
Chapitre 47 - Voyage secret
Par chance pour Alisée, le territoire du clan Tanner ne se situait qu'à une cinquantaine de kilomètres au nord de la capitale. Bien qu'elle ignorait le nom de la taverne où travaillait Kristal, elle détenait déjà une indication cruciale : l'adresse du bureau de poste auquel elle lui adressait ses lettres. Celui-ci se situait au coeur d'un petit village, appelé Tilford. D'après le cocher qui l'y conduisait, le trajet durerait à peine quelques heures.
Cela n'empêchait pas l'immortelle de brûler d'impatience, curieuse de découvrir ce qu'il était advenu de la petite rousse. Si jamais elle découvrait que cette dernière lui avait menti et qu'elle ignorait qui étaient les instigateurs de l'attaque de loups, elle jurait de l'étrangler avec son collier de perles ou de coquillages.
Placer tous ses espoirs en une personne aussi versatile et intéressée ne l'enchantait pas, néanmoins elle ne voyait pas quelle autre option s'offrait à elle.
Et dire que Sa Majesté t'a proposé de devenir cheffe de clan... Lorsqu'elle y pensait, elle voulait à la fois rire et pleurer. Elle aurait préféré qu'il lui demande n'importe quoi, excepté cela. Déjà qu'assister à un seul conseil avait suffi à la révulser, elle n'osait imaginer ce qu'il en serait si elle devait chaque jour prendre des décisions afin de tuer ou sauver tel vampire. Certes, discuter des problèmes du royaume avec Adrian lui plaisait, seulement... Elle ne se voyait pas occuper ce rôle de cheffe.
Malgré tout, plus elle repensait à sa dispute avec le roi, plus elle s'en voulait de s'être encore une fois montrée si dure envers lui. Mais il n'avait qu'à pas désapprouver à ce point ton départ. Quitter le palais ne s'était cependant pas révélé difficile, Alisée étant montée dans le carrosse quotidien menant les domestiques à Mendoza. Arrivée au niveau des chics quartiers de la cité, elle avait demandé de l'aide à certains passants afin de trouver un fiacre. Grâce à l'argent gentiment prêté par Danila, elle s'était arrangée pour faire partir le cocher, embêté de ne transporter qu'une seule passagère.
L'ancienne louve l'avait vainement suppliée de la laisser l'accompagner, ou ne serait-ce que lui dire où elle se rendait. La réserviste ne pouvait toutefois se permettre de prendre le moindre risque, Adrian ne devant surtout pas connaître sa destination. S'il envoyait elle ne savait quels gardes royaux dans le but de la surveiller, tout son plan pourrait tomber à l'eau.
Chez les Tanner, personne ne devait savoir qu'elle venait du palais, autrement il lui serait sans doute impossible de retrouver Kristal. Elle supposait que si des clients aux idées "fort peu loyalistes", comme disait la petite serveuse, se réunissaient dans sa taverne, les entrées devaient être dûment surveillées. Cela expliquait que même les soldats et espions envoyés par le monarque n'aient rien trouvé, les activités de chacun devant être scrupuleusement scrutées. Ou alors elle t'a raconté n'importe quoi et aucune dangereuse réunion n'a lieu...
Toute son entreprise était bien bancale, elle l'admettait. Mais elle pouvait être sûre que si elle ne tentait rien, elle n'aurait rien, et des innocents continueraient peut-être d'être assassinés.
Ne pas songer à Nessa dans ce carrosse où elle n'avait absolument rien pour s'occuper lui était difficile. Lire relevait de l'impossible, que ce fut à cause des cahotements du véhicule, des claquements de sabots des chevaux, ou de ses pensées trop agitées. La petite fenêtre donnant sur l'extérieur ne lui laissait entrevoir que des champs plongés dans l'obscurité. De temps en temps, ils traversaient un village mal éclairé et laissaient les équidés boire et se reposer.
Ces heures d'oisiveté lui laissèrent l'occasion de ressasser ce que le roi lui avait raconté au sujet de Branwell et Beatricia. Elle restait choquée par cette histoire de "piège" qu'il leur avait tendu, trouvant cela d'une perfidie plus que discutable. Certes, à cent deux ans, dont quatre-vingt-quatre passés dans l'âge adulte, Alisée n'était plus vraiment une sainte, et elle avait déjà lu des histoires aux moeurs un peu légères, cependant... Au moins sais-tu ce qu'il sous-entendait en prétendant ne pas avoir "directement" couché avec le McLawrence. Elle aurait largement préféré conserver son innocente ignorance...
Heureusement, après un temps qui lui parut interminable, le cocher lui annonça leur arrivée imminente.
— Où souhaitez-vous que je vous dépose, exactement ? s'enquit-il à travers la petite ouverture lui permettant de communiquer avec elle.
Au-dehors, le ciel commençait à s'éclaircir. Elle n'aurait pas le temps de questionner les employés du bureau de poste, et encore moins de potentiellement enchaîner avec une visite chez Kristal. Dans l'immédiat, il lui fallait trouver un abri où passer la journée.
— N'importe quel hôtel ou auberge fera l'affaire.
Ainsi s'arrêta-t-il devant un établissement à l'extérieur modeste, loin des belles résidences qu'elle avait aperçues à Mendoza. Elle le remercia, empoigna son sac de voyage, puis déchiffra la pancarte accrochée au-dessus de la porte. L'auberge de Benjamin. On ne pouvait pas dire que les propriétaires se soient bien creusé la tête, ayant simplement repris le prénom de leur chef de clan...
Elle poussa le battant et une clochette chanta au-dessus de sa tête. Le petit hall qu'elle découvrit était étonnamment coquet, reproduisant l'intérieur d'un chalet, avec des rondins de bois cloués aux murs. Des luminaires en cuivre accentuaient l'ambiance chaleureuse des lieux, ce qui encouragea Alisée à s'avancer vers le comptoir de la réception.
— Bonsoir, auriez-vous une chambre de libre ? interpella-t-elle une jeune fille plongée dans un livre.
Celle-ci releva brusquement la tête en sursautant.
— Bon... Bonsoir, balbutia-t-elle. Oui... Oui, bien sûr. Vous êtes seule ?
Elle secoua la tête comme pour pleinement revenir à la réalité. La réserviste retint un sourire, ne la comprenant que trop bien... Elle se contenta d'acquiescer.
— Parfait, quel est votre nom ? l'interrogea la réceptionniste en ouvrant un carnet devant elle, certainement un registre où noter l'identité des clients.
Les choses sérieuses commençaient...
— Alizée McLawrence, déclara-t-elle le plus sereinement possible.
Encore heureux que son prénom n'ait pas changé, sinon elle aurait bien été capable de buter dessus...
— Puis-je voir votre certificat ?
Alisée sentit un début de panique l'envahir.
— Mon quoi ?
La jeune fille la fixa en clignant des yeux.
— Eh bien, vous savez... La preuve comme quoi vous êtes effectivement une McLawrence.
Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? Pourquoi ce bougre de Branwell ne lui en avait-il pas parlé ?
— Je ne peux pas vous accepter si vous ne l'avez pas, ajouta l'employée, un peu gênée. Vous n'avez pas l'air d'être une Sans-Clan, mais mon patron n'est pas du genre à plaisanter avec cela, alors...
La belle immortelle se souvint des conseils du chef de clan. Dites tranquillement votre nom et jouez la pimbêche outrée qu'on lui demande de se justifier. Elle se força à relever le menton et se composa une moue dédaigneuse à l'image de celle qu'affichait Beatricia.
— J'ai passé une journée entière enfermée dans un affreux carrosse, et vous trouvez encore le moyen de m'embêter ! s'écria-t-elle d'une petite voix aigüe qui l'horripila elle-même. Mon certificat doit être au fond de mon sac, laissez-moi au moins m'installer et prendre le temps de le chercher !
Et pour porter le coup de grâce :
— Les précédents hôtels qui ont eu l'honneur de m'accueillir ont été bien plus respectueux ! N'avez-vous pas honte de réclamer des comptes à une McLawrence ?
Mettre mal à l'aise cette pauvre réceptionniste qui ne faisait que son travail ne l'enchantait guère, or elle ne pouvait se permettre d'être mise à la rue. Si elle parvenait à se retrouver seule dans une chambre, peut-être pourrait-elle essayer de rédiger un faux document, même si elle savait que c'était peine perdue... Dans tous les cas, il te faut juste rester ici jusqu'à la tombée de la nuit.
— Je... Toutes mes excuses, mademoiselle McLawrence. Je vais vous conduire à votre chambre et... Vous n'aurez qu'à me montrer votre certificat dès que vous l'aurez retrouvé.
La jeune fille s'empressa d'attraper une clé et fit signe à sa cliente de la suivre. Elles montèrent un étroit escalier aux marches grinçantes, qui déboucha sur un couloir bien éclairé. Lorsqu'elle découvrit sa chambre, nichée au fond du corridor, Alisée eut l'agréable surprise de la trouver joliment décorée dans des tons boisés. Concentrée sur son rôle de harpie hautaine, elle s'abstint d'émettre tout compliment à voix haute.
— Ne... N'hésitez pas à me dire si vous désirez quoi que ce soit, bredouilla l'employée avant de la quitter.
À peine eut-elle fermé la porte que la réserviste retourna son sac de voyage sur le lit. Elle y avait emporté quelques vêtements de rechange, un livre, des bouteilles de sang, et un nécessaire à écrire, en cas de besoin. Elle s'acharnait à retrouver ce dernier quand une petite housse en tissu ivoire attira son attention. Ses doigts s'en emparèrent avec précaution, la vampire étant certaine de ne l'avoir jamais vue.
Elle l'ouvrit et en sortit un écrin en velours noir qui lui était familier, ainsi qu'une enveloppe. Sceptique, elle déchira celle-ci et en tira un bristol où quelques mots venaient s'inscrire :
« Un conseil : ne jamais demander à Branwell de garder un secret.
Je crois deviner ce que vous avez en tête, mais promis, je ne ferai rien qui puisse contrarier vos plans. Je pense cependant que ces deux petites choses pourraient peut-être vous être utiles.
— Votre Majesté qui s'excuse et espère toujours être votre préférée »
Alisée remarqua qu'une autre feuille pliée en quatre se trouvait dans l'enveloppe. Elle écarquilla les yeux en réalisant qu'il s'agissait du "Certificat d'Attribution" d'Alizée McLawrence, signé de la main du roi et estampillé du sceau royal.
Quant à l'écrin, il contenait la bague sertie d'une améthyste que le roi avait tenté de lui offrir lors de la Journée des Boîtes. Elle comprit rapidement à quoi elle pourrait lui servir.
Remerciant intérieurement Adrian — et invectivant Branwell pour ne pas avoir tenu sa langue — elle courut montrer son certificat à la réceptionniste. La pauvre jeune fille s'excusa encore d'avoir remis en doute son honnêteté et la réserviste faillit lui dire que ce n'était pas grave. Malgré tout, un autre problème pouvait survenir, donc mieux valait ne pas briser tout de suite son image de vampire méprisante.
Une fois couchée dans son lit, elle se demanda comment le souverain avait fait pour glisser cette housse dans son sac... Elle se rappela qu'en quittant sa chambre, un domestique lui avait gentiment proposé de l'aider à porter son bagage, alors qu'elle n'en avait nul besoin. Il s'était toutefois montré insistant, et à présent, elle commençait à deviner pourquoi... Sa Majesté avait dû requérir son aide afin d'introduire discrètement le paquet.
Elle espérait désormais qu'il tiendrait parole et n'enverrait personne pour la suivre et la protéger. De toute façon, elle comptait passer à l'action et se rendre au bureau de poste dès le lendemain. Si dans la foulée, elle pouvait aller voir Kristal et obtenir d'elle ce qu'elle voulait, ce serait parfait. Mais il ne faut pas trop rêver...
La journée de sommeil qu'elle passa la fit déjà déchanter, ses songes étant envahis de cadavres livides et de têtes coupées. Quand elle quitta sa chambre d'hôtel, sa fatigue mentale était telle qu'elle s'étonna de ne pas voir de courtisans et de domestiques courir dans les couloirs, ayant oublié qu'elle ne se trouvait plus au palais.
Il lui fallut pourtant rapidement se ressaisir, le bureau de poste n'allant pas apparaître tout seul sous son nez. Des passants l'aidèrent à s'orienter au milieu des ruelles qui se ressemblaient toutes, puis enfin, elle s'arrêta devant le bâtiment de pierre. Elle dut patienter de longues minutes avant d'être face à un employé, la file d'attente s'étirant jusqu'à l'extérieur.
— En quoi puis-je vous aider ? marmonna le vieil homme derrière son comptoir en bois massif.
Ses cheveux gris tombaient devant ses yeux sombres, qui ne regardaient même pas Alisée.
— J'aimerais connaître l'adresse de Kristal Tanner, commença-t-elle en espérant qu'il l'écoutait. Elle me demandait d'envoyer mes lettres à votre bureau, mais elle ne me répond plus. Savez-vous où je pourrais la trouver ?
Elle espérait que le bureau ne serve que de relais, et que des facteurs venaient déposer le courrier de Kristal jusque chez elle. Dans ce cas, son adresse serait forcément répertoriée, non ?
— Je ne connais pas de Kristal Tanner, grommela-t-il, l'air las. Et si elle ne vous répond plus, c'est qu'elle ne doit pas vouloir que vous la retrouviez...
— Elle a l'apparence d'une fille de douze ans, insista-t-elle, faisant fi de sa remarque. Cheveux roux, yeux verts, visage de poupée... Cela ne vous dit rien ?
S'il ne pouvait pas l'aider, alors elle devrait faire la tournée des tavernes du coin...
— Peut-être, répondit-il, sans enthousiasme. Toujours tirée à quatre épingles avec des gants en soie ?
La réserviste réprima un cri de victoire.
— Ce doit être cela, oui. Vous savez où la trouver ? répéta-t-elle.
Il hocha lentement la tête, rien qu'une fois.
— Au début, elle voulait qu'on dépose son courrier chez elle, mais cela fait quelques temps que nous n'avons plus de ses nouvelles... Je ne peux pas vous garantir qu'elle soit toujours au même endroit.
Alisée se contenta de l'encourager à cracher le morceau, cependant il se borna à la fixer, comme s'il attendait quelque chose. La lumière mit du temps à se faire dans l'esprit de l'immortelle.
— Oh oui, tenez, fit-elle finalement en sortant quelques pièces d'or de sa bourse.
Jamais elle ne remercierait assez Danila pour ce cadeau de voyage...
L'homme ramassa l'argent, puis sortit un carnet qu'il parcourut d'interminables minutes, tournant les pages à la vitesse d'un escargot. Il devait sûrement prendre au pied de la lettre l'expression "avoir l'éternité devant soi"...
— Votre Kristal Tanner est au Rocher du Vieux Ben, annonça-t-il enfin. Je vous souhaite bon courage pour réussir à y mettre les pieds, la patronne a toujours des réservations de prévues... Pas que ce soit d'un grand luxe, pourtant.
Des réservations de prévues, c'est ça... Sûre d'elle plus que jamais, elle remercia l'employé et une fois dehors, accosta le premier venu pour lui demander le chemin de la taverne. Elle s'élança dans la direction indiquée, sous l'éclairage des réverbères, sans pouvoir s'empêcher de dévisager ceux qu'elle croisait. Depuis la veille, l'idée que par miracle, son frère puisse rencontrer sa route, ne cessait de la tenailler.
Puisqu'il pouvait être absolument n'importe où, pourquoi ne pas y croire ? Parce qu'il peut très bien être à l'autre bout du monde... comme il peut être mort.
Hélas, elle atteignit le Rocher du Vieux Ben sans avoir aperçu le moindre jeune homme métisse aux traits familiers. Se concentrant sur son principal objectif, elle étudia le petit bâtiment qui s'offrait à sa vue. Elle fut étonnée de le trouver plutôt joli, avec ses vitraux colorés et ses charmants colombages. Kristal s'en plaignait tant qu'elle s'était figuré sa taverne comme un taudis à peine plus fréquentable qu'un lieu de débauche...
Un homme à la carrure imposante restait immobile près de la porte, l'oeil à l'affût. Sa présence conforta Alisée dans l'idée qu'elle ne s'était pas trompée d'endroit.
Décidée, elle s'avança et dès qu'il la remarqua, le vampire se plaça devant le battant.
— Je vous présente mes excuses, mademoiselle, mais vous ne pouvez pas entrer, déclara-t-il avec une courtoisie surprenante. Des jeunes mariés viennent fêter leur mariage, donc la taverne a été privatisée.
Était-ce l'excuse qu'il fournissait aux patrouilles des milices royales ? Elle espérait que ces dernières n'étaient pas assez stupides pour s'y laisser prendre...
— Oh, je ne viens pas consommer, lui assura-t-elle, tout en s'efforçant d'afficher un sourire candide. L'une des serveuses, Kristal, est mon amie. J'aimerais simplement lui dire bonsoir.
— Je crains que vous ne soyez obligée d'attendre la fin des festivités. Je ne suis pas autorisé à laisser entrer qui que ce soit. C'est une fête intime et importante, vous comprenez.
Bien sûr...
— Pouvez-vous au moins lui dire que je suis là ? persista-t-elle de sa plus douce voix. Je suis en train d'effectuer un très long voyage et ma diligence repart dans quelques heures. Je m'en voudrais beaucoup de partir sans avoir pu la saluer...
Ses propres manières l'exaspéraient, mais elles arrachèrent à l'homme un soupir de dépit. Il la considéra de la tête aux pieds, s'attardant plus que nécessaire au niveau de son décolleté. Pas si courtois que cela, finalement.
— Restez ici, je vais aller chercher votre amie, se résigna-t-il en tournant la poignée.
Il entrebâilla la porte le temps d'entrer dans la taverne, et des éclats de voix diffus parvinrent aussitôt aux oreilles de l'immortelle. Elle eut le temps de voir que deux hommes se tenaient de l'autre côté du battant, montant également la garde.
La porte resta fermée au moins cinq minutes, puis se rouvrit sur le vampire, suivi d'une petite fille à la chevelure de feu... qui en voyant Alisée, laissa échapper une chope de bière.
— Ça... Ça y est, murmura-t-elle, ses doux traits figés de stupeur. Je deviens folle...
La réserviste se surprit de la trouver si inchangée. Avec toutes les lamentations qu'elle lui avait envoyées, elle s'était attendue à la trouver dans un piteux état. Or de son teint de porcelaine, à l'éclat de ses yeux verts, en passant par ses longs cheveux roux peignés avec soin, le moindre détail de son apparence demeurait tel que dans ses souvenirs.
Étant donné que Kristal fixait Alisée comme on le ferait d'un fantôme, cette dernière tenta une ébauche de sourire. Au même moment, une nouvelle silhouette surgit derrière la petite rousse, qui restait figée dans l'entrebâillement de la porte.
— Non, mais c'est pas possible ! s'écria une jeune fille brune en désignant les débris de verre sur le sol. Tu ne peux pas faire un peu attention ? Tu as vu un loup, ou quoi ?
Elle s'intéressa ensuite à la belle vampire et plissa le nez.
— Vous êtes ? s'enquit-elle, on ne pouvait plus rudement.
— L'une des amies de Kristal, je...
— Ah oui, la catin royale, c'est ça ?
L'interpellée cilla et haussa les sourcils. Y avait-il quelque chose d'écrit sur son front ou...
— Non ! s'exclama brusquement Kristal, s'extirpant de sa torpeur. Non, ce n'est pas elle !
Elle jeta un coup d'oeil furtif à l'homme à côté d'elles, dont les épaules s'étaient tendues à la mention des mots "catin royale".
— Non, elle c'est... L'une de mes amies d'enfance ! Elle s'appelle Alyson, on s'est connues sur la Terre du Topaze !
Le visage de la brune se déforma en une moue perplexe. Physiquement, elle ne devait pas avoir plus de dix-sept ans, mais il se dégageait d'elle une autorité qui imposait le respect. La fameuse patronne.
— Elle n'a pas franchement une tête à venir de la Terre du Topaze, constata-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Ce n'est pas une rouquine et...
— Alors là, tu utilises un cliché pur et simple ! se scandalisa Kristal. Tous les gens originaires de là-bas ne sont pas roux ! C'est aussi absurde que de prétendre que tous ceux du Saphir sont blonds et...
— Mon père était de la Terre de l'Ambre, intervint calmement Alisée.
Et sur ce point, il ne s'agissait pas d'un mensonge.
Cela ne convainquit qu'à moitié la sceptique.
— Comment sait-elle que tu vis ici ? s'enquit-elle à l'intention de la serveuse.
— Je... Je lui ai écrit une lettre le lendemain de mon arrivée. Je sais qu'elle voyage souvent dans les environs, donc je lui ai proposé de passer me voir, à l'occasion.
Son faux air innocent parut donner des envies de meurtre à sa patronne. Elle serra les poings, puis braqua son regard sur la réserviste. Cette dernière ne se déroba pas, bien que les yeux bleus qui la fixaient étaient presque aussi perçants que ceux d'Isabella.
— Très bien, trancha finalement la jeune fille. Vous pouvez entrer et...
— Ce n'est pas à vous de décider de cela, l'interrompit l'homme qui ne ratait pas une miette de la conversation. Il n'est pas question que cette inconnue franchi...
— Au cas où vous l'auriez oublié, cet endroit m'appartient, répliqua la brune. Je suis libre de décider qui y met les pieds et si cela ne vous plaît pas, vous savez à quoi vous en tenir. Et de toute façon, ma serveuse et son amie monteront à l'étage.
Le vampire se rembrunit, mais se mura dans le silence. Kristal s'empressa d'attraper le poignet d'Alisée, afin de la tirer à l'intérieur de la taverne. Seulement, sa patronne la retint fermement par le bras :
— Ne crois pas que tu t'en sortiras comme ça, lui murmura-t-elle. On en reparlera plus tard.
La petite rousse se contenta de se dégager de son emprise et entraîna Alisée à travers une salle bondée atrocement bruyante, où des immortels beuglaient tout en faisant s'entrechoquer leurs verres. Elle n'eut pas le temps de les détailler, obligée de suivre celle qui la dirigeait vers une porte fermée à clé. Une fois l'obstacle déverrouillé en toute hâte, elles gravirent un petit escalier de bois qui déboucha sur un étroit couloir. Kristal se pressa dans une petite chambre, puis claqua le battant et abaissa le loquet.
Désormais seules et loin de l'agitation du rez-de-chaussée, un silence s'étira entre elles.
La plus âgée fut la première à le briser :
— Nous avons des choses à nous dire, je crois.
Les yeux verts scrutateurs de la petite fille ne la quittèrent pas.
— En effet.
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