Chapitre 36 - Pauvre poupée piégée
Qu'a donc fait cette pauvre chambre pour se retrouver affligée d'une décoration pareille ? Telle était la question que se posait Kristal dès qu'elle y mettait les pieds. Elle voulait bien croire que des logements situés sous les toits d'une taverne ne pouvaient prétendre au luxe d'un palais, mais tout de même ! D'après ce qu'elle savait, un peu de raffinement n'avait jamais tué personne !
Cependant, en cette fin de nuit-là, l'apparence de son repaire lui importait peu. Faisant abstraction des affreux murs orange et des tableaux aux paysages désespérément mornes, elle s'attela à son petit bureau. Enfin, ce dernier terme était bien trop gratifiant pour désigner la vieille table bancale au bois moisi et tâché d'encre... Elle ouvrit en hâte l'un des tiroirs et en sortit un joli papier à lettres acheté avec son propre argent. À défaut de se procurer du poison afin de tuer Dame Miranda, elle avait jeté son dévolu sur plein de petites choses susceptibles d'ajouter des notes d'élégance à son quotidien.
Ainsi, elle s'équipa d'une magnifique plume blanche vaporeuse et débuta par ces mots :
« Ma très chère Alisée,
Tu n'imagines pas à quel point je suis lasse de ma misérable existence. Aujourd'hui encore, un bougre d'abruti s'est lamenté parce que je n'avais pas mis assez de rhum dans son cocktail. Il me toisait comme si je lui devais quelque chose, alors qu'au fond, ne devrait-il pas me remercier ? Certes, nous autres vampires ne pouvons ni mourir, ni finir aussi ivres que des vieux matelots, mais je suis persuadée que l'alcool joue quand même des tours à notre cerveau. Si seulement tu voyais les énergumènes qui prolifèrent ici ! Je pourrais miser ma tête sur le fait qu'à eux tous, ils seraient incapables de résoudre le plus simple des casse-têtes pour enfants ! »
Elle se demandait toujours comment ces soûlauds réussissaient à trouver le chemin de leur maison avant le lever du soleil. Surtout qu'avec la quantité d'alcool qu'ils ingurgitaient, l'astre du jour les aurait enflammés en moins d'une seconde.
« En plus, c'est ma patronne qui m'ordonne de ne pas être trop généreuse sur les doses. Elle n'est animée que par une seule idée : celle de faire le plus de bénéfices possible. Il n'y a absolument que cela qui compte. J'ignore ce qu'elle fait de tout cet argent, puisqu'elle porte en permanence les mêmes robes ternes et vulgaires. Ne crois pas qu'elle s'en sert afin d'améliorer l'agencement de son établissement, car celui-ci ressemble davantage à une porcherie qu'à un restaurant. Il n'y a pas de nappes sur les tables, te rends-tu compte ? Remarque, je crois qu'il serait impossible d'en garder une propre plus d'une minute, car... »
La petite rousse poursuivit son discours, heureuse de pouvoir exprimer le fin fond de sa pensée. Elle se doutait bien que cette ennuyeuse Alisée n'avait que faire de ses problèmes, mais les coucher sur le papier lui faisait un bien fou. Il lui était évidemment impossible de se plaindre auprès d'Enrica, puisque cette gourgandine ne tolérait jamais le moindre épanchement. Comment faisait sa patronne pour supporter une vie si... invivable ? À quoi cela rimait, de consacrer tout son temps à cette pitoyable taverne ?
Heureusement, si les plans de Kristal se déroulaient comme prévu, elle ne passerait pas le reste de son immortalité à récurer des chopes de bière... Avec un petit sourire, elle mit un point à son paragraphe et entra dans le vif du sujet :
« Enfin, j'imagine que je ne puis m'apitoyer sur mon sort alors que tu vis sous le même toit que le roi... Je viens de recevoir ta dernière lettre et tu as beau m'affirmer que tout va très bien pour toi, je ne peux m'empêcher de m'inquiéter. On raconte tellement de choses atroces au sujet de Sa Majesté ! Je suppose qu'avec cette histoire d'attaque de loups-garous, l'ambiance au palais doit être encore plus tendue... D'ailleurs, c'est avec plaisir que je te livrerai toutes les informations que je détiens à ce propos. Seulement... »
La règle d'or pour produire un effet dramatique et haletant : laisser sa phrase en suspens.
La serveuse avait passé tout son service à réfléchir à la formulation exacte de sa missive.
« Seulement, tu te doutes bien que t'indiquer les instigateurs de cette attaque me mettrait dans une position délicate... Il s'agit d'un important mouvement et quand bien même le roi réussirait à en faire arrêter une majorité, il ne parviendrait à bout de tout le groupe. Les résistants chercheraient à débusquer la personne qui les a dénoncés et je ferais bien sûr partie des principaux suspects. Il faudrait donc que ma sécurité soit assurée, de manière à ce que je ne me retrouve pas au milieu de tout ce bazar quand il éclatera. »
Que croyait donc Alisée ? Qu'elle allait lui offrir sur un plateau les partisans du Feu Nouveau et la laisser récolter toute la gloire auprès du roi ? Kristal ne pourrait tirer profit de ces renseignements que si elle les confiait directement à Sa Majesté. Et en échange, il devait lui assurer une meilleure position sur la Terre des Vampires. Peut-être connaissait-il de charmants jeunes hommes transformés à un âge qui ne dépassait pas les quinze ans ?
De toute façon, peu importait qu'il lui trouve ou non un fiancé, elle se contenterait d'un meilleur logement et d'un travail moins dégradant que celui qu'elle occupait actuellement. Ce n'était pas exiger le trésor royal, si ?
Elle boucla sa lettre par des questions sur la vie d'Alisée au palais, tout en essayant de ne pas trop laisser paraître sa curiosité. Même si elle se moquait bien de ce qui pouvait advenir de son "amie", elle s'interrogeait sur le quotidien que menait celle-ci. Dans ses précédents courriers, elle restait évasive et prétendait que tout se passait pour le mieux, mais Kristal demeurait sceptique. Elle aurait parié sur le fait que le monarque faisait endurer un calvaire à ses réservistes, or cela semblait être tout l'inverse.
Sûrement a-t-elle déjà couché avec le roi, supposait-elle parfois. Vu le nombre de charmants libraires et autres fous qui tombaient sous son charme sur la Terre des Loups, elle doutait que Sa Majesté joue les exceptions. Qu'il était pratique d'être transformée à vingt-cinq ans, surtout en étant aussi belle !
Une fois sa jolie signature inscrite au bas de la page noircie d'encre, elle la glissa dans une enveloppe et y apposa soigneusement un sceau de cire rouge. Elle se leva et enfila une légère cape d'été ainsi qu'un chapeau assorti à sa robe de mousseline rose. La poche de cette dernière lui servit à cacher sa lettre, puis elle sortit de sa chambre.
Il ne fallait que dix pas pour parcourir l'étage supérieur de la taverne et atteindre l'escalier qui menait au rez-de-chaussée. Au bas des marches grinçantes se dressait une porte fermée à clé, empêchant les clients d'accéder aux appartements de la patronne et de la serveuse. Enrica ne cessait de sermonner sa jeune employée lorsque celle-ci oubliait de reverrouiller la serrure après son passage, alors elle s'appliqua à suivre les ordres.
Surtout que sa petite sortie devait rester discrète.
Elle traversa la salle vide de tout client en veillant à ne faire aucun bruit. À cette heure-là, quand le soleil menaçait de se lever d'une minute à l'autre, la taverne venait de fermer. Cela n'empêchait pas la maîtresse des lieux de s'activer dans un étroit local derrière le comptoir, où se trouvaient les réserves de vaisselle et d'alcool. Le tintement cristallin des verres et bouteilles indiqua à Kristal qu'Enrica s'y trouvait bien. Elle ne remarquerait donc sûrement pas son absence, la croyant en train de baver sur son oreiller à l'étage.
Non pas que la rousse ait de comptes à lui rendre — ce n'était pas cette fille de basse condition qui allait régir sa conduite — mais mieux valait qu'elle ne soit pas au courant de toutes ses allées et venues. Lorsqu'elle la surprenait à gagner sa chambre en catimini, elle prétendait avoir eu envie de prendre l'air ou de faire des achats. Sa patronne restait néanmoins perplexe, la plupart des boutiques se trouvant trop loin pour les visiter avant le lever du jour.
Par chance, le bureau de poste ne se situait qu'à quelques rues, ce qui laissait tout juste à Kristal le temps de s'y rendre et de revenir au Rocher du Vieux Ben.
Au-delà des toits des hauts immeubles, le ciel nocturne commençait à s'éclaircir, faisant disparaître les étoiles et ternissant l'éclat de la lune. Plus grand monde ne se risquait dans les ruelles et seuls quelques cavaliers croisèrent la route de la serveuse. Un élégant jeune homme leva même son chapeau à son approche et elle le gratifia d'un sourire radieux. Il n'arrêta toutefois pas son cheval, chacun poursuivant leur route.
Bien que cette infime marque d'attention l'ait rendue fière et heureuse, elle l'oublia dès que les claquements de sabots s'éloignèrent derrière elle. Pour le moment, son unique préoccupation consistait à faire acheminer cette missive jusqu'au palais. Elle seule réussirait peut-être à changer sa vie, à l'inverse de ce bellâtre qui n'avait certainement rien à faire d'elle. Un jour, je te trouverai, riche et beau mari, se promit-elle. Cependant, si elle rencontrait l'opportunité de fréquenter des hommes bien plus hauts placés que ceux vivant dans ce clan, alors autant attendre un peu. Et si le roi te mettait en relation avec un chef ayant à peu près ton âge physique ?
Celui présent lors de l'Attribution d'Alisée l'avait plus dégoûtée qu'autre chose, mais elle espérait que d'autres soient plus dignes de la courtiser. Au pire, songea-t-elle en prenant un virage, tu te contenteras d'un...
Des doigts se refermèrent soudain autour de son poignet et elle poussa un cri.
Une force la tira vers le mince espace qui séparait deux habitations et la plaqua contre un mur rugueux. Elle sentit les imperfections de la pierre s'enfoncer dans son dos, transperçant les fins tissus de sa cape et de sa robe. Une main s'écrasa sur sa bouche pour l'empêcher de hurler, en même temps que des yeux verts bien familiers s'ancraient aux siens.
— Arrête de bouger, sale petite garce, siffla une voix qu'elle aurait préféré ne jamais réentendre.
Les griffes de Dame Miranda firent saigner ses joues et son autre bras comprima sa poitrine, mais Kristal ne cessa de gesticuler. La vieille vampire retira finalement la main de son visage, avant de la renvoyer aussitôt afin de la gifler. Le choc expédia la tête de la petite rousse contre le mur, la faisant pousser un glapissement.
— Vous... Vous êtes complètement folle, s'étrangla-t-elle en portant les doigts à sa peau meurtrie.
Son ancienne propriétaire ne lui laissa pas le temps de se remettre du coup et l'obligea à se redresser. Elle commença à fouiller au fond des poches de la jolie robe de mousseline, ce qui encouragea Kristal à se débattre de nouveau. Cependant, Dame Miranda possédait au moins le triple de sa force. Autant essayer de se battre avec une statue de marbre.
— Lâchez-moi ! s'écria-t-elle vainement. Qu'est... Qu'est-ce que vous me voulez ?
Elle sentait du sang couler le long de sa tempe, mais toute son attention restait concentrée sur le visage de la vieille immortelle, aussi pincé que son chignon roux foncé. Les mains de cette dernière restèrent enfoncées dans les poches de la serveuse, jusqu'à en ressortir avec l'enveloppe scellée de cire rouge.
— J'en étais sûre, maugréa Dame Miranda en déchiffrant l'adresse. Je savais que ton esprit tordu de petite vicieuse mijotait quelque chose !
Kristal voulut attraper la lettre, or son assaillante la maintenait hors de sa portée et continuait de presser sa victime contre le mur.
— Cela fait un moment que je te suis, persifla-t-elle avec un sourire à faire frissonner une hyène. À l'instant où je t'ai vue dans cette taverne en y entrant pour la première fois, j'ai su que tu allais nous attirer des problèmes.
Si la jolie rousse avait déjà été témoin de la violence de Dame Miranda sur d'autres personnes, elle n'en avait que rarement fait les frais. La mégère préférait la rabaisser avec des remarques bien placées sur son physique ou son manque de talent en à peu près tous les domaines, mais ne prenait jamais la peine d'employer la force. Désormais, elle pouvait mesurer la puissance de sa poigne et de ses coups.
— Qu'est-ce... Qu'est-ce que ça peut vous faire que ces partisans du Feu Nouveau parviennent à leur but ? réussit-elle à souffler. Qu'avez-vous à y gagner ?
Sans relâcher sa prise, la vieille vampire partit d'un rire à faire saigner les oreilles.
— Tu es encore plus stupide que je ne le pensais, se navra-t-elle faussement. Ils vont enfin réussir à mettre un terme à des siècles d'injustice et de corruption, et toi tu trouves le moyen de tout compromettre. Ne compte pas sur moi pour te laisser faire.
Malgré la douleur lancinante qui lui cinglait la tête, ainsi que la crainte quant à ce que Dame Miranda allait lui infliger, Kristal articula :
— Vous parlez de corruption, mais n'est-ce pas vous qui avez payé le secrétaire de Benjamin Tanner afin de ne pas avoir à travailler pour votre cla...
Une nouvelle gifle l'interrompit et cette fois, ses dents mordirent sa lèvre inférieure. Un affreux goût âcre se répandit dans sa bouche et ruissela sur son menton. Elle s'obligea néanmoins à soutenir coûte que coûte les iris perçants de son ancienne propriétaire.
— Tu n'es qu'une espèce de parasite, ma pauvre fille. Toujours à fourrer ton sale petit nez dans ce qui ne te regarde pas. Tu adores jouer les mal...
— Eh, vous ! la coupa une voix ferme. Écartez-vous d'elle immédiatement !
Il ne s'agissait pas d'un beau prince venant de sauter au bas de son cheval blanc, mais d'Enrica. Les quelques lanternes de la rue adjacente éclairaient ses yeux du même bleu que celui du ciel, qui devenait de moins en moins sombre. Une flamme de fureur miroitait au fond de ses prunelles rivées sur Dame Miranda.
— Ne vous mêlez pas de ça, lui ordonna la vieille vampire.
Son ton empli de mépris ne dut pas plaire à la patronne, car elle redressa lentement le menton.
— En vous en prenant à mon employée, vous m'attaquez également. Alors retirez vos sales pattes d'elle, sinon c'est à moi que vous devrez rendre des comptes.
Sans surprise, son opposante se mit à ricaner.
— Je crois que j'aurais plus peur d'un louveteau que de vous...
Le regard de la nouvelle venue étincela. Une seconde plus tard, son poing percutait le menton de Dame Miranda, si fort que celle-ci desserra sa prise sur Kristal. La petite rousse en profita pour la repousser aussi fort qu'elle le put, peu habituée à se servir de sa force surnaturelle. Elle réussit à la projeter légèrement en arrière et la vieille vampire fondit avec hargne vers Enrica.
Sa cible réutilisa sa vitesse vampirique afin de l'éviter et lui décocha un autre coup dans le ventre. Un grognement de fureur s'échappa des lèvres de Dame Miranda, qui loin de se décourager, repartit à l'assaut.
Encore endolorie et sonnée, la serveuse observa avec effroi les deux immortelles se battre tels des chiens enragés. Elle peinait à suivre l'ensemble du spectacle tant il se déroulait rapidement, mais à sa grande stupeur, elle put constater que sa patronne avait le dessus. La jeune brune n'esquivait certes pas toutes les attaques, cependant elle se redressait à chaque fois et visait toujours les bons endroits. Kristal avait déjà vu Dame Miranda frapper des Neutres ou même Alisée, or elle ignorait qu'elle savait lutter à ce point. Qui aurait cru que derrière ses perpétuels gants de dentelle noire, se cachaient de pareilles mains de combattante ?
Enrica réussit finalement à prendre le dessus et envoya son opposante à terre. Elle appuya ensuite son pied près de son cou, l'empêchant ainsi de se relever. La vieille buveuse de sang eut beau se débattre en grognant et proférant mille insultes, son adversaire ne céda pas.
— Je vais mettre les choses au clair, fit cette dernière en pressant davantage sa victime contre le sol. Les partisans du Feu Nouveau paient peut-être pour privatiser ma taverne, mais c'est moi qui décide qui a le droit d'y entrer. Alors si vous voulez continuer d'assister à ces misérables réunions, je vous conseille de ne plus approcher vos sales griffes de ma serveuse... L'avez-vous bien compris ?
Dame Miranda poussa un grondement empli de rage, sa gorge trop comprimée pour qu'elle puisse proférer un mot.
— Je suppose qu'il s'agit d'un oui, la nargua Enrica avec insolence. Maintenant, dégagez d'ici.
Elle ôta son pied du corps de la vieille vampire et celle-ci se releva péniblement. Ses yeux verts foudroyèrent les deux jeunes filles, si bien que Kristal fut persuadée qu'elle allait revenir à la charge. Elle se contenta pourtant de cracher du sang près des jupons bleu foncé de la patronne, puis disparut telle une bourrasque de vent.
Un silence plana dans l'étroit passage sombre et la petite rousse prit de grandes inspirations sifflantes. Adossée à l'un des murs, elle sentait le sang s'écouler de son visage et goutter sur sa robe, malgré ses plaies qui commençaient déjà à cicatriser. Si le choc et la peur habitaient également Enrica, elle n'en laissait rien paraître.
— Il va bientôt faire jour, nous ferions mieux de ne pas traîner, décréta-t-elle froidement en ramassant le chapeau de son employée.
La concernée ne s'était même pas rendu compte qu'elle l'avait perdu. De la terre maculait désormais le couvre-chef déformé, mais elle se surprit à s'en moquer.
— Tu... Tu as battu Dame Miranda, articula-t-elle à mi-voix, comme si prononcer ce fait allait l'aider à l'intégrer.
Or il lui paraissait toujours aussi... impossible. Cela faisait près de cinquante printemps qu'elle connaissait son ancienne propriétaire et jusque-là, seules de très rares exceptions avaient réussi à lui tenir tête.
— Comment... Comment sais-tu te battre comme ça ?
À voir Enrica et son corps physiquement âgé de dix-sept ans, nul n'aurait pu parier qu'elle soit si adroite de ses poings. Certes, elle savait remettre à leur place les clients qui négligeaient le paiement de leurs consommations, cependant...
— Disons que passer quelques décennies dans la piraterie t'apprend deux ou trois petites choses, lança-t-elle avec amertume. Maintenant, dépêche-toi ou je te laisse rôtir ici.
La piraterie ? se stupéfia Kristal. Elle savait que ce qui se passait sur l'océan entourant le continent relevait presque d'un autre monde, néanmoins elle ignorait que sa patronne en avait fait partie. Mille questions la brûlaient, or elle s'obligea à les contenir et à suivre sa "sauveuse" qui s'éloignait.
— Comment nous as-tu trouvées ? eut-elle plutôt la jugeote de demander.
Plus personne ne circulait dans les ruelles, le soleil s'apprêtant à se lever d'une minute à l'autre. Enrica rompit toutefois son pas pressé afin de faire face à la rousse.
— À cause de ça ! s'exclama-t-elle en brandissant l'enveloppe froissée destinée à Alisée.
Kristal resta pantoise et remarqua que sa patronne s'était ouvert l'arcade sourcilière dans la bataille. Elle ne semblait pas se formaliser de la douleur, toute sa colère concentrée sur la petite vampire.
— Tu... Tu as eu le temps de la lire ? s'étonna-t-elle, ne l'ayant même pas vu la subtiliser à Dame Miranda.
— Bien sûr que non, grogna la brune en levant les yeux au ciel. Mais tu crois réellement que ton manège m'est passé inaperçu ? Cela fait un moment que je te suis et te vois aller porter ces lettres au bureau de poste... Et je devine assez bien de quoi il s'agit !
— Quoi ? s'écria la serveuse, outrée en dépit de sa tête qui lui tournait. Tu m'espionnes ? N'as-tu donc pas honte ?
Elle qui pensait vraiment qu'elle ne faisait pas suffisamment attention à elle pour s'en rendre compte ! Et qui se croyait discrète, aussi...
— Et tu oses encore m'en vouloir ! s'esclaffa Enrica d'un rire sans joie. Tu te rends compte que cette femme aurait pu te tuer, ou ne serait-ce que te briser la nuque et laisser ton corps inconscient finir brûlé ? Si elle répète aux autres partisans du Feu Nouveau que tu livres des informations à je ne sais qui au palais, ils ne t'enverront pas une jolie carte avant de t'arracher le coeur !
Kristal cilla, mais ne lâcha pas l'affaire.
— Justement, je m'efforce d'assurer mes arrières, déclara-t-elle en croisant les bras sur sa robe au tissu rose éraflé. Une fois que cette lettre sera parvenue à destination, je n'aurais plus rien à craindre de Dame Miranda, ni de ces autres imbéciles.
— Tu n'as absolument aucune idée de ce à quoi tu t'attaques. Je ne les aime pas plus que toi, or sous leurs airs "d'imbéciles", comme tu dis, ils savent exactement ce qu'ils font. Et tant que tu travailleras à mon service, je t'empêcherai de te mettre en travers de leur chemin, car les choses finiraient par me retomber dessus. Je vais donc t'interdire la moindre sortie, sauf sous ma surveillance.
La petite rousse crut recevoir un énième coup.
— Très bien, affirma-t-elle en contenant son indignation. Puisque c'est ça, je démissionne !
Enrica ne s'émut pas de cette annonce, sachant sûrement que ses prochains mots allaient lui faire réfléchir à sa décision :
— C'est comme tu veux. Mais n'espère pas qu'ils te laisseront t'en tirer si facilement avec de tels renseignements à leur sujet. Crois-moi, pour cette fois-là, mieux vaut être de leur côté que de celui du roi et ses fichus chefs de clan.
Puis sans attendre une nouvelle réplique, elle tourna les talons et reprit la route de la taverne.
Kristal enfonça ses ongles dans ses paumes et marmonna une flopée de jurons que l'on pouvait qualifier de tout, excepté de raffinés.
Tant pis pour Sa Majesté. Elle trouverait un autre moyen de quitter ce trou à rats.
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