Chapitre 37 - L'affaire de la bague
— Tu écoutes ce que je te dis ? Alisée ?
Danila claqua des doigts devant les yeux de son amie et celle-ci sursauta.
— Euh... Excuse-moi je repensais à... Un moment entre deux personnages d'une histoire que j'ai lue. Qu'est-ce que tu disais ?
Elle secoua la tête afin de s'extirper définitivement de sa rêverie. Les émeraudes de l'ancienne louve se levèrent au ciel et elle claqua le livre qu'elle tenait entre ses mains.
— Je te demandais si tu pouvais me montrer la broche que tu as reçue pour la Journée des Boîtes. Tu te souviens, celle que j'attends de voir depuis une semaine ?
Mal à l'aise, Alisée réajusta sa position sur son petit fauteuil. Elles se trouvaient dans l'un des petits espaces de lecture de la bibliothèque, sous les étoiles scintillant au-delà du dôme de verre. Après quelques heures de recherches de ce pauvre Cordes cassées qui restait désespérément introuvable, elles s'étaient décidées à prendre une pause. La plus âgée avait repris sa lecture du dernier volume de la Trilogie des Âmes, qu'elle lisait pour au moins la troisième fois.
Aussi passionnants les personnages étaient-ils, ils ne parvenaient à monopoliser son esprit, celui-ci étant toujours attiré vers les mêmes pensées...
— La broche ? répéta-t-elle bêtement. Oh oui, je... En fait, je l'ai perdue.
Pour ne pas évoquer la bague sertie d'une améthyste offerte par Adrian, ainsi que la petite visite dans sa chambre qui s'en était suivie, elle avait prétendu avoir reçu une simple broche sans intérêt.
— Quoi ? s'écria Danila, rompant ainsi le calme de ce temple littéraire. Tu as perdu un cadeau offert par le roi ?
Elle semblait à la fois scandalisée et... sceptique. Son regard passait au crible son amie, à la recherche d'une quelconque trace de mensonge. Sans doute ne devait-elle pas être dupe quant à son attitude étrange des derniers jours, bien qu'Alisée ait fait tout son possible afin de ne rien laisser paraître...
Mais comment agir normalement après ce qu'il s'était passé ?
— Je t'assure que cette broche ne valait pas plus de dix pièces de cuivre, se justifia-t-elle en essayant d'y mettre un peu de conviction. La preuve, elle était si petite que je l'ai perdue en une semaine !
La jeune immortelle plissa les yeux, pas crédule pour un sou.
— Si tu le dis, abdiqua-t-elle pourtant en se laissant aller sur le dossier de son siège.
Déçue, elle rouvrit son livre et la réserviste se sentit coupable. Lui mentir l'embêtait, seulement elle ne voyait pas comment tout lui avouer. Quelle aurait été sa réaction ? À force d'y réfléchir, Alisée en avait envisagé deux : soit elle sauterait à travers tout le palais en tapant joyeusement dans ses mains, soit elle la traiterait de folle... ce qui aurait été la stricte vérité.
Qu'est-ce qui a bien pu te passer par la tête ? Voilà la question qui la taraudait dès qu'elle repensait au moment où... elle avait embrassé Sa Majesté. En théorie, vos lèvres se sont juste frôlées, et ce à peine une demi-seconde, tentait-elle piteusement de se rassurer. Il lui arrivait même d'espérer qu'elle ait imaginé ce moment, ou qu'un miracle l'ait effacé de la mémoire du souverain, mais...
Parfois, elle se demandait aussi ce qu'il serait advenu si cet éclair ne l'avait pas ramenée à la réalité. Adrian aurait-il... Stop, s'ordonna-t-elle, excédée. Encore heureux qu'elle n'ait pas recroisé le roi, qu'elle prenait grand soin d'éviter.
— Si tu veux, nous pourrions aller faire une promenade dans les jardins, proposa-t-elle à Danila qui elle le voyait bien, faisait semblant de lire. Comme ça, tu pourras étrenner ta nouvelle ombrelle, non ?
En effet, l'ancienne alpha avait trouvé dans sa boîte un joli accessoire aux élégantes broderies. Était-ce le monarque qui choisissait chacun des cadeaux ? La belle vampire serra les poings afin de ne pas repartir sur ce terrain périlleux.
— Oh oui, en plus il n'y a pas d'orage cette nuit ! Je vais me préparer et voir si Jae-Sun veut nous accompagner, puis je reviens !
Peu rancunière, elle se leva avec enthousiasme. Ses cheveux bruns ondoyèrent derrière elle lorsqu'elle se dirigea vers une allée entre deux étagères... avant de retomber le long de son dos quand elle s'arrêta brusquement.
— Oh... Pardonnez-moi, Votre Majesté. Je ne vous avais pas vu.
Elle se recula, ayant failli foncer dans le torse du roi qui justement, prenait l'intersection menant au petit salon de lecture.
— Ne vous en faites pas, mademoiselle Song. Je ne regardais pas où j'allais non plus.
Il ne s'intéressa pas davantage à elle, son attention déjà concentrée sur Alisée. Celle-ci s'était aussitôt levée à son apparition, prête à user de sa vitesse surnaturelle. Disparaître. Filer telle une minuscule souris. L'envie ne lui manquait pas, cependant ses pieds restèrent cloués au sol.
Malgré les quelques mètres qui les séparaient, ses yeux replongèrent au fond des iris océan d'Adrian — ces si dangereux océans qui menaçaient de la noyer — et elle comprit qu'elle avait été folle de croire qu'il ait pu oublier l'autre nuit. Le souvenir de cet instant se refléta à la surface de cette étendue azur, jusqu'à ce que la réserviste se dérobe en premier.
— Pourrais-je vous parler, mademoiselle Alisée ? s'enquit-il d'une voix faussement détendue.
Sa sagesse l'empêcha de rétorquer une réponse négative. Elle ne pourrait éviter une nouvelle discussion avec lui éternellement, alors autant y aller maintenant.
— Évidemment, Votre Majesté.
Son calme apparent ne leurra personne, y compris Danila qui demeurait interdite. En temps normal, elle s'amusait de ce genre de situation, or elle dut saisir la tension entre les deux vampires.
— Commence à aller dans les jardins avec Jae-Sun, je vous rejoindrai après, déclara Alisée en accompagnant ses mots d'un imperceptible hochement de tête.
Son amie comprit le message et contourna le roi afin de s'éloigner.
Un silence on ne peut plus gênant tomba, pendant lequel l'immortelle tordit ses doigts à se les disloquer. Adrian passa au moins une minute à triturer la manche de sa veste noire, puis remarqua le livre posé sur la table basse.
— Oh, vous relisez le troisième tome de la Trilogie des Âmes, constata-t-il.
— Oui, c'est... mon préféré, lâcha-t-elle pour ne pas laisser un nouvel ange passer.
— À moi aussi.
Il esquissa un sourire discret et la réserviste ne réussit qu'à en grimacer un.
— Êtes-vous arrivée au moment où Eva se rend compte que Paul n'est intéressé que par sa couronne ? enchaîna-t-il en s'appuyant à une étagère.
Lors des derniers chapitres, la reine Eva d'Ariéna, petite-fille et fille des héroïnes des tomes un et deux, se rendait compte que celui qu'elle venait d'épouser ne cherchait qu'à obtenir une place au sein de la famille royale. Paul trahissait ses véritables intentions à l'occasion de l'une de ses premières apparitions publiques avec Eva, qui le présentait en tant que "prince consort" et non comme son égal. L'ancien roturier piquait alors une crise mémorable, puis après moult disputes, se lançait dans la préparation du meurtre de sa femme, afin de devenir l'unique régent du royaume.
Heureusement, quelqu'un dénonçait ses plans à la souveraine, qui se retrouvait obligée de le condamner à mort. Bien que cette trahison l'ait complètement brisée, Eva trouvait le courage de lui rendre une ultime visite la veille de son exécution. C'était avec un calme sidérant qu'elle lui adressait ses dernières paroles. Si vous m'aviez aimée pour ce que je suis, au lieu d'idolâtrer un titre auquel vous ne pourrez jamais prétendre, alors mon coeur serait intact et votre tête ne serait pas vouée à tomber dès l'aube.
— Je n'en suis qu'au début, l'informa Alisée.
Peut-être aurait-elle dû ajouter quelque chose susceptible de relancer la conversation, car l'embarras plana de nouveau. Néanmoins, sa capacité à improviser restait paralysée.
— J'ai toujours trouvé dommage que l'auteure ait un peu repris le même schéma que le premier tome, commenta le roi qui paraissait avoir plus d'inspiration qu'elle. Eva subit le même sort que Lucien, son grand-père qui s'est fait prendre dans les filets de cette sournoise de Kathryn...
— Justement, c'est ce parallèle qui rend l'ensemble si parfait, répliqua la réserviste. L'histoire se répète, mais contrairement à Lucien, Eva se bat et est capable de prendre des décisions difficiles pour conserver sa position.
En prononçant ces mots, elle se rendit compte qu'ils pouvaient également s'appliquer à Sa Majesté, lorsqu'il laissait mourir les Sans-Clan... Pouvait-on vraiment préserver un royaume sans consentir à quelques sacrifices ? Si le roi aimait tant ces romans un peu trop dramatiques, était-ce parce qu'il s'identifiait mieux que quiconque aux personnages ?
Adrian dut saisir qu'elle avait dévié vers ce sujet, car il s'intéressa soudain à l'état du parquet.
— Vous avez raison, approuva-t-il doucement. Cependant, pardonnez mon coeur de guimauve si je vous dis préférer les fins un peu plus joyeuses, où tout le monde prétend qu'ils vivront heureux jusqu'à la fin des temps... Mais c'est vrai que les fins dramatiques sont moins prévisibles. Quoique l'imprévu surgisse parfois de nulle part...
Il la regarda droit dans les yeux et elle saisit son sous-entendu. Ses épaules se raidirent, alors que le roi affichait un calme presque insolent.
— Vous savez, fit-il, lorsque l'on vit depuis mille huit cent soixante-quatre ans, rares sont les choses qui réussissent à vous surprendre...
Mille huit cent soixante-quatre ans ? hurla-t-elle intérieurement. Alors c'était donc son âge ?
Toute sa maîtrise d'elle-même ne suffit pas à l'empêcher de se laisser choir sur son fauteuil. D'un côté, certaines rumeurs lui prêtaient plus de deux millénaires d'existence, mais... Le nombre restait étourdissant.
— Pourtant, l'autre soir, reprit-il avec un léger sourire, amusé par sa réaction, je dois reconnaître que vous m'avez surpris... Plus que cela, même.
Alisée osa lever vers lui un regard hésitant. L'étincelle qu'elle lut dans le sien la fit mordre sa joue et alluma en elle une drôle de sensation.
— Je... Je suis désolée, bredouilla-t-elle malgré tout. Je n'aurais jamais dû faire ça et...
— Oh, ne vous excusez surtout pas, la coupa-t-il. Vous pourrez vous vanter de m'avoir complètement pris au dépourvu, ce qui croyez-moi, n'arrive pas souvent.
S'il savait qu'en vérité, tu as été la première surprise ! Elle garda pour elle ses grandes exclamations et redressa simplement le menton.
— J'ai juste légèrement perdu le contrôle de moi-même, Votre Majesté. Cela ne se reproduira plus.
"Légèrement", tu parles d'un euphémisme ! En dépit de sa volonté d'octroyer un peu de crédibilité à ses propos, le sourire d'Adrian s'élargit.
— J'imagine donc que vous refuserez de m'accompagner à l'opéra, dans trois jours ? la questionna-t-il, insupportablement malicieux.
Néanmoins, elle crut distinguer qu'au-delà de ses badineries, il guettait attentivement sa réponse. En témoignait son pied qui s'agitait frénétiquement.
— À l'opéra ? répéta-t-elle avant de se rappeler à quoi il faisait allusion. Vous parlez de la représentation qui doit bientôt avoir lieu au palais ? Je... J'ai déjà dit à Danila que j'irai avec elle.
En réalité, l'ancienne louve ne lui avait que brièvement parlé du spectacle.
— Je doute qu'elle sorte les crocs si vous lui faites faux bond. Surtout si vous lui dites que...
— Adrian, il faut que je te parle, intervint une voix féminine. Tu as...
Beatricia s'interrompit net lorsque l'interpellé se retourna et qu'elle découvrit la présence d'Alisée, jusque-là hors de sa vue. Les lèvres de la cheffe de clan se déformèrent en l'une de ses habituelles moues dédaigneuses, mais elle n'accorda pas davantage de sa précieuse attention à la réserviste.
— Votre Majesté, se reprit-elle après s'être éclairci la gorge. Puis-je m'entretenir avec vous ? Seul à seule ? ajouta-t-elle en désignant vaguement la belle vampire.
Celle-ci fit mine de se lever, or le roi l'arrêta d'un geste.
— Cela vous embête-t-il si elle reste ? s'enquit-il auprès de la demi-soeur de Branwell.
Sa question n'en avait que la forme, car il paraissait contenir un certain agacement. En voulait-il à Beatricia de les avoir dérangés, ou de l'avoir tutoyé devant Alisée ? Un étrange sentiment amer s'était emparé de cette dernière à l'entente du prénom du roi dans la bouche de la Blackfire. Elle tâcha de masquer son ressentiment, tout en évitant de s'interroger sur son origine...
— Bien sûr que non, Votre Majesté, mentit la cheffe de clan avec une minauderie exagérée. Toutefois, ce que j'ai à vous dire est je le crains, assez important. Avez-vous lu les derniers rapports des milices ? Ou ne serait-ce que les journaux ? fit-elle en agitant la gazette qu'elle tenait entre les mains.
Une certaine angoisse transparaissait dans sa voix et à bien y regarder, elle ne semblait pas au meilleur de sa forme. Ses cheveux châtains méchés de blond rebiquaient à certains endroits, comme si elle n'avait pas eu le temps de soigner sa coiffure. Et comble de la négligence, une infime trace de rouge à lèvres dépassait de leurs contours.
— Pas encore, je comptais le faire tout à l'heure. Il y a un problème ?
Elle lui tendit le journal et Alisée se redressa pour en lire le gros titre. Trixie Blackfire : l'exploit de trop.
— Eh bien, avec qui avez-vous couché, cette fois-ci ? l'interrogea Adrian, très sérieusement.
La cheffe de clan leva les yeux au ciel et se permit de pousser un grognement d'exaspération.
— Pouvez-vous vous donner la peine de lire l'article en entier, Votre Majesté ? s'agaça-t-elle en insistant bien sur les deux derniers mots, comme le faisait parfois la réserviste.
Le roi s'exécuta docilement. La belle vampire vit ses sourcils dorés se froncer au fil de sa lecture, ainsi qu'un air las se peindre sur son visage. Il lança finalement le journal sur la table basse près d'elle et se frotta le bout des doigts, tentant vainement d'en chasser l'encre noire.
— Beatricia, ce n'était pas le moment de faire ça, vous savez bien que...
— Vous croyez vraiment que j'ai fait une chose pareille ? s'exclama-t-elle. Je sais que tout le monde ici me prend pour une sotte uniquement bonne à réchauffer votre lit, mais je pensais que vous sauriez faire preuve d'un peu plus de discernement !
Elle paraissait sincèrement déçue et vexée. Intriguée, Alisée se pencha vers l'article à la une de l'actualité.
« Bien que ses frasques nous lassent déjà depuis bientôt quatre siècles, il semblerait que Beatricia Blackfire soit décidée à faire parler d'elle. Après une soirée d'anniversaire à grands frais financée par son frère — qui y aurait dépensé le sixième du budget annuel des McLawrence — ainsi qu'un bal masqué à la démesure indécente, notre Trixie adorée a trouvé le moyen de frapper encore plus fort : acheter le modèle unique d'une bague en vidant les comptes publics. Nous vous expliquons tout.
Angelo Bel-Iris, notre "noble" administrateur des finances royales et admirateur notoire de la sulfureuse cheffe de clan, vient de révéler l'existence d'une étroite correspondance entre elle et lui depuis quelques semaines. Entre deux promesses de goûter à son légendaire savoir-faire, Trixie l'a supplié de la laisser emprunter cent mille pièces d'or dans le trésor public, afin de financer une bague d'une extrême rareté, estimée à ce prix.
Aveuglé par tant de mots doux, ce pauvre diable d'Angelo s'est laissé prendre au piège et par l'intermédiaire d'une amie de la Blackfire, lui a fait passer la somme souhaitée. Or voilà que la plus célèbre des catins du roi ne lui donne plus aucun signe de vie. Nul besoin de préciser que les cent mille pièces d'or n'ont pas été remboursées, malgré le délai promis de deux semaines largement dépassé...
Combien de temps encore laisserons-nous une voleuse nous diriger et se passer tous ses plaisirs à nos dépens ? »
La réserviste, qui avait parcouru les colonnes en diagonale, dut les relire une seconde fois. Cependant, les éclats de voix de Beatricia compromettaient sa compréhension :
— Je vous jure que je n'ai rien à voir avec tout ça, affirmait-elle au souverain. J'ignore qui a manigancé cela, mais je n'ai jamais écrit une seule lettre à Angelo.
— Qui est cet Angelo Bel-Iris ? osa demander Alisée, qui avait certes compris qu'il gérait les finances publiques, sans exactement saisir l'ampleur de sa tâche.
La soeur de Branwell la foudroya du regard pour avoir ainsi interrompu sa discussion avec le roi.
— Il est l'homme chargé de répartir équitablement les budgets de chaque clan, l'informa Adrian. L'intendant des finances, si vous voulez. Il doit veiller à ce que tous les groupes puissent subvenir à leurs besoins, sans que leur déficit ne soit trop important. C'est lui qui décide où vont les impôts récoltés auprès de nos sujets. Isabella contrôle évidemment ce qu'il fait, enfin... d'habitude.
— Il a dû agir dans son dos et falsifier des comptes rendus, se désola Beatricia. Comment a-t-il pu croire que je consentirais à coucher avec lui si je lui empruntais de l'argent ? Il a au moins le double de mon âge physique !
— Ce qui m'étonne, c'est surtout qu'il ait vendu toute cette histoire à la presse sans m'en toucher un seul mot. Angelo est fidèle à son poste depuis au moins trois cents ans... Mais on dit bien qu'il n'y a rien de plus dangereux qu'un coeur brisé.
Et que de placer tous ses oeufs dans le même panier ! eut envie de rétorquer la réserviste. Pourquoi confier la responsabilité du trésor public à une seule et même personne ? La simple surveillance de la princesse ne pouvait être suffisante, là en était la preuve.
— Euh... En fait, hésita la cheffe de clan, un peu mal à l'aise, lorsque Branwell et moi avons établi la liste des invités pour le bal masqué, il se peut que nous ayons "omis" Angelo. Étant donné que les invitations sont envoyées au nom de Sa Majesté, il a dû croire que vous l'aviez snobé et s'en est vexé...
Dépité, Adrian poussa un long soupir et se laissa tomber sur le large accoudoir du fauteuil d'Alisée.
— Il est tellement ennuyant et toujours si mal rasé ! se défendit la Blackfire. Il gêne tout le monde plus qu'autre chose, Branwell était d'accord et nous n'avons pas pensé une seconde à...
— Assez, Beatricia, la coupa froidement le roi, cessant toute comédie. Tu n'y es peut-être pour rien dans cette histoire de fausses lettres, de bague ou de je ne sais quoi, mais il est inutile de jouer les victimes. Il ne te reste plus qu'à espérer que le royaume et les membres de ton clan ne réagiront pas de manière excessive face à tout ce cirque.
— Tu sais aussi bien que moi que la situation est déjà tendue sur mon territoire. Il faudrait que les mesures de protection du palais soient renforcées, au cas où il viendrait à l'idée de ces fous de...
— Non, trancha-t-il. Je ne ferai que démentir toute cette affaire, mais aucun argent supplémentaire ne sera dépensé. Si j'en crois ces stupides journaux, cent mille pièces d'or ont disparu et à l'heure actuelle, cela me préoccupe davantage que ton sort.
Ces mots, prononcés avec une implacable dureté, eurent l'effet d'un coup de poing sur Beatricia. Elle esquissa un mouvement de recul et cligna plusieurs fois des paupières, pareil à si elle réfrénait des larmes.
— Adrian, je...
— Cela fait des mois qu'Isabella t'a prévenue que les Blackfire en ont assez de toi. Tu n'as pas voulu la croire, maintenant on dirait bien que tu vas pouvoir constater les choses par toi-même. Tu ferais mieux de me déposer ta démission plutôt que de me réclamer de l'aide.
Les poings de la cheffe de clan se serrèrent, jusqu'à ce que ses jointures deviennent livides. Elle adressa un dernier regard chargé d'éclairs au roi, puis s'en alla en faisant claquer ses talons. Bien qu'elles soient hors de son champ de vision, Alisée entendit les grandes portes de la bibliothèque se fermer avec fracas.
Le monarque marmonna des paroles inintelligibles et se releva péniblement de l'accoudoir.
— Il faut que j'aille voir si ma fille a été informée de tout ça et si nous avons des pistes quant à ce qu'il est advenu des cent mille pièces d'or. Franchement, j'ignore qui est le plus stupide... Angelo d'avoir fait preuve d'une telle imbécilité, Beatricia de ne pas l'avoir invité, ou moi de déléguer trop de choses à tout le monde...
Tandis qu'il se massait le front, la réserviste eut l'impression d'entrevoir le très, très vieil homme âgé de plus de dix-huit siècles, caché derrière son apparence de vingt-huit ans.
— En tout cas, les futés sont ceux qui ont fomenté ce coup-là, déclara-t-elle. Pensez-vous que cela puisse avoir un rapport avec l'agitation chez les Blackfire et les Tanner, ou même l'attaque de loups-garous ?
— Je n'en ai aucune idée, reconnut-il. Votre amie censée vous fournir des informations ne vous a toujours pas répondu ?
Alisée secoua la tête. Il était étonnant que pile au moment où elle lui réclamait des renseignements, Kristal cesse brutalement sa correspondance. Soit elle avait pris conscience que sa duperie allait trop loin, soit elle savait bien quelque chose, mais quelqu'un l'empêchait d'en parler... La piètre opinion que la belle vampire se faisait de la petite rousse l'obligeait à tendre pour la première possibilité.
— Les soldats vadrouillant chez les Tanner n'ont rien débusqué de suspect, poursuivit-il. Ils ont inspecté les tavernes telles que celle où pourrait travailler votre amie, mais tout était en ordre. J'ai aussi contacté le Grand Alpha et d'après lui, les loups-garous n'expriment pas une volonté particulière de voir les vampires quitter leur terre, ce qui rend le récit de ceux qui nous ont attaqués encore plus douteux...
— Les avez-vous réinterrogés ?
— Isabella s'en est chargée et malgré ses méthodes assez... musclées, ils n'ont pas changé leur version des faits. Ils maintiennent toujours vouloir la fin du traité de paix inter-espèces. Nous les avons ensuite renvoyés sur la Terre des Loups, où leur alpha décidera de leur sort.
Déjà que la situation n'avait rien de simple, voilà qu'un autre élément venait s'y ajouter. Seulement, il se pouvait très bien que ces événements soient indépendants les uns des autres et n'aient pas la plus petite origine commune. Peut-être lisait-elle trop d'histoires royales avec des conspirations, mais la réserviste doutait qu'il s'agisse de simples faits isolés...
— Et cet Angelo, ne croyez-vous pas qu'il soit volontairement tombé dans le panneau ? Je veux dire... Qui pourrait croire qu'une bague puisse coûter cent mille pièces d'or ?
À ce prix-là, autant acheter une petite galerie dans une mine de pierres précieuses...
— Oh, croyez-moi, il y en a bien une qui vaille ce prix, s'amusa-t-il en mettant les mains dans ses poches. Deux, en fait.
Alisée resta un moment sans comprendre, puis ses yeux s'écarquillèrent.
— Attendez, vous parlez de...
Un clin d'oeil fut sa seule réponse. Il se recula avant qu'elle ne puisse ajouter quoi que ce soit et évita habilement une étagère.
— Vous m'informerez si vous changez d'avis, pour l'opéra, lui lança-t-il. Et même si vous vous décidez au dernier moment, ce n'est pas grave. Personne d'autre ne prendra votre place.
Note de l'auteure :
Coucou ! J'espère que vous allez bien et que ce chapitre vous a plu ! ❤️
Pour info, toute cette histoire autour de Beatricia et la bague est un peu inspirée (dans les très, très grandes lignes) de l'affaire du collier de la reine Marie-Antoinette, qui a eu lieu en 1785. Il s'agit d'une escroquerie fomentée par des aristocrates, qui ont fait croire à un cardinal épris de la reine qu'il entretenait une correspondance avec cette dernière. En se faisant passer pour elle, ils ont poussé le cardinal à avancer la somme de 1,6 million de livres, soi-disant afin de financer un collier pour Marie-Antoinette. Persuadé d'avoir affaire à la reine et d'être plus tard remboursé, il est tombé dans le piège.
L'histoire est remontée aux oreilles du roi, qui a convoqué le cardinal à Versailles, avant de le faire enfermer à la Bastille, sur demande de la reine. Cette décision, jugée injuste par la Cour (le cardinal n'étant qu'une victime de ce coup monté) a contribué à écorner l'image de Marie-Antoinette, alors qu'à l'origine, elle n'avait aucune responsabilité dans cette affaire.
Bon je vous résume très largement, si vous voulez plus de détails, Wikipédia saura beaucoup mieux vous expliquer que moi... 😅
Voilà c'était la petite minute "Fairy Bern", je vous remercie de toujours être là, si tout va bien on se retrouve dimanche pour une petite surprise (qui n'est pas un chapitre) 😘❤️
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