Mauvaise Fierté
-C'est une honte ! Tempêta bruyamment Julian. Une infamie !
-Calme-toi, Julian ! Lui intimai-je d'une voix dure.
-Me calmer ? Tu me demandes de me calmer ? Comment fais-tu seulement pour être aussi calme quand tu vois de tels incompétents !
Il pointait du doigt le commissaire qui, légèrement pâle, tentait de garder une contenance. Je serrai les dents violemment, et jetais à mon mari mon regard le plus venimeux.
-Le commissaire et ses hommes font tout leur possible pour retrouver les coupables. Dis-je, les dents serrées, de manière à ce qu'uniquement lui m'entende dans le poste de police bondé. Fais-moi le plaisir de piquer cette crise ailleurs qu'en plein public.
-Au contraire, je compte bien le dire en public ! Rétorqua-t-il. Dire en public que cette administration est incapable de mettre la main sur les criminels qui ont enlevé ma femme pendant presque deux semaines ! On va bien voir ce que la presse dira de cela. J'ai des relations !
-J'en ai aussi, lui répondis-je, et c'est pour quoi je te dis d'arrêter ça immédiatement.
-Et laisser ces incapables s'en sortir ? Continua-t-il, sans arrêter de pointer du doigt le commissaire.
-Deja de tocarme las pelotas, Julian ! Lui criai-je soudain dessus. Tu ne peux pas m'écouter pour une seule fois, mierda ! Excusez-nous, commissaire, nous allons régler cela en privé. Appelez-moi si vous avez du nouveau.
-N-Ne vous inquiétez pas, Madame Rosson. Répondit très rapidement l'homme. Vous serez la première à être avertie.
Je trainai Julian par le bras au travers du commissariat. Tous les regards étaient tournés dans notre direction, ce qui, en général, n'avait rien d'extraordinaire – tout le monde ne restait pas de marbre face à l'un des couples les plus riches d'Europe – mais dans ce cas-là, ça n'était absolument pas à mon gout. Une fois dans la rue, je tempêtais jusqu'à la voiture, où je m'assis sur le siège conducteur et démarrai le moteur sans même attendre que mon conjoint y soit entré. Il s'y précipita, et, comme je m'y attendais, repris immédiatement les hostilités.
-Je te comprends pas, Ester ! Ça ne te fait vraiment rien de savoir que ces criminels courent en liberté, et que la police n'est pas foutue de faire la moindre chose.
Je pris une longue bouffée d'air pour contrôler ma colère. Je ne pouvais évidemment pas dire à Julian qu'il n'était pas étonnant que les forces de l'ordre ne trouvent rien, puisque tout avait été inventé, et que donc le fait qu'il passe sa colère sur eux lui donnait le rôle de l'imbécile. J'avais déjà pensé de nombreuses fois à lui avouer la réalité, mais, une nouvelle fois, sa nature profondément impulsive m'en dissuadait. Je n'avais aucun problème à contrôler Julian la plupart du temps, mais ses crises restaient l'aspect le plus énervant de sa personnalité, bien qu'il lui donne un charme bien particulier et très ibérique. Mais ce n'était pas la seule raison qui me mettait hors de moi.
-Julian, j'aimerai vraiment que tu apprennes à faire ta communication tout seul, mierda ! Quel genre d'image tu nous donne, à crier comme un loco sur un fonctionnaire qui essaie de faire son boulot !
-C'est donc tout ce qui t'importe ? La communication ? L'image que l'on donne au public.
-Parce que j'en ai assez que cette affaire continue de tourner partout et que mon visage apparaisse sur les magazines people tous les deux jours ! M'emportai-je. Je ne suis pas une pauvre starlette de télévision, joder ! J'en ai assez de cette image de pauvre victime fragile qui commence à me coller à la peau, et que tu n'aides vraiment pas à faire disparaître en agissant comme ça ! Je te parie que demain matin, on aura une belle nouvelle série d'articles sur la façon dont le « preux Julian défend sa pauvre princesse espagnole » ! J'en ai assez ! Je suis celle qui va au-devant du danger, pas celle qui se recroqueville dans le coin de la pièce en espérant ne pas se faire frapper !
-Mais ce que tu as vécu est grave, Ester ! Tu ne peux pas juste faire comme si ce n'était jamais arrivé !
-Ce n'est pas si grave que cela, j'ai survécu, et j'aimerai qu'on cesse de parler de cette foutue affaire !
-Ester, je-
-Vale, Vale, cette discussion est terminée ! On rentre, j'ai du travail à faire.
Le silence de mort qui pesa dans la voiture sur toute la durée du trajet retour, s'étendit durant toute la soirée, durant laquelle, pas un instant, je n'adressais la parole à Julian. Je savais parfaitement me faire désirer, et je savais comment le faire craquer. J'étais surtout bien trop fière pour me laisser marcher dessus de la sorte, et refusais de laisser cette image de victime s'accrocher à moi. Il fallait au plus vite que je revienne sur le devant de la scène avec un reportage fort, et, pour cela, il fallait qu'Hen'Ruay se décide à me contacter décidément bien plus souvent. J'étais incapable de voir que je tentais d'enfouir les séquelles de mon séjour chez les Suomen sous une épaisse couche de confiance en soi affichée et d'orgueil, plus encore qu'à l'accoutumée. Et, évidemment, le moment où Julian céda durant la soirée, en se glissant derrière moi dans le lit tout en chuchotant de douces paroles d'excuses, ne vint pas remettre en question un seul instant mon attitude.
Le lendemain cependant, après avoir pris ma petite pilule et mon petit-déjeuner, comme à l'accoutumée, je ne savais pas quoi faire. Je voulais contacter Hen'Ruay, me rappeler à elle, mais, d'un autre côté, je ne voulais pas un seul instant paraître comme insistante ou en train de mendier l'attention de cette femme. J'étais en position dominante, après tout. C'est moi qui avais les informations, moi qui avais la possibilité de les révéler au public ou non, et de faire du tort à son peuple. Je tentais de me persuader que ça ne m'atteindrait pas de le faire, et que Hen'Ruay se montrait donc bien insolente de me faire attendre ainsi. Mais après presque deux semaines d'attente depuis les funérailles de Kaya'olm, je ne pouvais plus en accepter plus. Je pris la voiture et démarrai au quart de tour, pour retourner dans ce petit bar où elle m'avait déjà donné rendez-vous, pensant pouvoir soutirer des informations sur elle aux serveurs, puisqu'elle semblait y être une habituée. Quelle ne fut pas ma surprise quand je la trouvais là, tout simplement assise à la même table, en train de siroter un cocktail comme si elle s'attendait à ce que j'arrive.
La tête haute, armée de mon plus puissant regard condescendant, je m'approchais d'elle.
-Il semble que vous ne soyez pas très pressée de me convaincre de garder certaines informations pour moi. Lui dis-je en guise d'introduction.
-Et il semble qu'il t'est très difficile de ravaler cet orgueil pour venir me trouver de tes propres moyens. Rétorqua-t-elle avec un sourire impénétrable.
Elle avait deviné si juste que je me sentis touchée dans ma plus profonde intimité. Comment faisait-elle pour lire aussi facilement au travers de mes expressions si travaillées pour ne rien laisser échapper ?
-De plus, je commence à te connaître un peu, Ester. Et au vu de toute la remise en question que t'as apporté la mort de Kaya'olm, je ne t'imagine pas un seul instant réitérer l'opération de ton plein gré.
Encore une fois, elle avait si juste que c'en était presque frustrant, surtout que je n'avais aucune répartie sur ces sujets-là. Je me contentais donc de m'assoir en silence face à elle, ravalant l'amertume d'avoir été percée à jour, et changeant de tactique.
-Eh bien, me voilà. J'ai décidé que j'allais mourir d'ennui si je continuais à attendre que vous me contactiez. Alors, que proposez vous aujourd'hui pour mon divertissement ? Une autre virée nocturne dans un cimetière ?
Le regard qu'elle me lança était équivoque. Mes provocations lui en touchaient une sans faire bouger l'autre. Je soupirai.
-Je sais tout aussi bien que toi que tu ne considère tout cela pas un seul instant comme un jeu, Ester. Nous avons des objectifs très différents.
-Vous désirez donner une meilleure image de votre peuple via moi, qui ait une certaine influence et visibilité. Dis-je, bien consciente des motivations de la vieille femme.
-Initialement, oui, je ne le nie pas. Mais le simple plaisir de faire découvrir sa culture à quelqu'un que l'on apprécie entre aussi en jeu.
J'eu un léger ricanement.
-Pour une « personne que vous appréciez », je trouve que vous avez mis bien du temps à me recontacter.
-J'ai pensé qu'après notre dernière rencontre, tu désirerais un peu de temps pour réfléchir. Et puis... je ne peux pas me contenter de faire le travail seule à chaque fois. Il faut bien que les anciens s'amusent un peu de l'orgueil de la jeunesse.
Piquée au vif, je lui lançais un regard profondément acide, qui sembla l'amuser.
-Vous vous amusez à l'idée de me donner une leçon d'humilité ? Lui demandai-je.
-Un peu, je dois l'avouer. Répondit-elle. Tu me fais beaucoup penser à quelqu'un, avec ce comportement si hautain.
-Vale, je ne veux pas le savoir.
-Très bien.
Je m'attendais à ce qu'elle me le dise tout de même, dans le but de m'ennuyer, mais, au lieu de cela, elle se mura dans un silence impénétrable qui me mit bien mal à l'aise, alors que la curiosité commençait à me ronger. J'hésitais à me rabaisser à poser tout de même la question, quand un demi sourire apparut sur ses lèvres, me laissant comprendre qu'elle savait parfaitement ce qu'il se passait dans mon esprit.
-Tu me fais penser à ma fille, Ester. Dit-elle, m'épargnant l'humiliation de devoir poser la question.
-Est-ce pour cela que vous m'avez sauvée ?
-Non. Tu ne lui ressemble pas physiquement, mais vos âmes sont bien semblables. Si tu n'étais pas si âgée, je pourrais presque croire que Lempo a pris son âme pour la mettre dans ton corps.
Je butais quelques instants sur ce mot inconnu, tout en attendant une explication de la part de mon interlocutrice. Finalement, elle sembla se décider.
-Dis-moi, Ester... un petit retour sur les lieux de l'Ayl'Dee Khobon te tenterait-il ? Je pense qu'il y a certaines choses que tu dois comprendre vis-à-vis de cet évènement...
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