Chapitre 14
Ça y est, la date est fixée, ça sera le douze juillet, la semaine prochaine. On est le quatre. Mauriac m'a expliqué plus en détails comment ça marche, mais je n'ai pas vraiment écouté. Ce que j'ai compris, c'est qu'une fois l'opération faite, il faut prier pour que je ne fasse pas un rejet de greffe, parce que ça, ça me serait fatal apparemment. Je ne sais pas si je souhaite mourir, ou vivre. Ils ont fait miroiter la perspective de reprendre ma vie normale, ma vie d'avant, et ça me plairait vraiment beaucoup. Par contre, je ne suis pas sûre de croire au fait que tout redeviendra exactement comme avant. Des choses auront forcément changé. Le regard des gens sur moi, peut-être. Ou cette lueur protectrice et triste dans les yeux de mes parents. Ça, ça ne changera jamais.
J'ai finalement demandé à revoir Aurélie, elle vient aujourd'hui. Puisque je vais peut-être mourir, autant faire ce fichu vœu que je n'ai pas réussi à faire l'autre fois.
J'entends la poignée tourner et de petits pas retentissent dans ma chambre. Le matelas s'affaisse quand elle s'assied.
« Coucou. »
J'ouvre les yeux et lui offre un sourire radieux. Elle sourit à son tour.
« Ça me fait plaisir de voir que tu es de bonne humeur. »
« À moi aussi. »
« Super. ... Hélène m'a dit que tu voulais faire ton deuxième vœu ? »
« Oui. »
Je passe une main sans ongles sur mon crâne sans cheveux.
« C'est ça que je voulais te demander... Euh, ça ne vous dérange pas si je vous tutoie ? »
Elle secoue la tête, souriant toujours.
« C'est ça que je voulais te demander la dernière fois, je ne voulais même pas ce livre. Désolée d'avoir gâché ta gentillesse pour un truc débile comme ça... Je n'ai pas eu le courage de te faire mon vrai vœu, je ne sais même pas pourquoi. »
« Ne t'en fais pas, ça ne fait rien. Tu as lu ce livre ? »
« Même pas... »
« Ce n'est pas grave, Sam, ce n'est pas grave. Si tu veux, tu peux me dire ce que tu souhaites...? »
« Je voudrais... je voudrais... »
Mince alors, pourquoi les mots restent-ils coincés au fond de ma gorge comme ça ?
« Je... Zut, je n'arrive pas à le dire. »
Elle rit doucement.
« Tu veux me l'écrire ? »
Je réfléchis une seconde. Je peux quand même le dire, non ? Ce n'est pas si compliqué que ça !
« Je voudrais un... un piano. »
Elle hausse les sourcils, une lueur amusée dans le regard. Elle sourit toujours, mais son sourire n'est pas hypocrite comme celui de ceux qui me font du mal. Aurélie veut adoucir ma vie à l'hôpital, elle ne veut que mon bien. Les gens comme ça sont devenus rares... Je me suis même faite trahir par ma propre famille...
Bref, le sourire d'Aurélie est sincère.
« Tu veux apprendre le piano ? C'est pour ça ? »
« On peut dire ça, oui. Je voulais apprendre à jouer d'un instrument depuis longtemps, mais je n'ai jamais osé en parler à personne, et je ne savais même pas lequel je voulais essayer. »
« C'est super, Sam. C'est super que tu veuilles essayer une occupation comme ça. Quand tu seras guérie, tu deviendras une musicienne très connue, et j'irai à chacun de tes concerts ! »
Je me mets à rire, elle est marrante, elle croit que je vais guérir... Mais bon, ça ne fait rien.
« J'espère que ce n'est pas trop vous demander ? Ça coûte cher ces trucs-là... »
« Ne t'inquiète pas, on va demander à quelqu'un de nous en donner un bénévolement. On précisera que c'est pour la petite Samantha de la chambre 118, qui est malade mais attend de guérir pour montrer ses talents de pianiste au monde. »
Je ris de plus belle.
•••
Nous sommes le neuf juillet. Je viens de recevoir un piano, il est encore plus grand que ce que je pensais. Évidemment, ce n'est pas un piano à queue : c'est un piano numérique, avec un casque pour que je n'embête pas mes voisins de chambre avec mes fausses notes.
La seule ombre au tableau, c'est qu'en tant que professeur, j'aurai Nicolas, mon frère. Il a fait six ans de piano quand il avait mon âge, alors mes parents ont insisté pour que ce soit lui qui s'occupe de moi.
Nic pousse le piano contre le mur du fond, sous la fenêtre. Il branche un deuxième casque et me dit de venir d'un geste de la main.
« Regarde. »
Il pose ses doigts sur les touches et de l'autre main, me tend l'autre casque.
« Au-clair-de-la-lu-ne-mon-a-mi-Pier-rot... »
Il ne paraît pas ennuyé d'être ici. Tant mieux. Il aime bien le piano, et il a toujours été très doué pour apprendre des choses aux autres.
« À toi. »
Je place maladroitement mes doigts, et tente une première note qui sonne terriblement faux. Nic fronce les sourcils :
« Recommence. C'est la touche d'à côté. »
Je m'applique du mieux que je peux, je ne veux pas le décevoir, et puis j'aimerais bien connaître quelques morceaux avant mon opération : qui sait ce qui pourrait m'arriver après.
Une heure plus tard, je maîtrise bien Au clair de la Lune. Mes doigts me mettent au supplice, je n'ai jamais eu aussi mal je crois, mais je ne veux pas m'arrêter, c'est tellement grisant de se voir progresser, et de faire autre chose que d'habitude.
Il me montre ensuite plusieurs fois le début de La lettre à Élise, de Beethoven.
« Applique-toi » grogne-t-il en s'en allant, « je ne veux pas que tu me massacres ce morceau. »
Je m'entraîne une bonne partie de la nuit, je progresse vite, j'aime beaucoup les sons que fait le piano et ce morceau est magnifique.
Pour un peu j'oublierais presque mon opération du douze...
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