4. Mélancolie
Il ne fallut pas longtemps pour que Victoire devienne une célébrité à Penzance. Sa tante, toujours muée par se devoir qu'elle se faisait de lui faire oublier les horreurs de la France, l'emmenait partout avec elle. La jeune femme fit de son mieux pour paraître sous son meilleur jour et essaya de retenir tous les noms mais la tâche semblait impossible. Lady Louise s'efforçait de l'aider dans cette tâche avec force détails mais rien n'y faisait, Victoire ne pouvait se souvenir du prénom de la sœur de la voisine de la mère de l'ancien propriétaire de la maison en haut de la rue de la poste.
Fatiguée de constamment porter un masque, Victoire ne trouvait de repos que lors de ses longues promenades sur la plage. A marée basse celle-ci s'étendait à perte de vue. Ce phénomène était tout bonnement divin. Dieu amenait et repoussait l'eau au gré de ses désirs. La française avait lu quelques ouvrages au sujet de ce phénomène et celui-ci continuait de la fasciner. La beauté du lieu l'envoutait, toutes ces nuances de jaune, ocre et marron, tantôt découvertes, tantôt recouvertes par ce bleu gris. Au loin se dessinait le mont, dominant toute la baie. Il lui rappelait des ruines sur des collines dans le Morvan, ces vestiges des temps anciens, à l'époque où les romains dominaient le monde connu.
Un après-midi d'août, alors que Louise somnolait avant d'engager les préparatifs du dîner prévu le soir-même pour dix personnes, Victoire aperçut le soleil d'été tant aimé et sortit se promener sur le sable. La mer se retirait lentement et la jeune femme la suivit. L'eau l'entraîna jusqu'à l'île, et Victoire la visita pour la première fois.
Près du petit quai se trouvaient quelques maisons d'un charme pittoresque, et une simple route montait vers les hauteurs. Victoire hésita à s'y engager pour finalement opter pour un tour de l'île via la plage. Elle ne put cependant aller bien loin, coupée par les rochers et l'eau qui remontait déjà.
Avec difficulté, elle remonta sur la terre ferme via un procédé que sa tante désapprouverait si elle en avait connaissance : en grimpant. Victoire s'aida de ses bras et, de rocher en rocher, parvint finalement à quitter la plage pour retrouver la sécurité d'un chemin de terre, de terre et de boue.
Elle se redressa pour admirer les dégâts et constata qu'elle n'échapperait pas aux remontrances : il y avait à présent plus de boue que de bleu sur les pans de sa jupe et sa capeline n'était pas épargnée. Elle n'avait plus qu'à rentrer discrètement et espérer pouvoir se changer avant que sa tante ne s'aperçoive de tout ceci. Elle prit le parti de retourner vers le quai lorsqu'elle entendit le galop d'un cheval derrière elle. Priant pour que ce ne soit qu'un inconnu local, elle s'écarta du centre de la route et se retourna pour saluer le ou la cavalière.
L'homme qui montait un cheval de trait la salua en pinçant son chapeau et continua son chemin sans lui porter plus d'attention, ce qui la soulagea amplement.
Victoire reprit sa route et arriva bientôt à la croisée des chemins où elle avait fait l'erreur de choisir la plage plutôt que la route. Une bonne partie de l'après-midi était passée et venait déjà le moment de repartir, Victoire s'imaginait à juste titre attendue pour l'heure du thé et retraverser la baie prendrait un peu de temps. Seulement, celle-ci était coupée par une large bande bleue, la mer avait déjà commencé à recouvrir toute la baie.
Victoire soupira de dépit et jeta un regard circulaire autour d'elle. Elle surprit des sourires en coin, les quelques villageois du coin se doutaient certainement de sa peine, commune pour les visiteurs aventureux comme elle qui se laissaient régulièrement surprendre par la montée des eaux. La jeune femme s'avança vers le quai, à la recherche d'une embarcation qui pourrait la mener à terre. Malheureusement pour elle, les bateaux étaient soit en mer, soit vides. Il ne lui restait donc plus qu'une solution, trouver un établissement respectable où patienter.
Avant de partir, la jeune regarda avec dépit la baie se remplir d'eau. Ce phénomène était magnifique et bruyant, il lui semblait entendre un troupeau de chevaux au galop.
— La marée aime surprendre ceux qui ne lui sont pas familiers, dit une voix derrière elle.
Victoire se retourna brusquement, plongée dans son observation elle ne l'avait pas entendu arriver. Le cavalier était à terre et menait son cheval par la bride. L'animal se laissait tranquillement mener et mâchouillait son mors sans grand entrain. La jeune femme fut un instant plus concentré sur la monture que sur le cavalier car elle n'était pas très à l'aise avec ces animaux. Ils étaient si grands, et si forts, il était impossible de prédire leurs mouvements, cela les rendait... effrayant. Puis Victoire se rappela des paroles de l'homme et lui répondit avec un sourire aimable.
— Je vous le concède, mylord, j'ignore tout de ce phénomène que je n'ai découvert qu'à mon arrivée ici.
— La mer suit les mouvements de la lune. Elle recouvre et découvre la plage deux fois par jour, selon une amplitude qui varie avec la météo. Parfois elle vient lécher le bas des maisons de Penzance et obstrue toute la plage. Elle s'infiltre même ici et remonte le long de la colline.
— Elle m'empêche également de regagner le rivage.
— Vous voici donc piégée avec moi miss de Bessy.
Il avait dit cela sans malice, avec un sourire, alors qu'il lui offrait son bras. Victoire essaya de ne pas rougir et se laissa entraîner par le comte. Iwan l'invita à prendre le thé dans sa demeure, non sans lui assurer que sa tante serait prévenue et invitée.
— Je vais demander à l'un des domestiques de lui transmettre le message. Et rassurez-vous, vous ne serez pas piégée bien longtemps, nous vous trouverons une embarcation.
La route jusqu'au château n'était pas très longue, mais Iwan insista pour que Victoire ne s'abîme pas les pieds en marchant et utilise son cheval, ce qu'elle s'efforça de refuser.
— Mon cher comte vous me voyez dans l'obligation de vous déclarer mon effroi face à ces animaux.
Il usa de toute son éducation pour ne pas rire mais le léger sourire qui s'étala sur son visage suffit amplement à montrer son amusement.
— Canaille n'a d'impulsif que son nom, c'est une bête des plus douces et des plus fidèles, je vous promets qu'il ne vous arrivera rien.
Sa force de conviction acheva de la convaincre. Victoire saisit la selle d'une main mais n'eut point le temps de poursuivre car il la saisissait par les hanches et la portait en haut de sa monture. L'animal ne broncha pas mais cela ne rassura pas Victoire pour autant. Puis, Iwan rapprocha son cheval du muret en pierres et s'en aida afin de monter derrière Victoire qui se crut partir en arrière.
— N'ayez crainte, je vous éviterai la chute.
— Vous m'en voyez reconnaissance, murmura Victoire la gorge nouée.
Si sa tante apprenait cette proximité avec un homme qui ne fut pas de sa famille elle serait sans conteste chagrinée, énervée même. Ils repartirent et Iwan les mena au trot jusqu'au château qui se dressait au sommet du mont.
— Bienvenue chez moi.
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Merci d'avoir lu ce chapitre !
Axel.
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