Rina cachée derrière un tronc, avait repéré sa proie. Elle attendit pendant de longues minutes que la famille quitte leur maison, doucement elle longea les habitations. Aussi discrète qu'une ombre, elle réussit à atterrir à l'intérieur, mais affamée comme elle l'était, elle ne prit pas garde à surveiller ses arrières.

Une main se posa sur son épaule, la faisant sursauter et se rendit compte qu'une dame d'une vingtaine d'années la regardait de manière hostile.

Avant qu'elle ne put comprendre ce qui se passait, une gifle s'abattit sur sa joue. Encore un acte violent, comme l'a été son quotidien pendant de longs mois.

Elle ne comptait plus les bleus sur son bras. Incapable de bouger, le choc paralysant ses pas, elle n'eut aucune réaction.

Rina ne prêta aucune attention à la dispute familiale qui se déroulait devant elle.

Deux femmes aux visages similaires semblaient se disputer violemment, finalement la plus jeune lâcha l'affaire, et s'en alla laissant la plus vieille en compagnie de la jeune enfant.

-Viens, je vais te préparer à manger.

Sans comprendre, ce qui lui arrivait, elle se fit conduire par la femme dans un coin de la maison. Elle s'assit par terre, sous l'oeil interloqué de la maîtresse de maison, mais Rina était incapable d'apprécier le confort d'un canapé, lui rappelant sa vie d'avant.

Visiblement, la mère qui n'avait pas voulu chasser la jeune fille et qui n'avait pas eu peur de créer une dispute avec sa fille aînée était entièrement concentrée sur sa nouvelle occupante.

Oui, elle avait reconnu la marque sur son visage, elle savait à qui elle avait affaire et pourtant elle n'avait pas peur.

Ces enfants oubliés, anéantis par une guerre qui n'était pas la leur étaient et sont des enfants. Peu importe leur passé.

La mère n'était pas idiote, elle savait pertinemment qu'elle était seule, si vraiment le groupe avait décidé de prendre de la nourriture ils n'auraient pas envoyé un seul enfant, mais tout un régiment.

Rina statufiée par la gentillesse de cette dame, ne songea pas à fuir. Pourtant elle aurait pu, elle lui tournait le dos et l'entrebâillement de la porte était suffisamment grand pour son petit corps chétif.

Son ventre émettait un gargouillement en voyant le plat devant lui.

-Allez ma petite, dis moi ce qui t'est arrivé.

Et sans savoir pourquoi, elle qui fut si forte ces dernières années ne purent retenir le flot de paroles qui s'échappait de sa bouche. Cette dame si élancée, au visage souriant et accueillant lui rappelait tellement sa mère.

Peut-être était-ce sa dernière tentative pour être réellement considéré comme un enfant et avoir une protection maternelle.

Un petit moment qui lui permettrait de se sentir à sa place pour la première fois depuis longtemps.

De quelle manière on les avait arrachés ses parents, son frère et elle. A l'époque elle était seulement âgée de dix ans et son frère avait huit ans.

Elle raconta comment dès le départ, elle avait essayé de protéger au mieux Ioh, elle essayait de le dissimuler au maximum aux yeux de leurs tortionnaires quitte à effectuer le double de son travail. Aux yeux des dirigeants du groupe, elle paraissait être la parfaite guerrière, endoctrinée et prête à défendre leurs causes corps et âme. Mais au fond d'elle, son coeur était brisé en mille morceaux. Plus elle faisait des "missions" plus elle en avait, un cercle vicieux se mit en place autour d'elle.

Elle ne connaissait pas l'école, arrachée trop tôt à sa famille mais elle savait qu'elle avait pris beaucoup de vies. Tellement que c'était devenu mécanique pour elle. Sa petite taille et sa rapidité en faisaient un atout certain pour ses supérieurs. Souvent, elle se faufilait dans les habitations d'ennemis pour tuer les enfants. Enfin, quand elles disaient ennemis, c'étaient des personnes hostiles à leur groupe armée. Ces massacres répétés qu'elle orchestrait devaient être un moyen de pression pour ses habitants. Généralement, les chefs de son groupe allaient se présenter le lendemain au village pour réclamer les enfants survivants, en menaçant bien évidemment les parents de revenir chaque nuit prendre une autre vie.

Le chantage fut efficace, et c'est de cette manière que leur groupe ne désemplissait pas.

Et sans aucun filtre, sans aucune retenue elle narra son malheur, sans dissimuler le moindre détail..Comment elle était devenu une tueuse d'enfants. Elle ne chercha pas à se trouver des excuses, elle avait eu le choix: fuir avec son frère dès les premiers instants de leur détention. Mais lâche, elle avait été.

Elle expliqua à la mère qu'elle avait essayé de lutter à sa manière. Après ses meurtres, elle faisait une sorte de sépulture en dehors du village. Elle disposait des cailloux en croix accompagnés de fleurs, elle voulait que si le défunt la regardait d'en haut, qu'il sache qu'elle n'avait jamais voulu tout ça. Qu'elle n'était qu'une victime de plus.

Du statut d'enfant, elle passa à celui de sanguinaire. A présent, elle avait douze ans, et elle ne connaissait que la guerre. Le seul ancrage avait été son petit frère, son objectif lui avait donné la force nécessaire pour vivre jour après jour. D'autres enfants n'avaient pas cette chance ne connaissant que douleur et violence, ils avaient perdu toute humanité.

L'amour de son frère, seul rempart contre cette vie de souffrance...

Enfin, honteuse Rina lui raconta son ultime échec... Elle avait remarqué un adolescent brun et grand, d'ailleurs c'était rare de trouver dans leurs rangs des enfants de plus de quinze ans, généralement personne ne résistait bien longtemps aux champs de bataille.

Donc, ce jeune homme l'avait interpellé par son regard. Elle avait trouvé ses yeux hypnotisants. Et tristes aussi. Oui, c'est ça, l'immense tristesse présente dans ses iris noirs l'avait chamboulé.