12. Chansons et hiboux
Illustration réalisée par Glemashblue-D
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Martha avait montré à Sarah, grâce à la vieille carte de Londres, le chemin pour se rendre à Hatchards et au Livre Chantant. Sarah lui avait aussi demandé si elle connaissait un magasin où l'on vendait des collants chauds, et la grosse dame aux cheveux rouges lui avait conseillé une petite boutique du centre de la ville.
La jeune fille l'avait chaleureusement remerciée, elles avaient discuté un bon moment et, après un « Reviens nous voir quand tu voudras ! », elle avait quitté le magasin, le professeur Brûlopot sur les talons.
Les deux sorciers décidèrent d'aller en premier chez Hatchards, remarquant dans le paysage de nombreuses maisons effondrées, où de gros creux dans la chaussée. Dans la librairie, un homme en costume de velours brun les accueillit. En voyant les prix, Sarah pensa d'abord à sortir de là le plus vite possible, mais fut attirée par le rayon « Littérature étrangère », plus particulièrement par l'étagère où étaient inscrits les noms de Jules Verne, Victor Hugo et Edmond Rostand. La jeune fille put juste acheter Pauline, d'Alexandre Dumas, avant de sortir en vitesse du magasin.
Elle alla ensuite au Livre Chantant, la librairie d'occasion. Là-bas, les prix étaient beaucoup plus abordables ! Elle trouva Dix petits nègres, L'étrange cas du Docteur Jekyll et de Mister Hyde et L'homme au complet marron, le tout pour le même prix qu'un seul ouvrage chez Hatchards. À la radio passait une chanson que fredonnait tristement la vendeuse. Sarah la reconnut ; c'était l'hymne britannique We'll meet again, chanté par Vera Lynn. Il ne fallait pas l'oublier : l'Angleterre était en guerre.
À quelques rues de là, elle trouva la boutique de vêtements (d'occasion, toujours) que lui avait conseillée Martha. Cet établissement n'était pas restreint par le rationnement, et les prix étaient extrêmement bas. Elle y dénicha deux paires de collants noirs en laine, des gants, un bonnet et une écharpe violets. Avec le peu d'argent restant, elle acheta trois caramels. Un pour elle et un pour le professeur Brûlopot ; le dernier serait pour Jasmin, décida-t-elle.
Les deux sorciers se promenaient dans la ville, lorsque le ventre de Sarah leur fit comprendre qu'il fallait retourner à Poudlard. Elle prit donc le bras du professeur et ils transplanèrent devant les grilles du château. Le concierge leur ouvrît et chacun partit de son côté ; Sarah vers la salle commune pour déposer ses achats, le professeur Brûlopot vers la Grande Salle pour déjeuner.
Dans l'après-midi, la jeune fille voulut se rendre chez le directeur, mais elle n'en n'eut pas le besoin ; il apparut au détour d'un couloir.
— Bonjour, jeune fille. Es-tu satisfaite de tes achats ?
— Bonjour, professeur. Je voulais vous rendre l'argent que vous m'avez donné... c'est beaucoup trop ! Et, aussi... que pourrais-je faire pour rembourser mes achats ?
— J'allais t'en parler, sourit-il. Veux-tu travailler aux cuisines pendant les vacances et les jours où tu n'étudies pas, aux côtés des elfes de maison ? Bien sûr, j'insiste pour que tu gardes cet argent. Il est à toi, à présent. Oh ! La semaine prochaine, tu vas à Pré-au-Lard, il me semble ? Un magasin acceptera peut-être de t'employer en dehors des jours d'école !
— Merci beaucoup, c'est très généreux de votre part. Travailler aux côtés des elfes de maison me convient parfaitement. Dites-moi quand je pourrai commencer.
— Es-tu sûre qu'un travail à Pré-au-Lard ne te conviendrait pas mieux ? s'inquiéta-t-il.
— Je ne sais pas, je verrai quand j'y serai, répondît Sarah en haussant les épaules.
— Si tel est ton choix, tu commenceras à aider les elfes demain. Rends-toi à onze heures précises devant la porte située à droite de l'escalier principal. Un elfe de maison te conduira aux cuisines et t'expliquera en quoi consistera ta tâche. Ils essaieront sûrement de te faire travailler le moins possible, ne les écoute pas. Tu sauras ce qu'il faut faire.
Je crois que c'est tout... ah, non ! Fais bien attention : un des elfes, Qriel, a une aversion folle pour les humains. Le professeur Dumbledore et moi sommes les seuls à qui il adresse la parole... et encore, en grommelant ! Bon, il semblerait que nous ayons fait le tour du sujet. Au revoir, mademoiselle Watson.
— Au revoir, monsieur le directeur.
Dippet continua son chemin et Sarah resta au milieu du couloir, les bras ballants.
La journée passa lentement et, avant le dîner, lorsque Sarah chercha dans sa robe de sorcière, elle heurta un objet mou et collant : le caramel de Jasmin ! Elle l'avait complètement oublié... à côté d'elle, la jeune fille aux cheveux tressés s'étonna de sa mine désespérée et de sa main qui ne sortait pas de sa poche.
— Ça va ? Il faut bientôt aller manger.
— Oui... ce n'est rien, j'ai juste envie d'aller aux toilettes, se rattrapa-t-elle. Je te retrouve à table ?
— D'accord, à tout de suite.
Sarah courut presque jusqu'aux toilettes les plus proches, enleva sa robe et la jeta dans le lavabo. Seulement, en posant sa main sur l'évier, elle se rendit compte que Lorenn Gladstone et quelques unes de ses acolytes se trouvaient derrière elle. Sans leur adresser un regard de plus, la sorcière sortit en trombe des toilettes et fila à l'étage du dessus. Peu de gens se rendaient aux toilettes du deuxième étage, aussi étaient-elles un bon refuge. Sarah entendit des gémissements venant d'une cabine mais, lorsqu'elle s'approcha pour demander si tout allait bien, une voix aiguë hurla « DU BALAI ! » Soucieuse de ne pas froisser l'inconnue, la sorcière alla près des lavabos sans dire un mot. Elle ouvrit difficilement le vieux robinet et frotta du mieux qu'elle put la poche. Des morceaux du caramel se détachèrent petit à petit et la poche redevint noire, le tissu rêche. Elle l'essora et alla l'étendre sur les barreaux de son lit, puis se rendit dans la Grande Salle pour manger.
Dans les cachots, elle croisa Tom Jedusor ; il avait le teint pâle et une ride inhabituelle parcourait son front. Il tenait quelques livres à la main, et avançait d'un pas sec et rapide. Aussi pressés l'un que l'autre, les deux sorciers se bousculèrent et tous les livres du garçon tombèrent à terre.
— Oh, pardon ! s'exclama Sarah, confuse.
Elle se pencha pour les ramasser, et se cogna la tête à Jedusor, qui avait la même intention. Sarah s'excusa à nouveau et eut un petit rire, gênée. Elle récupéra une partie des livres et put lire sur leurs couvertures des titres comme Sorciers du XXe siècle, de A à M, ou bien Sang-pur et vieilles familles. La jeune fille trouva ces goûts quelque peu étranges, mais n'en tint pas compte ; elle tendit la pile de livres au sorcier, il la récupéra et lui murmura un « merci ». Mais à l'instant où leurs yeux se croisèrent, elle les vit. Un cimetière, un chaudron, un homme et... ce garçon. Le sang coula, le chaudron se mit à bouillir...
Sarah retira son regard horrifié des yeux verts du jeune homme et partit en courant vers la Grande Salle.
Le soir, elle décida de chasser cette vision en se plongeant dans la lecture de Dix petits nègres, d'Agatha Christie.
Au petit matin, la jeune fille descendit dans la Grande Salle sans réveiller son amie, toujours accompagnée de son livre. Des personnes étaient invitées sur une île, et l'hôte mystérieux n'apparaissait pas ; peu à peu, on apprenait des choses assez fâcheuses sur chacun des convives... Sarah renversa une tache de confiture sur la page qu'elle lisait.
Après l'avoir essuyée du mieux qu'elle put (elle avait l'impression de ne faire que ça depuis la veille : nettoyer), la jeune fille décida d'interrompre sa lecture le temps du petit-déjeuner.
Elle descendit dans la salle commune et alla mettre sa robe de sorcière, puis elle se rendit à la bibliothèque. Mais lorsqu'elle vit Jedusor qui marchait dans sa direction, Sarah pensa qu'il serait finalement sympathique d'aller rendre visite à Hedwige dans la volière. Elle changea rapidement de direction et se dirigea vers la tour Nord.
La volière était une grande pièce circulaire aux murs de pierre, traversée par de nombreux courants d'air car aucune de ses fenêtres n'avait de carreaux. Sarah entra et glissa sur quelque chose de mou... la paille posée au sol était recouverte de fientes d'oiseaux ! Aux murs et au plafond étaient accrochés de nombreux perchoirs, sur lesquels se tenaient un nombre immense de hiboux et de chouettes.
Sarah regarda bien et avança consciencieusement, son pied craquant de temps à autres sur un squelette de souris. Elle atteignit finalement une longue fenêtre, à côté de laquelle se reposait Hedwige.
— Bonjour, lui murmura-t-elle, comment vas-tu ?
L'animal ouvrit ses yeux couleur d'ambre et articula tranquillement une réponse que seuls ses congénères purent entendre. La jeune fille le caressa doucement, observant au passage les centaines d'oiseaux qui hululaient à travers la pièce. Elle fredonna, d'une voix à peine audible, une chanson entendue la veille.
« If I didn't care, more than words can say...
If I didn't care, would I feel this way ?If this isn't love then why do I thrill ?And what makes my head go 'round and 'round...While my heart stands still ? »
Le vent frais de la fin d'automne soufflait fort, griffant son visage, et les hiboux conversaient bruyamment, mais elle continua inlassablement sa chanson et la termina plus doucement encore qu'elle l'avait commencée, dans un murmure.
« If i didn't care... for you... »
La chanson terminée, elle retrouva brutalement ses esprits : il était bientôt onze heures ! Elle caressa gentiment la tête d'Hedwige et se précipita hors de la volière. En sortant, elle se cogna contre un grand garçon. Une agréable odeur de camomille, légère, s'était répandue dans l'escalier. Sarah s'excusa sans le regarder et continua sa course jusqu'à la salle commune. Elle osa son livre au dortoir et remonta dans le hall à la vitesse d'un Comète 180.
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