Bien sûr, la tristesse était monnaie courante dans leurs rangs, mais sans qu'elle en sache pourquoi, ce jeune homme l'avait interpellé. Alors, elle l'avait observé longuement, à plusieurs reprises. Sans que celui ne remarque rien. Et elle était parvenue à une conclusion, il était pareil qu'elle. Ses actions étaient mécaniques, aucune lueur n'alimentait ses yeux. On lui donnait des ordres et il les respectait. Sauf que lui avait peu personne à protéger, aucun rempart contre cette souffrance.

Elle ne lui connaissait pas de liens familiaux, d'ailleurs il ne parlait presque jamais.

Mais au fur et à mesure que les batailles se multipliaient, il devenait de moins en moins actif. Son nombre de victimes diminuaient progressivement. A de nombreuses reprises, elle avait intercepté son regard qui s'échappait au loin. Elle savait ce que ça signifiait, il ne tiendrait plus longtemps dans ces conditions. Il allait fuir, peut-être avait-il un plan, ou des ressources cachées, ou encore un lieu où se réfugier. Alors quand elle l'avait vu quitter ce champ de bataille, sans regret le dos droit. Aucune hésitation n'était venue à elle, elle avait empoigné son frère par le bras et lui emboita le pas. Alors qu'elle ne fut pas sa déception en découvrant que c'était juste un garçon brisé. Un de plus.

Son récit se conclut avec une avalanche de larmes. Ne pouvant réfréner son instinct maternel, la propriétaire se précipita sur la jeune fille et sans prendre en compte ni ses actes ni son passé, elle la serra fort dans ses bras. Elle lui chanta même des vieilles berceuses, et lui chuchotait que c'était terminé maintenant, qu'elle n'était plus toute seule. Qu'elle pouvait renouer avec son rôle d'enfant parce que maintenant une adulte s'occupait d'elle.

Rina se laissa complètement aller, mais elle était si fatiguée et étonnamment si en confiance qu'elle s'endormit dans les bras de cette inconnue. Sans penser aux morts, à ses parents ou encore son frère. Elle était juste concentrée sur la respiration qui battait sous elle.

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Des chuchotements. Pleins de chuchotements. Inhabituel. Il manquait quelque chose. La main de son petit frère dans la sienne. Où était-il?

Rina se réveilla en sursaut, et fut rassurée en voyant Ioh devant elle. Soudainement, elle se souvint qu'elle s'était endormie. Ce n'était pas normal que son frère soit présent, ni Caleb. Et qui étaient ces autres personnes ? Pourquoi la fixaient-ils de cette manière ?

Sans en prendre conscience, ses réflexes innés se mirent en place. Son corps se rapprocha d'Ioh, et subtilement se mit devant lui en signe de protection. Ce fut à ce moment-là qu'elle entendit une voix grave. Trop grave.

-Vous voyez, ces enfants sont cassés. On ne devrait même pas appeler ça des enfants, ce sont des tueurs, des assassins, des meurtriers! Ils sont totalement lobotomisés!

-Isaac, tais-toi je t'en prie. La décision ne te revient pas entièrement, elle appartient au conseil du village. Rina reconnaissait cette voix rassurante. Cette fois, elle prit le temps de bien l'observer. Son visage entier respirait la gentillesse et une bienveillance.

Rina ne put retenir un violent sentiment qui s'empara d'elle. Celui de courir vers elle, et de sentir ses bras maternels se refermer sur elle. Comme une carapace contre le monde extérieur. Un refuge où ses souvenirs arrêteraient enfin de la torturer.

La femme sentit son regard posé et lui fit un sourire rassurant.

Ce sourire fut le point de bascule. Rina regarda son frère et le jeune homme qui les accompagnaient. Ils étaient des points morts, des âmes cassées et surtout ils étaient poursuivis. On ne s'échappait pas de cette organisation, ils mettaient un point d'honneur à récupérer les fugueurs et les ramener au camp pour en faire un exemple pour les autres.

Rina connaissait le sort qui leur était réservé. Elle savait également que ces hommes n'auraient aucune pitié, ils massacreront ce village.

Elle prit Ioh et Caleb par la main et parla d'une voix forte et assurée.

-Nous allons nous en aller, vous en savez pas les dangers que vous risquez en nous côtoyant. Nous devons absolument partir. Rester dans un endroit fixe serait trop risqué, que ça soit pour vous ou pour nous.

Les mains toujours agrippées à ses partenaires, elle s'en alla.