Chapitre 49 - Ombres du passé
Alisée dut attendre la nuit suivante pour effectuer le trajet du retour, ce qui l'amena à passer une journée supplémentaire à l'auberge. Elle aurait largement préféré rentrer juste après avoir quitté Kristal, afin de ne pas perdre de temps, mais le soleil naissant avait malheureusement fait obstacle à ses projets.
Désormais, alors qu'elle descendait de son carrosse pour se retrouver face aux grilles du château, elle regrettait presque de ne pas s'être davantage attardée chez les Tanner...
L'appréhension s'était emparée d'elle au fur et à mesure qu'elle se rapprochait de Mendoza, lui créant une désagréable sensation de noeud dans la gorge. Si elle ne connaissait pas l'importance des informations qu'elle devait transmettre au roi, sûrement aurait-elle demandé au cocher de l'amener... Où cela, d'ailleurs ? Revenir sur la Terre des Loups ? Pour quoi faire ? Personne ne l'y attendait, tandis qu'au palais...
Sans parler d'Adrian, elle s'était fait des amis qui lui manquaient, à commencer par Danila. Elle trouvait la vie bien triste sans l'entrain et la douceur de la vampire. Il en allait de même pour Jae-Sun et Drew, qui bien que moins présents dans son quotidien, faisaient toujours preuve de gentillesse à son égard. Quant à Nessa... Elle ne parvenait à se dire que plus jamais la jeune fille ne viendrait frapper à sa porte.
Cette dernière pensée l'encouragea à ravaler ses stupides craintes injustifiées et à cheminer jusqu'au grand hall, son sac de voyage à la main. Elle n'y avait pas posé un pied qu'un petit cri résonna du haut des escaliers.
— Tu es revenue ! s'écria Danila en dévalant les marches à toute vitesse.
Elle se jeta si fort dans les bras d'Alisée qu'elle en fit tomber son bagage.
— J'ai eu tellement peur qu'il t'arrive quelque chose, murmura l'ancienne louve en se reculant. Je m'en suis vraiment voulu de ne pas avoir plus insisté pour t'accompagner et...
— Ne t'inquiète pas, tout va bien, la rassura-t-elle doucement. Tout s'est bien passé, j'ai simplement été rendre visite à une vieille connaissance qui... Qui va peut-être nous aider à arranger la situation.
Danila fronça les sourcils et réfléchit quelques secondes.
— Attends, tu parles de cette Kri...
Son amie lui fit brusquement signe de se taire en jetant des regards de tous les côtés. Seuls des gardes bavardant entre eux peuplaient le hall, cependant certains pouvaient très bien être des espions pour la solde des comploteurs.
— Je ne peux pas t'en parler ici, chuchota-t-elle. Nous pourrons aller dans ma chambre un peu plus tard, mais d'abord, il faut que je trouve le roi.
— Je ne l'ai pas vu depuis ton départ, j'avoue n'avoir aucune idée de là où il peut...
— Ah tiens, vous revoilà, l'interrompit une voix féminine.
Les deux immortelles levèrent la tête vers les escaliers, que la princesse descendait d'un pas nonchalant. Sa robe blanche volait avec légèreté, sans que ses cheveux raides couleur de jais ne l'imitent.
— J'espère que vous avez fait bon voyage, minauda-t-elle, espiègle. Je ne vais pas vous dire que vous m'avez manqué, puisque ce n'est pas le cas. Quoique je n'aie rien de personnel contre vous, rassurez-vous...
Ses yeux océan fixaient Alisée avec une étincelle encore plus étrange que d'ordinaire. On aurait dit qu'elle était à la fois déçue de la voir revenir et en même temps... rassurée ? La réserviste n'aurait pas eu l'audace de l'affirmer.
— Savez-vous où je pourrais trouver Sa Majesté ? lui demanda-t-elle, faisant fi de ses petites provocations.
La malice déserta Isabella, pour laisser place à un semblant de sérieux.
— Je vais vous mener à lui, déclara-t-elle en croisant ses bras aussi fins que des baguettes. Votre délicieux sang lui a tellement manqué !
La belle vampire comprit qu'elle disait cela uniquement pour donner le change auprès des gardes. Se doutait-elle que son personnel ne lui était pas entièrement loyal ?
Danila proposa aussitôt à Alisée de lui prendre son sac et de le ramener dans sa chambre, afin de lui éviter de faire le détour. L'intéressée eut d'abord envie de refuser, avant de se décider à cesser son comportement puéril une bonne fois pour toutes. De quoi as-tu peur au juste ? s'agaça-t-elle. Ne pouvant répondre à cette question, elle se décida à suivre Son Altesse, qui s'engageait énergiquement dans un couloir.
Elle ne l'aurait jamais imaginé, pourtant retrouver les corridors clairs et dorés du palais eut sur elle un effet rassurant. Après des mois passés ici, ces lieux lui étaient devenus familiers et — oserait-elle le dire ? — elle s'y sentait presque chez elle.
Cependant, cela n'empêchait pas sa gorge de se serrer de plus en plus au fil de ses pas...
— Je vous préviens, mon père est d'une humeur massacrante depuis votre départ, fit la princesse une fois qu'elles se retrouvèrent seules. Il renvoie balader tous ceux qui ne l'informent pas que vous êtes rentrée...
Cette remarque eut un drôle d'effet sur la réserviste. Positif ou négatif ? Elle n'aurait su le dire.
— J'ose espérer que nous n'avons pas subi cela pour rien, ajouta Isabella sans se retourner.
— Je ne pense pas que vous serez déçue, dit simplement Alisée.
Elles ne tardèrent pas à atteindre les derniers étages de l'aile l'ouest, puis la princesse frappa à la porte d'une pièce qui n'était pas la chambre d'Adrian. Une voix grave lui indiqua d'entrer et les deux vampires pénétrèrent dans une petite salle bien éclairée. Du vert et de l'argent venaient peindre les murs, exactement comme les appartements royaux. De jolis tableaux, probablement peints par Son Altesse, s'éparpillaient un peu partout, et deux fauteuils faisaient face à un bureau gris.
Sur l'un des sièges reposait Duncan, la tempe négligemment appuyée contre son poing.
— Où est mon père ? s'enquit Isabella en constatant que son garde était seul.
Celui-ci ne fit même pas mine de se lever ou ne serait-ce que se redresser.
— Aucune idée.
Il salua la réserviste d'un hochement de tête, qu'elle lui rendit avec un temps de retard. Elle n'avait désormais presque plus aucun doute : Duncan était plus proche de la princesse que n'aurait dû l'être un simple garde du corps... Autrement, comment expliquer toutes les familiarités qu'il se permettait ?
— Il t'avait bien convoqué pour un rapport des milices, non ? s'étonna la fille du roi.
Le jeune homme acquiesça, puis la seconde d'après, la porte se rouvrit sur le monarque, le nez dans les papiers.
— Excuse-moi, Duncan, mais Madelaine tenait à me faire lire ces...
Il se coupa net quand il releva les yeux et que ces derniers vinrent rencontrer ceux d'Alisée.
Le temps parut se suspendre un instant, pendant lequel l'un et l'autre en perdirent le réflexe de respirer. Le regard d'Adrian ne quitta le sien que pour la parcourir de haut en bas, comme à la recherche de la plus petite égratignure. Il esquissa ensuite un mouvement vers elle, avant de se raviser.
— Je... Euh... Vous êtes rentrée, constata-t-il d'une voix rauque.
Elle ouvrit une première fois la bouche, mais aucun son n'en sortit.
— Je... Je vous avais dit que je reviendrai, articula-t-elle après s'être raclé la gorge.
Il se contenta de la fixer sans rien dire, et elle ne se détourna pas. L'ombre et la lumière paraissaient se disputer à la surface de ses iris bleus, reflétant un envoû...
— Ce n'est pas pour vous déranger, mais nous n'avons pas toute la nuit devant nous, intervint la princesse.
Elle faisait mine d'inspecter ses ongles, tandis que son garde pinçait les lèvres comme pour se forcer à rester sérieux.
Le roi resta encore un moment sur le seuil de la porte, puis finit par entrer et fermer le battant. Il s'approcha de son bureau, sur lequel sa fille s'était assise près de son garde.
— Apparemment, mademoiselle Alisée a des choses intéressantes à nous dire, lança-t-elle.
Tous les regards convergèrent vers la concernée, qui s'efforça de reprendre ses esprits.
— Je... J'ai réussi à retrouver Kristal, la serveuse qui prétendait avoir des informations sur les instigateurs de l'attaque de loups. J'imagine que vous vous en souvenez, supposa-t-elle à l'intention d'Adrian.
Il hocha la tête en croisant les bras sur son torse.
— Quand Branwell m'a dit que vous souhaitiez de préférence être une Tanner, je me suis douté que cela avait un lien avec votre amie.
Elle ne dirait assurément plus jamais rien au McLawrence...
— J'avais peur qu'elle mente, mais finalement, il y a bien un groupe d'anti-loyalistes qui se réunit à sa taverne. Ils se font appeler les partisans du Feu Nouveau.
La princesse éclata de rire.
— Pourquoi ce genre d'individus se trouvent-ils toujours des noms stupides ?
— Visiblement, eux ne sont pas si stupides que cela, puisqu'ils sont les responsables des meurtres de Beatricia et de Nessa.
Isabella retrouva aussitôt son sérieux et un lourd silence tomba.
— Vous... Vous en êtes certaine ? l'interrogea inutilement le roi.
Elle leur raconta alors tout ce que lui avait dit Kristal. Les épais sourcils de Duncan se fronçaient de plus en plus au fil de ses explications, tandis que l'expression de Son Altesse se faisait d'une sévérité glaçante. Adrian, lui, demeurait impassible.
— Nous allons immédiatement envoyer des troupes les arrêter, trancha-t-il une fois qu'elle eut terminé. Maintenant que nous avons l'adresse de leur lieu de réunion, nous...
— Cela ne nous servira à rien, le coupa Alisée. Ils ne comptent plus se réunir à la taverne. Comme les patrouilles des milices royales augmentent, ils savent qu'ils ne peuvent plus se réunir dans un lieu public, même s'ils le font privatiser. Ils ont trouvé un autre endroit, beaucoup plus secret.
La princesse plissa les yeux.
— Pourquoi n'avez-vous pas prévenu des gardes dès que vous avez quitté la taverne ? Ils auraient d'ores et déjà pu arrêter ceux qui se trouvaient à l'intérieur.
La réserviste eut la nette impression d'être prise pour une imbécile.
— Il s'agit d'un réseau très important, qui s'étend aux quatre coins de la Terre des Vampires, répliqua-t-elle. En capturer quelques-uns n'aurait ni servi à stopper le mouvement, ni à leur extirper des informations. Ils auraient aussi immédiatement compris que Kristal les avait dénoncés, et cela aurait tout compliqué et...
— Je vois difficilement comment les choses pourraient être plus compliquées. Votre amie nous a peut-être aidés, mais je ne pense pas qu'elle vaille la peine de...
— Ça suffit, Isabella.
L'interpellée toisa son père d'un air outré, cependant celui-ci n'en eut cure. Toute son attention restait concentrée sur Alisée, qui se retint de tordre nerveusement ses doigts.
— Avez-vous réussi à voir certains de ces "partisans" ? lui demanda-t-il.
— Oui, j'ai essayé de retenir quelques visages en traversant la taverne.
Satisfait, il se tourna vers sa fille.
— Si elle te les montre, tu crois que tu pourras les dessiner ?
Isabella leva exagérément les yeux au ciel.
— Évidemment, affirma-t-elle.
— Très bien. Nous les enverrons ensuite aux différentes patrouilles, puis ils pourront tenter de retrouver et espionner ces traîtres. Avec un peu de chance, nous réussirons même à infiltrer leur réseau.
— À ce propos, intervint la belle vampire, Kristal m'a dit que certains domestiques du palais sont des espions à la solde de ces fous. Je pense qu'un léger tri parmi vos employés ne serait pas de trop...
Duncan jura dans sa barbe et se mit à faire tourner les anneaux vissés à ses doigts.
— Je m'en doutais, grommela-t-il d'un ton bourru. On ne peut plus faire confiance à personne, les gens n'ont plus aucune notion de loyauté...
Tandis qu'il continuait de marmonner des propos inintelligibles, la princesse se leva du bureau afin de se placer face à Alisée. Cette dernière n'eut pas besoin de discours pour comprendre ce qu'elle voulait et la laissa accéder au souvenir de son passage au Rocher du Vieux Ben. L'idée de l'autoriser à entrer dans sa tête ne l'enchantait pas vraiment, néanmoins la situation exigeait quelques petites concessions.
Elle tâcha de lui offrir des images aussi nettes que possible, puis au bout d'un moment, Isabella sortit de son esprit. De l'inquiétude paraissait voiler son regard, qui se confirma lorsqu'elle reprit la parole d'une voix étonnamment tremblante.
— Pa... Papa, je crois que tu devrais voir ça.
C'était bien la première fois que la réserviste lui voyait un air si peu assuré. Tout aussi intrigué qu'elle, Adrian s'avança et leva une main hésitante en direction de la tempe d'Alisée. Elle l'encouragea d'un hochement de tête presque frémissant, et frissonna lorsque ses doigts effleurèrent sa peau. Elle lui repassa exactement la même vision que celle montrée à sa fille, puis quand ils revinrent à l'instant présent, guetta sa réaction.
Les yeux du roi — habités d'un trouble différent de celui d'Isabella — sondèrent les siens comme s'il lui posait une question silencieuse, qu'elle ne saisit pas.
— Vous... Est-ce que vous connaissez cette femme blonde perchée sur une table, que vous voyez juste avant de partir ? s'enquit-il finalement.
Cela ne fit que renforcer son incompréhension.
— Eh bien... Justement, elle m'a paru familière, mais je n'arrive pas à me souvenir d'où je pourrais l'avoir déjà vue...
Elle y avait repensé pendant le trajet du retour jusqu'au château, seulement aucune réminiscence ne parvenait à l'aiguiller.
— Pourquoi me demandez-vous cela ? Vous la connaissez, vous ?
Il soutint son regard quelques secondes, mais quand il reprit la parole, ce fut pour s'adresser à sa fille.
— Fais réunir les chefs de clans le plus vite possible, ordonna-t-il d'une voix tendue. Même Branwell.
La princesse n'attendit pas et quitta la pièce sur-le-champ, suivie par son garde. Se retrouvant seule avec Adrian, Alisée voulut l'interroger, or il la devança :
— Si cela ne vous dérange pas, il serait souhaitable que vous assistiez à ce conseil, afin d'expliquer à tout le monde vos découvertes. Je sais que vous détestez ce...
— Je viendrai, le rassura-t-elle. Mais que se passe-t-il ? Pourquoi vous affoler si soudainement, pourquoi...
Elle s'interrompit lorsqu'elle le vit se passer une main sur le visage. Que diable ont-ils vu dans les images que tu leur as montrées ?
— Je... Allez vous reposer un petit moment, lui conseilla-t-il simplement. Quelqu'un viendra vous chercher une fois tous les dirigeants rassemblés.
Et sans lui laisser le temps de protester, il quitta son bureau à vitesse surnaturelle.
Sonnée, elle ne rentra pas tout de suite à sa chambre, essayant vainement de trouver un sens à tout cela. À peine une demi-heure plus tard, un domestique la guida jusqu'à la salle de réunion des chefs, où elle s'était rendue quelques mois auparavant. Trois vampires étaient déjà attablés autour de la table en bois massif, dont Jae-Sun. Elle les salua et ne sollicita l'avis de personne pour venir s'assoir à côté du dirigeant des Song.
— Je suis heureux de vous revoir, déclara-t-il avec un sourire amical. Danila était dans tous ses états et j'avoue que...
— Excusez-moi, se permit d'intervenir doucement une femme assise près d'eux. Savez-vous pourquoi Sa Majesté vous fait venir ? Y a-t-il eu une autre attaque ?
Si Alisée ne se trompait pas, il s'agissait de Madelaine Bel-Iris. Et l'homme à ses côtés était le chef des Manawé.
— En tout cas, j'ose espérer que je n'ai pas monté toutes ces marches pour rien ! s'exclama Branwell en faisant son entrée, escorté par deux gardes.
Les menottes attachées à ses poignets brillèrent sous le lustre quand il se laissa tomber sur une chaise, loin de tout le monde. Son teint cireux et ses yeux gonflés durent surprendre Madelaine, car elle esquissa un mouvement de recul quand il se tourna dans sa direction.
— Je vous rassure, lui lança-t-il, j'ai eu la même réaction que vous en croisant un miroir.
Il s'intéressa ensuite à la réserviste et ses lèvres se tordirent en un rictus.
— Alors, mademoiselle "Alizée McLawrence" a-t-elle fait bon voyage ?
— C'était absolument merveilleux, ironisa-t-elle. Merci de m'avoir prévenue pour le Certificat d'Attribution, je n'ai pas du tout failli me faire expulser d'une auberge...
Il se mit à ricaner bien fort, ce qui lui valut un regard de travers de la part de ses confrères.
— Vous pouvez surtout me remercier d'avoir parlé au roi. Vous ne pensiez tout de même pas que j'allais lui faire des cachotteries ? minauda-t-il.
Le roi et la princesse choisirent ce moment pour faire leur entrée. Ils se placèrent devant deux sièges libres, mais restèrent debout.
— Mademoiselle Alisée revient tout juste du territoire du clan Tanner, déclara Sa Majesté sans préambule. Je lui laisse le soin de vous raconter ce qu'elle y a appris.
Elle s'exécuta avec un peu de difficulté, ne sachant trop par où commencer. Malgré tout, les chefs de clans saisirent rapidement la gravité de la situation, leur mine se décomposant au fur et à mesure de son récit. La mâchoire de Branwell se crispa d'une telle manière que la réserviste craignit qu'il ne se casse les dents.
— Donc si je comprends bien, siffla-t-il dès qu'elle eut terminé, leur objectif est de mettre un terme au système des chefs de clans, et ils ont choisi de commencer par Beatricia...
— Non, le détrompa Adrian. Ils ne veulent pas seulement mettre un terme aux chefs de clans, mais à la monarchie toute entière.
Un étrange silence tomba, si bien que le McLawrence finit par éclater de rire.
— Pourquoi prenez-vous un tel air dramatique ? fit-il en regardant alternativement le roi et Son Altesse. Personne n'est capable d'une telle chose. Au mieux, ils parviendront à répandre un énorme bazar et...
— Et le bazar est notre pire ennemi, intervint la princesse. L'équilibre de notre pouvoir repose sur notre capacité à gérer les Sans-Clan. S'ils décident de jouer les rebelles et que nous ne sommes pas capables de les contrôler, alors nous nous retrouvons vulnérables.
Elle grimaça en prononçant ce dernier mot, comme s'il lui faisait horreur.
— Je suis certain que nous réussirons à arrêter ces drôles de partisans du je ne sais quoi, affirma le chef des Manawé. Ce n'est pas la première fois que la Terre des Vampires rencontre ce genre de problème. Nous y sommes préparés et avons nos soldats pour rétablir l'ordre.
Le monarque baissa les yeux vers la table.
— Sauf que "nos soldats", soupira-t-il en mimant des guillemets, ne seront peut-être pas de notre côté, cette fois-ci.
Des regards intrigués le pressèrent de continuer.
— Ces partisans du Feu Nouveau ne sont pas si nouveaux que cela, déclara-t-il en jetant un coup d'oeil à Jae-Sun, qui venait d'attraper un verre. Nous avons déjà eu à les affronter, il y a à peu près soixante ans.
Le chef des Song se figea.
— Autrefois, poursuivit le roi, ils se faisaient appeler le Dernier Clan et... Leur meneuse était la générale Hortense Bel-Iris.
Alisée sursauta quand le verre de Jae-Sun se brisa entre ses doigts. La colère qui déformait le visage du jeune homme accentua son effroi, ne l'ayant jamais vu ainsi.
— C'est impossible, articula-t-il entre ses dents. J'ai tué Hortense six décennies plus tôt et...
— Il semblerait que sa soeur ait repris le flambeau, l'informa Adrian. Nous la croyions morte, mais Valérie est toujours en vie.
Le bref regard qu'il jeta à la réserviste ne lui échappa pas, cependant elle ne le comprit pas. Cette Valérie était-elle la femme blonde qui l'avait tant intriguée ? Si c'était le cas, ce prénom ne lui disait absolument rien.
Elle n'eut pas le temps de s'appesantir davantage sur la question, car son voisin se leva brusquement, manquant de renverser sa chaise. Il se mit à faire les cent pas à travers la pièce, les poings serrés en dépit de sa paume blessée. Les autres dirigeants échangèrent des regards chargés de tension, aucun n'osant dire un mot. Que se passe-t-il, à la fin ? ne cessait de se questionner Alisée.
— Jae-Sun, reprit le roi avant qu'elle ne puisse s'enquérir de quoi que ce soit, je...
— Il faut immédiatement envoyer des troupes chez les Tanner ! le coupa violemment l'interpellé. Peu importe s'ils doivent fouiller le territoire de fond en comble, Valérie doit être tuée le plus vite possible !
De véritables ondes de fureur paraissaient se dégager de lui, tranchant avec son calme et sa mesure ordinaires.
— Tuer Valérie ne suffira pas à les arrêter, elle ne représente sûrement qu'un infime maillon de...
— Vous savez tous aussi bien que moi de quoi elle est capable ! rugit-il, presque les larmes aux yeux. Sa soeur a tué Noah et elle ne vaut pas mieux qu'elle !
D'un regard insistant, Adrian lui intima de se calmer. Bien que toujours possédé par une rage brûlante, Jae-Sun ferma les yeux pour tempérer ses émotions. Lorsqu'il rouvrit les paupières, Alisée fut surprise de voir ses iris marron rivés sur elle. Cela n'avait aucun sens, pourtant elle aurait juré qu'ils étaient chargés d'excuses.
Il ne tarda pas à se détourner pour s'élancer vers la porte.
— Je vais tout de suite écrire une lettre à Benjamin. Les contrôles sur son territoire doivent encore être renforcés.
— Ce n'est pas la peine, je lui ai déjà...
La phrase du roi mourut sur ses lèvres, le Song ayant déjà claqué le battant.
Un silence s'installa, que la réserviste rompit en premier :
— Est-ce que quelqu'un peut me dire qui est cette Valérie ?
La princesse se chargea de lui répondre, les autres semblant trop abattus pour le faire.
— Il y a soixante ans, un groupe de rebelles a également tenté de s'en prendre aux chefs de clans et à la monarchie. Il était dirigé par Hortense Bel-Iris, une générale responsable des milices royales. Elle nous a trahi et a réussi à rallier bon nombre de soldats à sa cause, ce qui a entraîné une sacrée pagaille... Son bras droit était sa soeur, Valérie, une Sans-Clan. La femme blonde que vous avez vue hier.
Il faut définitivement que tu t'intéresses de plus près à l'Histoire du royaume...
— Toute cette agitation a été endiguée assez rapidement, notamment grâce à la mort d'Hortense. Sauf que si Valérie fait son retour, il est possible que d'anciens soldats encore fidèles à sa soeur se rallient à elle.
— Mais pourquoi avoir gardé en fonction les soldats qui partageaient ses idées ?
Isabella leva les yeux au ciel.
— Parce qu'il n'y avait pas écrit sur leur front "bonjour, j'appartenais au Dernier Clan, plantez-moi un pieu dans le coeur" !
— Certains ont été dénoncés par leurs collègues, cependant d'autres nous ont échappé, compléta Branwell. Remplacer l'entièreté des armées pour écarter le moindre doute aurait été trop compliqué.
Effectivement, elle voyait mal comment cela aurait pu être possible...
— Et pourquoi Jae-Sun s'est-il mis dans un tel état ? Hortense et Valérie s'en sont personnellement pris à lui ?
Adrian plongea les yeux dans les siens. Elle réprima un étrange frisson lorsqu'il murmura :
— Hortense a tué la personne qu'il aimait le plus au monde.
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