Clic.

« Bonjour, Sam. »

Je ne réponds rien. Je l'ai déjà salué en entrant. Je m'assieds sur une chaise et balance nerveusement les jambes. Le bout de mes pieds frôle le sol à chaque fois. Mon père s'installe à côté de moi, et Nic à sa droite. Il a encore été traîné ici de force, mes parents veulent l'obliger à ressentir de la compassion pour moi.

« Bonjour, monsieur Place. Et bonjour, Nicolas. »

Nic ne sera jamais désolé pour moi. J'ai lu des trucs sur le sujet, ça peut éventuellement être une psychopathie légère. Je ne maîtrise pas bien ce sujet, il faudra que je me renseigne un peu plus, mais ça a l'air de bien coller avec ce que je sais de mon frère.

Clic clic. Le professeur inspire profondément avec l'air de s'attaquer à une corvée insupportable, avant de reprendre la parole :

« Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Sam ne nous fournit pas les résultats espérés avec son traitement. Elle ne guérit pas assez vite. »

Je fronce les sourcils. Ils me torturent puis me disent que finalement, ça ne sert à rien ? Clic clic. Il marque une pause. Il donne l'impression d'avoir un poids énorme sur les épaules.

« La chimiothérapie ne marche pas avec Samantha, et en plus, elle fait de gros dégâts sur elle, encore plus depuis que Jules est... qu'il est parti. Si on n'agit pas, ce traitement va la tuer. »

Il se racle la gorge. Clic clic. Son majeur tapote plus vite que jamais, mon regard est irrésistiblement attiré par ce doigt, qui est flou tellement il bouge vite. Je suis un peu ailleurs, je n'écoute pas vraiment ce qu'il dit, mais un coup de coude discret de ma mère me reconcentre. Clic clic.

« Comme on n'est pas certains à 100% qu'il faut cesser la chimio, c'est à vous, sa famille, de choisir entre ces deux options : option un, on arrête la chimio et on cherche un donneur pour une greffe de moelle. (Clic clic) Option deux, on continue le traitement et on cherche aussi un donneur. C'est à vous de choisir. Je sais que ce n'est pas facile de se décider avec un enjeu aussi crucial... mais il faut que vous preniez une décision le plus vite possible. »

« On arrête le traitement » asséné-je sur un ton sans appel. Je veux que ça s'arrête, peu importe si j'en meurs.

Le professeur baisse les yeux sur le doigt posé sur l'interrupteur de son dictaphone. Clic clic.

« Ce n'est pas toi qui prends la décision, Sam. Vous devez vous mettre tous d'accord, dans votre famille. Et si la majorité préfère que tu continues le traitement... tu dois le poursuivre »

« Mais c'est... »

« C'est comme ça, Samantha. Discuter n'y changera rien. Il faut que vous vous rassembliez tous pour vous mettre d'accord. »

Je fais un rapide calcul dans ma tête. Nic s'en fout, j'arriverai sans doute à lui faire dire qu'il est de mon côté. Mais si mes parents préfèrent que je continue la chimio, il y aura égalité, et il y a de fortes chances pour qu'ils écoutent des adultes. Clic clic. Mon regard croise celui de mon père. Il a l'air perdu, il n'a pas encore choisi. Il hésite.

« On va y réfléchir » finit-il par lâcher. « Merci docteur... euh... professeur... et à bientôt. »

Il m'entoure les épaules d'un bras protecteur quand on sort du bureau. Nic pousse un de ces soupirs dont lui seul a le secret, et nous retournons dans ma chambre. Je m'assieds en tailleur sur mon lit, la tête baissée au-dessus des mes mains aux doigts entremêlés. J'ai peur. J'ai peur de ce que mes parents risquent de choisir. Je voudrais qu'ils écoutent ce que je leur dirai. Je voudrais qu'ils demandent à arrêter la chimio. Je voudrais qu'ils acceptent que ce traitement me tuera, je voudrais qu'ils acceptent de faire de la greffe de moelle ma dernière chance. Et encore, il faut un donneur... Tout est tellement compliqué, avec eux...

Je commence à croire pour de bon que je vais mourir. Moi, Samantha Place, je vais mourir à huit ans alors que j'ai passé à peine quelques semaines à l'hôpital. Il s'est passé tant de choses, j'ai ressenti tellement de nouvelles sensations. La plupart étaient très désagréables, certes, mais j'ai appris ce qu'était l'amitié, et l'espoir, aussi. L'espoir lointain de guérir...

Devant mon silence, mon père se contente de me prévenir qu'il reviendra ce soir avec ma mère, et il s'en va avec Nic. Je suis seule à nouveau. Je crois que je ne souffre même plus de cette solitude, elle est là beaucoup trop souvent, comment puis-je haïr la seule chose qui est toujours là pour moi ? Je m'embrouille dans mes propres pensées, j'ai le cerveau en bouillie. J'ai une perception accrue du feu qui me consume les veines, ça faisait longtemps que je n'en avais pas été aussi consciente.

Jules me manque. Ma santé me manque. Ma vie me manque.