DIX
✕ ✕ ✕
- PETER !
Les secondes qui suivirent perdirent tout leur sens. Le sang gicla, et le corps inerte du soldat s'effondra sur le bitume. Jean se crispa toute entière, et son cerveau mit trop de temps à comprendre ce qu'il se passait réellement. Elle aperçut la surprise sur tous les autres visages de son unité, et la colère déformer celui du sergent : lui, il savait exactement ce qu'il se passait. Et alors, il y eu les détonations. Par milliers, qui vous explosaient les molécules de votre cervelle une à une. Ensuite, il y eu la pluie de fer. La pluie de balles, qui s'abattu avec rage et violence sur l'unité.
- À terre !
Jean plongea vers le sol. Allongée sur le ventre, elle n'osait même plus bouger. Sa respiration trahissait la panique qui s'était emparée d'elle toute entière, et elle gémit lorsque les balles s'abattirent encore une fois derrière elle. Elle sentit leur souffle chaud, leur présence horrible, comme si elles étaient vivantes. Elle regroupa le peu de courage qu'elle avait, et releva sa tête.
Ses yeux s'humidifiaient, et la boule dans sa gorge prenait de plus en plus d'ampleur, sous l'effet de la peur qui lui déchirait le ventre. Elle aperçut Peter. Allongé contre un mur, à la verticale. Il tentait désespérément de se sauver des balles qui pleuvaient, et pour l'instant, son buste qui se convulsait prouvait qu'il n'était pas encore mort. Les coups de feu ennemis cessèrent. Peter hurla de douleur, et ne pouvant plus garder cette position, il bascula sur le côté, et tenta désespérément d'atteindre le muret où Jean était. Le con, il allait se faire tuer !
- Ryan... maugréa-t-il, en rampant sur le ciment. Jean n'hésita pas pourtant, et tendit sa main vers lui en signe d'encouragement. Ses sanglots emplirent l'atmosphère, et il tenta de se faufiler jusqu'à Jean, la main tendue vers elle. Il ne cria pas plus longtemps pourtant, ses plaintes cessèrent immédiatement lorsqu'une autre balle vint se fourrer dans sa tempe.
Jean se mis à hurler comme une dingue lorsque la tête de Peter tomba sur le sol, immobile. Sa peau n'était même plus visible, sous les fleuves de sang qui lui coloraient le visage de rouge. Jean se rangea derrière son muret, et se mise à chialer. Elle tourna la tête, et pour la première fois depuis que la première balle était sortie, elle aperçut le reste de son unité. Effrayés, tous planqués derrière un muret, dans le même état qu'elle. Même Carleton ne savait plus quoi faire. Il la regarda, inspecta son visage déformé par la tristesse, et ferma les yeux pour souffler longuement.
C'était les allemands.
Jean agrippa son arme entre ses doigts, et la serra comme si il s'agissait d'un ours en peluche. Elle n'en pouvait plus. C'était le première homme mort, la première véritable attaque, le premier danger, et elle n'en pouvait plus. Quel merdier.
Respirer devenait dur. Jean ferma les yeux, très fort. On ne pouvait pas s'en aller, si on bougeait, les allemands nous tueraient. Si on restait, ils viendraient nous cueillir comme des pommes. Ils étaient des hommes morts. Les soldats ne bougeaient plus. Tous étaient crispés, les mains refermées sur les armes comme si il s'agissait de leur propre vie. Et en ce moment même, cette vie, ne tenait plus qu'à un seul fil. Jean regarda le sol, et se concentra sur un caillou. Un seul. Seul.
Entouré de poussière, et de touffes d'herbes qui fleurissait à milles autres endroits. Semblable à milles autres, utile à absolument que dalle. Sans beauté, gris, sans couleur. Sans jolies formes, plein de défauts, de bosses, de creux qui lui courent à sa surface. Une pierre triste, qui ne bouge seulement lorsqu'on décide de l'envoyer ailleurs. Morte. Comme Peter.
Jean arma son arme. Elle prit, une, deux, trois respirations, et mis son doigt sur la gâchette. Son métal était chaud, à force d'être tenu. Il était glissant, à cause de toute cette sueur qui sortait des pores du soldat. Elle leva les bras vers le ciel, et appuya sur la détente. Le concert débuta. Elle se mit sur ses deux pieds, et à l'aveuglette, tiraient sur tout ce qu'elle voyait. Ses os s'entrechoquaient à chaque fois qu'une balle sortait de son canon, et à ça venait se mêler ses hurlements.
- FILS DE PUTE ! FILS DE PUTE !
Elle avait le bout de son arme levait en l'air, et chaque balle trouvait sa cible dans quelque chose de différent. En changeant la direction de chacun de ses coups, elle entendit le pas pressé des soldats de son escouade qui profitaient de sa diversion pour fuir. Tant mieux. C'est exactement ce qu'elle espérait.
Elle courait vers les bâtiments, et était bien consciente de ne pas être la seule à tirer. Les balles fusaient à ses côtés, et leurs sifflements étaient sourds pour Jean, qui ne se concentrait plus que sur ce qu'elle avait devant elle. L'une d'entre elles lui effleura le tibia, et déchira son pantalon. Jean hurla, lorsque la brise brûlante de la balle lui lécha la peau, mais elle ne fut pas blessée.
Devant elle, il y avait un allemand. À l'entrée d'une ruelle, qui ne semblait pas la voir. En vitesse, elle se précipita vers lui, et d'un coup de crosse dans la gueule, il tomba à la renverse et perdu son arme. Dans cette ruelle, les balles ne l'atteignaient plus. Les murs la protégeaient. Le soldat allemand tomba à la renverse, mais ne resta pas une seconde de plus sur le sol et se releva. Jean pointa le canon de son arme sur lui, et n'hésita pas à appuyer sur la détente. Celle-ci n'émis qu'un claquement ridicule, et rien n'en sortit. Plus de munitions.
Cette seconde d'inattention laissa le temps à son ennemi de se jeter sur elle, et de la plaquer au sol. Elle tomba sur le dos, et le choc lui coupa le souffle. Elle grimaça en sentant l'homme sur elle, qui lui infligea un coup de poing dans la gueule. Et un autre. Et un autre. Trop sonnée pour faire quoi que ce soit, Jean encaissa, et parvint à se protéger avec son bras. De toutes ses forces, elle bouscula sur le côté, et l'effort lui arracha un grognement. Elle attrapa les cheveux de l'homme, et cogna sa tête contre le sol en dalles ; deux fois. La botte de son ennemi lui percuta le ventre, et elle fut éjecté trois mètres en arrière, et s'écrasa l'arrière du crâne contre la terre. Ses dents s'entrechoquèrent, ses oreilles bourdonnaient, et la douleur était partout. Elle lui bouffait le ventre et la tête, les bras, les joues, les yeux. Elle ne pouvait pas se relever. Les bras près de son corps, elle poussa de toutes ses forces dessus, et parvient à peine à se redresser. À quatre pattes, elle vu l'allemand à terre, bien vivant, qui se tortillait, la tête entre les mains. Lui par contre, était en meilleur état qu'elle et eu moins de difficultés à se relever.
Ça se voyait qu'il était en colère. Jean avait surtout peur, voilà le carburant qui la faisait avancer. Elle se sentait comme dans un rêve. Pendant un instant, elle se dit qu'elle aurait pu le laisser la tuer, ça aurait été rapide, et elle n'aurait plus à voir autre chose. Elle n'aurait plus à chercher George : et si il était mort ? Et si elle faisait tout ça pour rien ? C'était idiot de sa part de croire qu'il était vivant. Jean était à genoux, l'autre était debout. À travers ses paupières entrouvertes, Jean le vit attraper quelque chose à sa ceinture, et le son d'un couteau qu'on décoche de son étui sonna dans ses oreilles. La peur redoubla. La crainte la fit se mettre sur deux pattes, et Jean se rendit compte qu'elle ne voulait pas mourir.
- Du wirst sterben, Arschloch !** vociféra le soldat en allemand. Il avait la main droite bien devant lui, l'arme prête à être utiliser. Jean avait la main à la ceinture. Elle tâta son cuir, sans quitter des yeux son ennemi, qui demeurait immobile. Jean ne pouvait pas fuir : derrière elle, un grillage s'élevait, immense, et il était impossible de le franchir sans qu'elle se fasse attraper. Le face à face dura encore quelques secondes, et le soldat allemand chargea. Il cria, pour se donner du courage, la pointe de son couteau en avant, en visant la poitrine de Jean. Sa main à sa ceinture. L'ennemi qui arrive.
À la dernière seconde, elle fit un pas sur le côté pour tenter d'esquiver la lame de son ennemi. Quelque chose s'enfonça dans sa hanche, et elle sentit chaque parcelle de sa peau s'ouvrir pour laisser passer le métal du couteau. Elle hurla. Le soldat était recourbé sur lui même, étant sur d'avoir réussi son coup, et que sa lame lui avait transpercé le cœur.
Elle appuya sur la détente ; trois fois. Trois fois ses yeux s'élargissèrent, trois fois son pouls s'accéléra, et trois l'homme qui lui avait enfoncé le couteau dans la hanche cria. Les doigts refermés autour du pistolet qu'elle gardait à sa ceinture, Jean avait fourré son canon dans l'abdomen du boche, et avait pressé la gâchette. Dans le bas de son dos, la balle était ressortie, en trouant toute la chair humaine qui se trouvait sur son passage. Les larmes devant les yeux, Jean repoussa le corps de l'homme. Elle croisa ses yeux si grands, sa mine si surprise, ses joues sales. Il s'écroula, et elle aussi. Contre le grillage, elle porta sa main à sa hanche, et ses doigts rencontrèrent une chose dure et verticale qui en sortait, et qui n'aurait pas dû être là. Elle baissa les yeux, et constata avec horreur qu'il s'agissait du couteau du soldat qui était toujours en place. Ses pleurs redoublèrent. Ses sanglots emplirent l'air lourd, et elle posa ses deux mains sur le pommeau du couteau. Elle ne faisait que le toucher, et elle avait l'impression qu'on lui remuait la lame dans le ventre. Elle referma ses doigts dessus ; fort.
Elle ouvrit grand la bouche, et de toutes ses forces, elle hurla à en perdre la voix. En même temps, elle plia les coudes, et envoya ses deux mains en l'air, pour arracher l'objet qui était planté dans le bas de son ventre. Le sang coulait à flot. Il teintait son uniforme d'une couleur sombre, et pendant un instant, Jean se dit qu'elle allait mourir de la même façon qu le soldat qui avait précédemment porté son uniforme : d'un coup de couteau. Elle positionna sa paume sur la plaie, et ne bougea plus. À ses pieds, il y avait l'arme de l'autre soldat. Il était allongé sur le ventre à côté d'elle, le visage vers les cieux. Les traits paisibles et détendus. Il ne luttait plus.
Jean pris longtemps à observer le cadavre, sous les convulsions de son corps. Même si les larmes lui brouillaient la vue, elle discerna des formes, des traits. Il ne devait pas être plus vieux qu'elle. Ce n'était qu'un gosse, motivé comme elle, fier de faire ce qu'il pensait être juste pour son pays. Il suffisait de mettre Jean et ce soldat à nu, d'enlever la saleté de la guerre, les uniformes, les armes, et là, on se serait rendu compte qu'ils n'étaient pas différents. Ils étaient tous les deux humains. Et pourtant, ils se portaient une haine imaginaire, si grande que l'un gisait sur le sol, et que l'autre pissait du sang comme jamais. Ils s'étaient blessé l'un l'autre, avait eu pour plus grand désir du tuer un homme comme cet autre, parce qu'il pense différemment. Quelle cochonnerie. Il n'était pas plus vieux qu'elle. Ils auraient pu se connaitre, marcher dans les rues de Paris, boire un café. Mais non, voilà qu'on se détestait, et qu'on s'entre-tuait. C'était ça, c'est tout.
Jean sentait toutes ses forces la quitter. Sa respiration ralentissait, et elle se disait que peut-être qu'elle devrait tout laisser aller. C'était sans compter sur les coups de feu qui claquèrent soudainement dans l'air sec. Cinq coups de feu, venant de directions différentes. Ce fut l'instinct de survie qui prit le dessus, et sans faire attention à sa plaie, Jean tendit le bras vers l'arme qui gisait à ses pieds. Elle réprima une grimace, et une autre détonation sonna. Elle attrapa le fusil de son ennemi, et de son autre main, elle agrippa son corps sans vie. Avec le plus grand des efforts, elle le tira contre elle, et glissa le long de grillage, pour se fourrer au dessous de l'homme mort, qui lui servirait de bouclier. Les coudes rangés sous elle il n'y avait plus que ses yeux et le bout de son canon qui dépassait.
Les coups de feu reprirent, puis cessèrent définitivement. Si c'était un allemand, il allait crever, Jean était en position, prête à tout. Le bruit de semelles qui crissent sur le gravier relança la panique à travers le corps de Jean. Les doigts tremblants, le sang de sa hanche qui se déversait comme un fleuve des enfers, elle était prête pour la chose qui se précipitait sur les sentiers du petit village. Les bruits de pas devenaient de plus en plus lourds, de plus en plus forts, comme un compte à rebours. Jean se mit à respirait doucement. La peur quittait peu à peu son corps, alors qu'elle se sentait de plus en plus déterminée à se pas laisser sa carcasse ici. Pour George. Elle allait le retrouver, et le ramener au pays. C'est tout.
Une silhouette se distingua à l'entrée de la ruelle. Jean voulu tirer, mes ses muscles se relâchèrent complètement lorsqu'elle reconnu la carrure de James. Une arme à feu à la main, il s'était arrêté en face d'elle, et en plissant les yeux, il demanda :
- Ryan ?
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**Du wirst sterben, Arschloch ! signifie : "Tu va crever, trou du cul !" en allemand.
— Conséquence de l'explosion d'une culasse ; 1942
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