J'ai revu le professeur Clic-clic il y a quelques jours. Il m'a parlé de la greffe de moelle et de son utilité, je n'ai rien retenu. Ça ne m'intéresse pas. Ce qui m'intéresse, moi, c'est la date à laquelle je serai guérie. Je lui ai demandé combien de temps à peu près il faut pour trouver un donneur. Il ne sait pas, ça dépend des fois.

Mes parents passent me voir tous les jours, le soir, après leur travail. Je crois qu'ils ont compris que je souffrais ici, alors ils viennent me tenir compagnie, détourner mon attention de mes veines brûlantes. Ça me fait du bien de les voir plus souvent, même si je leur en veux encore de tout mon cœur d'avoir continué cette chimio. Je crois qu'il m'ont un peu manqué quand ils n'étaient pas là souvent.

Ils s'installent sur mon lit, ils me parlent de la vie à la maison, du soi-disant vide que j'ai laissé. Ils me donnent des nouvelles de Nic, aussi, parce qu'il a décidé de ne plus perdre son temps avec moi, et mes parents n'ont pas réussi à le raisonner. Ça m'arrange bien de ne plus avoir à supporter ses soupirs et son air apathique. C'est toujours comme ça, un ado ?

Aujourd'hui, je revois Aurélie, elle ne devrait plus tarder. J'ai bien réfléchi à mon vœu et, oui, c'est exactement ça que je voudrais. Ça me fera du bien, je pense. Je me demande comment elle réagira. Peut-être que d'autres gens, avant moi, ont déjà demandé ça, mais ça me parait peu probable. J'ai hâte.

« Bonjour, Samantha. »

Je me redresse en position assise et souris à Aurélie, qui entre d'un pas timide. Elle s'installe sur la chaise à côté de mon lit, croise les jambes. Je sens son regard balayer mon visage de haut en bas. Elle fronce légèrement les sourcils : je suis sans doute encore plus abîmée que la dernière fois. Je ne sais même pas quand exactement était notre première rencontre.

« Hélène m'a dit que tu avais un vœu à faire. Je suis très heureuse que tu y aies réfléchi, Sam, c'est super qu'on puisse se rendre utiles. »

J'avais raison, les gens aiment se sentir utiles. C'est pour ça que cette association a été créée, sûrement.

« Je te rappelle juste qu'on n'a pas le droit de te donner directement de l'argent, c'est contre nos intérêts. »

J'acquiesce.

« Je sais. Ce n'est pas ça que je veux vous demander. »

Elle sourit, et me demande ce que je souhaite. Je baisse les yeux sur la bosse que font mes mains sous le drap, jointes sur mon ventre. Maintenant, je doute de ma décision. Est-ce que ce n'est pas un peu ridicule, finalement ? C'est pathétique, même. Je ne devrais pas lui demander ça, son estime pour moi va plonger en chute libre. Je dois trouver une autre idée, mais quoi ? Je ne sais pas ce que je pourrais vouloir d'autre, et en attendant, je vois qu'elle commence de s'impatienter... Vite, trouver quelque chose...

« Je voudrais... je voudrais... un livre. »

Mon dieu, non, je ne dois pas gaspiller un vœu pour quelque chose d'aussi nul, je peux demander ça à mes parents, pas besoin de passer par Aurélie... Celle-ci est surprise, et l'incompréhension se peint sur sa figure. Elle ne comprend pas pourquoi je ne lui demande pas autre chose. Elle effleure du regard la pile de romans et bandes dessinées, sur ma table de nuit, toujours sur le point de s'écrouler. Elle me regarde à nouveau, puis répond dans un haussement d'épaules :

« Ça ne devrait pas être très compliqué. Tu sais lequel tu veux ? »

Mince, je n'ai pas réfléchi à ça. Elle me fixe encore, elle a forcément compris que je n'ai en fait aucune idée de ce que je voudrais faire comme vœu. Je souris, ça fera peut-être un peu illusion. Il faut que je trouve un livre... J'ai entendu Hélène en discuter avec une autre infirmière sur le pas de ma porte il y a quelques jours, les mots m'échappent de mes lèvres avant que je n'aie pu y réfléchir.

« Au revoir là-haut. »

« De Pierre Lemaître ? »

Elle écarquille les yeux, zut zut zut, je n'aurais jamais dû dire ça.

« Mais tu es sûre...? »

Autant y aller à fond. Je fais un "oui" vigoureux de la tête. Elle hausse à nouveau les épaules et m'assure qu'elle le trouvera d'ici quelques jours. Et elle s'en va.

Je suis seule à nouveau, encore et toujours. On ne change pas une équipe qui gagne, alors je me mets à lire, mais mon cerveau réfléchit trop alors je ne m'entends même plus bouquiner. Je relève un peu la tête et mon regard se perd dans le vide. Je viens vraiment de demander un livre comme celui-là à Aurélie ? Un livre bourré d'horreurs et d'humour plus noir que noir, d'après ce qu'ont dit Hélène et l'autre infirmière. Ce n'est sûrement pas quelque chose pour moi. Et je ne lui ai même pas parlé de mon idée initiale, alors qu'elle me tient vraiment à cœur.

Je suis nulle, et mon courage, inexistant. Je suis donc incapable d'assumer une aussi petite demande que ça ? N'empêche, le point positif, c'est que si jamais je lui fais mon vœu initial un jour, elle s'attendra déjà à ce que je lui demande quelque chose de pas commun.

Mais en attendant, je suis seule avec toute ma colère et ma déception dirigées contre moi-même...