Chapitre 15
« Viens. »
Mauriac me prend doucement la main, et me guide à travers les couloirs, direction le bloc opératoire. J'ai un peu peur. Je vais peut-être mourir d'ici quelques heures. J'ai pris ma décision, et je veux vivre. Il n'y a pas de raison pour que je meure alors qu'on m'a promis que la vie redeviendrait comme avant. J'ai le droit d'être vivante et heureuse. J'ai le droit de mourir à quatre-vingts ans dans mon sommeil après une vie paisible. La voilà, cette rage de vivre que décrivent si bien les livres. Le voilà, cet espoir irrationnel qui semblait avoir disparu. La mort ne m'est plus indifférente. J'ai choisi de vivre, et j'espère bien que ça fera une différence. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
Ils m'allongent avec des gestes doux, mais je sens bien que je n'ai pas intérêt à me débattre. Une poigne de fer dans un gant de velours. Ils me préviennent, ça va être une anesthésie générale de quelques heures, le temps de faire leur opération. Puis j'émergerai doucement, et c'est là que je devrai prier pour que ça prenne. Ils n'arrêtent pas de dire ça, "il faut que ça prenne". Ils me font rire, ils sont tous un peu nerveux. Je ne devrais pas rire pourtant...
La dernière chose que je vois avant de sombrer, c'est une demi-douzaine de sourires qui se veulent rassurants, mais ils ne changent rien à ma peur.
•••
Je reste immobile, les yeux fermés, le temps que la nausée post-anesthésie se dissipe. Je ne me sens pas très bien, j'ai l'impression qu'une angoisse sourde gronde en moi, une sorte de mauvais pressentiment qui me tord les tripes. La brume dans mon esprit finit par disparaître, en partie du moins. J'ouvre prudemment les paupières, j'ai du soleil dans les yeux ; je les referme. J'ai eu le temps d'apercevoir trois têtes penchées sur moi. La voix de ma mère pousse un cri hystérique :
« Elle est réveillée ! »
Ils murmurent entre eux, je n'arrive pas à comprendre leurs mots. Les sensations dans mes membres reviennent doucement, et avec elles la douleur devenue familière. Mes deux mains sont enserrées dans celles de quelqu'un d'autre. Je tente à nouveau s'ouvrir les yeux, je papillonne des cils pour m'habituer à la luminosité. Je m'en doutais, ce sont mes parents et Nic qui sont autour de moi. Curieusement, mon frère me tient une main, l'autre est dans celle de ma mère. Nic a les yeux humides, rouges. Je ris doucement. Se pourrait-il que ce cher frère psychopathe ressente des sentiments, et qu'il soit finalement triste de l'état de sa petite sœur ?
« Je vais m'en sortir », je leur promets. « Ça y est, c'est fini, je vais aller bien maintenant. »
Ils se mettent à pleurer, sauf Nic, il se retient. Ils pleurent de soulagement, ou...?
« On ne sait pas encore ma chérie, tu sais, il faut attendre quelques heures... »
J'acquiesce, mais je suis confiante. Ils restent un moment, on discute de tout et de rien. Ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas rassemblés juste tous les quatre. Ça m'avait manqué, mine de rien.
Ma mère finit par se lever de mon lit, et mon père de sa chaise, en disant qu'ils feraient bien de rentrer avant la nuit. Nic les supplie de le laisser rester encore un moment, et ils finissent par accepter. Une fois les parents partis, il me jette un regard jubilatoire et se lève. Je l'observe en silence. Il replie les pieds du piano, le soulève et s'approche ; je m'assieds, et il le pose sur mes genoux. Il me pousse gentiment pour s'assoir à côté de moi sur le lit. Nos épaules de frôlent.
« Joue-moi quelque chose. »
Je me mets à sourire, je ne peux pas m'en empêcher. Je prépare quelque chose pour lui, dans l'espoir d'un jour le lui jouer. Le moment est venu de l'épater... Je fais craquer mes doigts, puis je repère les bonnes touches et commence à jouer.
Il ne dit rien pendant une heure, les yeux rivés à mes mains qui volent au-dessus du clavier. Il me regarde de temps en temps, il est surpris, il sourit.
Voilà, j'ai fini. J'ai mal aux articulations, mais ça en valait la peine, rien que pour voir la tête qu'il fait. Il reste silencieux encore cinq bonnes minutes, avant de se racler la gorge :
« Les Nocturnes de Chopin. »
« Et encore, je ne te les ai pas tous joués. Je n'ai pas eu le temps de tout apprendre. »
Je rigole et lui donne un petit coup de coude.
« Si tu voyais ta tête, Nic... »
« Combien de nuits blanches tu as faites pour arriver à ce résultat ? »
« T'inquiète pas pour mon sommeil, j'ai bien dormi. Moins, mais bien. Et ça en valait largement la peine ! Bon, j'ai bien réussi ? Tu es content de ton élève ? »
« C'était incroyable, Sam, incroyable. Je ne sais pas comment tu as fait pour apprendre tout ça d'un coup, en si peu de temps... Il m'a fallu des années pour jouer ces morceaux, je dois t'avouer que je suis un peu jaloux... »
« Oh, je ne connais pas les notes. J'ai juste regardé deux cents fois une vidéo de quelqu'un qui les joue, tu sais, j'apprends mieux quand on me montre les touches plutôt qu'en déchiffrant une partition. »
« Je sais, je suis comme toi. »
Il me sourit, pêche la tête et m'embrasse sur le front.
« Hé, Sam... tu sais que je t'aime ? »
Je ne réponds pas. Nic, m'aimer ? Étrange concept, mais pourquoi pas ?
« Je t'aime aussi. Tu es mon grand frère préféré, même. »
« En même temps, tu n'as pas trop de choix... »
Il rit encore, et moi aussi.
Puis il s'en va, et je me retrouve seule.
Je m'endors, paisible et confiante. Je sais que je vais vivre.
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