Chapitre 55 - Le début de la fin ?
Pendant les jours qui suivirent, Alisée ne ménagea pas ses efforts.
Elle suivit les cours de Duncan avec une volonté de fer, qui ne cessait d'étonner son professeur. Celui-ci se montrait patient face à ses erreurs et sa progression relativement peu rapide, sans jamais chercher à la brusquer. Plus elle passait de temps avec lui, moins elle le trouvait bourru. Certes, il ne pouvait s'empêcher de marmonner dans sa barbe de temps à autre, mais peu importait.
Les pauvres robes de la vampire ayant du mal à tenir le coup, la princesse lui avait fait essayer un pantalon en cuir, similaire à celui que portait Beatricia lors des Jeux de Mendoza. Alisée avait cependant eu tôt fait de le poser, ne s'étant jamais sentie si peu à l'aise avec un vêtement. La sensation du tissu collant à ses jambes ne lui plaisait guère, et étrangement, ses mouvements lui paraissaient encore moins libres qu'avec une robe.
— Moi aussi, j'ai horreur de ça, lui avait lancé Isabella. Mieux vaut des jupes amples que ces espèces de gaines pour cuisses !
Son Altesse passait régulièrement la voir lors de ses séances d'entraînement et faisait preuve d'une surprenante... cordialité envers elle. Le fait que la réserviste ait décidé de se prendre en main paraissait la satisfaire, si bien qu'une fois, elle eut même droit à un semi-compliment :
— Franchement, vous ne vous en sortez pas si mal. Je ne pense pas que vous pourriez battre un vampire ou ne serait-ce qu'un loup-garou, mais pourquoi pas un Neutre un peu boiteux...
Heureusement, les louanges de la fille du roi n'étaient pas le seul bénéfice de sa persévérance. Occuper ainsi ses nuits lui permettait de ne pas penser à Damien, ni à sa mère. Toutefois, lorsque Duncan lui demandait de l'attaquer, elle s'imaginait parfois qu'elle combattait sa génitrice, sa tante, ou même Dame Miranda. Se battre ainsi lui permettait d'évacuer sa colère, ce qui contribuait à tempérer sa peine. Bien sûr, celle-ci était toujours présente et Alisée doutait qu'elle disparaisse un jour, néanmoins son état s'améliorait doucement.
Quelques fois, Danila participait à ses entraînements, lui proposant même des essais de tir à l'arc.
— Quand j'étais petite, j'ai aussi dû essayer toutes les armes pour voir avec laquelle je m'en sortais le mieux, lui avait-elle expliqué. Les alphas sont censés savoir se battre, mais j'étais un cas désespéré partout, sauf avec un arc.
À l'inverse, malgré maintes tentatives, la réserviste ne parvint à cadrer une flèche dans la cible. Elle avait le drôle de réflexe de pousser sur son arc lorsqu'elle tirait, ce qui rendait vaines toutes ses tentatives d'ajustement. Par chance, Duncan avait vu juste en pariant sur l'épée, car quand elle en tenait une, elle réussissait presque à se sentir à l'aise.
À l'aise, sauf lorsqu'elle échouait à parer les coups du soldat et qu'il lui écorchait malencontreusement les bras. À la fin de la nuit, elle regagnait sa chambre épuisée, avec la chair criblée d'échardes. Malgré tout, elle était heureuse quand elle découvrait qu'Adrian l'y attendait, ce dernier réussissant parfois à se libérer de sa paperasse pour la retrouver.
Après un bain on ne peut plus agréable, elle se couchait et se blottissait contre lui, appréciant ce doux réconfort.
— Tu sais, lui dit-elle cependant un matin, tu n'es pas obligé de rester, si tu veux prendre l'air ou t'occuper d'autre chose...
Non pas qu'elle voulait qu'il parte — loin de là — mais il aurait pu aller apprécier la lumière du jour, au lieu de dormir avec elle toute la journée.
Pour toute réponse, il se contenta d'un marmonnement inintelligible. Décidément, entre lui et Duncan, tu ne vas pas t'en sortir. Jusque-là calée contre son torse, elle s'écarta de lui pour se retourner et lui faire face. La lumière des quelques bougies allumées dans la pièce éclairait ses cheveux blonds, que l'eau du bain avait rendus plus foncés. Ils n'étaient pas entièrement secs et gouttelaient encore sur l'oreiller, à l'inverse de ceux d'Alisée qu'elle avait pris soin de ne pas mouiller.
— Sérieusement, reprit-elle, tu passes ton temps à lire des lettres envoyées par tes généraux et à y répondre. Tu ne veux pas profiter du soleil ou...
— Chut, l'interrompit-il doucement en fermant les yeux. Je n'en ai rien à faire du soleil...
Elle l'aurait bien laissé se reposer, mais à ses doigts qui près de sa taille, s'amusaient distraitement avec le ruban de sa chemise de nuit, elle sentait qu'il n'était pas si endormi que cela...
— Duncan m'a dit que... les choses ne s'arrangeaient pas, hésita-t-elle, appréhendant un peu sa réaction. Les partisans du Feu Nouveau réussissent à faire adhérer les gens à leurs idées et...
Et rien ne parvient à endiguer cela. Lorsqu'il n'était pas de trop mauvaise humeur, le mari d'Isabella lui donnait quelques informations quant à la situation du royaume. Adrian ne s'appesantissant jamais sur le sujet, elle ne pouvait que s'en tenir aux propos du garde. Or d'après ses dires, les choses étaient encore pires que soixante ans plus tôt, à l'époque du Dernier Clan.
— Ne t'inquiète pas pour ça, murmura-t-il en conservant les paupières closes. Tout finira par rentrer dans l'ordre, comme toujours.
Il cessa de jouer avec son ruban et au bout d'un moment, ralentit son inutile respiration pour lui faire croire qu'il dormait.
Nul doute qu'il lui cachait bon nombre de choses, à commencer par le fait que tout n'allait pas "rentrer dans l'ordre"... Peut-être étaient-ce les effets de son récent traumatisme, mais Alisée avait plus que jamais l'impression de sentir son avenir lui échapper.
Ce mauvais pressentiment s'accentua le lendemain, lorsqu'elle réussit à extorquer quelques informations à Duncan :
— Cela fait deux semaines que plus personne ne nous amène de nouveaux réservistes, l'informa-t-il en s'asseyant à côté d'elle sur un petit banc de la salle d'entraînement.
Ils s'accordaient une courte pause, le temps qu'Alisée cicatrise, après qu'il lui ait porté un malencontreux coup à la cuisse. Si elle parvenait désormais plutôt bien à défendre le haut de son corps, ses jambes demeuraient un sérieux point faible. Heureusement, sa chair se remettait bien vite de ce genre de blessures, mais cela n'empêchait pas quelques échardes de la démanger...
— Cela signifie que les gens n'en ont plus rien à faire de maintenir leur place dans un clan, ajouta-t-il comme elle le regardait avec scepticisme. Nos milices sont trop dépassées pour expulser ceux qui vivent dans une situation irrégulière, donc...
Il ne termina pas, cependant elle comprit.
— Tout le système s'effondre, compléta-t-elle.
Le garde se pencha afin de réajuster ses lacets.
— Comment avez-vous fait pour arranger les choses, lorsque de telles situations se sont produites ?
Il se redressa et elle croisa brièvement ses yeux bleu-vert, avant qu'ils ne la fuient pour contempler le parquet.
— Ce... Cela ne s'est jamais produit, avoua-t-il.
— Quoi ?
Elle refusait de croire qu'en plus d'un millénaire, la Terre des Vampires n'ait jamais été exposée à de pareils problèmes. Pourquoi seraient-ils aujourd'hui irrémédiables ?
— Le royaume n'a jamais connu de véritable guerre civile, commença Duncan. Lorsqu'il y avait des conflits avec les loups-garous, tous les immortels s'unissaient vers un même ennemi. Là, les partisans du Feu Nouveau ont réussi à monter tous les vampires contre les chefs de clan, et indirectement, contre le roi.
Ils avaient commencé par Beatricia, puis s'étaient chargés de Branwell, tout en infiltrant l'armée et le palais... se donnant ainsi les moyens d'être en position de force pour atteindre la monarchie.
Chaque jour, la réserviste espérait recevoir des nouvelles de Kristal, en vain. Elle avait songé à lui écrire, cependant elle craignait de lui attirer des ennuis avec sa patronne, ou pire, avec le groupe de rebelles lui-même. De toute façon, maintenant qu'elle lui avait donné la bague en échange de quelques informations, elle doutait de la revoir de sitôt...
— Et... Il n'y a vraiment rien que l'on puisse faire ? se désola-t-elle.
Duncan haussa les épaules et soupira.
— L'idéal serait que nous recevions une aide des loups-garous. Mais cela les mettrait dans une position délicate et de toute façon, aucun accord signé dans le traité de paix ne les oblige à nous envoyer des troupes.
Si les lycanthropes s'en mêlaient, tout serait encore plus compliqué à gérer, sans compter les conséquences que cela pourrait engendrer... Et si une nouvelle guerre inter-espèces éclatait ? Alisée préférait ne même pas l'imaginer.
— Ne serait-il pas possible de... fonder un autre système ? s'enquit-elle. Autre que celui des clans ?
Elle savait sa question naïve et stupide, mais comme le soldat ne paraissait pas trop fermé à la conversation...
— Si vous avez une idée qui réussirait à remplacer des siècles de pratiques, je suis sûr que Sa Majesté sera preneuse, grommela-t-il en se relevant.
L'immortelle s'étant remise de sa douleur à la jambe, elle le suivit au milieu de la salle en reprenant son épée. Malgré ses airs bourrus, Duncan avait pris soin de décrocher du mur toutes les armes à feu, afin de les ranger elle ne savait où. Ainsi, bien que l'ambiance des lieux ne soit toujours pas des plus chaleureuses, elle n'était plus perturbée par ces ombres terrifiantes.
— Et les partisans du Feu Nouveau, que veulent-ils exactement ? C'est bien beau de réclamer la fin du système, mais encore faut-il savoir par quoi le remplacer...
En attendant une réponse, elle observa le garde se choisir une nouvelle épée. Il opta pour une lame métallique, ne voulant sûrement plus lui faire trop de mal avec du bois. Elle faillit protester, avant de se raviser comme il prenait la parole :
— D'après ce que nous savons, ces abrutis voudraient voir un nouveau dirigeant prendre la place de la famille royale. Ils ne le disent pas explicitement, mais il s'agit de leur idée générale.
Il vint se placer face à elle et lui indiqua qu'ils allaient tester ses techniques de défense. Elle ne se mit toutefois pas tout de suite en position, trop inquiétée par ses propos.
— Cela fait plus d'un millénaire que le roi et la princesse dirigent le royaume, qui d'autre serait plus à même de régner ?
Certes, elle comprenait la volonté du peuple de connaître un certain renouveau. Peut-être même que quelques mois auparavant, elle aurait partagé leurs idées. Néanmoins, elle ne voyait pas comment un nouveau régime pouvait être mis en oeuvre et surtout... qu'adviendrait-il d'Adrian ?
— Les gens sont stupides, maugréa Duncan en frottant une trace inexistante sur son arme. Personne n'a plus aucune notion de loyauté, ce n'est pas comme à mon époque où...
Il partit dans un monologue incompréhensible à propos d'un temps lointain que les moins de trois cents ans ne connaissaient pas, digne d'un vieux grand-père lassé par l'existence. Alisée l'écouta sans mot dire, ayant saisi qu'il ne lui apporterait pas plus d'explications. Elle se résolut à toucher un mot de tout cela au monarque dès sa séance d'entraînement terminée. Loin d'elle l'envie de le mettre mal à l'aise en évoquant avec lui ce genre de sujet qui occupait ses journées, mais elle tenait quand même à en savoir davantage.
Pendant qu'elle tentait de parer les coups du garde, son esprit vagabonda vers ces partisans du Feu Nouveau. Était-il vraiment possible qu'ils parviennent à leur but ? Cela faisait des siècles et des siècles que le monarque était sur le trône, et que le système des chefs de clans perdurait. Jusque-là, elle avait seulement cru qu'ils parviendraient à atteindre quelques dirigeants, sans qu'Adrian ou la princesse ne soient directement touchés. Eux qui avaient survécu à des guerres, des emprisonnements et un millier d'autres atrocités, elle refusait de croire qu'ils puissent être atteints par qui que ce soit.
Du moins, elle l'espérait.
Ces sombres préoccupations lui donnèrent d'autant plus la rage d'apprendre à combattre, même si face au soldat, elle enchaînait les échecs cuisants. Quelle idée de t'attribuer le meilleur combattant du palais, s'agaça-t-elle lorsqu'il lui écorcha l'épaule. D'un autre côté, Isabella ne pouvait pas vraiment demander à quelqu'un d'autre d'assurer son apprentissage, au risque que cela paraisse suspect. Déjà qu'Alisée prenait garde à ce que les domestiques ne remarquent pas trop les allées et venues du roi dans sa chambre...
À force d'acharnement, malgré le haut niveau de son adversaire, elle réussit à entailler la manche de son uniforme noir, ce qui le surprit tant qu'il resta coi durant de longues secondes.
— Vous... Vous ne vous en sortez décidément pas si mal, finit-il par articuler.
Elle crut ensuite l'entendre marmotter que quelque chose l'avait déconcentré, mais elle n'en tint point rigueur. Chaque minuscule "exploit" lui apportait une infime dose d'optimisme, ce dont elle avait désespérément besoin.
Ils s'apprêtaient à reprendre, quand la double porte de la salle s'ouvrit à la volée. La princesse fit son apparition, le nez froncé en une moue agacée.
— Eh bien, je vois que vous travaillez dur, par ici, ironisa-t-elle comme ils venaient de s'accorder une pause et trainaient encore sur le banc.
Son mari ouvrit la bouche pour répliquer, cependant elle ne lui en laissa pas le temps.
— Quelqu'un souhaite vous voir, enchaîna-t-elle à l'intention d'Alisée.
L'intéressée fronça les sourcils.
— Qui donc ? se surprit-elle.
— Une enquiquineuse qui prétend vous connaître. Nous ne pouvons pas la faire entrer dans le palais tant que vous ne confirmez pas ses dires.
Kristal, songea-t-elle aussitôt. Si on lui avait dit qu'un jour, son coeur se gonflerait d'espoir à la perspective de revoir la petite vampire, elle ne l'aurait jamais cru.
Elle se hâta de suivre Son Altesse, Duncan sur les talons. À son grand désarroi, Isabella ne semblait pas réellement pressée, curieuse d'en apprendre plus sur les progrès de la réserviste :
— Alors, lança-t-elle au garde au détour d'un couloir, ton élève réussirait-elle à vaincre un Neutre aguerri ?
La concernée s'attendit à une remarque bougonne de la part du soldat, or ce fut tout l'inverse :
— Tout à fait, affirma-t-il en regardant droit devant lui. Elle sait faire un plutôt bon usage de sa vitesse surnaturelle et retient très bien les conseils que je lui donne.
Étonnée par cet éloge, Alisée le remercia silencieusement, tandis que la fille du roi hochait la tête d'un air exagérément impressionné.
— J'imagine que vous avez un assez bon professeur, badina-t-elle avec un petit sourire en coin.
La belle vampire aurait juré voir Duncan adresser un imperceptible clin d'oeil à sa femme. Cette dernière perdit toutefois son amusement lorsqu'ils parvinrent à l'entrée du palais, dans la morne cour à la fontaine asséchée. Sans surprise, Alisée ne tarda pas à découvrir une chevelure de feu au-delà des grilles en fer forgé. Celles-ci étaient gardées par une lignée de soldats, plus immobiles que des tombes.
— Ah, ma chère Alisée ! s'écria Kristal quand l'immortelle apparut sous la lumière des torches du portail. Enfin te voilà !
Bien que sa silhouette gracile soit découpée par les motifs métalliques qui les séparaient, la réserviste lui trouva l'air inhabituellement fatigué. Son teint d'ordinaire digne d'une poupée de porcelaine se faisait cireux, comme si elle était en manque de sang. Les bords de son chapeau et le bas de sa robe rose pâle étaient effilochés, de même que le ruban passé autour de son cou.
— Vous la connaissez ? s'enquit la princesse, comme Alisée restait muette.
L'interpellée acquiesça, puis d'un vague mouvement du bout des doigts, Isabella ordonna aux gardes d'ouvrir les grilles. Ils s'exécutèrent et Kristal s'empressa de se faufiler dans l'ouverture, une valise ridiculement petite à la main.
— Qu'est-ce que tu fais ici ? l'interrogea son "amie" avec une certaine froideur, méfiante.
Si la petite rousse affichait jusque-là un sourire radieux, elle eut tôt fait de le remplacer par une mine renfrognée.
— Bonsoir, Alisée, moi aussi je suis ravie de te revoir, marmonna-t-elle en levant les yeux au ciel.
Elle posa ensuite ses iris verts sur la fille du roi, qui se tenait en retrait avec son garde. Ses sourcils se froncèrent, comme si elle n'était pas sûre de bien voir, puis elle plaqua une main sur sa bouche en poussant une petite exclamation.
— Oh ! Votre Altesse Royale ! C'est un tel honneur d'être accueillie par votre humble personne !
Elle laissa tomber sa malle et se fendit en une profonde révérence dont certains ne se seraient pas relevés. Isabella croisa les bras sur sa poitrine, puis se pencha vers Alisée avec perplexité.
— Où diable avez-vous trouvé cet énergumène ? lui murmura-t-elle.
— Il s'agit de la serveuse qui m'a donné des informations sur les partisans du Feu Nouveau, lui répondit-elle sur le même ton. Celle que j'ai été retrouver chez les Tanner.
La princesse resta interdite quelques instants.
— Relevez-vous, indiqua-t-elle finalement à Kristal.
Cette dernière se redressa, son enthousiasme tempéré par une certaine crainte. Si la réserviste s'était plus ou moins habituée au regard glaçant de Son Altesse, il statufia la jeune vampire.
— Qu'est-ce qui vous amène ? lui demanda Isabella avec une défiance palpable.
— Je viens simplement rendre visite à ma chère Alisée, feignit-elle de s'émouvoir. Elle me manque tellement !
En même temps qu'elle parlait, la petite rousse avait discrètement désigné les soldats dos à eux. La fille du roi comprit le message et hocha lentement le menton.
— Ce n'est pas franchement la période pour des visites de courtoisie, mais puisque vous y tenez...
Elle indiqua aux autres de la suivre et Kristal ramassa sa valise. Personne n'entreprit la moindre conversation pendant le trajet menant à l'intérieur du palais. La nouvelle venue levait son nez comme une enfant dans une boutique de jouets, admirative des dorures et autres riches ornements qui défilaient autour d'eux. Elle avait d'abord affiché une certaine déception en traversant les premiers corridors réservés aux visiteurs, mais s'était ensuite émerveillée du grand hall et de ses splendeurs.
À un moment, la princesse se retourna et ne se gêna pas pour glousser face à sa petite démarche dansante. On aurait littéralement dit que Kristal entrait au paradis. Cela doit lui changer de sa taverne miteuse, s'amusa Alisée lorsqu'elle entendit la serveuse marmonner quelque chose à propos des chopes de bière.
Ils entrèrent bientôt dans une pièce aux murs verts et argent, que la réserviste reconnut comme étant le bureau du roi. Adrian se tenait en effet derrière un secrétaire gris... la tête cachée entre ses bras, croisés sur la table. Il se redressa en entendant le battant s'ouvrir, les yeux plissés comme s'il venait de se réveiller. À cette vision, Alisée ressentit un pincement au coeur. Même si, en sa présence, il s'efforçait de ne pas trop laisser transparaître sa fatigue, il était encore plus épuisé qu'elle ne le croyait...
— Eh bien, fit-il en recoiffant négligemment ses cheveux. Que me vaut cette délégation ?
Isabella ne lui répondit pas et dès que la porte fut refermée, elle fondit sur la petite rousse. Celle-ci poussa un glapissement quand la princesse la plaqua contre un mur, un poignard en bois appuyé au niveau de son coeur.
— Maintenant que nous sommes seuls, persifla-t-elle, dites-moi ce que vous faites là.
Les yeux verts de sa victime étaient si écarquillés d'effroi qu'Alisée fut prise d'un élan de pitié.
— Votre Altesse, intervint-elle d'une voix tendue, je ne pense pas qu'elle nous veuille du mal, je...
— Pardonnez-moi, mais par les temps qui courent, j'ai besoin de garanties plus sûres que vos spéculations, la coupa la fille du roi, sans se détourner de sa prise.
Elle enfonça un peu plus son arme dans la robe de Kristal, si bien que cette dernière peina à retrouver l'usage de la parole.
— Je... J'ai des informations sur les partisans du Feu Nouveau, bégaya-t-elle, aussi audible qu'un poussin à l'agonie.
Adrian se releva, tandis qu'Isabella inclinait la tête.
— Oh, vraiment ? susurra-t-elle en laissant les pointes de ses longs cheveux chatouiller l'épaule de sa victime. Et qui me dit que ce ne sont pas eux qui vous ont envoyée ?
La poitrine de la pauvre petite vampire ne se soulevait même plus, de crainte de se retrouver transpercée par la lame de bois. Toutefois, malgré sa peur tangible, le regard de Kristal ne quitta pas celui de Son Altesse.
— Ma... Ma patronne a décidé de rejoindre le mouvement de rebelles, afin de continuer à leur fournir des boissons. J'ai... J'étais en train d'effectuer une livraison à un point spécialement donné et... J'ai surpris une conversation entre l'une des meneuses et un homme.
Alisée frémit et fit un pas vers elle.
— Est-ce qu'il s'agissait de la femme blonde perchée sur une table, quand je suis venue te voir ?
La princesse parut agacée par cette intervention, n'appréciant sûrement pas que l'on interfère dans ses interrogatoires.
— C'est... C'est ça, bredouilla la serveuse.
Elle ne poursuivit pas, ce qui finit d'attiser les nerfs d'Isabella. Son poignard dut transpercer la chair de Kristal, car celle-ci couina, en même temps qu'une vague odeur de sang se répandait à travers la pièce.
— Ne me dites pas que vous voulez quelque chose en échange de vos prétendues informations, la prévint son assaillante, autrement vous serez vous aussi condamnée pour trahison à la Couronne.
Sa voix se faisait tant sifflante que même la réserviste en frissonna. À force de côtoyer Son Altesse, de s'entraîner avec son mari et de... partager beaucoup de choses avec son père, elle en oubliait qu'elle était la plus dangereuse et terrifiante femme du royaume.
— Je... Je ne veux rien, glapit la petite rousse. J'ai déjà ma bague, alors...
À juste titre, elle jugea bon de ne pas terminer sa phrase. L'attention de tout le monde était focalisée sur elle, pourtant, ce fut le roi qu'elle choisit de regarder lorsqu'elle bégaya :
— La... Les partisans du Feu Nouveau prévoient de... d'attaquer votre palais.
Un lourd silence tomba et Alisée esquissa un mouvement de recul, comme si ces paroles avaient eu le pouvoir de la frapper. Elle tressaillit quand les doigts de Sa Majesté s'enroulèrent autour des siens, ne l'ayant pas entendu s'avancer derrière elle.
— Quand ça ? demanda-t-il avec un calme plus inquiétant qu'une tempête déchaînée.
— Dans... Dans une semaine. Jour pour jour.
Cela valut à Isabella et Duncan de proférer un joli chapelet de jurons.
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