Chapitre 12
Les jours et les semaines passent, il ne se passe rien de nouveau. Demain, ça fera six mois que je suis ici, j'ai compté avec mon calendrier. J'aurai aussi ma quatrième ponction de liquide céphalo-rachidien. Ça me fait toujours aussi mal, voir encore plus vu que c'est combiné à la chimio, mais je ne dis plus rien, je ravale chaque gémissement de douleur quand je suis en présence d'autres personnes. Je ne veux pas qu'ils aient de la peine pour moi.
Je vois Mauriac régulièrement, tous les quinze jours, il me tient au courant de l'avancée des recherches pour un donneur. Ils ont failli en trouver un le mois dernier, mais finalement, non. Alors j'attends. Mais qu'est-ce que je pourrais faire à part attendre, de toutes manières ?
Il y a quelques semaines, Aurélie m'a apporté Au revoir là-haut, je n'en ai lu qu'un chapitre, ça raconte une mort horrible, je ne veux pas lire la suite. Je l'ai caché sous mon lit pour que mes parents ne le voient pas en me rendant visite, ils s'inquiéteraient sans doute de me voir lire quelque chose de ce genre. Et ils me demanderaient comment je l'ai eu, mais je ne veux pas leur avouer que j'ai gaspillé la gentillesse d'Aurélie pour ça.
Je ne fais rien aujourd'hui. De plus en plus souvent, je reste le regard collé au plafond sans rien faire. Je ne pense même pas, je suis juste là, il n'y a rien d'autre dans ma tête que ce que je sens dans mon corps. La douleur, et puis cette lame qui me transperce le cœur entre quinze et seize heures. Je pleure, parfois. Mes yeux se mettent à couler tous seuls, sans raison apparente. Comme s'ils devaient faire leur vidange régulièrement, et que ça s'évacuait par les yeux. C'est bizarre, dit comme ça.
Je plie et déplie les doigts sous les draps, ça tire jusque dans l'épaule, et ça fait mal. Je remonte une main jusqu'à mon cathéter et l'effleure doucement, je sais que si je ne le fais pas avec une infinie délicatesse, ça va être horrible. J'ai fini par m'habituer à sa présence, il ne me gratte même plus en-dessous.
Le temps passe à la fois très lentement et super vite, ici. Les heures s'étirent à l'infini mais, en un battement de cils, c'est le soir et une journée est passée. Je déteste quand c'est ainsi, j'ai l'impression de m'ennuyer terriblement alors que le temps me file entre les doigts. C'est tout simplement horrible.
Hélène parle de moins en moins à mesure que ses cernes s'accentuent et que ses traits se tirent. Elle est au bout du rouleau, je le vois bien, mais je ne dis rien. Elle me fait un sourire fatigué en entrant dans ma chambre en fin de matinée, mais il est vite remplacé par une toute petite mine. Elle a les yeux rouges comme si elle était sur le point de pleurer, et parfois, elle les ferme une minute en penchant la tête en arrière, et elle soupire. Elle devrait s'arrêter de travailler le temps de reprendre des forces, mais ce n'est pas à moi de le lui dire, et peut-être qu'elle a des obligations qu'en tant qu'enfant je ne comprends pas. Ça m'énerve de ne pas tout comprendre juste à cause de mon âge.
Mes parents fatiguent aussi. Ils sont visiblement las de se déplacer pour me voir, encore et toujours, en me regardant dépérir lentement. Ils voient leur propre fille mourir à petit feu. Je n'ose même pas imaginer à quel point ça doit les faire souffrir.
Je tourne les yeux vers la fenêtre, il ne fait pas beau, mais comme je l'ai dit un jour, j'aime la pluie. J'aime bien entendre les gouttes marteler la vitre, et me sentir à l'abri à l'intérieur. Je me sens protégée, ainsi, et ça me fait du bien. J'aime aussi la lueur que projettent les éclairs dans ma chambre, ils me font sourire, je ne sais même pas pourquoi. C'est comme ça, c'est tout. Souvent, le matin, je me lève pour jeter un œil à l'horizon, et je tiens des paris avec moi-même sur le temps qu'il fera durant la journée. Je me suis perfectionnée, je me trompe beaucoup moins maintenant. Je souris quand je sais qu'il fera moche, puis je râle quand je vois qu'il y aura du soleil. Je me fais rire toute seule. J'ai l'impression d'être une petite mamie accrochée à ses principes pour ne pas se faire emporter par le flot d'horreurs de la vie.
Parfois, j'essaie de me remémorer l'Avant. Je n'y arrive pas la plupart du temps. Il me semble que ma mémoire s'est mise en route au moment où je suis sorti du bloc opératoire avec un cathéter en plein poitrine. Je me souviens distinctement de chacune des pensées qui m'ont traversé l'esprit pendant les premiers jours ; puis ça se noie dans un amas de bribes de souvenirs qui se mélangent entre elles, je ne sais plus exactement quel souvenir appartient à quel jour. Je n'arrive même plus à différencier mes souvenirs de mes deuxième et troisième ponctions de LCR, ils se mélangent en un seul et même horrible moment.
Les journées se ressemblent toutes, ce sont toutes les mêmes, ennuyeuses et douloureuses à en mourir. J'ai abandonné l'idée de crever, depuis le temps, j'ai compris que jamais ils ne me laisseraient avoir ce que je veux, à savoir la paix. Ils vont continuer pour l'éternité, puis mettre ma mort sur le compte de la maladie. J'en suis venue à un point où je n'ai plus aucune sympathie pour Mauriac, c'est dire à quel point je suis abîmée...
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