Un mariage heureux
Ad'ehko était parti, et m'avait laissée seule dans le selon miteux du vieil Ab, qui était parti faire chauffer de l'eau chaude pour nous faire du café. Je m'étonnai qu'il ne m'ait pas proposé d'alcool, mais sa tentative de réconciliation familiale s'était probablement accompagné d'un ralentissement voir d'un arrêt de la bouteille. En son absence, je travaillais rapidement via mon téléphone, prenant quelques notes d'idées ou de modifications à apporter. Lorsqu'il revint avec une tasse fumante, j'abandonnai mon travail pour la prendre et la gouter. Ce n'était vraiment pas extraordinaire, mais j'étais consciente de mes goûts difficiles en terme de café. Pendant ce temps, il s'affaira sur un cadre vide, dans lequel il fit entrer une photographie fraichement imprimée, dont les couleurs encore vives ressortaient très fort au milieu de l'ensemble bien morne de la pièce. D'un coup d'oeil circonspect, je parvins à déterminer qu'il s'agissait très probablement d'une photo de mariage, étant donné la longue robe d'une blancheur cristalline que portait l'un des personnages. Envieuse de ne pas laisser le silence s'éterniser, et surtout de peut être tenter d'extraire quelques informations sur Nokomis ou Hen'Ruay, je demandai:
-C'est le mariage d'un de vos enfants?
Il releva le visage, visiblement ravi que je lui pose la question. La fierté qui se lisait dans son visage semblait indiquer qu'il ne pouvait s'agir d'autre chose, et pourtant:
-Oh, non, mon fils et ma fille sont mariés depuis bien longtemps. Non, c'est la photo de mariage d'une amie, auquel je suis allé la semaine dernière. Regardez.
Le vieil homme se leva et vint prendre place sur l'antique canapé rapiécé à mes côtés, et me montra le cadre. Je remarquai avec surprise qu'il y avait en réalité deux mariées, l'une blonde aux formes généreuses et à l'apparence sereine, portant la longue robe blanche entrevue plus tôt, et la seconde, au visage plus ferme et sérieux, avec de longs cheveux noir de geais, vêtue d'un costume tout aussi sombre que sa chevelure. Les deux mariées étaient entourées d'une foule dense au milieu de laquelle j'aperçut le vieil Ab, tout sourire, aux anges comme si ce mariage était le sien, ainsi que... Nokomis, à côté de lui, ne sachant visiblement pas où se mettre, mais en bonne santé. La vision de la tignasse rousse de la jeune femme au milieu de tous ces kowos, et de son expression, mélange de gêne et d'amusement, me mit le sourire aux lèvres.
-C'est fou comme le temps passe. Marmonna le vieil Ab avec un sourire attendri. Quand j'ai rencontré cette petite, elle devait à peine avoir seize ans, et maintenant, c'est une femme mariée et une mère heureuse.
-Pues vaya, vous êtes devenu ami avec une enfant de seize ans? Fis-je avec un regard suspicieux.
-C'est elle qui est venue à moi. Se défendit le vieil Ab. Elle est un jour débarquée avec son amie, à ma porte, à la recherche de son père, un vieil ami de buverie. J'étais au fond du trou, à l'époque. Brouillé depuis des années avec ma femme, sans avoir vu grandir mes gosses, et avec comme seule vrai compagne la bouteille... C'était pas une vie. Mais j'ai vu cette gamine chercher son père malgré tout, malgré le fait qu'elle ne l'ait jamais vu, malgré le fait que lui aussi était une belle enflure alcoolique et violente, et je me suis dit... que peut être il me restait une chance. Une chance d'être pardonné. Une chance de reconstruire ce que j'avais détruit. Cette gamine - il me montrait la mariée en costume noir, dont les yeux semblaient me suivre et me percer de part en part, alors qu'elle devait être plus jeune que moi - a changé ma vie. Alors quand elle m'a invitée à son propre mariage...
-J'ose imaginer que c'était un grand moment.
-C'était magnifique. Et sa fille lui ressemble beaucoup! Ce mariage était... l'un des plus beaux moments de ma vie.
Le vieil homme montra du doigt une jeune fille d'honneur, toute vêtue de blanc, ayant le même regard dur que sa mère.
-Elle... a une fille? Pas adoptée?
-Non non. Confirma le vieil Ab. Regardez les, de toute façon! Ces deux là se ressemblent trop pour ne pas avoir bien des gênes en commun. La façon dont elle l'a eue n'a jamais été très claire, mais je vais vous dire ce que je pense moi. Je pense que c'est une bénédiction d'Ukko, et Ukkan'fehi Ad'ehko est d'accord avec moi.
J'eu une moue peu convaincue, mais continuai de fixer la photo, comme hypnotisée. Un mariage entre femmes... je savais que cela était possible, bien évidemment, et je me souvenais même de l'époque où la loi avait été votée en France, lorsque j'étais enfant, étant trop jeune pour me souvenir de quand la même loi avait été votée dans mon Espagne natale. Mais je n'avais jamais pris réellement conscience de cette réalité jusqu'ici. Bien sûr, dans le business, j'avais déjà croisé des femmes en aimant d'autres, mais je ne m'étais jamais intéressée à la vie sentimentale de mes collègues. J'avais grandi en entendant que Dios condamnait l'homosexualité et, même si j'avais depuis longtemps abandonné ces idéaux d'un autre âge, le fait qu'il puisse exister de tel couples ne m'avait réellement frappé que récemment. En premier, ce fut Da-jee-ha, et sa compagne Kaya'olm, celle dont j'avais causé la mort. J'avais supposé que c'était leur culture qui rendait une telle union aussi normalisée, et n'avais pas vraiment relevé plus que cela. Puis, j'avais croisé Pietro, un homme marié à un autre, et non pas un suomen cette fois, mais bel et bien un français, travaillant à mes côtés. J'avais une nouvelle fois accepté cette réalité sans trop y porter attention, ni réaliser tout ce que cela impliquait. Mais quand je voyais cette image, je comprenais. Je voyais la joie sur les visages, le bonheur immense. Je voyais l'enfantement, la famille, les amis, tous ces ingrédients réunis en un seul instant de pur allégresse commune. J'aurai pu m'en sentir déconnectée. Après tout, ces gens étaient tous des inconnus pour moi. Mais, sans cesse, la tignasse de Nokomis me rappelait à sa présence, et sa présence faisait le lien entre ces inconnus et moi. Ce genre de chose n'avait pas lieu loin de moins, mais tout proche.
Ce mariage me rappela le mien. Grandiose. Immense. Des centaines d'invités, des lieux mythiques réservés rien que pour nous. Une cérémonie qui devait marquer la décénnie par son ampleur, avaient dit les journaux. Et cela avait été une journée magnifique, c'était vrai. Mais quand je voyais cette photo, je ne pouvais qu'être jalouse. Je ne parvenais pas à en expliquer la raison, pourtant. Etait-ce le sentiment de bonheur qui se dégageait de l'image? J'étais pourtant sûre d'avoir été très heureuse le jour de mon mariage. Le sentiment de proximité entre tous ces invités, assez peu nombreux pour pouvoir tous entrer dans le cadre, mais suffisamment pour qu'on sente tout le soutiens qu'elles avaient reçu peut être? La grande majorité des invités de mon propre mariage m'avaient été inconnus, mais ceux que je voulais voir étaient là. Alors quoi? Je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus.
Enfin, mon regard se fixa sur la petite fille d'honneur. Elle ne devait pas avoir plus de sept ans, mais se tenait fièrement au pied de sa mère, tout en tenant la main d'une invitée, une grande femme à l'aspect sauvage. Cette enfant, cette petite chose fragile, cette femme avait pu la porter, la mettre au monde, l'élever, et pourtant avoir une expression aussi épanouie... Elle l'avait peut être eue par PMA? Etait-ce une solution qui m'irait, pour pouvoir être sûre de ne plus être trompée? De n'enfanter que lorsque je me sentirai prête? De ne plus craindre la souillure de la semence masculine? Tant d'idées tourbillonnaient dans mon esprit que j'en eu le vertige.
-Il m'a fallut batailler pour convaincre Nokomis de venir avec moi! Continua le vieil Ab. Mais je crois que l'idée de revoir Lyon l'a motivée.
Les mots du vieil homme parvinrent à m'arracher à mes questionnements personnels.
-C'est là bas que ses parents sont morts, no?
-Oui. Répondit Ab'hel-kee. Je ne connais pas tous les détails, car, malheureusement, je n'ai jamais connu Sha'ni et son mari. J'aurai pu beaucoup apprendre d'eux, pourtant. Mais je crois que ça faisait très longtemps que Nokomis n'était pas allée leur rendre visite.
-Ca a dû être... très dur, pour elle.
-Je n'ose même pas l'imaginer. Frissonna le vieil homme, le regard fixant un point au loin, dans mon dos. Sans compter sa brouille avec sa grand mère et son frère par la suite... Elle a dû être bien seule. Mais depuis le temps, j'aurai pensé qu'elle aurait pu reconstruire quelque chose, et pourtant elle a débarqué du jour au lendemain chez moi, avec un sac et sans un sou en poche. Cela fait pourtant... bien huit, ou neuf ans que le massacre a eu lieu.
-Je la comprends, en un sens. Je ne peux en aucun cas comparer mon vécu au sien, bien évidemment, mais quand on a été blessé... si fort... il est dur de refaire confiance. Cela prend du temps, et de la persévérance. Et si personne n'est là pour être cette main tendue, qui insiste malgré notre refus... je comprends qu'on finisse par croire que cette solitude est la solution. J'ai eu la chance d'avoir Hen'Ruay pour me tendre la main, même quand je ne voulais pas la prendre. J'aimerai... j'aimerai vraiment en faire autant pour Nokomis. Mais je ne sais pas si j'en suis capable.
Le vieil homme sourit.
-Le simple fait que vous dites cela me fait penser que vous en êtes capables, Ester. Si j'ai appris quelque chose, c'est qu'il ne suffit pas de vouloir s'en sortir pour y parvenir, mais que sans cette volonté, c'est impossible. Pas vrai, Nokomis?
Je restai un instant interdite, me demandant si le vieil homme ne s'était pas trompé de nom en m'appelant, peut être par habitude. Mais son regard n'était pas dirigé vers moi. Il était toujours fixé sur le même point, dans mon dos, comme perdu dans le vague. Dans mon dos... vers le couloir... qui menait à la porte d'entrée...
Je bondis de ma place et me retournai vers Nokomis, qui me fixait, silencieusement, à moitié cachée derrière le mur séparant les deux salles. Un long moment passa, durant lequel nous nous regardâmes, sans trop savoir quoi dire. Je m'attendais à la voir énervée contre moi. Enragée, même, que j'ai osé venir la chercher là où elle avait fui justement pour m'échapper. Mais elle semblait juste gênée, tout aussi gênée que sur la photo de mariage que le vieil Ab avait encore à la main.
-Je vais vous laissez toutes les deux. Déclara le vieil homme en se levant. Je crois que vous avez beaucoup de choses à vous dire. Et...
En passant au niveau de Nokomis, il lui chuchota quelque chose qui sembla rendre son expression de malaise encore plus intense. Elle lui balança un coup de coude dans le ventre qu'il accepta avec un petit rire avant de disparaître à l'étage. Son regard se baissa, rompant le lien avec le mien, et elle poussa un soupir.
-Après tout ce temps, jpensais que t'aurai laché l'affaire. Me dit-elle.
Elle ne put ajouter un mot de plus que mes bras se refermaient autour de ses épaules, et que je serrai sa silhouette petite mais ferme contre moi.
-Stupida! Stupida de stupida! Plus jamais... plus jamais ne disparais comme ça... oh madre de dios, tu n'as pas la moindre idée de... de...
Ma gorge se serrait. Je ne pouvait rien dire de plus. Les mots refusaient de sortir. Je n'avais pas anticipé à quel point l'émotion me prendrait à la gorge, à quel point je serai désemparée à la simple idée de l'avoir de nouveau si près de moi. Les seuls qui réussirent à sortir furent ceux que je craignais le plus de dire, et qui pourtant m'avaient trotté en tête depuis plus d'un mois.
-Pardon... pardon... je suis désolée, je ne referai plus d'erreur... je-
-Pourquoi tu t'excuses? Me coupa Nokomis en me repoussant doucement, de manière à voir mon visage. Si quelqu'un doit s'excuser, c'est moi... j'ai... craqué, je t'ai fait peur, je t'ai fait mal. Je pensais que... je méritai pas de rester après ça.
-Stupida. Comme si j'allais te mettre dehors pour ça. Tu m'as déjà fait bien pire que ça. Madre de dios, j'ai eu si peur... je me suis rongée les sangs à m'imaginer que tu dormais dans la rue, sous la pluie!
-Je ne suis pas si fragile que ça. Grogna-t-elle. T'as l'air dans un état bien pire que moi, tu sais.
Elle ne me repoussa pas plus. Au contraire, elle tendit une main et vint essuyer les larmes qui roulaient le long de mes joues, emportant avec elle une partie de mon maquillage.
-Quel bébé, toujours à pleurer. Railla-t-elle, mais son sourire me signifiait bien qu'elle ne le pensait pas vraiment. Je ne t'ai jamais vue avec de telles valises sous les yeux. Tu sais que dormir est un luxe?
-L'appartement était... vide. Je préferai travailler.
-Encore ton projet stupide?
-C'est peut être un projet stupide. Dis-je en resserant ma prise autour de ses épaules. Mais c'est un projet qui rassemble. Et sans lui, je ne t'aurai pas retrouvée.
Je poussai doucement sa tête jusque dans le creux de mon épaule.
-Tu sais... lui dis-je. On est pas obligées de bien s'entendre tout le temps pour cohabiter. Très souvent je te trouves insupportable, rustre, et pas assez attentionnée, mais... peu importe. J'aime bien quand tu es là. Et... ça ne te fera peut être pas plaisir, mais je prendrai soin de toi, que tu le veuille ou non.
-Parce que ma grand mère le voulait.
-Au début, oui. Pero, maintenant... je sais que c'est plus que ça. Je sais que tu es... comme un animal blessé.
-J'adore être comparée à des animaux. Grogna-t-elle.
-Je le sais, parce que j'en suis un aussi. Lui répondis-je, sans la laisser échapper à mon emprise, de peur qu'elle s'enfuie. Alors... si tu as un problème avec moi, j'aimerai... qu'on en parle. Peu importe si on se dispute, peu importe si on est en désaccord, mais... je préfère nos pires disputes à ce silence. D'accord?
Elle ne répondit pas immédiatement. Puis, elle dit:
-Je n'aime pas ne rien avoir à faire. Je... peux revenir, si je m'occupe du ménage et de la cuisine?
-Non, ne me demande pas de revenir. C'est moi qui te demande de le faire. Et... bien sûr. J'espère que tu sais que je suis perfectionniste, cependant.
-Oui... toi aussi, tu es insupportables des fois.
Ses bras, jusque là restés tendus le long de son corps, vinrent s'enrouler autour de ma taille et m'attirèrent contre elle. La proximité entre nos corps atteint une toute autre intensité, et une étrange chaleur monta dans ma poitrine. La sensation de ses doigts le long de mes hanches, serrant ma peau, la caresse de ses cheveux contre ma joue, de ses seins contre les miens. Comme mues par une même volonté, nous reculâmes en même temps, et nos visage se firent face, à seulement quelques centimètres l'un de l'autre. Mes yeux se fixèrent dans les siens. L'ambiance était... différente. Comme jamais elle n'avait été. Nous nous séparâmes, et je sentis le rouge me monter aux joues, mais fus rassurée de constater que sa peau pâle avait également rosi.
-Je... hum... vais aller récupérer mes affaires. Dit-elle.
-C-certo. Répondis-je, trop gênée pour la regarder dans les yeux. N'oublie pas de remercier Ab'hel-kee pour son hospitalité.
-Pas besoin de me le dire. Grogna-t-elle en s'éloignant.
Cela lui ressemblait un peu plus. Je souris malgré moi en la voyant monter les marches quatre à quatre. Mais le souvenir de notre proximité me revint en tête, et je m'assis dans un fauteuil pour reprendre mes esprits.
Qu'est...
Qu'est ce qu'il venait de se passer?
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