01
Lorsque j'ouvre la porte, je reste, bien malgré moi, stupéfaite l'espace de quelques secondes. Immobilisée par la surprise ainsi que par la colère. C'est d'ailleurs cette dernière émotion qui est la plus dominante.
Jake est face à moi, presque identique à la dernière image que j'ai de lui, excepté la barbe de quelques jours. Il porte une veste en cuir noir, le genre de vestes que j'ai toujours beaucoup aimé sur un homme, mais que je n'arrive pas à apprécier sur lui au vu de ces actes et de la déception qui en ont découlé depuis plusieurs semaines.
- Qu'est-ce que tu fais là ? le questionné-je très froidement.
J'ai préféré prendre la parole la première, histoire d'être maîtresse de la discussion, pouvoir l'orienter, mais surtout pour lui faire part dès maintenant de mon état d'esprit. Et puis, il ne semblait pas prêt à parler.
- Je, commence-t-il des plus embarrassé.
- Non, le coupé-je aussitôt, on va commencer par une autre question : c'était bien toi, il y a un mois, dans la cage d'escalier ? N'est-ce pas ?
- Oui et...
- Ce qui m'amène à ma deuxième question, je poursuis sans lui laisser le temps de répondre, pourquoi m'as-tu totalement ignorée durant plus de quatre semaines ? Et va falloir me trouver une réponse vraiment crédible, parce que me faire croire que tu n'as pas pu t'extirper une seule minute de ton satané programme si chargé ne suffira pas Jake.
- Je suis sincèrement désolé, m'affirme-t-il accablé et en faisant un pas.
Quant à moi, je recule de la même distance et le stoppe d'un geste de la main. Je ne veux en aucun cas qu'il entre chez moi, impossible de lui faire confiance pour ça. Ou pour autre chose.
- T'es sérieux ? fulminé-je. Tu crois sincèrement qu'un simple et pathétique « je suis désolé » pourra effacer tes réactions immatures ? Tu sais quelle est l'une des premières choses que j'ai dites à Carver après qu'il m'ait embrassé ? je le questionne en m'emportant un peu plus.
Je marque un temps d'arrêt, suffisamment long pour remarquer que son regard a changé. Il paraît plus blessé qu'avant, comme si lui parler de Carver n'avait fait qu'empirer la situation.
- Je lui ai dit que je n'étais pas une personne que l'on pouvait prendre et jeter, je lui explique en sentant des larmes de rage pointer le bout de leur nez. Je pensais que tu étais au courant, toi aussi. Tu es au courant que je ne suis pas un jouet Jake ?
- Évidemment que je le sais...
- Et que tu n'as pas le droit de me jeter quand bon te semble et me reprendre quand tu as besoin de moi ?
- Aby, laisse-moi t'expliquer, tente-t-il de m'implorer.
Ses tentatives sont vaines. J'ai trop de rancœur envers lui. Je suis sourde à tout ce qu'il pourrait bien formuler comme explication. Je suis tellement en colère et blessé par son silence...
- Je ne vois pas comment tu pourrais expliquer mon comportement, soupiré-je en serrant les poings. Va-t'en Jake, ça vaut mieux....
Les derniers mots sont sortis un peu difficilement à cause des larmes qui sont sur le point de faire leur apparition. Je n'ai plus envie de le voir et encore moins que lui me voie dans un tel état. J'accomplis donc la seule que je peux faire dans une situation pareille : je lève la main, la dépose sur la porte ferme cette dernière avec toute la force que j'ai en réserve. Un fracas assourdissant s'abat entre lui et moi tandis que je me décale.
Mon regard est posé sur la porte fermée, en particulier sur la poignée. Une partie de moi souhaiterait presque l'ouvrir à nouveau, mais je reste assez forte pour faire cette voix. Je n'ai plus envie de donner du temps à quelqu'un qui ne m'en a pas accordé ne serait-ce qu'une seule seconde malgré mes demandes répétées.
Ma détermination s'accroît au fil des secondes... Cependant, la sienne n'a pas très envie de s'arrêter à une simple porte fermée : elle s'ouvre à nouveau et Jake fait irruption dans mon appartement. La porte se referme de nouveau alors que je m'avance à reculons vers la cuisine.
- Non, mais pour qui tu te...
Ai-je commencé à crier alors qu'une larme est en train de couler sur ma joue. Ce ne sont ni mes pleurs, ni ma colère ou encore la douleur qui me broie l'estomac depuis cette fameuse nuit, qui m'ont arrêté dans mon élan.
C'est Jake. Ou plutôt, ses lèvres sur les miennes. Ses lèvres sucrées et douces qui se sont permis de me faire taire, d'arrêter toutes ces émotions néfastes et qui me rongent de l'intérieur, de stopper mes larmes le temps d'un moment. Jusqu'à ce que...
- Non ! j'émets en hurlant avant de murmurer troublée, non...
- Aby, me murmure-t-il.
- Je ne suis pas un jouet, répèté-je en baissant la tête.
Les larmes sont de retour, plus abondantes cette fois. À cet instant précis, je le déteste pour tout ce qu'il m'a fait subir et tout ce qu'il est en train de me faire endurer. Je déteste l'arrogance qui l'a poussé à revenir après un mois de silence, la main sur le cœur. Je déteste le fait qu'il se pense tout permis, de pouvoir m'embrasser comme si rien ne s'était passé. Je déteste le fait de lui avoir caché la visite de son ancien manageur, dans le simple but de le ménager. Ou encore d'avoir rompu avec Carver juste parce que je l'ai aperçu. Je le déteste de m'avoir rendu aussi faible, confuse, de m'avoir fait pensé que je comptais pour lui et que...
- Je le sais, m'assure-t-il sincèrement. Je ne te considère pas comme un jouet Aby, crois-moi... Je t'en prie.
Il a dit ces derniers dans un murmure, presque inaudible, empli d'une souffrance presque similaire à la mienne. Est-il vraiment possible qu'il ressente la même chose que moi ? Cette envie d'être avec l'autre, mais aussi cette affreuse douleur due à l'absence ?
- J'ai perdu confiance.
- Tu comptes pour moi, énormément même.
- Je ne vois pas pourquoi je te croirais.
Jake ne répond rien dans l'immédiat, ce qui me pousse à relever la tête. Il est en train de me dévisager, assez calmement et en fronçant les sourcils, probablement en train de réfléchir. Puis, il se met à sourire, doucement, longuement. Ses yeux ne me quittent pas alors qu'il reprend la parole.
- Tu es gauchère, fait-il remarquer.
- Je ne vois pas trop ce que cela vient faire dans la conversation, interviens-je, perplexe.
- Tu tapotes sur ta jambe droite lorsque tu es nerveuse, poursuit-il amusé. Tu fredonnes les chansons de Coldplay lorsque tu oublies ce qui t'entoure. Tu as... un toc ? Appelons ça un toc. Tu en as un avec les assiettes, il faut que ta viande soit sur la gauche, sinon tu la tournes. Tu as une toute petite cicatrice près du genou gauche, mais tu ne m'as jamais dit ce qui t'était arrivé. Tu as beau être anglaise, tu n'aimes pas le thé et tu prends ton café avec du lait et trois sucres. Ta couleur préférée est le bleu, mais le rouge te met mieux en valeur. Ce sont certaines choses que j'ai apprises de toi durant la semaine en Californie. Des choses que tu ne m'as pas dites sur Internet.
Je reste sans voix plusieurs secondes après qu'il ait listé ces quelques informations. Je devrais me sentir épiée, mal à l'aise qu'il ait fait si attention au moindre de mes gestes... Sauf que je ne le suis pas. Je suis plutôt surprise et, d'une étrange manière, agréablement touchée. Je ne laisse cependant pas mes émotions transparaître sur mon visage et reste impassible. Cela rend mon interlocuteur plus perdu qu'il ne l'était et je le vois à l'affût du moindre changement corporel, de la moindre réponse de ma part.
- Est-ce que je retiendrais ce genre de choses d'une personne que je n'apprécie pas ? D'une personne dont je me fiche éperdument.
- J'en sais rien. T'es peut-être finalement un psychopathe et je vais finir en petits morceaux dans une forêt à quelques kilomètres, dis-je sans aucune plaisanterie.
Jake fronce les sourcils de peine, retroussant les lèvres tout en hochant la tête de façon résignée.
- J'ai mal agi, je n'ai pas d'excuses. J'ai totalement paniqué. La peur nous fait faire des choses ridicules.
- L'amour aussi.
Jake me lance un regard interrogateur, peu sûr de ce qu'il vient d'entendre. Était-ce le fruit de son imagination ?
- Tu fais valser mon cœur dans un sens, puis dans l'autre. Dans trop de directions différentes en si peu de temps, murmuré-je en serrant les dents pour contenir mes émotions. J'ai la tête en vrac en ce moment. La tête. Le cœur. Tout. Tu as tout chamboulé dans ma vie ces derniers mois.
- Je suis désolé, répète-t-il.
- Il y a des moments où j'ai l'impression que c'est une mauvaise chose. Et puis, la seconde d'après, je trouve ça bien...
Jake fronce à nouveau les sourcils, l'incompréhension prend de nouveau place sur son visage. Il ne sait pas où je veux en venir. Mais est-ce que je le sais moi-même ?
- « Mon Connor », prononcé-je le cœur en miettes. C'est ce que je disais quand je pensais à toi. Enfin, à lui. Malgré la distance, tu étais mon Connor. Puis tu es apparu et tu as fait disparaître ton alter ego. Sauf qu'il y a un problème Jake.
- Lequel ? m'interroge-t-il la gorge nouée.
- Je me suis attachée à Connor, tout comme je me suis attachée à Jake. Malheureusement, je n'arrive plus à discerner le vrai du faux dans tout ça, surtout après tes actes. Qui es-tu vraiment ? Un personnage ? Un acteur ? Un homme ? Un lâche ? Un menteur ? Qui es-tu Jake et pourquoi, quand je pense enfin cerner qui tu es, tu disparais à nouveau ? À qui me suis-je attachée ?
Je n'arrive plus à faire la part des choses, à savoir qui j'ai devant moi. Une nouvelle facette ? Un nouveau personnage ? Lui ?
- Tu t'es attachée à un jeune homme de vingt-six ans qui aime débattre sur des sujets aussi divers que la politique ou le cinéma. Tu t'es attachée à tout ce que je t'ai montré. Et ce que je t'ai montré, c'est ce que je suis réellement, Aby. Ce que je suis n'est pas seulement composé d'un prénom, d'un âge et d'une profession. Je suis composé d'opinions, d'habitudes, de rêves, de peurs, de qualités et... de beaucoup de défauts. Un tas de défauts, j'en conviens. J'ai peut-être un don pour choisir le scénario qui fera un succès au box-office, mais je suis lamentable quant aux choix que je dois prendre dans ma vie personnelle.
Je ne peux m'empêcher de verser une larme. De soulagement, de peur, peut-être même d'une colère, car je lui en veux encore de me mettre dans un tel état.
- Pourquoi t'es-tu enfui ? je l'interroge.
Je suis prête à vraiment l'écouter cette fois. À lui laisser une chance. Par amour ou par stupidité ?
- Quand je t'ai vue avec Carver, débute-t-il avec difficulté, mon sang n'a fait qu'un tour.
Ses poings se ferment, son regard est fuyant. Son collègue le met vraiment dans un sale état de jalousie.
- J'ai été tellement jaloux, Aby, reprend-il un peu honteux. Si je n'étais pas parti, ma colère aurait pu prendre le dessus et je ne voulais pas te faire peur ou te décevoir. Je voulais que tu sois heureuse et, car... il est paraît être quelqu'un de bien.
- Et ?
- J'ai préféré te laisser vivre ta vie. Non... Ce n'est pas vrai. Enfin si. C'est juste que... Je me suis dit que tu serais mieux avec lui, qu'avec moi. Je n'avais pas la prétention de dire que j'étais mieux que lui, parce que ce n'est pas le cas. Je ne mérite pas une femme comme toi, qui accepte mes mensonges et qui voulait m'aider à être quelqu'un de meilleur.
- Qu'est-ce qui a changé pour que tu débarques et que tu m'embrasses ? m'étonné-je.
- Eh bien, il y aura au moins une chose essentielle que tu m'as apprise et que je compte bien suivre désormais. Être honnête et se battre pour les choses que l'on veut. Je dois me battre et ne plus laisser les autres décider à ma place. Ou laisser mes réticences, mes doutes, mes peurs avoir raison. Je n'ai plus envie de te mentir. Je veux être honnête et ne plus faire d'erreurs.
- Comme disparaître ?
- Comme disparaître, confirme-t-il.
- C'est à cause de tes peurs que tu es resté silencieux ?
- Je suis resté silencieux parce que, pour la première fois depuis longtemps, j'étais terrifié d'être autant attaché à une personne et de ne pas pouvoir être à la hauteur. J'ai encore préféré fuir que de faire face à la situation. Que de me dire que je pouvais être à la hauteur. Et je sais qu'il a une bonne réputation. Il est sûrement plein de qualités. Mais je peux être quelqu'un de bien, moi aussi, si tu me laisses une chance.
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