Chapitre 5
Mêmes les plus petits bruits s'étaient tus, et le réfectoire entier s'était tourné vers nous, sûrement dû à mon crie de surprise. L'eau était froide, je la sentais dégouliner du haut de mon corps jusqu'à par terre imbibant d'abord la plupart de mes affaires. Je secouais les mains, choquée. Emily était rouge de honte, elle reposa le pichet le plus discrètement possible sur la table. Puis, elle attrapa les serviettes qui trainaient sur notre table, avant de faire le tour de la table pour me rejoindre, tout ceci en moins d'un quart de seconde. Une fois devant moi, toujours ahurie parce qu'il venait de se passer, elle commença à bafouiller des excuses dans tous les sens. Apparemment, elle était très gênée.
« Sincèrement, je suis désolée... Je visais Thomasse, dit-elle de sa voix haut perchée en lançant un regard noir au principal concerné qui s'était éloignée de moi comme si j'avais la peste. »
Ouais ma vieille, mettre la honte, embarrasser la meilleure amie de Katryn n'était peut-être pas l'idée du siècle, pensais-je.
Sans que j'aie le temps de réagir une fois de plus, elle prit les serviettes et débuta à me sécher en frottant mon visage. Affolée - elle allait découvrir ma marque - je la repoussais d'abord gentiment :
« Non, c'est bon ne t'inquiète pas. Ce n'est pas grave. Je vais me débrouiller.
- Nan, vraiment, laisse-moi t'aid-
- ARRETE ! hurlais-je en me relevant, totalement paniquée. »
Au moment même de mon geste, Emily fût projetée par-dessus la table à l'autre bout du self, et se tapa la tête contre la baie vitrée dans un bruit peu rassurant, comme si elle avait été frappée par un immense coup de vent. Dans les quelques secondes de battements qui suivirent, elle ne bougea pas. Thomasse et Casille Alen furent les premiers à se précipiter vers elle, pour voir son état. J'émergeais alors et fixais mes mains. C'était... Était-ce moi qui avait fait cela ? Je n'eus pas le temps d'y penser plus longtemps car Kate me coupa. Elle s'était levée elle aussi, et passais la main dans ses cheveux.
« Angie, mais qu'as-tu donc sur le visage ? demanda-t-elle suspicieusement. »
Oh mon dieu, ma marque était visible ?! Le cauchemar ! De nouveau, tous les visages se tournèrent vers moi, cette scène divertissant apparemment bien les élèves. Décidément, je n'avais pas mon mot à dire car quelqu'un répondit encore à ma place. Un garçon roux, qui devait être en seconde s'était aussi mis debout. Je priais intérieurement pour qu'il ne dise pas la vérité. Il semblait pétrifié mais parla tout de même :
« Je sais ce que c'est ! C'est la marque des Choisis, celle de la Sélection. Ma cousine avait la même avant de partir ! »
Il termina son petit discours en me pointant du doigt. Personne ne réagit. Mais un rire ironique, presque fou résonna dans le réfectoire. Tout s'enchainait tellement vite que je ne comprenais plus rien... Je tournais ma tête vers Kate, ses yeux verts brillaient d'une lueur que je ne lui connaissais pas.
« Toi, Choisie ? Dis-moi que c'est une blague ! Comment peux-tu l'être ? Tu n'as rien d'exceptionnel, tu n'es rien ! Ça devait être moi ! Je devais l'être ! Je le mérite, espèce de sale garce ! Comment j'ai pu ne serait qu'hésiter avant de te piquer « ton » Harry ?! »
Plus elle parlait, plus ses mots étaient crachés avec une haine immuable et irrationnelle. Alors... Elle et Harry ? Jamais je n'aurais pu ... - Si, bien sûr que si, j'aurais pu imaginer. Je le savais depuis qu'ils étaient arrivés ce matin, depuis qu'elle ne m'avait pas fait la morale vendredi soir (puisque c'était elle qui avait demandé à Harry de me quitter, tout comme c'était elle qui lui avait demandé qu'il sorte avec moi). Je savais, mais je ne voulais pas me l'avouer. Elle écarquilla les yeux en se rendant compte qu'elle venait de se vendre toute seule. Mes yeux se posèrent sur Harry : il fixait ses pieds, mort de honte, l'honneur bafoué. C'était officiel : Harry Celvons serait considéré comme un caniche manipulable désormais. Mais ça ne me suffisait pas. Non. Contrairement à ce que je pensais, aucune douleur ne vint se nicher dans mon cœur. Seulement de la colère, et de la haine, noire et pure, incontrôlable. Mon regard termina son chemin sur Jim, un air désespéré et trahi sur le visage, il me faisait de la peine, lui il aimait vraiment Katryn.
D'un coup ce fut comme si tout explosait en moi. Tout ce que j'avais retenu depuis le début de ma vie. Je sentis quelque chose ruisseler au travers de mon corps, semblable à une colère liquide me rendant surpuissante.
Lâches, Lâches, Lâches.
Faibles, faibles, faibles.
Vengeance.
« Et c'est moi que tu traites de garce ? Si tu me connaissais un tant soit peu, tu saurais que je n'ai jamais voulu être Choisie ! Tu veux ma place ? Je te la laisse volontiers ! Je sais que tu es jalouse de quiconque te dépasse, je sais que tu n'as jamais aimé personne, je sais que tu passes ton temps à manipuler tout le monde pour obtenir toujours plus. Cite-moi une seule chose qui t'importe vraiment, à part ton image, ta réputation, tes codes ?! »
Mes bras tombèrent sur les côtés, et mon corps sembla se tendre d'un coup. Une bourrasque de vent semblable à celle ayant projeté Emily secoua le réfectoire. Deux, puis trois, avant qu'un véritable ouragan se déclenche à l'intérieur du bâtiment. Des choses commencèrent à s'envoler, percutant d'autres. J'aurais pu arrêter. Mais je n'en avais pas envie. Je voulais qu'ils souffrent, qu'elle souffre autant que moi j'avais souffert.
« As-tu la moindre idée ce que ça fait de choisir entre LA MORT et la ABBANDONNER SA FAMILLE ?! »
La tempête monta encore d'un cran, soulevant des tables et des chaises. Les élèves se mirent à hurler, se protégeant comme ils le pouvaient. Moi, j'étais ailleurs. Je ne voyais que ce qui me plaisait : le visage pétrifié de terreur de Katryn.
Pas assez, pas assez.
Plus, pluuuuus.
C'était comme si une personne avait pris possession de mon corps, une personne plus dangereuse, une personne plus en colère encore.
« Moi je vous le dis, cette fille est folle ! cria la traitresse. »
Tu aurais dû te taire.
Ma tête commençait à tambouriner, je distinguais mal les choses, perdait la notion du temps, des faits. Je poussais un cri, et les verres éclatèrent tous en même temps, ainsi que la grande baie vitrée, avant de former un essaim que je dirigeais vers la fille. Katryn poussa des hurlements de douleur quand les éclats s'attaquèrent à elle, la tailladant de tous les côtés, son sang goutant peu à peu sur le sol immaculé. Une grande satisfaction malsaine prit racine dans mon cerveau.
Encore, encore, encore.
« KAAAAATE, vociféra le traitre. »
Je me retournais d'un coup, et plantais mon regard dans celui qui avait osé m'interrompre. Harry, ses cheveux bruns collés à son front par ce qui semblait être un reste de soupe, s'était à moitié levé. Si on y prêtait attention, on pouvait distinguer le tremblement de ses mains, l'éclair de peur dans son regard, d'incompréhension. Est-ce moi qui faisait peur à voir ?
Oui.
Mon moment d'inattention fut éradiqué par toutes les journées que j'avais passé avec lui. Pendant que cet ouragan balayait avec rage ce qui tenait encore debout dans la pièce, pendant que les cris redoublaient autour de moi, je pensais à tout ce que j'avais perdu à cause d'eux, à cause de lui. Encore une fois, je ne ressentis rien d'autre que la haine.
Mes pupilles se plantèrent à nouveau dans les siennes. Il tomba alors à genoux, en hurlant. Mes points se serrèrent un peu plus. Il se tortilla sur le sol, se déchirant les cordes vocales. Mes ongles s'enfoncèrent dans ma chair. Ses yeux roulèrent dans leur orbite, sa voix se brisa.
Encore un peeeuuuu....
Juste avant qu'il se tût, ce fut à moi d'avoir mal. Mal, comme jamais. Ma tête sembla se fendre en deux, mon esprit se perforer de millions de trous. Je relâchais la pression sur mes points, en même temps que mon corps entier se tendait comme un arc. Je poussais à mon tour un hurlement. Ce fut le noir complet pendant une seconde de douleur intense, pire que toute celle que j'avais déjà ressentis. Mon esprit sembla se perdre à l'intérieur même de celui-ci. Je criais encore, et tombais à genoux. Vide. Toute la haine s'étant envolée.
***
Jim
« Toi, Choisie ? Dis-moi que c'est une blague ! Comment peux-tu l'être ? Tu n'as rien d'exceptionnel, tu n'es rien ! Ça devait être moi ! Je devais l'être ! Je le mérite, espèce de sale garce ! Comment j'ai pu ne serait qu'hésiter avant de te piquer « ton » Harry ?! »
Alors, comme ça, elle me trompait. Tu t'attendais à quoi mon vieux ? Tu le savais depuis ce matin, si ce n'était avant. Néanmoins l'entendre de sa bouche, c'était autre chose. A ce moment-là, je ne pus m'empêcher de me demander quel sens avait cette vie que je menais depuis trop longtemps maintenant. Ma copine n'avait aucun scrupule, celui que je considérais jusque là comme mon meilleur ami, bien que je désapprouve sa conduite avec Angie, était finalement un enfoiré de première. Si j'avais un jour déjà pensé que Kate me mentait en me disant « je t'aime », jamais je n'aurais pu imaginer qu'elle le clame en réalité à Harry. Bien sûr que je savais qu'elle avait des défauts, qui n'en avait pas ? C'était ce qui faisait son charme, sa perfection qui n'en étais pas une. Ses petits secrets, ses mystères. Mais je ne pensais pas à ces mystères. Du moins, j'essayais.
Angie, bouche bée, fixa tour à tour Katryn, Harry, puis moi. Elle sembla soulagée en découvrant que je n'avais pas l'air dans le coup. Je n'avais pas été le meilleur des amis pour elle, notre relation était presque absente, mais je n'en étais pas à comploter dans son dos non plus. Je l'appréciais, et j'avais de la peine pour elle. Que ce soit pour son père, sa situation au bahut (qui, clairement, ne lui convenait pas), sa relation avec « mon frère » (elle avait toujours mérité mieux que cette espèce de faux-couple orchestré par personne d'autre que mon ex-copine elle-même). Je m'en rendais compte maintenant, en voyant le désespoir danser au fond de ses prunelles vertes, qui étaient déjà troublées par l'incident Emily. Tout ce qui se passait n'avait vraiment aucun sens en fin de compte... Il se passait trop de choses à la minute pour pouvoir formuler une pensée cohérente.
Mais son expression se durcit d'un coup. La colère vint remplacer la tristesse en un quart de seconde. Cela ne lui ressemblait pas.
« Et c'est moi que tu traites de garce ? Si tu me connaissais un tant soit peu, tu saurais que je n'ai jamais voulu être Choisie ! Tu veux ma place ? Je te la laisse volontiers ! Je sais que tu es jalouse de quiconque te dépasse, je sais que tu n'as jamais aimé personne, je sais que tu passes ton temps à manipuler tout le monde pour obtenir toujours plus. Cite-moi une seule chose qui t'importe vraiment, à part ton image, ta réputation, tes codes ?!, scanda-t-elle. »
Elle marquait un point, et l'expression faciale de Katryn - le choc mélangé à l'indignation superficielle - était plutôt délectable, sans vouloir se mentir. Par contre, quelque chose me dérangeait dans l'air ambiant, dans la lueur de haine présente dans les yeux de la blonde. Cela ne sentait pas bon, surtout avec ce que l'on venait de voir juste avant. Je savais ce qu'elle avait fait, je connaissais ça, je savais jusqu'où cela pouvait aller. Il ne fallait pas.
Je ne pus réagir que des bourrasques de vent firent leur apparition. Un peu plus puissante à chaque seconde, faisant voleter les cheveux longs et s'envoler les serviettes en papier à l'origine de cette situation qui dégénérait. Angie était bien Choisie, c'était certain.
« As-tu la moindre idée ce que ça fait de choisir entre LA MORT et la ABBANDONNER SA FAMILLE ?! »
La tempête intérieure monta encore d'un cran. Plus ça allait, plus c'était la panique. Tout le monde courait dans tous les sens, se réfugiait là où il pouvait pour éviter les chaises volantes ou les fourchettes assassines. Angie avait désormais le regard fixé uniquement sur Katryn, elle aurait pu la tuer d'un seul coup d'œil.
« Moi je vous le dis, cette fille est folle ! cria Katryn avec, pour une fois, une peur non exagérée. »
Mais ce n'était pas la bonne chose à dire, vu l'état d'Angie. D'un coup, tous les verres du bâtiment se brisèrent, y compris la fenêtre occupant un pan du réfectoire. J'étais resté stoïque jusque là mais je ne pus m'empêcher de reculer derrière un poteau pour échapper aux éclats. J'entendis alors des cris aigus : Kate. Je sortis de ma cachette, de sorte à apercevoir ce qu'il se passait.
Les éclats de verre s'acharnaient physiquement sur le corps de la jeune femme. Ses vêtements étaient lacérés, sa peau entaillée, un liquide foncé se répandait de plus en plus vite sur le carrelage. La panique me prit. Elle redoubla quand je m'aperçus que mon corps semblait être pétrifié : je ne pouvais aider personne. Mes yeux, libres eux, cherchèrent mon amie du regard, mais ils ne la trouvèrent pas.
A la place d'Angie semblait se tenir quelqu'un d'autre, quelqu'un dont la haine irradiait littéralement. Ses yeux, d'habitude si clairs, étaient désormais noir encre. Et, mon dieu, la racine de ses cheveux paraissait faire de même. Sur les coins de sa bouche perlait un petit sourire malsain. Sur le coup, j'eus peur moi aussi. Pour moi, pour Katryn, pour les autres élèves, mais surtout pour Angie. Pour elle, cela n'avait jamais été aussi loin. Harry, en abrutit qu'il était et serait toujours, ne put s'empêcher d'extérioriser sa pensée en hurlant le prénom de Kate. Je poussais un soupir de soulagement quand ses hurlements à elle cessèrent, mais grimaçais de nouveau quand les siens retentirent. La créature, je refusais de croire qu'Angie était cette chose, s'était retournée et serrait les poings tout en fixant le nageur, un sourire sadique s'épanouissant désormais totalement sur ses lèvres.
Jamais, au grand jamais, Angie Seven ne se serait réjouie de la souffrance de quelqu'un. Encore moins si c'était elle qui la provoquait. Mais la chose, si.
J'assistais impuissant à la torture de Harry, totalement incapable de ne serait ce que bouger le petit doigt. Au fil des secondes, il pâlit, pendant que moi je me glaçais intérieurement. Allait-elle... Non, elle ne pourrait pas faire ça. Ses hurlements se turent, et je crus que je venais d'assister à la mort de mon meilleur ami. Les histoires de tromperies adolescentes s'étant envolées de mon esprit. Mais ce fût autour d'Angie de crier, elle aussi de douleur. Est-ce que ça allait un jour cesser ? Voir les autres souffrir sans rien faire était insupportable ! Je serrais les dents.
Angie se tenait la tête, la bouche ouverte en un hurlement muet. Puis, son corps se raidit et quelque chose semblable à une petite aura noire semblable s'exfiltrer de son corps. Finalement, elle hurla de nouveau, dans un son déchirant, à faire s'évanouir n'importe qui, et la fumée disparut à nouveau à l'intérieur d'elle. Elle tomba alors comme une poupée de chiffon, et tout s'arrêta. Mon corps se débloqua.
Tout le monde était tellement secoué par les évènements que personne ne bougea les premières minutes. Angie, alerte, regardait autours d'elle, constatait ce qu'elle venait de faire. Une larme roula sur sa joue.
« Oh mon dieu, couina-t-elle ».
Elle fondit en larme et partit en courant par la première issue de secours à sa portée.
Moi j'étais le seul debout, comme un con, à ne pas savoir quoi faire. En plein milieu du self, en plein milieu de la panique.
Il fallait que je la retrouve.
***
Angie
Mes larmes brouillaient ma vue et coulaient à flot. Je ne voyais plus rien, rien de ce qui était devant moi, je me prenais les murs, percutait quelques adolescents qui avaient échappé à ce qu'il venait de se passer. Les images qui dansaient devant mes pupilles n'étaient pas les bonnes. Je ne me souvenais que du sang de Katryn coulant sur le sol blanc, des hurlements de Harry et la façon dont il s'était recroquevillé par terre.
Au hasard, je tombais sur une porte au fin fond d'un couloir isolé, l'ouvrais et me refugiais à l'intérieur. Je trébuchais à cause de mes tremblements qui ne voulaient pas se stopper et me retrouvais donc face contre les dalles. Un sanglot m'échappa. J'étais littéralement en état de choc. Aucune de mes pensées n'avaient de sens.
Était-il mort ? Était-elle gravement blessée ? Y en avait-il d'autre que j'avais mis en danger ?
Comparé à tout à l'heure, aucune satisfaction n'accompagna cette idée : seulement de la peur, mêlée à une culpabilité infinie qui semblait vouloir perforer chaque organe de mon corps pour me rappeler à quel point ce que j'avais fait était mal.
Mais qu'avais-je fait ? Tout était si flou, si incompréhensible, comme si j'avais assisté à la scène sous les yeux d'une autre. Je ne pouvais pas avoir fait ça. Ce n'était pas moi. Je refusais d'y croire. Il y avait tellement de choses anormales dans me vie en ce moment, trop de choses auxquelles je refusais de croire. Néanmoins, ça, ça ne pouvait pas être moi.
Après quelques minutes qui ressemblèrent à une crise d'angoisse et où il me fallut lutter pour rester saine d'esprit, je pus me relever. Du moins, m'asseoir contre une armoire. En observant les lieux, je constatais que j'avais atterris dans un débarras, ou une sorte de placard à balais. Cela sentait forts les produits d'entretien mais c'était bien le dernier de mes soucis. Je remontais mes genoux contre ma poitrine et plongeais la tête dans mes bras en soupirant. Personne ne viendrait me chercher ici.
A peine eussé-je formuler cette pensée que la porte s'entrouvrit. Je relevais la tête, alertée. Le Directeur ? La police ? Ou les agents du département spécial « accident » (cela devait bien exister) ?!
« C'est Jim, Angie. Je peux entrer ? Je ne veux pas te faire de mal. »
C'est plutôt moi qui risquais de lui en faire, songeais-je.
« Va-t'en, croassais-je de manière très peu crédible. »
Il pénétra finalement à l'intérieur de la toute petite pièce et se planta devant moi, en évitant de justesse le balai qui m'avait fait tomber il y avait quelques minutes.
« Non. Tu ne devrais pas être seule, pas maintenant, pas avec ce qu'il vient de se passer, dit-il sincèrement, il n'y avait ni pitié ni peur dans ses yeux, seulement de la compassion. »
« Qu'est-ce que tu veux ? répliquais-je en tentant l'indifférence. »
Ce qui échoua lamentablement. Il sourit en entendant mon ton. Il avança de quelques pas, s'assis, et s'adossa à un placard à coté de moi.
« Tu veux bien arrêter de jouer la comédie avec moi ? D'un, tu n'es vraiment pas douée, de deux, je suis de ton coté : je ne savais pas pour eux deux, de trois je suis là pour te soutenir.
- Mais pourquoi ? Ce n'est pas moi qui devrais être soutenue ! Bordel tu as vu ce que je viens de faire ?
- Tu préférerais que je sois au chevet de mon ex-petite copine qui m'a trompé, ou dans la salle d'attente d'un hôpital en train d'attendre mon pseudo-meilleur ami qui m'a trahi en se tapant ma petite amie ? Je pense que tu es celle qui mérite le plus de soutient, après tout, tu n'as pas choisi le fit d'être Choisie. »
J'allais le remercier mais quelque chose me frappa dans son discours.
« Ha-Harry est à l'hôpital ? demandais-je.
- Oui. Mais il s'en remettra, c'est ce qu'ils ont dit. Sa vie n'est pas en danger. Il lui faudra éviter les efforts physiques, c'est tout. Fini la natation pour un petit temps, pour le « champion de DickerVille ». Ne te sens pas coupable pour ça. »
Impossible. La culpabilité me rongeait déjà. Je m'étonnais d'ailleurs de voir Jim aussi calme en m'annonçant ça, il était plutôt du genre pacifique en temps normal. Mais nous n'étions pas en temps normal.
« Et Kate ? questionnais-je en redoutant la réponse.
- L'Abrutit lui a sauvé la vie en gueulant. Ça a détourné ton attention, alors elle n'a que quelques égratignures. Néanmoins, on verra ce qu'elle pensera des cicatrices blanches qui orneront son corps et son visage pour quelques années. Elle est quand même rentrée chez elle pour « fort traumatisme ». Tu la connais, elle en a fait des tonnes. »
Je restais stoïque devant les révélations de Jim. C'était horrible : j'avais causé des dégâts physiques à ma meilleures amie, des marques qui resteraient pendant des mois !
Ex. Ex-meilleure amie, ne pus-je m'empêcher de rétorquer intérieurement.
« Angie ça va ? demandât-il en me secouant légèrement l'épaule. Tu as l'air ailleurs.
- Non, c'est juste que... Tu parles de ça, tu me racontes tout ça avec une telle froideur... D'habitude tu es si compatissant. »
Il fronça les sourcils.
« C'est vrai. Ce qu'il s'est passé n'est pas quelque chose de moralement bien, et personne ne devrait s'en réjouir. Mais je ne vois pas pourquoi je devrais m'inquiéter pour des gens qui ne se sont jamais inquiétés pour moi. Puis, jusqu'ici je pense que tu n'as toujours vu que la meilleure partie de moi... Kate et ses règles, cela change tout le monde. Je pense avoir le droit d'être en colère. Tout comme toi.
- Mais ce qu'il m'est arrivé ne me donnait pas le droit de faire ça ! J'ai envoyé deux personnes à l'hôpital, détruit un bâtiment entier, et traumatisé des centaines d'adolescents ! argumentais-je en perdant le peu de sang froid qu'il me restait, Le pire c'est que j'ai adoré ! Pendant, c'était comme si je me délectais des hurlements de Katryn. Je me réjouissais de voir Harry se tordre de douleur. Et ne viens pas me dire que c'est normal ! Il y a une différence entre être en colère, souhaiter la souffrance des gens et la haine qui s'est emparé de moi et exécuter cette souffrance au premier degré ! »
Je reprenais mon souffle, à présent bouffée par la culpabilité, et rajoutais d'une petite voix :
« La différence c'est que je suis un monstre... Personne ne penserait « ils le méritaient bien », après avoir fait ça. »
Il ne répondit rien, et je pensais donc qu'il approuvait mes paroles. Mais, après quelques minutes de silence pesant, en tournant la tête vers lui, je vis une larme rouler sur sa joue ainsi que sa mâchoire anormalement contractée.
« Ne dis pas ça, dit-il d'une voix rauque.
- Pardon ?
- Je t'interdis de dire ça. Tu n'es pas un monstre. Aucun de vous ne l'êtes. Elle ne l'était pas non plus. Vous avez simplement besoin d'apprendre à vous contrôler, c'est ce que je pense. Elle aurait eu besoin de ça, d'un tout petit d'aide... »
Je ne comprenais pas la moitié de ce qu'il racontait. Il semblait si touché par ce que j'avais dit, comme s'il avait déjà entendu cette phrase, vécu cette situation.
« Jim, de qui parles-tu ? »
Il plongea son regard dans le mien, et il ne fallait pas être psychologue pour voir la douleur se refléter dans ses yeux. Une seconde larme vint courser la première sur sa joue imberbe.
« Ma sœur. Ma sœur a été comme toi. À elle aussi, il lui est arrivé un « incident ». Elle aussi, elle n'a pas su contrôler tout ce que la Sélection avait changé en elle. »
Décidément, la journée était forte en révélation. Jim avait une sœur, ou avait eu plutôt. De plus elle avait été Choisi. Jamais je n'avais su cela, jamais il ne l'avait même sous-entendu. Pour moi, Jim avait toujours été fils unique. Maintenant, je comprenais mieux pourquoi je ne voyais presque plus sa mère, pourquoi son père semblait avoir dix ans de plus que son véritable âge, pourquoi il manquait quelque chose sur leur visage, une étincelle. Ils avaient connu la perte.
« Je ne savais pas que tu avais une sœur. Que lui est-il arrivé, après l'incident ?
- En fait, j'avais deux sœurs. Elles étaient jumelles, si semblables et si différentes à la fois. Personne n'était au courant, c'est arrivé il y a trois ans. Ça m'a...bouleversé. Elles étaient tout pour moi. Alors mes parents ont décidé de déménager, pour m'aider, et pour s'aider eux-mêmes aussi. Pas trop loin, sans quitter la région, mais assez pour éviter les souvenirs. Nouveau travail, nouveau collège pour moi. C'est comme ça que je suis arrivé ici, en troisième, et que je vous ai rencontrés. »
Il était vrai que Jim était arrivé en dernière année de collège. Il n'avait jamais vraiment parlé de sa vie d'avant. Je n'avais jamais pris le temps de m'y intéresser, pourtant je me revendiquais son ami.
« Les deux ont été Choisi ? demandais-je, étonnée, C'est rare. Avec moi en plus, cela fait trois filles dans la même région. La Normandie doit avoir la cote au vingt-et-unième siècle... »
Il eut un rire amer.
« Pas seulement trois. Je me suis renseigné tu sais ? Cela fait quelques temps qu'il y a pas mal de Choisi par ici. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être fournit-on des gens extraordinaires...
- Et tes sœurs ? Comment cela s'est passé pour elles ?
- Un soir, elles sont rentrées du lycée avec la même marque que toi, mais en moins grande je crois. Elles étaient effrayées, paniquées, mais ensemble. C'était tout ce qui comptait pour elles, au moins elles ne seraient pas seules. Elles ont vite choisi qu'elles deviendraient Immortelles. Mais pour une, comme pour toi, quelque chose s'était réveillé. Des Pouvoirs, des dons, on ne sait pas... Elle aussi a faillit tuer quelqu'un, elle a tellement eu peur de nous blesser, de me blesser, qu'elle s'est enfuie. Il lui restait trois jours, trois jours que j'aurai dû passer avec elle. Après le Délais, elles ont disparu. Je ne les ai jamais revues, et je ne sais pas si elles se sont recroisées. Je ne sais même pas si elles sont en vie. Je m'efforce d'y croire chaque jour. »
En un sens, cela me rassura de savoir que je n'étais pas seule, que je n'étais pas la première.
« Je suis sincèrement désolée... »
Je ne trouvais rien de mieux à dire, je n'avais jamais su réconforter les gens.
« Tu lui ressembles. Du moins, tu lui ressemblais avant. Avant Kate, avant ses règles, avant le lycée. Je sais que tu as changé, ça se voit. Des fois, on dirait que ton ancienne personnalité reprend le dessus, tu t'apprêtes à répliquer, mais tu refermes la bouche.
- Comment tu sais tout ça ? questionnais-je, blessée par ses paroles, alors que ce n'était pas son attention.
- N'importe qui te prêtant un peu attention peut observer ça. Mais ils préfèrent tous et toutes lécher les bottes de Katryn. Je le sais maintenant, que je me suis trompée de fille. Ce n'est pas Kate que j'aurais dû aller voir en premier. C'est toi. Je t'aurais empêché de tomber là-dedans, cela m'aurait évité de le faire aussi. Si on avait été moins aveugle, si on avait ouvert les yeux, on aurait pu se sauver tous les deux. Être réellement ami. Pas des marionnettes au visage figé.
- On fait tous des erreurs. Je suis aussi fautive que toi sur ce coup là tu sais. Je me suis laissée faire. »
Cette conversation était certainement la plus profonde et personnelle que j'avais eu depuis des années. Et ça me faisait un bien fou. Il eut un sourire triomphant.
« Ce que tu as fait aujourd'hui, même si ce n'était pas la bonne méthode, ne sera pas inutile. Je vais les descendre, les deux, les autres, tout ceux qui n'ont aucun mérite, aucune sincérité. Je vais changer ce bahut, autant qu'il m'a changé. Je veux redevenir moi-même. ».
Son sourire me contamina. Cette fois, il était réel.
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