TREIZE
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LES YEUX DES DEUX soldats s'écarquillèrent, et le sergent regarda Jean, alarmé. Pendant de longues secondes, on se tut, pour tenter de comprendre ce que tous ces bruits voulaient dire. Ils n'arrêtaient pas, les coups de feu toujours plus violents que les précédents. James savait qu'il devait y aller, pour comprendre ce qui était en train de se passer. Jean voyait bien qu'il se sentait mal, et elle hocha la tête, pour lui faire signe de se dépêcher de sortir de là pour régler ce qu'il n'allait pas. Elle ne se doutait pas qu'il ne ferait aucune différence, dehors, devant l'ennemi qui venait de débarquer. Alors qu'elle n'avait aucune idée de tout cela voulait dire, James avait bien comprit de quoi il s'agissait, lui.
- Les allemands ! s'écria-t-il, alors qu'une rafale de balles troua le toit de leur tente, en un bruit épouvantable. Jean grimaça, et se prit la tête entre les mains, les paumes plaquées sur les oreilles. Elle dégringola de son lit, et s'agenouilla contre le sol, apeurée.
Elle essaya de se faire la plus petite possible, et avait la terrible sensation que ses tympans explosaient à chaque fois qu'éclatait les fulminations des coups de feu. James se jeta sur elle et la prit dans ses bras alors qu'un deuxième concert de munitions déchirait l'air, et laissait derrière lui une odeur de poudre à canon et de fumée. Jean n'hésita pas, et s'agrippa au bras du sergent, le visage enfoui contre son buste. Lorsque ce fut enfin fini, il la repoussa, et avec les deux mains posées sur ses épaules, cherchait à croiser son regard pour vérifier que tout allait bien. L'estomac en miette, la panique dans le regard, Jean le regardait dans les yeux. Avec deux doigts, il lui tapa sur l'épaule, d'une main tremblante. Ce fut difficile à croire, mais lui aussi était mort de peur : il était tout simplement plus doué à le cacher. Le sergent porta sa main à sa ceinture, et en retira un pistolet. Il le posa devant lui, et de sa main gauche, il attrapa celle de Jean pour déposer l'arme à l'intérieur.
- Je reviens, lui dit-il, et il se redressa. Elle fit de même, avec plus de mal, et à peine avait-elle à nouveau relevé la tête, que James avait déjà disparu. Avec sa main droite posée sur le lit d'hôpital encore debout pour se soutenir, Jean serra fort l'objet au métal froid entre ses doigts, et fit sortir la roulette pour compter les munitions. Un, deux, trois, quatre, cinq, six. Six balles. Pas une de plus, pas une de moins. C'est tout ce qu'elle avait pour se défendre, il fallait espérer que ça lui suffirait.
Si le sergent pensait qu'elle allait sagement l'attendre comme une enfant de trois ans dans cette tente à deux doigts de s'écrouler, il se trompait. Même blessée, il était hors de question qu'elle reste sur place sans se rendre utile. Elle fit coulisser la glissière du revolver, et en boitant, passa un coup d'œil à travers les draps pendants de la tente. Les bras recourbés contre sa poitrine, le pistolet en main, elle fronça les sourcils pour tenter de comprendre le paysage flou qui s'étalait devant elle. Entre les arbres, de grosses voitures était arrêtés, elles ressemblaient à celle qui font les allers-retours entre Calais et le campement. Sauf que celles-ci étaient différentes : à leur surface, un sceau rouge et blanc avec une croix sombre à l'intérieur y était peint. Le symbole Nazi.
Jean en avant entendu parler, d'eux. Dans les journaux, à la radio, partout. Menés par ce salopard d'Hitler, elle les tenait entièrement responsable de ce bordel sans nom, dans cette période de guerre. Comment est-ce qu'ils avaient trouvés le campement ? Jean jura en maugréant, alors qu'une réponse possible jaillit dans son esprit. L'attaque du village. Elle s'était déroulé il y avait à peine une heure, un de ses bâtards a dû avoir la chance de survivre, et à tous les coups, il avait dû suivre James et Jean jusqu'au camp. Comment est-ce qu'ils avaient pu loupés ça ?
À l'extérieur, des soldats allemands prenaient peu à peu possession du camp, et mitraillaient les hommes qui tentaient de s'enfuir. Certains tentaient de riposter, mais la plupart avaient été surpris et n'avaient pas eu le temps de prendre leur arme. À la lisière de la forêt où s'élevaient les grands arbres, une ligne de soldats Alliés étaient allongés, et tiraient comme ils pouvaient sur leurs opposants. Mais ceux-ci avait l'avantage du nombre, et lorsqu'ils ne tuaient pas un soldat, ils le plaquaient à terre, et le battait de coups si il se débattait trop. Ils l'enlevaient, et le traînait comme un vulgaire cadavre, le faisant prisonnier. Avec un hoquet de stupeur, Jean comprit pourquoi. Ils les emmenaient avec eux en espérant que de simples soldats soit au courant de certaines informations sur leur ennemi qui pourrait les intéresser.
Un bruit l'interpella, et instinctivement, elle tourna sa tête vers le fond de la tente. Les senteurs d'alcool médicinal et de poussière lui emplissant les narines, Jean cessa de respirer. Les bruits d'une paire de bottes lourdes craquaient sur des brindilles d'herbes. Peu à peu, une ombre se dessinait derrière l'épais textile de la tente d'infirmerie. Une silhouette à grosse carrure, un crâne recouvert d'un casque d'où une pointe allemande se dressait, et des bras qui tenait un fusil. Le cœur de Jean s'emballa, alors qu'elle craignait d'être découverte. Lentement, elle releva ses mains, le pistolet bien entre ses doigts. Elle visa, et en inspirant une grande bouffée d'air, tira sur l'ombre qui se trouvait de l'autre côté. La balle transperça le tissu, et une exclamation sonna, mais l'homme ne s'écroula pas. Au contraire, il hurla à plein poumons des mots en allemands, pour signaler aux autres la présence de Jean. Elle l'avait manqué. Et elle avait une balle en moins dans sa roulette.
Son sang ne fit qu'un tour, et elle se précipita en dehors, à grande foulées. Des éclats de voix résonnèrent derrière elle, et ne tardèrent pas à être accompagnés par les bruits sourds des balles qui glissaient toutes hors de leurs canons.
Ses yeux n'étaient rivés que sur les arbres qui s'épaississaient au loin. Elle savait bien qu'ils n'hésiteraient pas à la prendre en chasse, mais c'était la seule chance de les semer. Le minuscule front de combattants qui s'était établit ne dura pas longtemps, les quelques soldats qui avaient leurs armes s'écroulaient sous le contact violent d'une balle en fer, et les allemands leur plongeaient littéralement dessus. Ceux-ci s'étaient clairement préparés à cette attaque, et la masse de soldats ennemis qui avait débarqué était presque impressionnante. Après seulement trois pas minables, Jean s'écroula sur le sol, incapable de continuer sa course vers la forêt. Les balles fusèrent près de sa peau, en sifflant comme des sirènes. La peur lui tordant les entrailles, elle essayait en vain de trouver un peu de courage dans ce qui lui restait, et leva son pistolet. La main tremblante, elle tenta de les effrayer en pressant plusieurs fois la détente en leur direction. Pan, pan. Plus que trois balles dans la roulette, et pour l'instant, aucune n'avait atteint sa cible. Elles volaient à travers les airs, et les hommes qui arrivaient les ignoraient royalement. Jean tentait en vain d'aspirer plus d'air, de se concentrer sur autre chose que la blessure à sa hanche. Elle serrait l'arme entre ses mains, les phalanges blanchies par cette dure poigne.
Le canon en l'air, elle recommença, la gâchette de l'arme glissant sous ses doigts. Pan. Chaque détonation résonnait dans son corps entier, et elle cherchait toujours du regard ses balles perdues, en espérant que l'une d'entre elles rencontrent de la chair humaine. Ils se rapprochaient, elle rampait, avec pour seule obsession de déguerpir d'ici. Et elle n'avait plus que deux balles dans son colt.
Elle se remit sur pieds, en se hissant sur les planches de bois de la chambre des officiers. Pendant un moment, elle envisagea d'y entrer pour s'y cacher à l'intérieur, mais elle réalisa très vite que ce serait un acte complètement stupide de sa part. Elle tenta d'accélérer sa cadence, et très vite, elle se retrouva de l'autre côté du mur, protégée des balles. Pas pour longtemps, se dit-elle, et elle se précipita en avant, de sa démarche lourde et blessée. Très vite, la mélodie explosante des balles recommença derrière elle, et son visage se déforma de douleur alors que la chaleur d'une d'entre elle frôla le bas de sa jambe. Elle tomba à la renverse, en réprimant un cri de douleur, et porta sa main à sa cheville. Ses doigts se refermèrent autour d'une peau saignante et à vif, et Jean comprit que même si la balle l'avait raté, elle l'avait manqué de peu, en emportant avec elle une partie de sa chair. Elle n'eut même pas le temps de se retourner, qu'elle fut immédiatement plaquée à terre, et elle sentit la bouche à feu d'une arme allemande lui meurtrir le haut du crâne. Elle grogna, en colère de ne pas avoir pu s'échapper. On lui piétina la main dans laquelle elle tenait son pistolet, et les coups de bottes sur ses doigts la firent gémir. Ils la mirent sur deux jambes, et l'un des deux soldats qui l'avait attrapé prit plaisir à lui asséner un coup de poing, le sourire aux lèvres. Sa tête bascula sur le côté, et elle n'osa même pas la relever. La douleur trop grande, la force inexistante.
À travers des paupières qui peinaient à rester ouvertes, Jean fut forcée à les suivre, de sa démarche hésitante. Alors qu'il la poussait brusquement, elle se maudit de ne même pas avoir été capable d'utiliser toutes ses munitions.
L'un des gardes avait un long nez, et c'était une des seules choses que Jean fut capable de discerner sur son visage, son casque lui masquant une grande partie de sa face. Le monde chancelait autour d'elle, les images qu'elle percevait vibraient et restaient flou à chacun de ses pas. Des cris, des coups de feu et des dialogues n'en finissaient pas, mais la cacophonie environnante ne sonnait plus que comme un bruit de fond pour elle, un bourdonnement sourd, qu'elle percevait de moins en moins. Sa respiration était profonde, et c'était le seule bruit qu'elle semblait capable d'entendre. Les oreilles sifflantes, elle se concentra sur l'unique son de ses bouffées d'air laborieuses, alors qu'on l'attrapa par le col de sa chemise et qu'on la poussa vers un camion. Elle avait de plus en plus de mal à distinguer les formes, et se prit le rebord de la machine dans le ventre. On la força à monter à l'intérieur, et sans comprendre ce qu'il se passait, elle distingua six autres visages humains autour d'elle. Tous amochés, les joues écorchées, les yeux tombants. Elle s'était fait prisonnière, et où qu'elle aille maintenant, elle pouvait être certaine de ne pas en sortir vivante.
Tous avaient les mains dans le dos, et étaient attachés grossièrement. À peine l'avait-elle remarqué qu'une poigne passa un corde autour des siennes, et les attacha solidement, avant de lui donner un coup dans les côtes. Elle tomba en avant, et s'écrasa le visage contre la surface sale du fond de la voiture. Jean grimaçait de douleur, et se retourna sur le ventre. En s'aidant de ses jambes, elle poussa son corps vers l'avant, en cherchant à se redresser.
Elle était fatiguée, et peu à peu, elle sentait son corps s'éteindre. Sa plaie ne semblait plus saigner, mais elle-même n'en était pas sûre. Elle se redressa avec le plus grand des efforts, et passa la tête par-dessus le rebord de l'arrière du camion, en voulant absolument voir ce qu'il se passait à l'extérieur. Soudainement, elle sentit le sol vrombir, et constata avec effroi que le camion quittait leur camp, à présent détruit. Ses yeux avaient du mal à inspecter le monde autour d'elle, et elle garda le regard rivé sur la silhouette de James, qu'elle aperçut à la lisière de la forêt.
Puis, les ténèbres affluèrent, et elle ne vit plus rien.
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— Des soldats allemands avec des chatons, dans les ruines d'un village soviet ; 1943
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