Chapitre 9
— Bon courage, Sigma, murmura Heta avant de refermer la portière.
Ensuite, le véhicule détala à une allure incroyable, se dirigeant vers l'aile des chasseurs.
Seule devant la façade du bâtiment administratif, la chasseuse se poussa à entrer. Elle avait horreur de cet endroit.
Les moulures en or plaqué recouvraient les murs et les plafonds, entrecoupées par des peintures murales dans des teintes pastel. Des veines noires traversaient le sol en marbre blanc et des ornements en porcelaine avaient été posés sur des commodes en bois massif. Des tableaux âgés de plus de cent ans avaient été suspendus au-dessus du comptoir se trouvant au fond de la pièce d'accueil. À première vue, on aurait pu se croire dans un hôtel.
— Qu'as-tu pour moi, ma chère ? l'interpella l'administratrice quelque peu excentrique.
Elle faisait toujours tache dans le décor baroque. Sigma était heureuse de voir qu'elle n'avait pas changé. Habillée d'une robe violet et rouge, les cheveux relevés avec des épingles en forme de fleurs, et les jambes recouvertes de collants résille rose pâle, elle sortait vraiment de l'ordinaire. Aucun autre habitant du palais d'entraînement ne pouvait égaler sa créativité vestimentaire.
— Rien de bon, Shin, malheureusement.
La vampire concernée était heureuse d'être appelée par son prénom. Elle avait été une chasseuse, mais s'était mariée avec un noble. Ainsi, on lui avait donné ce travail-ci puisqu'elle avait eu le droit de quitter son rang d'assassin. À présent, elle habitait dans un district de la noblesse et non plus dans le dortoir réservé aux tueurs de corrompus.
Sigma avait fait partie de sa promotion. À l'époque, elles s'étaient bien entendues. Parfois, la combattante se demandait si sa semblable regrettait ses décisions. Sa bonne humeur semblait s'être atténuée depuis le temps.
— Personne ne me rend visite pour me raconter une bonne nouvelle, articula Shin en jouant avec un stylo.
Pas faux.
Elle était à moitié affalée sur le comptoir en marbre de la réception. Plus rien ne l'impressionnait.
— Une perte aujourd'hui en mission.
Ces paroles fendirent le cœur de Sigma lorsqu'elle les prononça. Elle avait vécu un nouveau décès. Ça commençait à peser de plus en plus lourd sur sa conscience.
— Secteur ?
— Zêta.
Elle répondit du tac au tac, déterminée à se débarrasser de cette tâche au plus vite. Quelque chose de sombre se tramait dans la ville et elle devait l'arrêter avant qu'il ne soit trop tard.
— Ta zone, donc. Tout va bien, ma chère ?
La réceptionniste avait l'air vraiment inquiète. Tous savaient qu'être confronté à la mort d'un coéquipier était quelque chose d'horriblement éprouvant. Il fallait prendre sur soi et repousser ses sentiments.
— Je m'en sortirai, répondit Sigma sans faillir.
Elle ne laisserait pas l'empathie briser son masque d'indifférence.
— Bien, si tu le dis, capitula Shin.
La secrétaire ne pouvait pas aider quelqu'un d'aussi têtu que son interlocutrice.
— Nom ?
— Resh.
Le mot roula de la langue de la combattante de façon presque irréelle. Elle peinait à croire qu'il avait disparu, qu'il ne reviendrait pas. Elle n'avait jamais vraiment connu cet homme, mais il avait toujours été une des meilleures recrues de la communauté. Sur le terrain, ils souffriraient beaucoup de sa perte.
— Oh, dommage. Il était un bon élément.
L'employée continua à prendre des notes. Elle paraissait imperturbable.
— Cause du décès ?
Cette question n'en était pas réellement une. La seule cause possible en mission était évidente.
— Attaque de corrompus.
— Quelque chose de particulier à signaler ?
Shin devait investiguer tous les recoins de l'histoire afin de faire le meilleur rapport possible de la situation. Souvent, elle trouvait même une raison à un échec. Elle savait que le grand esprit ne serait pas heureux de voir cette affaire sur son bureau.
Avec sa peau cadavérique et ses membres relativement maigres, elle aurait pu être confondue avec un corrompu. Son physique était le cliché de l'image qu'avait la noblesse de ces créatures. Lorsqu'elle avait cessé de s'entraîner, sa masse musculaire avait peu à peu disparu.
Toutefois, elle avait trouvé un prétendant prêt à s'engager à ses côtés. Inutile de dire que c'était extrêmement rare. Les membres de la haute société préféraient rester entre eux puisque le système de castes était puissant.
— Ils ont agi en groupe. Nous nous sommes retrouvés face à une vingtaine de ces monstres.
Shin posa son stylo sur le comptoir. Ses yeux rouges s'assombrirent. Sa mine se referma et elle fronça les sourcils. Ainsi, elle avait l'air sévère.
— Comment tu t'en es sortie ?
Cette question n'avait rien de formel. Elle se souciait seulement d'une ancienne connaissance.
— Avec seulement une morsure, avoua Sigma en se retournant.
Elle passa ses cheveux par-dessus son épaule pour dévoiler son dos. Elle entendit un petit cri s'échapper de la bouche de son interlocutrice, sans pour autant pouvoir voir le visage de cette dernière. Elle était consciente que la plupart des chasseurs allaient droit à l'hôpital du palais en comprenant qu'ils avaient été victimes des crocs d'un corrompu. Sigma, elle, savait mieux. Les nombreuses cicatrices recouvrant son corps en témoignaient.
Le personnel médical ne pouvait rien faire d'autre que mettre un bandage sur la plaie, ce qui ne servait à rien.
— Il s'est sacrifié pour moi. Sinon, je ne m'en serais pas sortie.
Le souvenir du cadavre de son coéquipier lui revint à l'esprit. Son âme avait coulé sur le bitume, colorant la surface d'un noir intense. Au fond, ils avaient tous des âmes corrompues. Ils étaient des tueurs.
— Mais comment cela se fait qu'ils étaient aussi nombreux ?
— C'est ce que j'aimerais savoir, dit la chasseuse en faisant de nouveau face à l'administratrice.
Elle remit ses mèches blanches en place afin de cacher sa blessure de combat. Une pointe de suspicion pouvait être perçue dans sa voix. Elle n'aimait pas les mystères, mais elle ne lâcherait pas celui-ci avant de l'avoir résolu. Bien trop d'enjeux y étaient liés. Tau, Resh, qui serait la prochaine victime ?
— Je vais communiquer ton état aux responsables de l'hôpital. Ils t'y soigneront tout de suite.
Sigma grimaça. Elle n'aimait pas se rendre au centre de soins. Savoir qu'on l'inspectait pour étudier son état la mettait mal à l'aise. On ne savait jamais comment certaines informations seraient utilisées.
— Le venin s'est déjà dissipé, s'empressa-t-elle de protester.
Pas question de perdre du temps entre des machines et des aiguilles !
— Tu devrais quand même t'en assurer.
Le regard tenace de l'administratrice témoigna de son caractère de feu. Elle ne laisserait pas la combattante repartir sans s'assurer qu'elle passe par un contrôle de santé.
— Bien.
L'assassin ferait tout pour en sortir au plus vite. Elle avait besoin de silence et de calme afin de pouvoir réfléchir plus clairement. Avec un peu de chance, les pointillés de cette affaire se connecteraient entre eux sans qu'elle n'ait à y faire quoi que ce soit.
— J'ai la composition de ton équipe. Aucun autre blessé ?
— Non. Seul le secteur Zêta a subi des pertes.
Heureusement, pensa-t-elle. Lorsque le moniteur avait sonné pour le secteur Bêta et Delta, elle avait cru s'effondrer.
— Ils devront juste passer un petit contrôle psychologique. Je me charge de les convoquer séparément.
Shin aimait fouiller. Elle interrogerait les chasseurs pour pouvoir leur extraire des informations. Celle qui se tenait face à elle espérait que son équipe garderait les indices qu'ils avaient dégotés pour eux. Ce n'est pas qu'elle ne faisait pas confiance à son ancienne connaissance, elle se méfiait simplement de l'administration et leur faculté à étouffer les enquêtes complexes.
— D'accord, répondit-elle donc avec une mine figée.
C'était le protocole. Elle le savait.
La femme donna un petit coup dans le comptoir en marbre, avant de reculer d'un pas. Elle devait prendre l'air.
— Sigma. Prends soin de toi, murmura Shin.
La concernée hocha la tête, avant de la saluer d'un mouvement de main.
Ensuite, elle s'empressa de sortir du bâtiment administratif et se dirigea à pied vers l'aile abritant le centre de soins. Ça lui prendrait une trentaine de minutes pour s'y rendre, mais la route ne la dérangeait pas. De toute façon, il lui fallait du temps pour réfléchir à une grande quantité d'éléments. Pour l'instant, rien n'avait de sens, mais elle était déterminée à changer ça.
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