même si je suis loin d'en avoir besoin !

— Ne fais pas le macho !

Je me rapproche à nouveau de lui et retrouve la douceur de ses bras autour de moi tout en échangeant un rire. Juste après, Jake me fait promettre de ne plus rien lui cacher, ce que j'accepte.

Les heures qui précèdent son départ sont... une torture absolue. J'ai essayé au mieux de profiter de chaque seconde, cependant je n'ai pas pu m'empêcher de jeter un œil à l'horloge assez régulièrement. Trop souvent au goût de Jake qui me l'a fait remarquer à plusieurs reprises. C'était plus fort que moi, j'avais besoin de savoir combien de temps il nous restait. J'avais aussi l'espoir de voir le temps s'arrêter, se rallonger. Ça n'a bien évidemment pas été le cas et il m'a été difficile de retenir mes pensées, comme de lui demander de ne pas prendre ce foutu avion. D'attendre le prochain, de prétexter une urgence familiale et rester avec moi, encore quelques heures, quelques jours. Je sais que cela aurait été égoïste, Jake a des obligations et un tournage coûte horriblement cher, si cher que ça en frise l'indécence. Je ne peux pas lui demander ce que j'ai moins même refusé. À savoir, rester avec lui, là-bas.

Je vais devoir être patiente, ce qui n'est parfois pas mon fort. Un mois... Ce ne sera pas si difficile, n'est-ce pas ? Après tout, j'ai attendu plus de trois mois pour rencontrer « Connor ». Quatre semaines, ça passera vite avant de le retrouver. J'y arriverais, j'en suis certaine.

De toute façon, je n'ai pas le choix.