Chapitre 16 - De si belles surprises
Alisée attendait avec impatience la venue de Nessa. Pas seulement car la domestique lui apporterait peut-être une lettre du bureau des archives, mais surtout pour savoir comment elle se sentait.
La veille, les Jeux de Mendoza s'étaient tristement conclus juste après la démonstration de la princesse. Si tous les courtisans en voulaient à Isabella d'avoir ainsi gâché la fête en réglant ses propres comptes, personne n'osait prononcer un mot à ce sujet. Seul un nombre restreint appréciait Beatricia, or aucun n'oubliait qu'elle s'était battue vaillamment, jusqu'à ce que Son Altesse décide de la vaincre par la ruse.
Mais quitte à choisir, autant se placer du côté de la fille du roi que dans celui de la cheffe du clan Blackfire. Plus aucune allusion à cet événement ne fut donc faite.
— Bonsoir, mademoiselle, déclara Nessa avec sa douceur habituelle, lorsqu'elle entra enfin dans la chambre d'Alisée.
Cette dernière la salua en retour, puis hésita. Devait-elle vraiment lui reparler de ce qu'il s'était passé avec Drew et Danila ? Ce fut finalement la femme de chambre qui la devança :
— Je tenais à m'excuser pour mon comportement d'hier soir, commença-t-elle calmement en la regardant dans les yeux. Je me suis montrée stupide et mon attitude puérile n'a pas été à la hauteur de votre gentillesse et de celle de mademoiselle Song. Je lui présenterai également mes excuses dès que je la verrai.
— Nessa...
Trop déconcertée, la belle vampire ne sut quoi lui dire. La domestique ne paraissait d'ailleurs pas attendre de réponse, puisqu'elle attrapa directement sa petite lame et une des flasques de son chariot. Tandis que le sang remplissait le récipient, un silence tomba entre elles. Le liquide s'écoulait tel le sable d'un sablier, indiquant à Alisée combien de temps il lui restait pour trouver quelque chose à répondre. La douleur ne l'aidait guère à gagner en inspiration...
— Je... Je n'ai aucun droit de me mêler de vos affaires, finit-elle par balbutier alors que Nessa rebouchait la petite bouteille, mais... Je ne pense pas que Drew et mademoiselle Song soient très intéressés l'un par l'autre. Après votre départ, ils ne se sont plus tellement adressé la parole.
Ce n'était qu'à moitié vrai. Effectivement, dès la fin des combats, le valet avait remarqué l'absence de la Neutre et s'était enquis d'elle auprès de la réserviste. Quand celle-ci lui avait fourni l'excuse d'une migraine, son regard bleu s'était immédiatement chargé d'inquiétude. Cependant, cela ne l'avait pas empêché de quitter Danila en lui adressant un immense sourire.
— Ne vous inquiétez pas pour ça, lui assura la domestique avec une apparente désinvolture. Ils ont bien le droit de faire ce qu'ils veulent, non ? Et puis si cela peut vous conforter, ajouta-t-elle avant qu'Alisée ne réplique quoi que ce soit, Drew est venu me parler tout à l'heure. Toutes ces histoires sans importance ont été tirées au clair.
Elle ne précisa rien de plus, se contentant de hocher la tête avant de prendre congé. La vampire s'obligea à se satisfaire de cette réponse, puis se rappela que de toute façon, rien de cela ne la regardait.
Se promettant tout de même de guetter l'état de Nessa dans les prochains jours, elle se mit en route pour la bibliothèque. Peut-être y trouverait-elle Danila ou une occasion de lire tranquillement sous la voûte étoilée. La femme de chambre ne lui ayant apporté aucune lettre, elle n'aurait pas de nouvelles de sa famille cette nuit-là. Après avoir terminé Un jardin pour les loups, elle avait donc tout le temps de recommencer la Trilogie des Âmes.
Comme la jolie immortelle aux yeux émeraude ne traînait pas dans les parages, elle s'installa seule au milieu de l'un des petits espaces de lecture. Aucun autre courtisan ne rôdait entre les étagères. Seules les étoiles, la lune et les autres ouvrages lui tenaient compagnie. Elle put ainsi paisiblement réentamer le premier volume de sa série préférée.
Parmi les plus belles éditions qui s'offraient à elle, elle avait choisi celle qui lui semblait le moins fragile. Elle n'aurait jamais pu se pardonner de ne serait-ce qu'égratigner, ou pire, casser le dos de l'un de ces magnifiques livres ! Même si celui qu'elle tenait entre ses mains paraissait assez souple, elle tourna ses pages avec la plus grande minutie. Chaque chapitre débutait par une jolie enluminure. Elle ne prenait néanmoins pas trop le temps de s'attarder dessus, pressée de poursuivre sa lecture.
Elle avait beau déjà connaître l'histoire presque dans ses moindres détails, cela ne l'empêchait pas d'avoir l'impression de la découvrir pour la première fois. Elle avait un peu oublié à quel point Kathryn, le personnage principal, pouvait être agaçante au début. À l'entendre, elle seule souffrait, elle détestait tout le monde même les rares qui se montraient polis envers elle... Mais si Alisée l'admirait, c'était grâce à sa force et sa détermination
Cependant, sa sournoiserie la laissait parfois un peu perplexe. Elle n'hésitait pas à trahir ses amis afin de parvenir à son but : devenir reine de son royaume. Rien que ça. Elle usait de tous les moyens possibles pour littéralement conquérir le coeur du prince héritier. Pas en le séduisant, loin de là. Elle préférait éliminer toutes ses potentielles rivales en effectuant des recherches sur chacune d'elles, afin de dénicher le moindre scandale à leur sujet. Poisons, poignards dans le coeur... Elle ne faisait preuve d'aucun scrupule et allait jusqu'à participer à un tournoi mortel, dans le but d'impressionner Son Altesse. Elle était prête à tout, du moment qu'elle réussissait à quitter son misérable village.
Et à la fin, elle atteignait son objectif. Néanmoins, la belle immortelle n'en était pour le moment qu'au début de l'histoire, lorsque Kathryn se faisait tout juste embaucher comme...
— Franchement, Lucien, vous me faites pitié, intervint une voix masculine.
Alisée tressauta. Elle releva brusquement le nez de son livre, quittant le royaume d'Ariéna pour revenir à la réalité.
Une réalité où le roi se tenait à quelques mètres d'elle, adossé contre une étagère depuis laquelle il l'observait. Un léger sourire éclairait son visage, qui s'illumina davantage face à l'air surpris qu'affichait la vampire. Depuis combien de temps est-il là ? s'affola-t-elle intérieurement. C'était bien la peine d'avoir une audition surnaturelle pour se laisser surprendre par le premier venu...
— Alors dites-moi, fit-il en croisant les bras sur son torse, est-ce que Kathryn a adressé à ce pauvre Lucien le sermon le plus humiliant de sa vie ?
Elle mit du temps avant de se rappeler où il voulait en venir. En effet, juste après avoir finalement réussi à épouser le prince, l'héroïne lui adressait les pires remontrances qu'un jeune marié puisse ne pas espérer. Elle se souvenait encore de chaque parole par coeur. Franchement, Lucien, vous me faites pitié. Vous avez été gavé avec des cuillères en argent toute votre vie, avez goûté à absolument tous les plaisirs que peuvent offrir nos piètres existences, et vous avez encore l'audace de vous plaindre ! J'ai pitié d'un couard si méprisable que vous. Non, en réalité, c'est la couronne d'Ariéna que je plains. Lorsque vous accéderez au trône, elle aura la honte d'orner votre tête.
— Honnêtement, je me demande comment ce pauvre Lucien a fait pour ne pas divorcer dès le lendemain, reprit Adrian en baissant les yeux. Il faut croire qu'il était sacrément entiché de cette effrontée de Kathy !
Alisée ouvrit la bouche, sans que ses lèvres ne parviennent à articuler le moindre mot. Était-il possible que... Sa Majesté le roi des vampires, plus immortel de tous les immortels, plus vieil homme que cette terre ait porté, soit un lecteur de la Trilogie des Âmes ? Et qu'il soit capable d'en citer des passages ? Cela dépassait son entendement.
Elle le fixa quelques secondes, incapable de dire quoi que ce soit. La lumière des bougies environnantes faisait étinceler ses courts cheveux dorés, lui conférant une aura envoûtante. Les perles d'océan qu'il avait à la place des yeux la regardaient en retour, animées d'une étincelle d'amusement.
— Laissez-moi deviner, vous vous demandez si je passe mon temps à lire des romances ? Dans ce cas-là, je ne vaudrais pas mieux comme roi que ce bougre de Lucien... Mais pour ma défense, le premier tome de cette série ne comporte pas d'histoire à l'eau de rose, vu que Kathryn n'aime même pas son pauvre prince !
Quelle réponse attendait-il, exactement ? Encore une fois, elle l'ignorait.
— J'aurais dû me douter que seul un véritable admirateur de la Trilogie des Âmes pouvait posséder de si belles éditions, déclara-t-elle après un moment. Je me suis permis d'en emprunter une, j'espère que ça ne vous dérange...
— Non, l'interrompit-il aussitôt. Des livres ont toujours l'air plus vivants quand ils sont entre les mains de quelqu'un plutôt qu'exposés sur des étagères.
Ce n'était pas elle qui allait le contredire.
Alors comme cela, il s'intéressait vraiment à la lecture ? Vu tout ce que contenait cette bibliothèque, ce n'était pas étonnant. Pourtant, elle avait songé qu'il s'agissait d'une énième démonstration des richesses de Sa Majesté. Or peut-être se passionnait-il réellement pour les livres, si bien qu'il avait fait édifier un tel temple en leur hommage ?
— Co... Comment savez-vous que j'ai déjà lu la Trilogie des Âmes ? lui demanda-t-elle soudain en fronçant les sourcils. Je ne suis qu'au début du premier tome, pourtant vous m'avez volontairement révélé la fin...
Soit il faisait partie de ces abrutis qui adoraient raconter la suite d'une histoire à quelqu'un qui était en train de la lire, soit il avait encore enquêté sur elle. Ses lèvres se fendirent de leur petit sourire malicieux, alors qu'il s'approchait afin de s'assoir sur un fauteuil près du sien. Au moins deux mètres les séparaient, cependant elle crut ressentir le froid glacial qui se dégageait de son corps.
— Allons, je vous ai déjà dit que j'étais au courant de tout ce qu'il se passe dans ce palais, la provoqua-t-il avec un clin d'oeil espiègle.
Elle chassa son envie de lever les yeux au ciel en prenant une inspiration.
— Mais je dois avouer que j'ai deviné cela rien qu'en vous regardant, ajouta-t-il en voyant qu'elle s'apprêtait à rétorquer. Personne ne sourit comme ça pendant les toutes premières pages, sauf si vous éprouvez une joie sadique à voir cette pauvre Kathy se faire jeter dans la boue par des ivrognes... J'en ai plutôt déduit que vous étiez contente de la retrouver.
Si elle comprenait bien, il l'avait véritablement observée en train de lire ? Et en plus, elle souriait comme une idiote ? Elle ne s'en était absolument pas rendu compte. Une vague d'agacement la saisit, toutefois tempérée par de la curiosité.
Le roi avait bel et bien lu la Trilogie des Âmes. Elle devait à coup sûr rêver, mais elle se retint de se pincer.
— J'ose espérer que vous ne relisez pas ce livre afin de vous inspirer de Kathryn et me séduire rien que pour devenir reine...
Jusqu'où allaient les limites avec lui ? Elle eut tout à coup bien envie de les tester.
— Il ne faut pas prendre vos désirs pour des réalités, Votre Majesté, répliqua-t-elle avec une minuscule once d'insolence.
Puisqu'il semblait décidé à s'amuser avec elle, il n'y avait aucune raison pour qu'elle ne lui rende pas la pareille. Hormis peut-être le fait qu'il peut te tuer en une fraction de seconde. Mais au lieu de lui sauter à la gorge, il éclata de rire.
— Voilà exactement quelque chose que Kathy aurait pu lancer à Lucien, reprit-il ensuite sans perdre son sourire. Est-ce votre personnage préféré ?
Après une conversation dénuée de sens à l'anniversaire de Beatricia, une petite virée dans la chambre royale pour cacheter des enveloppes, ainsi qu'une entrevue au milieu de vieux cartons, allaient-ils vraiment parler de son livre préféré ? Décidément, elle-même pourrait écrire un roman intitulé "Entretiens insensés avec Sa Majesté" dès la fin de son séjour... si encore elle sortait vivante de ce château.
— Kathryn est mon personnage préféré du premier tome, répondit-elle comme il paraissait sincèrement attendre une réponse. Mais si on compte les deux autres, je préfère de loin Eva, sa petite-fille. Elle a les qualités de sa grand-mère, sans en avoir les défauts.
— L'âme perdue, approuva-t-il. J'avoue que c'est peut-être le personnage le plus intéressant. Cependant, ma fidélité envers Kathryn m'oblige à lui laisser la première place dans mon coeur. Surtout quand on pense à la fille complètement folle qu'elle a eue...
Effectivement, dans le deuxième tome de la trilogie, on suivait les aventures de la princesse Emilya, l'héritière de Kathryn et Lucien. Sa mère — qui avait fini par vouer une telle haine envers son mari qu'elle était incapable d'aimer son enfant — ne s'occupait jamais d'elle, la laissant errer toute seule dans le palais. Celle qui était donc l'âme abandonnée passait son temps à fréquenter des courtisans peu fréquentables, jusqu'à se laisser initier à diverses drogues dès son plus jeune âge. Arrivée à l'âge adulte, elle était incapable de faire autre chose que passer ses journées dans des lieux de dépravation, à peine consciente de ce qui l'entourait.
— Si on y pense, reprit-elle en baissant les yeux vers son livre, c'est Kathryn qui est responsable de l'état d'Emilya. Et Lucien aussi. Ils n'ont pas été des parents pour elle.
— C'est vrai. Mais plus tard, Emilya ne s'est pas non plus occupée de sa fille, pourtant Eva est quand même devenue une bonne personne et une excellente reine.
Alisée ne put qu'être d'accord avec lui. De toute façon, l'héroïne du second tome l'avait tant exaspérée par sa faiblesse qu'elle était bien incapable de prendre sa défense. L'auteure n'avait pas fait grand-chose pour la rendre attachante, ce qui n'empêchait pas l'histoire d'être tout aussi passionnante que celles des deux autres volumes.
— Alors comme ça, vous lisez souvent, constata le roi d'un ton neutre. C'est déjà la seconde fois que nous avons une conversation au sujet de la lecture, même si vous m'avez un peu menti lors de la première...
— J'ai réellement lu Lettres à Gabriella, se défendit-elle calmement. Seulement, j'avoue que c'était il y a un moment et je ne me souviens plus de tous les détails. La Trilogie des Âmes correspond davantage à ce que je préfère lire.
— Et... Avez-vous lu les autres livres d'Amy Melton ? lui demanda-t-il en posant sa tempe contre son poing, apparemment décidé à rester discuter avec elle.
Qu'est-ce qu'il pouvait avoir à faire des habitudes littéraires d'une réserviste ? Elle commençait à trouver que la situation ressemblait à certains de ses mauvais romans, lorsque le beau jeune homme que tout le monde convoitait s'intéressait à la pauvre héroïne sans intérêt. Ne pouvait-il pas plutôt aller s'enquérir de l'état de Beatricia, ou passer un sermon à sa fille pour avoir livré un petit numéro de perçage de coeur ?
Malgré tout, même si elle se sentait obligée de rester sur ses gardes, elle devait avouer que c'était plutôt... agréable d'avoir quelqu'un avec qui parler de livres. En attendant que Danila ait terminé Quatre mariages et un bain de sang, il restait la seule personne avec laquelle elle pouvait avoir ce genre de discussions.
— Bien sûr ! répondit-elle sans pouvoir retenir un sourire. C'est une de mes auteures préférées. Malheureusement, elle n'a pas écrit énormément d'autres romans...
— Comment ça ? s'offusqua Adrian en ouvrant de grands yeux. Vous considérez qu'une quarantaine d'ouvrages n'est pas suffisante ?
Ce fut au tour de la belle vampire d'afficher un air incrédule.
— Une quarantaine d'ouvrages ? répéta-t-elle avec scepticisme. Mais enfin, si on compte les trois volumes de la Trilogie des Âmes, elle n'en a signé que cinq. Guernelda et Quatre mariages...
Le monarque se leva subitement de son siège et elle s'interrompit. Il se dirigea vers les rayonnages tout en lui faisant signe de le suivre. Elle obéit, toujours habitée par l'incompréhension.
Lorsqu'il s'arrêta face à l'étagère où elle avait trouvé les si magnifiques éditions de sa série préférée, elle ne saisit pas tout de suite où il voulait en venir.
— Montez sur les cinq premières marches de cet escabeau, lui indiqua-t-il avant d'en désigner un qui se trouvait juste à côté d'eux.
Comme elle demeurait méfiante et hésitante, il leva les yeux au ciel.
— Si c'est cela qui vous inquiète, je n'ai pas l'intention de vous pousser, ni d'en profiter pour regarder sous votre jupe. Dans le premier cas, avoir déjà vu Branwell dégringoler de plusieurs mètres pour atterrir sur le derrière me suffit, et dans le second, je suis certain que vous m'enverriez un joli coup de talon si j'osais ne serait-ce qu'y penser.
Imaginer le frère de Beatricia dévaler cette même échelle la fit retenir un gloussement. Elle finit par s'exécuter, en prenant garde à ne pas connaître le même sort que le chef de clan. Le roi se tenait à une distance respectable d'elle, mais suffisamment près pour la rattraper en cas de chute. Si c'était un plan afin qu'elle tombe dans ses bras, elle préférait encore se fracasser la tête contre le sol, quitte à passer une journée endormie.
Cependant, lorsqu'elle vit les livres qui se trouvaient sous ses yeux, elle comprit pourquoi il lui avait suggéré de monter jusqu'ici. Tous les romans qui se trouvaient là provenaient d'une même auteure : Amy Melton. Et il n'y en avait pas simplement cinq décuplés en de multiples éditions, mais des dizaines avec des titres divers et variés. La source mortelle, Rêves maudits, Une simple Opale...
— Mais... Mais c'est impossible, murmura Alisée d'une voix émerveillée.
Si elle ne s'accrochait pas fermement au bord de l'étagère, elle serait tombée à la renverse.
— Pourquoi ne peut-on pas trouver tous ces livres sur la Terre des Loups ?
Elle savait très bien que s'ils avaient été disponibles dans son village, ses amis libraires lui en auraient immédiatement parlé.
— Comme Amy Melton vient de la Terre des Vampires, il peut y avoir un délai concernant la publication sur un autre territoire, lui expliqua-t-il. La Trilogie des Âmes, Guernelda et Quatre mariages pour un bain de sang sont les premiers qu'elle a écrits, donc depuis le temps, les éditeurs ont dû l'autoriser à céder les droits à des maisons d'édition lycanthropes.
— Et... Est-ce que vous la connaissez ? s'enquit-elle en baissant la tête vers lui. Savez-vous où elle vit ? Il n'existe pas de clan Melton, si ?
Du haut de son escabeau, elle pouvait encore mieux admirer les si beaux reflets dorés de ses cheveux. Il devait forcément les parsemer de brins d'or pour qu'ils soient si lumineux.
— J'avoue avoir fait des recherches sur elle, mais cela n'a jamais rien donné. Bien que les univers de ses histoires soient imaginaires, d'après les paysages qui y sont décrits, j'en déduirais qu'elle vient du clan Blackfire ou Bel-Iris. Elle doit également avoir plus de trois cents ans, vu que ses premiers livres remontent environ à trois siècles auparavant.
— Mais n'auriez-vous pas les moyens de la retrouver ? insista-t-elle en perdant son regard sur les nouveaux ouvrages qu'elle venait de découvrir. Vous pourriez contacter ses éditeurs et essayer de voir si elle accepterait de révéler son identité.
Rien que le fait d'imaginer la rencontrer la faisait presque chanceler sur son perchoir.
— Elle semble tenir à rester anonyme, argua le monarque en s'adossant à une étagère. Je ne vais pas aller à l'encontre de sa volonté.
Et depuis quand vous intéressez-vous à la volonté des gens ? faillit-elle lui rétorquer. Pour un homme qui se faisait offrir d'autres vampires rien que pour sa réserve de sang personnelle, il avait une drôle de notion du libre arbitre... Cette piqûre de rappel l'incita à se détourner de ces trésors inespérés et à descendre de la petite échelle.
Elle mit la plus grande attention à ne pas se prendre les pieds dans sa robe bleu ciel, afin qu'il ne profite pas de l'occasion pour essayer de la rattraper. Mais il se contenta de suivre ses mouvements des yeux, les bras tranquillement croisés sur son torse. Elle nota que cette fois, il portait une rose blanche. Chaque jour était-il associé à une couleur ? Il faudrait qu'elle essaye de le remarquer. Et puis qu'est-ce que ça peut te faire ? se raisonna-t-elle.
Lorsqu'ils se retrouvèrent de nouveau tous les deux au même niveau, un silence s'installa. Elle s'attendit à ce qu'il se décide à la quitter, or il ne bougea pas d'un pouce. La réserviste en déduisit que c'était peut-être à elle de partir, alors elle fit mine de revenir vers son petit espace de lecture.
— Vous me direz si vous commencez un de ces livres, l'interpella-t-il juste après qu'elle ait fait deux pas. Je vous conseillerais plutôt Secrets ensommeillés, l'héroïne y est presque aussi perchée que Kathryn et ma fille réunies...
Elle tenta de masquer son étonnement, tout en prenant garde à ne faire aucune remarque. Que lui se permette d'émettre un commentaire sur la princesse Isabella était une chose, mais qu'elle s'autorise à faire de même en était une autre. Il se pouvait justement qu'il lui lance une telle perche dans le but de la tester.
Ne voulant pas de nouveau se perdre en conjectures au sujet du comportement de Sa Majesté, elle inclina la tête avant de s'éloigner d'un pas plus rapide. Ce fut ce moment que choisit un valet pour se mettre en travers de son chemin.
— Êtes-vous mademoiselle Alisée ? l'interrogea-t-il solennellement.
Elle acquiesça, toute son attention concentrée sur l'enveloppe qu'il tenait sur un petit plateau argenté. Quand il la lui tendit, elle l'attrapa avec des mains tremblantes, incapable de feindre toute respiration. À la vision de l'adresse de l'expéditeur, le bureau des archives de Mendoza, son trouble redoubla. Elle la décacheta avec frénésie, sans se demander comment le domestique avait fait pour savoir où elle se trouvait, ainsi qu'en oubliant complètement le roi qui se tenait toujours derrière elle.
« Chère mademoiselle Alisée,
Après un scrupuleux examen de nos dossiers, nous avons trouvé les informations correspondant à votre demande. Cependant, nous ne pouvons vous les faire parvenir gratuitement. Si vous souhaitez les récupérer, nous vous remercions de vous présenter en personne à notre bureau, pourvue de la somme de trente pièces d'or.
En espérant votre compréhension,
Le secrétaire du bureau des archives de Mendoza »
Si la vampire eut d'abord envie de sautiller sur place, elle calma rapidement ses ardeurs. Les archivistes avaient donc peut-être bel et bien trouvé des renseignements sur Damien et Nehanda. Sauf que non seulement il lui faudrait payer, mais en plus, elle devrait quitter le palais pour se rendre à la capitale. Si elle imaginait pouvoir plus ou moins facilement trouver trente pièces d'or, réussir à s'éloigner du château était autre chose...
— Des nouvelles de l'homme que vous recherchez ? s'enquit Adrian d'une voix désinvolte.
Elle se retourna lentement vers lui. Il faisait mine d'observer ses ongles, comme s'il ne s'intéressait qu'à moitié à ses affaires. Néanmoins, face à son silence, il prit la peine de lever les yeux vers elle avec un certain intérêt.
Mieux valait-il qu'elle prenne le risque de lui parler honnêtement, ou de tenter de s'échapper du palais ? Sachant que le village se trouvait à quelques lieues, elle prendrait le danger de mettre trop de temps malgré sa vitesse surnaturelle, et son absence prolongée pourrait se faire remarquer. Elle ne pouvait demander à Nessa de la couvrir, ne voulant pas attirer d'ennuis à la femme de chambre qui obéissait certainement à des ordres stricts. Quant à Danila, elle ne lui faisait pas encore assez confiance pour lui confier une telle tâche. Si elle la dénonçait, alors peu importerait qu'Alisée ait retrouvé sa famille ou non : elle se ferait sûrement tuer pour fugue.
Ne restait donc qu'une seule option...
— Puis-je vous demander l'autorisation de me rendre à Mendoza ? se lança-t-elle d'une traite.
Le roi fronça les sourcils, puis se détacha de son étagère.
— Ils vous ordonnent de vous rendre sur place avec de l'argent, n'est-ce pas ? Avez-vous de quoi payer ?
Elle ouvrit la bouche, avant de se raviser. Vendre certains des magnifiques bijoux mis à sa disposition dans sa chambre lui avait en premier effleuré l'esprit. Or si quelqu'un s'en apercevait, elle ne donnait pas cher de sa survie.
— Je... Je vais me débrouiller, décréta-t-elle en baissant les yeux vers sa lettre.
Pourquoi avait-elle été imbécile au point de croire que le bureau des archives lui transmettrait ce qu'elle voulait sans la faire payer ? Et puis pourquoi le monarque ne l'avait-il pas prévenue ? Elle pouvait lui accorder le bénéfice du doute, mais tout de même...
— Que diriez-vous de vous rendre au prochain conseil des chefs de clan ? lui proposa-t-il soudain. Si vous y assistez avec moi, je vous donnerai tout l'argent dont vous aurez besoin, ainsi qu'une escorte pour vous rendre en ville.
Cherchait-il à la transformer en sa... favorite ? Alors là, il pouvait toujours espérer qu'elle prenne part à un duel contre sa fille.
— Je vous remercie de votre proposition, s'obligea-t-elle à répondre avec politesse, mais je ne vois pas en quoi ma présence serait très utile. De plus, je doute que les membres de votre gouvernement apprécient mon intrusion...
Elle imaginait sans mal la tête de Beatricia et de son frère si elle s'invitait à leur réunion en compagnie des autres dirigeants.
— Au contraire, persévéra le roi avec un léger sourire, je suis certain que Branwell sera ravi de votre présence. Quant à votre utilité, vous me servirez simplement à gagner un avis extérieur sur nos décisions.
Elle n'était pas dupe : un piège se cachait sans conteste derrière tout cela. Il dut deviner sa pensée, car il ajouta avec un soupir exagérément las :
— Soyez rassurée, vous n'êtes pas la première à qui je demande une telle faveur. Étant donné que vous êtes nouvelle sur la Terre des Vampires et que vous n'appartenez à aucun clan, vous êtes idéalement placée pour nous donner un avis impartial.
Cela se tenait, mais le fait qu'elle serait payée en échange de ce "service" la laissait mal à l'aise. N'était-ce pas ce à quoi elle avait voulu échapper toute sa vie ?
Si cela te permet de retrouver Damien et peut-être Nehanda, alors c'est la dernière fois que tu auras à faire une chose pareille, lui murmura une voix. Et puis, ce n'était pas comme s'il lui demandait de coucher avec lui, si ?
Elle écorna nerveusement la lettre entre ses doigts, puis releva les yeux vers les siens. La lumière malicieuse qui y brillait la fit retenir un frisson inexplicable.
—C'est d'accord, affirma-t-elle pourtant en soutenant son regard.
Le sourire d'Adrian s'élargit. Elle le quitta sans un mot.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro