Il pleuvait, ce jour là
Ce jour là, il pleuvait légèrement
Quelques jours étaient passés, durant lesquels la préparation pour la grande manifestation à venir s'intensifia, et où je pu m'impliquer avec l'esprit un peu plus reposée, consciente que, si tout danger n'était pas écarté, le principal l'était probablement. La descente de police qui avait ensuivi la fusillade avait mené à l'arrestation d'une certain nombre des Taa'kangow'a résidant dans le QG où notre confrontation avait eut lieu, et leur possession d'armes à feu avait donné une bonne occasion aux forces de l'ordre de ne pas les laisser repartir. Néanmoins, cela n'avait pas que des aspects positifs, car la réaction des sphères suomen à ces arrestations avait été virulente, et que, d'autre part, les hommes de Da-jee-ha étaient également activement recherchés, bien que l'absence de piste claire avait poussé à croire qu'ils ne risquaient pas grand chose. La cheffe d'Ar'henno en avait cependant renvoyé la moitié dans leur vallée natale avec le van, ainsi que leur mort pour qu'elle soit inhumée selon les rites traditionnels. La sphère politique, elle, était chaque jour un peu plus en ébullition, avec l'approche des élections, et il était désormais certain que la question suomen y jouerait un rôle central. La question était toujours de savoir quelles seraient les promesses, et quels seraient les actions qui suivraient. Tout ce qui importait à mes yeux, c'était la libération de Nokomis et des autres suomen emprisonnés pour avoir tentés de déterrer leurs morts, ainsi que les funérailles en bonne et due forme d'Hen'Ruay. Tant que ces propositions ne seraient pas sur la table, ni moi, ni aucun des suomen qui s'étaient battus pour leurs droits bien avant que je ne prenne part à ce combat, ne prendrions de repos.
Il me restait cependant une autre mission à mener, une mission que j'avais repoussée, faute de moyen d'y faire quoi que ce soit, mais que je pouvais enfin mener à bien maintenant que Moh'lag avait été mise hors circuit. Une mission dont les conséquences me terrifiaient. Mais j'avais besoin de ces réponses. J'avais besoin de savoir. Peu importait la douleur que cela risquait de m'apporter, ou le danger que cela pouvait faire planer sur tout le reste. J'avais besoin de réponses. Et c'était la raison pour laquelle je garai ma voiture, dans la terre boueuse devant un vieux hangars aux allures antédiluviennes, à plus d'une heure de route à l'ouest de la capitale. Ma nouvelle liberté avait signifié que j'avais pu reprendre le volant, après des mois à devoir être conduite par d'autres, ou même à ne pas pouvoir être conduite. Cette simple pensée me mis mal à l'aise et je passai une main nerveuse sur la cicatrice encore fraiche laissée par la balle qui avait percé ma poitrine.
-Toi sûre de vouloir entendre ce que elle dire? Me demanda Da-jee-ha en claquant sa portière.
-Oui. J'en ai besoin.
-Même si toi probablement déjà savoir réponse?
-Je ne saurai la réponse que lorsque je l'aurai entendue de la bouche de Moh'lag.
Da-jee-ha ne répondit pas. Face à nous, gardant la porte du hangar d'un air distrait comme s'ils n'étaient que deux jardiniers discutant paisiblement, se trouvaient deux guerriers suomen, leur cheveux teints et leur manque de tatouage les désignant clairement comme faisant partie de ceux ayant, un temps du moins, tenté de s'adapter à la société occidentale. C'était des gardes efficaces pour la prisonnière qu'ils devaient garder, car les Traditionalistes méprisaient les suomen comme eux et, tout naturellement, ces derniers méprisaient les Taa'kangow'a en retour. Aucun d'entre eux ne serait donc tentés de favoriser un plan d'évasion de la cheffe des traditionaliste au nom d'un penchant pour l'idéologie qu'elle défendait.
Reconnaissant Da-jee-ha - ou peut être moi - l'un des deux gardes s'écarta tandis que le second glissa une clef dans un imposant cadenas, gardant fermée la porte de l'entrepot dont la façade était partiellement envahie par la végétation. La porte grinça avec un bruit très désagréable. L'intérieur était sombre, grand et vide. Seule un pieu planté au milieu de l'immense pièce apportait un peu de relief, et, attachée à ce pylône, Moh'lag. Mon cœur se serra en la voyant, et son rythme de battement s'accéléra. Je ressentais tant d'émotions différentes à la vue de cette femme... Elle était la cause de tant de mes malheurs. C'était à cause d'elle que j'avais failli mourir lors de ma première capture par les suomen. Elle qui n'avait rien fait pour sauver la dépouille d'Hen'Ruay. Elle qui avait fait capoter tous mes plans en révélant au grand jour l'enlèvement dont j'avais été victime, tout en laissant Nokomis finir en prison dans le seul but d'obtenir une revanche mesquine sur Hen'Ruay. Je n'avais d'ailleurs jamais su si Moh'lag n'était pas impliquée dans la mort de ma vieille amie. Après tout, l'émeute qui en avait été à l'origine avait été causée en partie par les traditionalistes présents. Par trois fois, Moh'lag avait tenu ma vie entre ses doigts, et, par trois fois, je n'y avais échappé que parce que le ciel m'avait envoyé des sauveurs. Hen'Ruay. Santoni. Et maintenant, Da-jee-ha, également, bien qu'elle ait été celle qui m'ait menée à Moh'lag.
La voir ainsi, misérablement attachée par une corde à un piquet telle un chèvre dans sa montagne, seule, dans cette immense entrepôt vide, sombre et humide, me procura un sentiment de plaisir malsain, de revanche, comme si je me délectais malgré moi de la voir ressentir un millième de ce qu'elle m'avait faite subir. Pourtant, la cheffe n'avait pas l'air si mal en point. Comparé à la manière dont j'avais été traitée à chaque fois que j'étais tombée entre ses mains, son sort était même relativement enviable. Un peu de lumière du jour filtrait par plusieurs trous dans la tôle de l'entrepôt, ce qui ne la laissait pas seule dans l'obscurité. Ses mains bien que liées au niveau des poignets, n'étaient pas dans son dos, et ses chevilles étaient libres; elle pouvait donc se déplacer aussi loin que la corde, accrochée au sommet du haut pylone, le lui permettait - bien loin des cordes qui avaient scié mon dos en deux, attachant mes mains à mes chevilles pendant des heures, des journées même, dans une obscurité absolue. Elle était sereine, malgré son emprisonnement ici, à l'écart de tout, loin du rayon d'action de ses frères Taa'kangow'a, et elle nous observa nous approcher d'elle avec une forme d'amusement.
-La princesse et sa servante. Lança-t-elle théâtralement. Je ne pensais pas que vous daigneriez m'honorer de votre présence, mais je vois que je me suis fourvoyée.
-Vale. Je n'allais pas me priver du plaisir de te voir attachée à ton magnifique piquet.
-Oh, je n'en doute pas. Mais je continue à penser que les noeuds que nous t'avions fait étaient un peu plus sophistiqués que celui là. Rétorqua-t-elle en montrant la corde qui liait ses poignets.
-On aurait dû te faire gouter à cette sophistication pour te faire passer le sourire. Grognai-je.
-Peut être que vous auriez dû, oui. Mais il ne serait pas juste de traiter une cheffe comme moi de la même manière qu'une simple kowo, tu ne crois pas?
Une flamme de colère s'alluma dans ma poitrine, mais Da-jee-ha posa une main sur mon épaule, afin de me contenir, et je parvins à me calmer. Moh'lag jouait avec moi, encore une fois. J'étais venue avec une idée en tête, et il ne fallait pas que j'en dévie, quelles que soient les piques lancées par la vieille cheffe.
-Assez parlotté sur tes conditions de détention. Repris-je, reprenant une contenance et le regard le plus condescendant, celui que j'utilisais à l'époque où ma vie était encore consacrée à tourner des reportages. Parlons plutôt de tes conditions de libération.
Au vu du regard qu'elle me lança, il était évident qu'elle ne s'y était pas attendue, et Da-jee-ha pas plus qu'elle. Moh'lag sembla jauger si j'étais sérieuse, avant de balayer mes propos d'une geste.
-Très drôle, Ester. Railla-t-elle. Comme si tu allais me libérer après tout le mal que vous vous êtes donnés pour m'enchainer ici. A moins que tu t'imagines qu'en me laissant aller, nous serions quittes et pourrions reprendre nos vies, chacune de notre côté, comme si rien ne s'était jamais passé? Dans ce cas, tu es encore plus stupide que je le craignais.
-Rien de tel, ne t'en fais pas, j'ai encore toute ma tête. Il s'avère simplement qu'il ne sera pas possible de te retenir ici indéfiniment, et que plusieurs options sont en discussion vis à vis de ce qui sera fait de toi.
-Et ces options sont discutées par les cheffes suomen, et certainement pas par une petite insolente telle que toi.
-Claro. Et certaines d'entre elles te sont toujours favorables. Mais elles ignorent où tu te trouvent, et même si tu es encore en vie. Alors, j'ai un simple deal à te proposer. Un échange. Une liberté, en échange d'une autre.
-Tu vas tenter de me faire croire que tu me libérerai maintenant? Et qu'est ce qui te fait croire que je ne retournerai pas te faire enlever d'ici deux semaines, ou faire un attentat pour empêcher ces élections auxquelles vous tenez tant de porter leur fruit?
-Oh, mais rien ne dit que tu seras libérée maintenant. On peut toujours attendre que tu ne puisses plus rien faire pour mettre en danger les gains sociaux des suomen avant de te relacher.
-Tu comptes laisser l'état s'acheter la loyauté de mon peuple en lui offrant un peu de lest sur la laisse qui l'étouffe?
-Je me fiche de tes métaphores bancales et de ton idéologie néfaste. Rétorquai-je. Libère Thomas, mon ami, que tu fais enlever en même temps que moi en décembre, et je m'arrangerai pour que tu sortes d'ici.
Moh'lag eut un sourire, et je fronçais les sourcils. Je n'avais, en réalité, aucun pouvoir de faire libérer Moh'lag, et je ne comptais de toute manière jamais laisser cela arriver. Etait-ce déshonorable de lui mentir ainsi? Probablement. Mais si cela pouvait me donner un indice sur le lieu où était retenu mon ami, ou même sur son état de santé... alors cela valait le coup.
-Tu ferai ça pour moi? Susurra-t-elle. Vraiment?
Je restais stoïque face à elle, et hochai gravement la tête.
-C'est une proposition... intéressante et inattendue. Admit la vieille cheffe balafrée. Mais également stupide et caduque. Tu n'as aucun pouvoir de décision, Ester, et Da-jee-ha ne peut pas en décider seule. Tu tentes de me bluffer pour en savoir plus sur ton ami. Quelle traitrise, quelle fourberie, vraiment... tu es belle et bien une kowo. Da-jee-ha a beau t'avoir accueillie dans son clan, tu restes bel et bien un étrangère. Mais puisque tu tiens tant à savoir où se trouve ton ami, sache que, contrairement à toi, il ne nous était d'aucune intérêt de le garder en vie.
Ce fut comme un coup de poing asséné au creux du ventre. Comme si mon coeur se serrait au point d'être au bord de l'explosion. Comme si les sons aux alentours s'étaient atténués, comme si plus rien d'autre n'existait que cette douleur sourde, qui n'avait aucune réalité physique. Une souffrance atroce qui, sans que je soi blessée, me faisait saigner abondamment, tandis que Moh'lag continuait.
-Les kowos sont des envahisseurs, des oppresseurs qui, pendant trop longtemps, ont cru qu'ils pouvaient piétiner notre peuple sans la moindre rétribution. Tu ne peux rien comprendre à ce combat, Ester, tu ne l'as jamais pu et tu ne le pourras jamais. Tu as eu la chance d'échapper au même sort que lui car tu as toujours eu quelqu'un pour te protéger, rien de plus. Mais dans cette guerre sans pitié, nous-
Je ne lui laissais pas le temps de terminer sa phrase que je me jetai sur elle. Elle l'avait senti venir. Même avec deux de ses membres attachés, elle parvint sans difficulté à éviter ma charge sourde emplie de rage, et tenta d'enrouler la corde qui la retenait desespérément prisonnière autour de mon cou. Da-jee-ha était cependant là, toute proche et, rapide comme l'éclair, se saisit de la corde qui, déjà, s'apprêtait à se refermer autour de mon cou. Le cable claqua au dessus de ma tête, et, attachée à celui-ci, Moh'lag fut tirée en arrière et s'écroula par terre. Mais je ne lui laissais pas la chance de se relever. Tel un lion enragé, je me jetais sur elle, et rouait son corps de coup de pieds les plus violents que je parvienne à asséner, et qui semblaient à peine lui faire du mal. Je griffais son visage de mes ongle, frappait sa tête de mes poings, jusqu'à ce que les deux bras de Da-jee-ha viennent m'arracher à elle, tandis que l'un des garde alerté venait, lui, plaquer Moh'lag au sol pour l'empêcher de me renvoyer des coups de pieds.
-LACHE MOI! Hurlai-je à Da-jee-ha, incapable de contrôler la rage que j'avais pendant si longtemps supprimée, me laissant être rabaissée, humiliée, détruite et réduite à néant sans être capable de réagir. JE VAIS LA TUER! JE VAIS LA TUER!
-Tu comprends enfin ce que nous ressentons au quotidien, Ester! Railla Moh'lag pour toute réponse. Cette douleur que tu vis maintenant, nous la vivons au centuples quand les tiens nous oppressent et nous nient!
-CALLATE! CALLATE TA MALDITA BOCCA, TU HIRA DE PUTA! TU N'ES QU'UNE PUTA DE ASESINA PSICOTICA! UNE VULGAIRE TUEUSE QUI NE VAUT PAS MIEUX QUE LA DERNIERE DES PUTA BASURA DE MIERDA! PAS MIEUX QUE LE PLUS MINABLE DES TUEURS A GAGE! CESSE DE TE PARER DE TA FOUTUE CAPE D'IDEOLOGIE DE MIERDA POUR JUSTIFIER TA SOIF DE SANG! Je vais... JE VAIS T'ARRACHER LES DENTS JUSQU'A CE QUE TU TE TAISE POUR NE PLUS JAMAIS AVOIR A ENTENDRE TES SALOPERIES!
-Kinn'rehi! S'exclama Da-jee-ha en tentant de me retenir, mais je me débattais de toutes mes forces pour échapper à son emprise.
Je n'avais plus qu'un seul désir. Me jeter sur Moh'lag, et lui faire avaler toute ses dents, puis lui les faire recracher pour mieux les lui enfoncer dans le ventre. Je voulais la voir souffrir. Je voulais la voir mourir, là, à l'instant, sous mes yeux et par mes mains. C'était la seule solution pour calmer le volcan qui était entré en erruption.
-SUELTAME! SUELTAME, JODER! VOY A MATAR ESA ESCORIA! VOY A MATARLA AHORA MISMO! SUELTAME!
-Kinnre'hi-meh'na! Tu avoir dit pas tuer elle! Plaida Da-jee-ha, en m'éloignant de force.
-JE M'EN FOUS! CETTE SALOPE DOIT CREVER! ESTA MIERDA NO MERECE VIVIR!
Mais, bien évidemment, la taille de mes muscles n'était pas comparable à ceux de Da-jee-ha, et rien de ce que je fis ne me permis d'échapper à l'emprise de ses bras lorsqu'elle les referma autour de moi dans une embrassade chaude et maternelle, malgré mes éructions, mes insultes, mes cris et mes coups. Elle encaissa, de longues minutes durant, tandis que je m'affaiblissai, et que la rage, laissait peu à peu place aux pleurs. Et, bientôt, ne résonnèrent plus dans l'immense entrepot que les graves echos de mes sanglots, que j'étouffais tant bien que mal dans l'épaule de mon amie.
Sa main caressait avec douceur mes cheveux, en silence, consciente que toute parole était superflue. Puis, lentement, elle me guida, mais sans me lâcher un seul instant, vers la sortie du hangar, loin de Moh'lag, loin de cette réalité que j'avais tant crainte et pourtant, finalement, quelque peu acceptée avant même de la connaître.
Il pleuvait fort, ce jour là.
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