Saveriu Santoni
-Ok, merci Pietro. Dis-je. C'est une fin de tournage pour aujourd'hui, merci à tous.
L'activité reprit dans le studio, tandis que tout le monde commençait à ranger dans le but de partir. Je m'avançai vers le chercheur, qui descendait du plateau.
-Comment était-ce? Me demanda-t-il.
-Parfait. Lui répondis-je. Je pense qu'on refera peut être juste quelques prises la prochaine fois que tu seras disponible, si cela marche pour toi.
-Ça marche très bien. Rétorqua-t-il. Eh bien, je vais tirer ma révérence.
-N'oublie pas de passer te faire démaquiller avant.
Je me tournai ensuite vers Thomas, tandis que le chercheur se dirigeait vers notre maquilleur.
-Ça avance comme on veut. Me lança-t-il depuis son siège de metteur en scène.
-Si, pour l'instant. Répondis-je.
Son regard se fit quelque peu suspicieux.
-Quoi, tu doutes de notre planning? C'est moi qui doutais de notre capacité à nous y tenir, pourtant...
-No estoy hablando de eso. Lui dis-je entre mes dents, en surveillant que personne n'était trop près. Ton enquêteur mystérieux, là. Il est venu questionner Nokomis. Il fouille. Et il a l'air décidé.
Thomas jura dans sa barbe, et baissa également d'un ton.
-Tu as dû parler à Nokomis des raisons pour lesquelles il fouillait?
-Bien sûr que non. Tranchai-je. Il vaut mieux pour elle qu'elle ne sache pas le genre de danger qui plane sur le projet.
-Alors qu'est ce qu'on va faire?
-Comme je l'ai déjà dit, il aura beau fouiller, il n'y a rien à trouver, à Paris en tout cas. Et il n'a aucune raison de remonter plus loin.
-Il a tout de même rencontré une suomen qui vit avec toi et lui a posé des questions. Tu ne crois pas que ça pourrait le mettre sur la voie?
-Sur quelle voie? En quoi le fait que je vive avec Nokomis a quoi que ce soit à voir avec notre enlèvement?
-Ester, tu as fait un reportage à charge contre cette communauté avant de soudainement disparaître, et de revenir en ayant totalement changé d'opinion et de ligne éditoriale sur le sujet. Il ne faut pas être un génie pour se douter que ce qu'il s'est passé a dû avoir quelque chose à voir avec les suomen...
-C'est une piste plus fine qu'un cheveux!
-Mais cela pourrait lui suffire! Et comment peux tu être sûre qu'aucun des suomen n'en parlera? Nous sommes loin d'avoir uniquement des amis chez eux.
Je poussai un long soupir.
-Escucheme. Je continue d'être persuadée que nous ne courrons aucune risque. Mais, si cela peut te rassurer, je vais mettre quelqu'un sur l'affaire, histoire de trouver qui tire les ficelles.
Thomas grimaça.
-Tu vas aller voir Santoni?
-C'est un homme efficace.
-Et pas très net.
-Si. Mais son côté pas très net nous a été d'une grande aide lors des affaires de l'Epaggelia et Rigotti. Il ne sera pas du genre à être intimidé même si ceux derrière ton enquêteur disposent de certains moyens.
-Et quand tu sauras leur identité, qu'est ce que tu comptes faire au juste?
-On avisera, en fonction de qui il s'agit.
-Je ne sais pas, Ester... soupira Thomas.
-On a une autre solution, Thomas? Tu veux retrouver cet enquêteur et t'en occuper toi même?
-Je sais pas... je pensais que... enfin les suomen sont réputés pour savoir faire disparaître des gens, après tout...
-Joder, Thomas! Tu ne crois quand même pas que je vais aller me pointer comme une fleur chez les traditionnalistes et leur demander de faire disparaître quelqu'un, estupido! Usa tu cabeza! Surtout qu'on ne serait pas plus avancés, ce n'est probablement qu'un agent, on ne saurait pas qui l'a engagé.
-Oui, oui, je proposai juste... se défendit-il.
-Propose mieux. Grognai-je. Il faut qu'on trouve qui est derrière cet enquêteur avant qu'il ne découvre quoi que ce soit qui puisse être utilisé contre nous. Je vais aller voir Santoni dès ce soir.
-Seule? Tu n'y penses pas!
-Je ne peux pas emmener Nokomis sans devoir lui expliquer!
-Je parlais de moi, pas de ta colocataire. Rétorqua-t-il. Et je me demande bien pourquoi tu as pensé à elle avant de penser à moi. C'est toujours moi qui t'ai accompagnée trouver cet homme.
Je ne savais pas moi même pourquoi j'avais pensé immédiatement à Nokomis quand il avait été question de ma sécurité. Je me rattrapai cependant, plus ou moins adroitement.
-Disons que ses compétences en matières de self-defense me mettent un peu plus à l'aise que les tiennes. Pero, bien, allons-y. Grognai-je. J'espère simplement que ma voiture n'est pas suivie... et il faut que je prévienne Nokomis.
-On dirait une enfant qui doit demander l'autorisation de sortir à sa mère.
Le regard que je lui lançai fit perdre l'envie à Thomas de continuer à blaguer sur le sujet. Mon appel passé à une Nokomis assez peu ravie de savoir que je lui faisais faux bond pour sortir avec Thomas, nous pénétrâmes dans ma voiture pour nous enfoncer vers les quartiers louches de la capitale.
***
-Tu es sûre que c'est là? Me demanda Thomas pour la vingtième fois.
-L'adresse qu'il m'a envoyée correspond. Dis-je simplement.
Je n'étais pas vraiment plus ravie que lui à l'idée de me retrouver dans cette petite ruelle sombre d'un coin peu reluisant de la capitale, en face d'un bar qui semblait proposer les services de quelques femmes en bien petites tenues, attendant malgré le froid devant la devanture couverte de néons. Je pris une grande inspiration, et ouvris la portière de ma voiture pour sortir.
-A-attends, tu laisses ta bagnole ici?
-Je ne vais pas la mettre dans ma poche.
-Non, mais c'est une bagnole quelque peu luxueuse pour le quartier, tu ne crois pas? Tu n'as pas peur de te la faire rayer ou voler?
-Calmate, Thomas. Dans le pire des cas, ce n'est qu'une voiture. Je pourrai en prendre une moins voyante si celle là disparaît, cela rendra peut être plus difficile la traque de notre ami aux sourcils broussailleux.
-Ah! Les riches, je vous jure. Soupira Thomas en sortant du côté passager.
Thomas n'était pas mal bâti, mais il n'avait pas une carrure très impressionnante. Son caractère aventureux demandait un peu de temps de chauffe, avant qu'il n'entre en pleine action - et nous étions au milieu de cette phase. En quelque sorte, Thomas était un diesel de l'aventure. Il ne tarda donc pas à m'emboîter le pas en direction de l'entrée du bar, auprès de laquelle le trio de femmes bien peu vêtue s'était regroupé et pointait du doigt dans ma direction en chuchotant. J'étais connue, même en cet endroit, mais ce n'était pas forcément à mon avantage, puisque mes ressources financières devaient également être connues. Si ç'avait été la première fois que j'avais affaire à Santoni, j'aurai probablement fait demi tour. Seulement, ce n'était pas la première, et je savais que l'inconfort de me retrouver dans un tel endroit valait bien l'efficacité de son travail. Il n'aimait pas être retrouvé dans des locaux, où il pouvait être surveillé et ses clients trouvés. En tant que détective privé, car c'est ce qu'il était, il lui fallait mieux faire profil bas, surtout qu'il était le favoris d'un certain nombre de hautes figures de la pègre, ce qui s'était révélé assez utile lorsque j'avais eu des enquêtes qui portaient sur ce milieu.
Je pénétrai dans le bar sous le regard fixe du videur, qui ne fit pas le moindre geste pour m'en empêcher. L'intérieur du bar était sombre et bondé. S'y déhanchaient des étudiants en manque d'alcool au côté de dealers ou des plus anciens, juste attablés au bar pour boire leur bière quotidienne. Au fond, à côté de la scène, un escalier montait au deuxième étage. Je me faufilai entre les convives alcoolisés pour atteindre les marche et les gravir, Thomas sur mes talons. Au niveau supérieur, s'alignaient quelques tables, éclairées par quelques lampes basse consommation et la lumière qui filtrait depuis les fenêtres. Plusieurs groupes de personnes s'y entassaient, riant grassement ou criant les uns sur les autres. Dans le coin de la pièce, assis à une table carrée face à un verre d'une couleur orange fluo entre deux femmes qui n'étaient probablement pas sans proposer quelques services payants, se trouvait Saveriu Santoni. C'était un homme à l'allure rude et burinée, malgré son âge dans la trentaine. Il avait les cheveux et les yeux bruns, et la voix forte portant des emprunts d'accent de sa corse natale. Toujours vêtu d'un long manteau, il semblait prendre son image de détective privé directement tiré d'un roman noir très au sérieux, et avait la réputation pour appuyer cela. Je savais par ailleurs qu'il ne se promenait jamais désarmé.
Je vins me planter au bout de la table, et le fixai d'un air dédaigneux. Il fit mine de me remarquer avec quelques instants de retard.
-Ah... mon amie, Ester Rosonn elle même! Que me vaut le plaisir de ta visite.
-C'est rarement pour le plaisir que je m'en viens te voir, Santoni. Grinçai-je, très conscient du jeu auquel il était en train de jouer.
-Oh, ne sois pas si dure avec moi, mon amie. Sourit-il. Entre méditerranéens, il faut se soutenir! Les gens d'ici sont aussi ennuyeux que la grisaille qui couve au dessus de leur tête.
-Vale, Santoni, on a compris, tu t'es bien donné en spectacle, maintenant pouvons nous parler affaire? Entra en scène Thomas.
-Oh, tu as encore ramené ton animal de compagnie, à ce que je vois. Plaisanta Santoni. Thomas, c'est ça?
Je ne répondis pas, me contentant de le fusiller du regard. Il soupira théâtralement, avant de concéder à prendre congé des deux prostituées qui s'éloignèrent, non sans chuchoter en me jetant des regards excités.
-On repassera pour la discrétion. Grognai-je en prenant place à la table.
-Eh, Rosonn... les affaires sont les affaires, pas vrai? Si le mot court que tu es venue demander mes services, avec ton divorce en bonne voie, je vais voir les demandes affluer.
-J'ose espérer que tu ne t'imagines pas que les gens de la haute ont tous mon envie de descendre jusque dans les bas fonds pour te rencontrer dans ce genre de bar.
-Non, mais les gens du coin seront très impressionnés par cette ligne sur mon curriculum. Alors, quel genre de linge sale veux tu que je découvre sur ton cher Assani?
-Je ne suis pas venue te parler de mon divorce. Rétorquai-je. A vrai dire, je ne suis pas assez folle pour te confier une affaire concernant ma vie privée.
-Tu ne disais pas la même chose quand tu m'as demandé des informations sur cette jeune suomen disparue...
Mon regard le poussa à ne pas continuer sur cette lancée. Santoni me détailla un long moment, avant de jeter un coup d'œil à Thomas, et de rire.
-J'imagine que si tu as amené Médor, c'est que c'est en rapport avec le travail. Mais je te l'ai dit, j'ai déjà eu quelques problèmes à cause de l'affaire Rigotti... je ne suis pas certain de vouloir pousser notre collaboration plus loin. J'ai entendu dire qu'ils avaient tenté de t'enlever, également? Ces gens sont décidément des sauvages.
-Gardes tes analyses, Santoni. J'ai un boulot qui requiert tes talents, et ne risque pas de te faire mal aimer de la pègre locale.
-Oh... et qui soit bien payé, j'imagine?
-Obviamente.
Le sourire franc qu'il afficha était celui d'un charmeur invétéré, et il fallait admettre que Santoni était un très bel homme.
-Dis m'en plus, Rosonn. Je suis toujours toute ouïe pour toi, tu sais...
-Muy bien. Je suis actuellement suivie par quelqu'un.
-Oui, ton petit chien de compagnie.
Thomas se leva, ne pouvant en accepter plus, mais je lui fis signe de se rasseoir.
-No. Un autre enquêteur. Il farfouille là où il ne devrait pas. J'aimerai te payer pour que tu me trouves son nom, ainsi que la liste de ses employeurs.
-Et... c'est tout?
-C'est tout.
-Tu as donc du linge sale que tu essaie de cacher, toi aussi, Ester... que tu as changé depuis l'époque où tu étais juste cette innocente journaliste, tombée sur la pire histoire du siècle.
Je fronçai les sourcils, et restait stoïque. J'avais en effet rencontré Santoni sur la même affaire que j'avais évoquée avec Nokomis, la veille. Il avait été une aide précieuse pour moi et les forces de l'ordre, mais avait cessé son enquête quand son implication devenait trop évidente, et risquait de le mettre en danger. Néanmoins, sur les quelques mois où nous avions travaillé de concert avec lui, Santoni s'était démontré être un atout pour nous, autant par son intelligence que sa discrétion et ses nombreux contacts. J'avais toujours pensé qu'il en savait bien plus sur le syndicat qu'il ne nous l'avait avoué, cependant.
-Tout le monde a des choses à cacher, pas vrai, Santoni?
Son sourire était tout aussi faux que le mien.
-Même tarif que d'habitude, j'imagine?
-Si. J'ai réuni dans ce dossier le peu d'information que nous avons. Bien évidemment, mon adresse...
-Doit rester confidentielle, oui, je connais la chanson, Rosonn. Je sais travailler discrètement.
Je montrai du doigt les deux femmes qui avaient été libérées par Santoni, en train de chuchoter avec des clients à une autre table, en jetant des coups d'oeil dans notre direction.
-Permet moi d'en douter. Dis-je froidement. Peut être le temps t'as-t-il poussé à te relâcher.
-Je vieillis, c'est vrai. Soupira Santoni, bien trop théâtralement pour que je le prenne au sérieux.
-Vale. Contactes-moi si tu as la moindre info. Nous prenons congé.
Et, sans plus de cérémonie, je me levai, suivie de près par Thomas. Je n'avais qu'un désir, rentrer et m'effondrer sur le canapé.
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