16. Divination au sommet
Illustration réalisée par scoubisalami
*
Les jours et les semaines avaient passé depuis la rentrée. Les élèves avaient oublié l'effervescence de Halloween et s'étaient de nouveau habitués à arpenter les couloirs d'un cours à l'autre. À la fin du mois de novembre, Sarah fut marquée par le cours de divination, particulièrement étrange.
Jasmin monta l'échelle du dernier étage de la tour Nord, suivie de près par Sarah. La jeune fille avait été surprise lorsque, à la rentrée, Jasmin l'avait conduite au cœur de la tour Nord, puis qu'elles avaient monté pas moins de huit étages. Le chemin lui avait paru interminable, d'autant plus qu'elle n'était jamais allée dans la tour Nord. À présent, le trajet lui paraissait normal. Elle passait souvent devant le portrait du chevalier du Catogan, un petit homme trapu en armure. Toujours accompagné de son fidèle destrier (un poney des plus agiles), il arpentait les tableaux de l'école pour louer son courage et son riche vocabulaire en jurons antiques.
Après être passées par une vieille trappe en bois, les deux sorcières se levèrent dans la salle de divination de Poudlard : sur les murs de pierre brute étaient accrochées diverses tentures et cartes du ciel, et d'épais rideaux cachaient la lumière qui filtrait à travers de grandes vitres poussiéreuses. Jasmin alla s'asseoir à une des nombreuses petites tables nappées de tissus en velours rouge, disposées ça et là dans la pièce. Sur chaque table était posé un jeu de cartes face cachée.
Un homme d'âge avancé apparut soudainement et effraya Mayalen. Il avait quelques cheveux gris éparpillés sur le crâne et portait une grande robe violette aux manches incroyablement larges, qui voletaient autour de lui comme des oreilles d'éléphant lorsqu'il bougeait les bras (c'est-à-dire assez souvent, car il bougeait beaucoup les bras).
— Bonjour, bonjour, chers élèves ! chantonna Monsieur Praefatis, qui s'avérait être leur professeur de divination. Aujourd'hui, vous allez découvrir l'art noble et mystérieux qu'est la voyance par les cartes ! Vous avez tous un jeu de tarot sur votre table, contenant vingt-deux cartes. Chaque carte a une signification différente, et les cartes associées peuvent mener à une infinité d'interprétations différentes ! Je vous laisse vous familiariser avec les cartes, dit-il en incitant les élèves à prendre le jeu. Allez, allez, n'ayez pas peur !
Jasmin saisit le paquet posé sur leur table et étala toutes les cartes devant elle.
— On dirait que celui-ci est amoureux, fit-elle remarquer en pointant une des cartes, sur laquelle on pouvait voir un homme entouré de deux femmes, au-dessus desquels volait un cupidon prêt à décocher une flèche. Il porte le numéro six. Oh, et là, c'est le Soleil et la Lune ! s'exclama-t-elle en montrant une carte contenant une lune penchée sur deux chiens et un homard, et une autre où un soleil surplombait deux amants.
L'évocation de ces deux astres rappela à Sarah une vieille chanson, mais elle n'aurait su dire si elle la connaissait réellement.
— Bien, jeune fille, applaudit Fatumon en se retournant, on dirait que vous arrivez à voir les cartes ! Continuez, continuez. Vous autres, prenez exemple sur votre camarade, dit-il en s'asseyant à ce qui devait être son bureau : une chaise en rotin et un large tabouret, encombré de papiers et de toutes sortes de petits objets mystérieux.
Tout le monde replongea la tête dans les cartes, certains y voyant de dangereuses puissances, d'autres s'amusant à commenter les dessins qui y figuraient. Sarah remarqua quelque chose d'amusant au bas des cartes... mais personne ne semblait s'en être rendu compte, alors elle se contenta de sourire et de faire comme si elle n'avait rien vu. La jeune fille commençait à trouver le temps extrêmement long, lorsque le professeur se leva et alla se poster devant leur table, les mains sur les hanches.
— À présent que vous vous êtes familiarisés avec les cartes, je vais vous donner leur signification exacte. Quelqu'un peut me dire quelle est la carte qui porte le numéro un ?
Une élève leva la main :
— Euh... le flûtiste ? balbutia-t-elle en collant son regard sur une carte ou un homme habillé de toutes les couleurs se tenait devant une table d'outils, un bâton à la main.
— Bien essayé, jeune fille, mais il s'agit du Bateleur ! s'exclama Praefatis. Ensuite, le numéro deux ?
— La Papesse ! cria Rosier, un garçon mince aux traits durs. Sarah se retourna et vit Tom assis près de lui. Il regarda dans sa direction et elle détourna vite les yeux.
— Très bien, mon garçon ! se réjouit le professeur. Quels sont les éléments de l'image qui vous ont permis de trouver ?
— C'est écrit au bas de la carte, répondit Tom avec lassitude.
— Mince alors ! s'écria Praefatis, son enthousiasme disparaissant aussitôt. Dans ce cas... nous allons commencer la pratique. Je veux maintenant qu'un membre de chaque groupe choisisse une question ! Elle doit être concrète et abstraite à la fois, précisa-t-il.
— Concrète et abstraite à la fois ? chuchota Jasmin, incrédule. On a l'habitude qu'il soit un peu barge, mais là, je n'en reviens pas...
Sarah sourit et leva la main.
— Professeur, pouvez-vous nous donner un exemple de question concrète et abstraite à la fois ? Je ne comprends pas très bien.
— Bien sûr, jeune fille, répondit fièrement Fatumon, heureux de pouvoir montrer son savoir. Si je demande aux cartes « Pourrai-je aller me désaltérer au bar ce soir ? », elles me répondront. Bien sûr, vous pouvez également poser une question plus lointaine, comme « L'Irlande est-elle une bonne destination pour mes prochaines vacances d'été ? ». Ai-je pu éclairer ta lanterne, jeune fille ?
— Euh... oui, merci, articula Sarah, sceptique.
Elle se tourna vers Jasmin et toutes deux réfléchirent à une question. Au bout de quelques minutes, Sarah proposa « Quel sera mon avenir ? » et Jasmin acquiesça, faute de trouver mieux.
— Tout le monde a choisi une question ? Bien, maintenant nous allons mettre en place les cartes. Que la personne qui a choisi la question batte les cartes pendant au moins vingt secondes, afin qu'elles s'imprègnent de son être.
On entendit plus que le bruit des cartes que les élèves battaient, avec le plus grand sérieux. Quand le silence revint, Praefatis continua :
—Bien. Maintenant, je vais vous demander d'étaler les vingt-deux cartes devant vous.
Jasmin plaça les cartes devant Sarah avec la plus grande précaution, mais le cri du professeur la dit sursauter.
— Mais enfin, Mayalen ! Face cachée, bon sang de bois ! Allez, battez-les à nouveau.
Lorsque les cartes de chaque groupe furent étalées sur chaque table, il déclara :
— À présent, que la personne qui a posé la question choisisse une carte et la pose devant lui : elle le représente actuellement.
Tout le monde prit une carte qu'il mit devant lui sur la table.
— Ensuite, choisissez une deuxième carte : elle représente votre question. Mettez-la devant la première. Très bien ! Ensuite, choisissez une troisième carte. Elle représente votre passé. Placez-la à gauche des deux premières. Voilà, comme ça, dit-il en aidant Mayalen. Pour finir, choisissez une quatrième carte : c'est votre avenir, et la réponse à la question posée. Mettez-la à droite des autres cartes.
Il serpenta entre les salles, puis s'arrêta au milieu de la salle.
— Maintenant, retournez la première carte, celle qui vous représente ! Je vais distribuer un parchemin par table. C'est un tableau contenant les cartes numérotées et leur signification, utilisez-le pour votre interprétation.
Ensuite, la deuxième, dit-il en donnant un des parchemins à Sarah. La troisième...
Il s'arrêta devant les cartes d'Audrey Hilstill, une jolie blonde aux cheveux toujours bien coiffés, aux boucles d'oreilles toujours en pierres précieuses et aux vêtements toujours impeccables.
— Oh, gloussa-t-il avec un air intéressé, vous en avez de la chance, jeune fille !
Il toussota et se remit à distribuer les parchemins.
— Enfin, retournez la quatrième carte. Je vous laisse quelques instants pour interpréter ce que les cartes vous montrent ! chantonna-t-il en s'asseyant confortablement dans sa chaise en rotin.
Sarah prit le parchemin et regarda ses cartes. La première était la carte onze, la Force. En se référant au parchemin, elle lut « énergie, entreprise, maitrise, réalisation ». Elle avait une mission et était prête à la remplir, oui. Mais... elle n'avait aucune maîtrise de la situation et n'était pas prête de réaliser sa mission : elle en ignorait jusqu'à la nature ! La sorcière observa ensuite la carte qui définissait sa question : numéro douze, le Pendu.
— « sacrifice, contrainte, dévouement, liens », murmura-t-elle, ça n'a pas de sens...
De plus en plus sceptique, elle regarda son passé : la carte ne portait pas de numéro ! Elle chercha sur le parchemin, et lut : il s'agissait du Mat, qui signifiait « Fin définitive, inconnu, fin de cycle, départ, fragilité ». Sarah eut peur. C'était vrai, elle ne connaissait pas son passé ! Elle n'avait ni famille ni amis en dehors de ceux qu'elle avait rencontrés cette année... La jeune fille décida d'en finir avec les cartes et lut la signification de la dernière carte, son avenir.
— Alors... dix-sept, l'Étoile... « amitiés, douceur, rêve, espoir, protection ». Ce n'est pas si mal, finalement, dit-elle en rigolant.
— Pas si mal ?! s'exclama le professeur en surgissent derrière elle, les yeux exorbités.
Il empoigna le tas que Jasmin avait fait avec les cartes restantes, le mélanga furtivement en humant l'air avec mystère, coupa le tas et observa la carte en haut du paquet du dessous. Aussitôt, son visage prit un air mystique et effrayé.
— Jeune fille, faites très attention à vous ! Les cartes ne mentent jamais... vous avez fait preuve beaucoup de courage jusqu'ici, mais vous allez devoir en redoubler pour rester en vie... votre destin est tragique, j'ai été très heureux de vous connaître.
Un silence gêné s'installa dans la pièce.
— Quelqu'un veut que je l'aide à interpréter les cartes ? demanda-t-il en s'éloignant brusquement de Sarah, la laissant dans l'incompréhension la plus totale.
Elle le vit se rendre à la table de Tom et Rosier, et put entendre quelques bribes de leur conversation.
— Un événement tragique a radicalement changé votre vie, j'en suis navré... pour l'instant, vous vivez dans la contrainte, mais ne vous en faites pas : vous atteindrez votre objectif et connaitrez la réussite totale ! hurla Fatumon, histérique. Je suis de tout cœur avec vous, se ressaisit-il.
– Merci, répondit calmement Tom.
Sarah se retourna vers Jasmin et resta un instant bouche bée : la jeune fille était en train de poser le troisième étage d'un château de cartes !
— Si je souffle dessus, tu m'en voudras ? lui glissa-t-elle avec un sourire en coin.
— Tu n'as pas intérêt, la menaça Jasmin en posant les deux dernières cartes de son château avec minutie.
Une voix la fit sursauter et l'édifice tomba en miettes :
— Mademoiselle, je suis attristé de constater de quelle manière vous occupez mes cours, dit Praefatis en agitant la tête de gauche à droite, d'un air navré. Recommencez une seule fois et je me verrai dans l'obligation d'enlever des points à votre maison...
Il se dirigea vers un groupe de garçons, quelques tables plus loin.
— Quel rabat-joie, celui-là... grogna Jasmin. Qu'est-ce que ça peut lui faire, on a déjà fini !
— Dégradation de matériel, répondit Sarah en regardant en l'air.
— Que... n'importe quoi ! Je ne les ai pas abîmées, ses cartes ! Au moins, je leur ai trouvé une utilité.
— Si tu le dis...
— OH ! Shafiq, mon garçon ! s'écria le professeur, horrifié. Vous avez grandi dedans et vous êtes très doué, mais faites très attention : un événement tragique vous empêchera de continuer... il se produira bientôt ! hurla-t-il de la même manière qu'avec Tom. Faites attention à vous, mon garçon.
Il partit à une autre table, laissant le pauvre Walter Shafiq complètement terrorisé. Jasmin se retourna vers Sarah et lui chuchota :
— Tu m'étonnes qu'un événement tragique arrive, avec ce fou comme professeur...
— Mademoiselle, s'exclama Praefatis en apparaissant soudainement, vous semblez m'apprécier ! Puis-je vous faire tirer les cartes ? lui proposa-t-il sur un ton faussement enjoué.
— Oups... euh, bien sûr...
— Quelle est votre question ?
— Euh... comment se passera ma cinquième année ici ?
— Merci.
Le professeur emprunta un fauteuil à une autre table et s'assit entre Sarah et Jasmin. Il mélangea frénétiquement les cartes pendant un bon moment, puis les étala sur la table. Jasmin choisit une carte, puis une deuxième, une troisième et, enfin, une quatrième. Le professeur les retourna tour à tour et parut navré.
— Jeune fille... vous avez eu une enfance heureuse, mais un événement vous a isolé des autres. Vous cachez un secret à vos camarades, et l'an prochain il vous coûtera peut-être la vie, lui dit-il en la regardant dans les yeux avec le plus grand sérieux. Un événement tragique vous arrivera, soyez prudente.
La grande cloche sonna. Praefatis détourna son regard de Jasmin, se planta au milieu de la classe et déclara, alors que tous les élèves se précipitaient hors de la salle :
— Le cours est terminé ! Pour la prochaine fois, n'oubliez pas de me faire une synthèse de ce que les cartes vous ont montré...
— C'est ça, glissa Jasmin en sortant, on pourra prendre le thé avec elles aussi, tiens.
— Mais... c'était quand même intriguant, ce qu'il t'a dit, non ? réfléchit Sarah. Le secret que tu caches aux autres... tu es une née-moldue, certes, mais je ne vois pas en quoi cela pourrait mettre ta vie en danger.
— C'est ridicule, répliqua Jasmin. Ce professeur raconte des salades et tout le monde le sait. Viens, on va être en retard au cours de potions.
— Quelle idée aussi, de nous mettre à la suite un cours en haut du château et un cours aux cachots ! ronchonna Sarah.
Les deux amies se mirent en route vers les sous-sols, sans s'inquiéter davantage des prédictions du professeur...
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