Chapitre 7
Ouvrir les yeux me demanda un effort considérable. Mes paupières, tout comme le reste de mon corps, semblaient faites de béton armé et peser des tonnes. La lumière du jour agressa mes rétines et je dus immédiatement retourner à l'obscurité. Je remuais difficilement les doigts, qui rentrèrent en contact avec une couverture rêche. J'attendis quelques minutes, et respirais calmement, avant de retenter l'expérience. Mon regard réussit à s'habituer à la luminosité ambiante lors de ma troisième tentative.
J'étais dans un lit des plus ordinaires, lui-même résidait dans une pièce où la simplicité régnait. Il y avait très peu de mobilier – le lit, une petite commode, et des machines qui ressemblaient à celles des hôpitaux – et le blanc était presque la seule couleur présente. Une odeur d'antiseptiques collait à l'endroit. La seule chose brisant la monotonie de la scène était un tableau, accroché au mur juste en face du lit. Il représentait un ange et un démon en train de se fixer.
Quelle ironie, ne pus-je m'empêcher de penser.
Nul doute, j'étais très certainement dans une salle de repos de l'hôpital Jacques Monod D'Etretat, le plus près de DickerVille, qui ne comportait qu'une clinique privée. Mais la question était plutôt : qu'est-ce que je faisais là ? Mes derniers souvenirs étaient assez flous, je ne me rappelais que de la discussion avec ma mère... Et de la douleur, je me rappelais très bien la douleur.
D'ailleurs celle-ci sembla se réveiller, puisqu'un marteau-piqueur prit place à l'intérieur de ma tête. C'était néanmoins nettement plus supportable que la dernière fois. Je bipais l'infirmière pour lui faire savoir que je m'étais réveillée, en comptant bien que l'on m'explique ce qu'il s'était passé.
Quelques minutes plus tard, ce fût ma mère qui débarqua dans la chambre, affolée et cernée, ainsi qu'accompagnée d'une femme asiatique en blouse blanche qui devait faire partie de l'équipe médicale. Ma mère s'approcha et vint me prendre la main.
« Mon dieu ma chérie tu m'as fait tellement peur !
- Que... Qu'est-ce qu'il s'est passé exactement ? demandais-je.
- Tu ne te souviens pas ?
- Si, enfin non. A moitié on va dire. »
Ma mère se retourna vers la femme qui, après un signe de tête, prit la parole :
« Votre mère a téléphoné aux secours hier soir, après que vous ayez perdu connaissance en hurlant. Nous avons mis une bonne partie de la nuit à comprendre ce que vous aviez. Nous vous avons fait faire une série d'examens qui n'ont rien donné d'alarmant. Votre mère a dit que vous vous êtes plaint d'avoir eu la migraine ?
- C'est exact, j'ai eu extrêmement mal à la tête... Mais, excusez-moi, vous avez dit hier ? Nous sommes mardi ?
- Oui, effectivement, mademoiselle. »
Un jour. Il me reste un jour.
Cette phrase tourna dans mon esprit en boucle. Demain, je m'en vais, je pars, je ne serais plus ici. Maman serra encore plus ma main, comprenant ma réaction. Le médecin reprit son explication, toujours sur un ton calme et professionnel :
« Nous en avons donc déduit que votre corps a eu besoin d'un break, en quelque sorte. C'est comme s'il s'était mis en off, si vous voulez. Cela peut arriver après une très grande dépendance d'énergie, ou un stresse fort. Avez-vous ressenti ça dernièrement ? »
Eh bien, j'étais juste Choisie. J'avais blessé mes camarades, déclenché un ouragan, été viré de mon lycée... A part ça tout baignait ! Je ne savais pas trop ce qui prit de mentir, mais je le fis. Certainement fatiguée de voir la pitié dans le regard des gens.
« Non, rien... Pas que je sache en tout cas. »
Je sentis le regard désapprobateur de ma mère sur moi, mais ne relevais pas.
« Bien, vous êtes apparemment en pleine forme. Vous pouvez partir dès que vous vous sentez prêtes. Si jamais il se passe de nouveau quoi que ce soit, il faudra s'en inquiéter mais pour l'instant ce n'est pas le cas. D'autre patient m'attende, je vous souhaite une bonne fin de journée. »
Je la remerciais, ma mère aussi, et elle sortit de la petite chambre.
« Pourquoi tu n'as pas dit la vérité ? me questionna-t-elle en sortant des vêtements de son sac pour que l'on puisse rentrer le plus vite possible.
- Je ne sais pas trop, avouai-je en enfilant le jean, le bourdonnement dans tête s'atténuant peu à peu, Un ras le bol, la fatigue, le souhait qu'on me regarde normalement... Sûrement un peu de tout ça. »
Après quelques secondes je me rendis compte d'une chose.
« Mais Maman ! Elle n'a pas compris avec ma marque ? »
Elle se pinça les lèvres.
« Elle a disparu depuis hier, quand je suis montée pour t'aider elle n'était déjà plus là. Tu crois que... ?
- Non. Ne te fait pas de faux espoir, la coupais-je, En plus elle ne fait qu'apparaître et disparaitre depuis vendredi soir. Cela ne veut rien dire. »
Elle soupira et, pendant un moment, je m'en voulus d'avoir éteint cette petite lueur d'espoir dans ses yeux. Mais il aurait été cruel de la laisser croire quelque chose d'impossible. J'étais Choisie. Ils ne faisaient pas d'erreur là-bas, et ne revenaient pas sur leur décision.
Nous nous dirigeâmes ensuite vers l'accueil, où on nous fit remplir des tonnes de papiers, avant que l'on puisse enfin partir. J'achetais une viennoiserie à la cafétaria, totalement affamée, en passant. Même si je n'avais pas trop d'idée sur l'heure qu'il était. Peut-être quatorze heures, si on se fiait au soleil qui commençait à pâlir en cette saison. Même s'il n'était jamais bien éclatant en Normandie. Une fois dans la voiture, ma mère posa mon téléphone sur mes genoux en enclenchant le moteur.
« Je me suis permis d'appeler Jim, dit-elle, d'après ce que j'ai compris il t'a bien aidé hier, alors je me suis dit qu'il valait mieux qu'il soit au courant comme ça que par la bouche à oreille et qu'il s'inquiète. »
Elle n'avait pas tort. Mais j'aurais préféré qu'il ne sache rien du tout. Finalement, je lui envoyais un petit message pour lui dire que j'allais bien, et le remercier, encore. Après avoir tapé mon texte, je me résignais finalement à éteindre mon portable. Une conversation de plus avec Jim n'était pas une bonne idée : cela nous aurait fait autant de mal à l'un qu'à l'autre. Et, désormais, c'était le seul qui essaierait de me contacter.
Le trajet jusqu'à la maison se fit en grande partie en silence. Maman respectait le fait que je n'avais pas grande envie de parler. J'étais encore exténuée par ce qu'il s'était passé. De plus, nous n'avions pas quelque chose de pertinent ou réjouissant à dire, puisqu'aucune de nous deux n'avait vraiment de réponse à tous ces évènements. Plus les jours passaient, moins la phrase « Je suis Choisie » me suffisait pour contenter toutes les questions se battant à l'intérieur de ma tête. Enfin, l'électrochoc eut lieu et je m'écriais :
« Mon dieu Maman où est Tommy ?!
- Calme toi Angie, je ne l'ai pas laissé à la maison. Tu me prends pour qui ? répondit-elle en tentant d'être vexée, mais je voyais très clairement sur son visage que la situation l'amusait, Il est avec tes grands-parents. Ils devaient arriver hier soir au dîner, pour te faire une surprise. Finalement, ils ont débarqué au moment où l'ambulance t'emmenait, alors je leur ai laissé ton frère. Il était déjà assez secoué comme cela. »
Je poussais un soupir de soulagement. D'habitude, quand ma mère avait une urgence au cabinet et j'étais indisponible, elle faisait garder Tom par notre voisine : Madame Brendford. Une femme quelque peu spéciale... Mon petit frère la prénommait « l'affeuse socièe » et lui arrivait même d'en faire des cauchemars. Elle ne le traitait aucunement mal, mais il était vrai qu'entre son physique et son « manoir » nous étions en droit de nous poser des questions sur ses activités de loisirs... Même à moi, du haut de mes seize ans, elle me faisait peur.
Maman répétait souvent qu'on accordait trop d'importance aux apparences, elle n'avait certainement pas tort...
« Les quatre ? questionnais-je. »
Elle hocha la tête sans quitter la route des yeux. Papa avait déjà eu un accident à ce carrefour.
« Merci Maman, de t'être occupée de tout. Je les avais oubliés, avec le reste. Cela me fait vraiment plaisir de les voir. Tom... Il ne va pas trop mal ? Comment il prend ce qu'il se passe, il se doute de quelque chose ? »
Elle me rassura en disant qu'il allait bien, qu'il était trop jeune pour comprendre, et qu'il fallait laisser les enfants dans leur monde d'innocence, mais je ne fus pas dupe. C'était déjà très dur pour lui de voir sa sœur embarquée par les pompiers, je n'imaginais même pas le moment où il se rendrait compte que je ne rentrais pas un soir. Ni le lendemain. Encore moins celui d'après. C'était encore ma mère qui devrait s'occuper de tout ça... Je m'en voulais de lui laisser ce poids.
On finit par arriver à la maison. Il s'étais mis à pleuvoir, et il faisait froid, beaucoup trop pour un mois de septembre. Même en Normandie.
Mais, à peine passé le pas de la porte, la chaleur et l'odeur se dégageant du salon me mirent du baume au cœur. Sans ouvrir mon blouson, je me délectais de la scène qui s'offrait à moi. Ma Christine accompagné de Papy Henri s'étaient assis autour du plan de travail dans la cuisine, ils s'affairaient aux fourneaux (il ne fallait pas demander aux deux autre dans ce domaine : ils étaient une catastrophe). Grand Pa Archie et Mamie Rose, quant à eux, soutenaient apparemment Tommy dans une bataille playmobil – il y en avait littéralement partout – qui avait l'air on ne peut plus sérieuse. Quelqu'un avait fait un feu dans la cheminée, et Christine avait mis en fond un de ses CD de jazz. Je ne pensais pas avoir été un jour aussi heureuse de les voir.
Toute cette joyeuse assemblée constata finalement notre arrivée et se ruèrent sur moi pour m'embrasser et me demander si j'allais bien. Je leur fis le compte rendu du médecin et demandai hésitante :
« Maman vous a prévenu pour... enfin, pourquoi vous êtes là...
- Ne t'inquiète pas trésor, nous savons tout ! déclara un de mes grands-pères en me souriant, compatissant.
- Oui, et nous comptons bien profiter de toi ! renchérit l'autre. »
Malgré tout ce bonheur, je ne pus empêcher une larme de rouler sur ma joue. Je pensais n'avoir jamais autant pleurer en aussi peu de temps. La nostalgie m'envahit, une autre perle salée vint rejoindre sa sœur pour faire la course sur mon visage. C'était la dernière fois, la dernière, que je les voyais. Demain, je devrai tous les quitter. Ma mère, mes grands-parents, mon frère. Mon dieu Tommy... En l'observant jouer ainsi, je ne pouvais que faire la liste de tout ce que j'allais rater. Son entrée au collège, sa première copine, la première fois que je lui dirais d'arrêter de jouer aux jeux vidéo, la première fois qu'il me demandera de l'aider pour ses devoirs... Tout, j'allais absolument tout manquer. Il avait six ans, seulement six ans. Dans dix ans, ils ne se rappellerait certainement plus de moi.
« Oh, ma chérie, dit Christine en me prenant dans ses bras, Ne pleure pas trésor, tu es plus forte que ça. »
C'était la plus grande et la plus mince de mes deux grands-mères. Elle portait un tailleur framboise et avait laissé ses longs cheveux gris pendre dans son dos. Elle était la mère de mon père, celle qui avait le plus perdu, celle qui avait le plus souffert. Je la comprenais, c'était aux enfants d'enterrer leurs parents et non l'inverse.
« Ta mère nous a raconté que tu faisais preuve d'un courage et d'une force exceptionnelle, continua Rose. On est tous très fiers de toi. »
Elle était tout le contraire de sa grande amie. Un peu plus ronde et un peu moins grande, elle n'en restait pas moins une belle femme. Elle avait revêtu une robe blanche avec des motifs en forme de fleurs, ses cheveux formaient un carré très volumineux et on pouvait encore y apercevoir quelques reflets de brun. Les deux femmes étaient différentes mais se comportaient comme des sœurs.
Je reniflais, et séchais mes yeux avec la manche de mon sweat, qui finit dans un sale état. Christine me glissa alors dans l'oreille, et je fus sûrement la seule à l'entendre :
« Ton père le serait aussi, il serait fier de sa grande fille. Et il continuera de l'être encore longtemps, je le sais. »
C'était le plus cadeau qu'elle pouvait me faire.
***
Cet après-midi et cette soirée furent les meilleures de toute ma vie, je n'avais pas de doute là-dessus. J'avais profité, ayant même réussi à oublier pendant quelques heures la Sélection et le Délais. Après avoir terminé la bataille du « Gand Dagon » avec Tom, nous avions tous participé à la préparation du repas, comme si c'était Noël. De mon côté, je m'étais occupée du dessert et j'avais été surprise que, à la dégustation, ma forêt noire improvisée soit une réussite gustative. On avait aussi eu le droit au poulet à l'orange de Maman, un vrai délice. Mamie Rose avait alors insisté pour ressortir les vieilles cassettes et, finalement, on avait bien ri. Nous avions parlé, nous nous étions remémorés, nous avions passé un agréable moment, tout simplement.
Malheureusement, mes grands-parents avaient dû repartir après dîner. Même s'ils habitaient assez loin, ils ne pouvaient pas rester plus longtemps. C'était d'ailleurs moi qui avais insisté pour qu'ils repartent. Maman m'avait appris que demain se tenait l'enterrement d'Emile, l'un de leur plus cher ami, qu'ils avaient en commun. J'avais donc refusé qu'ils restent pour moi, sachant que je ne serais peut-être plus là le matin. Les adieux avaient été longs, et probablement baignés de larmes pour tout le monde. Mais je m'étais vite éclipsée, souhaitant rester sur une image rayonnante de bonheur, et non pas pleurant à chaudes larmes.
Là, à l'instant, j'étais étendue sur mon lit, telle une magnifique étoile de mer sur un rocher au soleil, incapable de trouver le sommeil. Je ne savais pas trop si c'était à cause de ma nuit forcée à l'hôpital ou le stresse de demain mais, dans tous les cas, pas moyen de m'endormir. Cela faisait déjà deux heures que je tentais, sans grand résultat. Je fixais le plafond blanc, en soupirant. Enfin, je décidais de me lever. Autant rentabiliser le temps qu'il me restait. Je buttais alors dans quelque chose de dur. Je jurais le plus bas possible, et mon regard se posa sur la cause de mes souffrances : la valise que j'avais ouverte avant de me coucher, sans avoir eu la force de la remplir.
Avais-je ne serait-ce que le droit d'emporter des affaires ? Me les laisserait-on ? Je n'en savais rien.
Aurai-je besoin de vêtement ? Ou fallait-il que je prenne uniquement des souvenirs ? Je n'en savais rien.
Mes pensées divaguèrent vers d'autre questions que j'avais jusqu'ici ignoré. Mais, à cette heure, en ce jour, elles étaient d'actualité plus que toutes les autres.
Quand se passerait mon départ, cette nuit, demain matin, demain soir ? Comment se passerait-il ? Je n'en savais rien.
L'Arabesquine allait-elle venir me chercher, ou quelqu'un d'autre ? Devrai-je aller dans un endroit précis ? Je n'en savais rien.
J'avais l'impression de ne rien savoir, et c'était la pire sensation du monde. J'étais ignorante dans une situation qui me concernait pourtant plus que personne d'autre. C'était mon avenir, mon futur, et je n'en savais rien. Il y avait de quoi devenir folle.
Finalement, mes mains se saisirent de quelques objets importants à mes yeux. Des photos développées il y a peu, représentant ma famille, et une ancienne de Papa, une de Jim, mon bocal de sable libyen, cadeau qui était revenu en même temps de que la boîte en bois et les hommes en uniformes sonnant à la porte. En fouillant dans une de mes commodes roses, je trouvais aussi ma première bouteille de parfum, désormais vide, elle comptait beaucoup pour moi. Un petit bric à brac d'objet se forma ainsi dans la valise grise. Un patchwork de chose, toutes rappelant un souvenir.
Cela me prit quelques minutes, ou quelques heures, j'avais totalement perdu la notion du temps. Mes yeux étaient certainement vides, partis loin, rejoindre des anciennes parts de ma vie.
Tout ce que je savais c'était que, quand je revins à la réalité, le soleil pointait le bout de son nez. Je n'avais pas dormi du tout, mais je ne me sentais pas fatiguée pour autant, simplement hagard, comme vidée de toutes émotions. Je fermais la valise, maintenant presque pleine, et zippais les fermetures. Ensuite, je me dirigeais vers la fenêtre et constatais que la météo était toujours décidée à refléter à merveille mes émotions. Le ciel blanc, sans aucun nuage, avait, semblait-il, laissé tomber un voile recouvrant les alentours. Un brouillard épais stagnait à l'extérieur.
Un rapide coup d'œil à mon réveil m'indiqua l'heure : sept-heure et une minute.
Je passais dans la salle de bain, une dernière fois. Les douches existaient-elles là où je me rendais ? C'était le genre de questions stupides qui m'accompagnèrent tout au long de la journée. Certaine fois, elles étaient plus sérieuses, mais l'ensemble restait de toute manière sans réponse.
Maman avait fermé le cabinet, et annulé ses rendez-vous aujourd'hui. Un sourire soulagé illumina son visage quand elle me vit, je ne pus que lui rendre. Mais cela me fit une ligne à rayer mentalement : mon « enlèvement » n'aurait pas lieu ce matin. Du moins pas toute de suite. La matinée se passa aussi normalement qu'elle le pouvait, mais une atmosphère assez pesante rodait dans la maisonnée. Je vis ma mère sécher des larmes plusieurs fois.
Puis le temps passa. Les secondes, les minutes, les heures. Le soleil monta haut dans le ciel, tout en restant palot, puis redescendit. Et il ne se passa rien. Pas d'apparition bizarre, pas de mal de tête, pas de voix, absolument rien. C'était encore pire que tout ce que j'avais imaginé. Cette attente, ce stresse, cette impression de vide. C'était horrible à avouer, mais je sentais qu'une partie de moi avait envie de partir, d'embrasser pleinement le monde Immortel, quel qu'il soit, et de sentir encore une fois cette chose couler dans mes veines, cette impression de puissance. Cela me faisait peur. L'autre partie de moi, la partie bien humaine, la partie petite fille apeurée, n'avait qu'une envie : se cacher sous sa couette et y rester pour l'éternité.
Dix-huit heures sonnèrent. Ma mère, assise dans un fauteuil du salon, sursauta. Je me levais d'un coup, comme sur un ressort, et montais l'escalier. J'avais pris une décision. Il ne servait à rien que je reste, je me faisais du mal à moi, et je faisais du mal à ma mère. Cette attente devait cesser.
Ma place n'était plus ici.
Ma valise dans une main, je contemplais ma chambre. Mon esprit était un ouragan de souvenirs, bon et mauvais, mais je secouais la tête. Il fallait que je me concentre. Vendredi soir, vers dix-neuf heures environ, l'Arabesquine m'avait annoncé que je disposais de cinq jours. Si on était logique, le Délais prendrait fin aujourd'hui vers dix-neuf heures. Je ne savais pas comment le transfert allait se passer. Je ne voulais pas que ma mère voie ça. Je voulais l'épargner. Cette fois-ci, elle n'entendrait pas la sonnette. Elle n'ouvrirait pas la porte. Elle ne demanderait pas ce que désireraient deux hommes avec leur béret dans les mains et l'air attristé. Je refusais qu'elle revive ça, surtout avec deux Immortels lumineux à la place.
« Maman ? dis-je une fois postée devant elle.
- Chérie, qu'est ce que tu fais avec une valise ? questionna-t-elle innocemment en levant les yeux.
- Il faut... Il faut que j'y aille, que je parte. Je sais très bien ce à quoi tu as pensé toute la journée, cela m'a traversé l'esprit aussi. Ils m'ont peut-être oublié, ils ont changé d'avis. Mais les gens dont nous parlons ne font pas d'erreurs. Tu le sais aussi bien que moi. Et... Je ne sais pas comment tout ça va se passer, alors... Je préférerais être seule. Me voir partir ne te ferait que du mal, et c'est tout le contraire de ce que je souhaite Maman. Je veux que tu sois heureuse. »
Elle se leva, avança de quelques pas, et éclata en sanglot. Je ne l'avais jamais vu pleurer autant.
« Je ne veux pas te perdre, gémit-elle, je ne peux pas te perdre. »
Ce fût à mon tour de me laisser aller au désespoir et à la tristesse pure.
« Je sais... J'suis désolée Maman...
- Chuuuut, arrête de t'excuser... »
Elle reprit un peu contenance, posa ses mains sur mes joues, et planta son regard vert dans le mien.
« Ma fille, mon bébé, mon amour, je ne t'oublierais jamais, je te le jure... Je t'aime plus que tout au monde. Va, part, trouve ta place là-haut et vis. Vis, et sois heureuse. Ce serait le plus beau cadeau que tu pourrais me faire... »
Elle m'embrassa, et me prit dans ses bras. Je m'imprégnais de tout : son image, son odeur, sa voix.
« Je t'aime Maman
- Moi aussi mon cœur, moi aussi... »
Ma mère me relâcha et je pus alors me tourner vers Tommy, debout dans le couloir, encore un dinosaure dans la main. Le bruit avait dû l'attirer. Il semblait perdu. Je m'arrêtais devant lui, et me mis à sa hauteur. Maman lui expliquerait, plus tard, quand il serait en âge de comprendre. De comprendre pourquoi sa grande sœur avait dû partir, pourquoi elle avait dû les abandonner.
« Sois un sage petit garçon, lui dis-je en souriant, je t'aime mon bébé. Je ne t'oublie pas bonhomme. Tu me promets d'obéir à Maman ? »
Il hésita, ne comprenant sûrement rien à la conversation, mais déclara finalement :
« Pomis. »
Je le reposais, ébouriffais un peu ses cheveux blonds et m'avançai vers la porte. Voilà, j'y étais... Je ne mettrais plus jamais les pieds ici. Jamais. C'était la dernière fois.
Je pris mon courage à deux mains et empoignais la porte, sortant dans la nuit sombre, sans me retourner. Sinon je n'aurais pas pu partir.
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