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Sacrifice

« Ne me prends pas pour un idiot, mon fils, tu sais très bien quel jour nous sommes.

— Ne peut-on pas décaler la date ?

— Peut-on décaler ce qui est immuable ? »

Son père le toisa avec désapprobation. Octave détourna le regard. Il avait toujours su qu'un jour il devrait s'acquitter lui-même du sacrifice annuel. Fallait-il rappeler de quoi il s'agissait ? Les habitants du village sous-marin de Veratia, bien à l'abri des humains de la surface, kidnappaient le fils aîné du meilleur pêcheur de l'année et le tuaient. Il était en effet très important de venger par ce geste tous les poissons cruellement assassinés par les hommes, et cette punition avait lieu chaque année. Seulement, cette fois-ci, c'était au tour d'Octave d'accomplir cette lourde tâche.

Il n'avait jamais cru aux histoires de bonnes femmes de son père : la terrible déesse du feu allait faire bouillir leur village si par malheur ils ne sacrifiaient aucun humain cette année... Vraiment ? Balivernes. Ce qui l'attendait était autrement plus effrayant : le souverain ou prince qui refusait d'accomplir ce rite était immédiatement exécuté. Octave n'appréciait pas vraiment l'idée de perdre sa précieuse tête couronnée pour le salut d'un simple humain, même si sa mission le répugnait.

La vie était calme à Veratia, personne n'était inquiété par les pêcheurs, contrairement aux pauvres poissons qu'ils vengeaient chaque année. Les habitants du village étaient capables de se changer en eau à la vitesse de l'éclair, évitant ainsi les périlleux filets lancés à leurs trousses. Se transformer en eau était un privilège, mais malheur à celui qui le faisait à l'air libre : il mourait instantanément. Les Veratiens qui désiraient sortir de l'eau pouvaient prendre forme humaine, mais cela n'avait pas le moindre intérêt en-dehors des enlèvements d'hommes pour les sacrifices. Veratia ne manquait de rien. Qui pouvait avoir envie d'en partir ?

Le père d'Octave éleva la voix.

« Je ne te demande pas ton avis. Nous sommes le premier jour de l'automne, et dans trois jours aura lieu le sacrifice. Dépêche-toi de te rendre sur la terre ferme pour me trouver ce Neil Laslow. Tu sais de qui il s'agit, le vieil Ignius t'a montré sa maison il y a cinq jours en reconnaissance. »

Octave voulut répondre « Bien. », mais les mots lui manquèrent. Il prit quelques algues dans la petite boîte attachée à une pierre par une cordelette et les mâchonna consciencieusement. Il valait mieux prendre des forces. Il toucha du bout des doigts les branchies au niveau de son cou qui disparaîtraient dans quelques minutes lorsqu'il sortirait de l'eau, puis secoua la tête en nageant vers la surface. Etre doté de deux nageoires caudales en plus de jambes assez agiles était un avantage pour se déplacer rapidement, mais il allait devoir oublier tout ça : on ne nageait pas dans les airs. La vie allait lui paraître bien lente.

Octave soupira intérieurement. Voir tous ces humains arriver à Veratia morts, le visage boursouflé par la noyade, ne lui avait jamais particulièrement plu. Tout le village s'extasiait en louant le dieu de la mer, mais il avait toujours été très sceptique. Pourquoi faire une chose pareille ? Les Veratiens pensaient être plus évolués que les hommes, mais ils commettaient les mêmes infamies. Il ne fallait pas qu'il pense à ce qu'il allait faire. Je prends l'humain, je le mets dans l'eau, je descends, fin du problème.

Arrivé près du rivage, il se changea en eau pour s'approcher du sable sans être vu des hommes. Constatant qu'il n'y avait personne, Octave prit forme humaine. Il s'était forgé une apparence des plus normales : cheveux mi-longs bruns, yeux sombres, mine renfrognée mais avenante, taille fine. Il espérait n'être vu de personne. Neil Laslow, la mer, pas d'histoires. Son père serait content, le village sauvé, tout irait pour le mieux. Il se faufila vers la maison du pêcheur, baissant les yeux pour que les passants ne lui adressent pas la parole. On lui proposa des abricots qu'il refusa poliment, puis il trouva la fameuse petite pancarte sur le mur : Laslow.

Octave serra les lèvres et hésita une minute de trop devant la bicoque qui servait de maison à la famille du meilleur pêcheur de l'année. L'homme en personne sortit avec fracas de son habitation, et il tomba nez-à-nez avec le Veratien. Un large sourire s'étala sur son visage recouvert d'une barbe noire en broussailles.

« Mais ça, c'est de la bonne main d'œuvre ! Tu connais la mer, mon p'tit ?

— Euh, je..., bredouilla Octave, ne sachant que répondre.

— Alors c'est d'accord ! Suis-moi ! » déclara le pêcheur en l'attrapant sans ménagement par le bras.

Octave retint sa respiration jusqu'au bateau des Laslow, se demandant dans quel traquenard il avait bien pu tomber. Ce n'était pas prévu. Il allait perdre du temps. Lorsque le pêcheur le poussa avec force sur l'embarcation, il crut qu'il allait s'enfuir à toutes jambes, mais il se souvint que son peuple l'observait. Ils étaient sûrement là, cachés parmi les vagues, espionnant le moindre de ses gestes. Il devait faire bonne figure. Laissons-les croire que c'est un plan bien élaboré pour enlever ce fameux Neil.

Il s'éclaircit la voix et demanda :

« Alors, que faisons-nous aujourd'hui, capitaine ? Je suis prêt à vous aider.

— C'est ramassage de tout ce qu'on peut trouver, matelot ! répondit le marin, extatique à l'idée d'avoir un nouvel assistant.

— Cela me paraît plutôt bien. » dit simplement Octave en regardant le capitaine s'éloigner.

A ces mots, un jeune homme s'approcha de lui à grands pas en traversant le pont et lui parla, les cheveux tombant devant ses yeux.

« Eh, mon gars, écoute-moi bien. Je ne sais pas qui tu es ni d'où tu peux bien sortir, mais ne t'avise pas d'escroquer mon père. Il est très généreux, mais ses nouveaux apprentis passent leur temps à voler dans la caisse. Alors si je te vois le faire, je t'étripe. Compris ?

— Je n'avais pas prévu de vous voler de l'argent..., se défendit Octave, comprenant qu'il avait affaire à Neil Laslow. Je n'ai même pas demandé à venir ici, à vrai dire. Ton père m'a trouvé près de chez vous et a décidé que j'étais d'un assez bon gabarit pour l'aider. »

Neil fronça les sourcils en le regardant bien en face, la défaite brillant dans ses yeux. Il savait très bien que c'était le style de son père de recruter des jeunes qui n'avaient rien demandé. Il fit la moue et lui tourna le dos, retournant à son travail.

Octave avait du mal à respirer.

Il savait qu'il aurait dû l'attraper par la manche et plonger avec lui. Veratia était si proche qu'il n'aurait eu qu'à descendre en piqué. Il savait qu'il n'aurait pas dû hésiter, qu'il se fichait éperdument de ce que penserait ce satané capitaine en voyant son fils couler à pic, mais il était paralysé de stupeur. Jamais il n'avait eu une quelconque réaction en regardant quelqu'un, encore moins un simple humain. Le contact visuel qu'il venait d'échanger avec Neil l'avait laissé tremblant, faible, et il se demandait ce qu'il avait bien pu faire pour mériter ça. Il ne devait pas le laisser transparaître, mais il savait déjà que ce serait impossible : il était un nouveau résident de l'asile de Cupidon, celui où l'on entasse les malheureux soudainement terrassés par un coup de foudre.

Lorsque le capitaine lui tendit une corde, il revint difficilement à la réalité.

« Alors, moussaillon, on rêvasse ?

— Pas du tout. Que dois-je faire ?

— Aide-moi à hisser cette fichue voile. »

Octave passa le reste de la journée à participer à la pêche, oubliant presque sa nature veratienne. Il était ici pour sacrifier un humain à la gloire des poissons, par pour en tuer des centaines à la place. Il jetait de rapides coups d'œil à Neil, penché sur le bastingage, très concentré, accomplissant son métier à merveille. Octave ne pouvait s'empêcher de le regarder, impressionné par sa prestance, émerveillé par ses yeux verts et son expression très sérieuse. Que la déesse du feu m'emporte, je ne peux pas le faire.

Lorsque la nuit tomba enfin, c'est éreinté qu'Octave descendit du bateau pour rejoindre la terre ferme du port. En tant que prince, il ne faisait presque rien de ses journées, et tous ces efforts l'avaient épuisé. Il alla s'asseoir au coin d'une petite maison de bois et ferma les yeux, bien décidé à dormir ici.

« Eh dis-donc, l'enclume ! »

Octave ouvrit un œil, surpris. Le capitaine le fixait avec intensité.

« Les apprentis du capitaine dorment dans la maison du capitaine ! On t'a pas appris ça, chez tes parents ?

— Ah, euh... si, bien sûr, mais j'avais peur de déranger.

— Ma piaule est immense, si t'éternues je le saurai même pas ! Viens par-là, moussaillon. »

Il lui indiqua la direction de sa maison, et le cœur d'Octave se mit à battre très fort lorsqu'il comprit enfin qu'il allait habiter avec Neil. Cela n'aurait pas dû le réjouir car il aurait fallu qu'il prenne de la distance avec sa proie, mais il sourit tout de même béatement. Lorsqu'il ouvrit la porte, il sentit une présence juste derrière lui.

« Alors comme ça, mon père te considère vraiment comme de la famille ?

— Euh..., bafouilla Octave, intimidé par le visage si proche de Neil et son ton réprobateur.

— Bon, t'as pas volé dans la caisse, t'as pas pris de poissons derrière notre dos... J'ai tout recompté, tout était normal.

— Tu ne veux vraiment pas me faire confiance, pas vrai ? tenta Octave, espérant qu'il n'avait pas l'air trop stupide ou agressif.

— Maintenant, si. Bon, entre, qu'on aille dîner.»

Un peu vexé par l'expression hargneuse de Neil, Octave pénétra dans la grande salle à manger de la famille Laslow. Il s'attabla en silence avec le capitaine et son fils, et une femme bien trop jeune pour être celle du capitaine leur servit à manger. Du poisson, pour changer. Octave tenta de demander à Neil du regard qui était cette femme, mais celui-ci fit semblant de l'ignorer et continua son repas sans rien dire. Blessé, le Veratien serra les lèvres et se remit à découper son poisson en petits cubes. Il avait un mal fou à en manger sans éveiller l'attention des pêcheurs, dégoûté par cette nourriture inhabituelle et sacrée dans son village. Lorsqu'il avala goulûment les algues posées dans l'assiette pour décorer, le capitaine le considéra d'un air étonné.

« Tu manges ça, moussaillon ?

— C'est très bon pour la santé, capitaine.

— C'est encore une histoire de bonnes femmes. Ma mère aussi me racontait n'importe quoi pour que je finisse la verdure. Bah. Rien ne vaut le poisson avec le poisson, hein Neil ? »

Son fils leva légèrement les yeux de son assiette et échangea un regard avec Octave. Ce dernier retint son souffle, toujours aussi estomaqué de le regarder dans les yeux, le cœur battant la chamade. Je vous présente Sa Future Majesté Octave Veratia, premier prince à prendre la décision de laisser son village bouillir pour l'amour d'un humain tueur de poissons... Il ne pouvait pas se tromper : jamais il n'avait ressenti une chose pareille. Que penserait son père de tels sentiments à l'encontre d'un humain ? Il était fait pour vivre dans l'eau avec des branchies, une queue, des écailles et de longues incisives, par sur la terre ferme.

Il eut l'impression que ses yeux restèrent plongés dans ceux de Neil pendant des heures. Le jeune pêcheur le regardait avec intensité, mais son expression était indéchiffrable. Il rompit soudainement le charme.

« Le poisson, y a que ça de vrai.

— C'est bien mon fiston, ça ! s'exclama le capitaine. Dis-moi moussaillon, si tu manges rien tu vas tomber demain !

— Je suis trop habitué aux algues, en réalité. Tradition familiale.

— Sylvana ! Assiette d'algues pour le marin d'eau douce ! »

La femme revint dans la salle à manger et déposa un plat pour Octave, qui s'en empara avec joie. Il allait enfin pouvoir se nourrir sans avoir envie de vomir. Lorsque le repas prit fin, le capitaine lui indiqua un couloir.

« Tu dors avec mon fils, mon p'tit gars. Au fait, comment tu t'appelles ?

— Euh... Octave. »

Il était encore tout retourné par l'annonce du capitaine. Dans la même chambre que Neil ? C'était plus qu'embarrassant.

« Octave ? C'est un prénom, ça ? Remarque, si ta mère est une bouffeuse d'algues, je comprends le délire avec le nom qu'elle t'a donné. Je sais pas d'où tu viens, mais ta famille a l'air marrante, moussaillon. Bon, dors bien parce que ce sera un peu dur demain ! »

Octave hocha la tête, tétanisé. Il entra dans la chambre, espérant que Neil soit déjà endormi et qu'il puisse rester là, discrètement. Mais le jeune homme était bien éveillé, et visiblement décidé à discuter un peu. Il repoussa ses couvertures, révélant un torse musclé qu'Octave n'aurait pas renié pour lui-même, et ce malgré son choix assez avantageux d'apparence humaine. Le Veratien s'assit sur le bord du lit.

« On n'a pas de matelas pour toi, alors je t'attendais pour que tu te mettes à côté de moi.

— Ah, euh...

— Tu passes ton temps à dire ce genre de trucs, à hésiter. T'as un problème ? »

La question n'était pas agressive, mais Octave avait beaucoup trop honte de la réponse.

« Rien, rien, je ne suis pas habitué à dormir avec d'autres gens, c'est tout.

— Tu vis dans un palais ? demanda Neil avec sérieux.

— Pas du tout, mais on est très peu dans ma famille... »

Il ôta sa chemise, espérant que Neil ne le regarderait pas, mais celui-ci le fixait avec intensité. Le fils du pêcheur remarqua immédiatement sa gêne et souffla :

« Pas obligé de te cacher, on est entre hommes.

— Personne ne me regarde d'habitude...

— Eh bah ça changera, tu verras. On est des marins, nous. Allez, viens te coucher, sinon demain tu seras mort. »

Je crois que tu n'imagines pas à quel point.

Octave s'approcha du lit, et Neil soupira bruyamment.

« Mais retire ton pantalon, tu vas pas dormir comme ça !

— Et pourquoi pas ?

— Ça aussi, c'est une habitude de chez toi ? » demanda Neil avec un dédain perceptible dans la voix.

Octave n'eut pas envie de le voir une seconde de plus avec ce regard désapprobateur, et il ôta son pantalon en tentant de cacher son rougissement. Jamais il n'avait ressenti une chaleur pareille dans ses joues habituées à l'eau glacée. Neil s'allongea de nouveau pour se coucher contre le mur, laissant de la place pour Octave dans son grand lit. Il n'était cependant pas assez large, car le Veratien se retrouva rapidement collé contre son colocataire.

« On va se tenir chaud, plaisanta Neil, l'air indifférent.

— Ah, euh...

— Je t'ai dit d'arrêter avec ça. Bonne nuit... Comment tu t'appelles ?

— Octave.

— Ah oui ? Et ton nom de famille ?

— Veratia... Mais on n'est pas d'ici.

— Et qu'est-ce que tu es venu faire dans mon village, avant de te faire engager par mon père ? »

Neil s'était tourné vers lui, le visage désespérément proche du sien.

« En fait, je cherchais vraiment du travail, il n'y en a plus chez nous.

— Vraiment ? Ça craint. Enfin maintenant, t'es tranquille. Mon père te paiera en fin de semaine, il fait toujours ça pour que les apprentis ne s'enfuient pas le lundi avec leur argent. C'est mieux de garder le plus longtemps possible de la main-d'œuvre, pas vrai ?

— C'est sûr, je comprends très bien. Au fait, qui était la femme qui nous a servi à manger ?

— C'est Sylvana, une fille qui nous devait de l'argent parce que mon père lui a offert à manger quand elle était dans le besoin... Plutôt que de lui réclamer des espèces sonnantes et trébuchantes, mon père lui a proposé de nous faire à manger les jours où on doit rentrer tard de la pêche.

— Ah, d'accord. J'avais pensé que c'était ta mère, mais elle me paraissait trop jeune pour ça. »

Il vit alors le regard de Neil s'assombrir.

« Non, c'était pas ma mère. »

Octave attendit en silence, sentant que le jeune pêcheur ressassait de mauvais souvenirs.

« Ma mère est morte l'année dernière, ça fera un an pile dans trois jours. Elle s'est noyée. On n'a jamais compris pourquoi.

— Comment était son père ? demanda Octave, s'attendant au pire.

— C'était le meilleur pêcheur du village, ma mère était sa fille unique. Il est parti habiter dans la nature quelques semaines plus tard, pour calmer un peu son chagrin. »

Donc cette grosse dame du sacrifice de l'année dernière était sa mère... Je savais bien que cette coutume était stupide.

« Je suis vraiment désolé, murmura Octave.

— C'est pas de ta faute. »

Non, juste celle de mon père.

« Et franchement, Octave, t'as vu comme Sylvana te reluquait pendant le repas ?

— Hein ?

— Ouais, elle arrêtait pas de te regarder, je crois que t'as une touche.

— Tu ne voudrais pas l'avoir, toi ? Elle est jolie, mais pas vraiment mon genre.

— Moi non plus, en fait. Je pensais qu'elle était ton style, sincèrement.

— Et pourquoi ?

— T'avais l'air patraque pendant tout le repas, je pensais que c'était pour ça... »

Octave ne répondit pas et tourna le dos à Neil.

« Bon, je dors, déclara le Veratien.

— Comme tu voudras. Bonne nuit, Octave. »

Le Veratien rougit et serra les dents. Il ne fallait pas que ses sentiments se voient, jamais. Puis il se souvint soudainement qu'il était censé tuer Neil, et qu'il pouvait très bien le faire dans son sommeil. Il attendit que le souffle du jeune pêcheur ralentisse doucement, puis se tourna vers lui sans faire de bruit. Neil dormait paisiblement, les traits doux et calmes, ce qui changeait de son expression constante de bravade lorsqu'il était éveillé. Des mèches de cheveux tombaient sur ses yeux. Octave les écarta machinalement du bout des doigts. Il était beau à en mourir sur-le-champ. Les paupières du jeune homme frémirent et Octave craignit de l'avoir réveillé, mais il continua de dormir.

Chaque regard posé sur lui était une torture, et Octave ferma les paupières avec force pour ne pas laisser sortir les larmes qui montaient à ses yeux. Il savait qu'il ne pourrait jamais le faire. Il sanglota en silence, effaré de se retrouver dans une situation pareille. Il n'avait même pas envie que son père vienne faire le travail à sa place : tout sauf la mort de Neil. Tout.

Il se recoucha, désespéré, et attendit plusieurs heures avant que son esprit ne cesse de réfléchir et l'autorise à tomber dans les bras de Morphée.

Mais ce fut dans ceux de Neil qu'il se réveilla. Le jeune pêcheur l'avait enlacé pendant la nuit, sûrement durant un cauchemar, et Octave était très gêné de ce contact. Il l'appréciait beaucoup, bien sûr, mais il n'avait pas envie que le pêcheur s'en rendre compte... Il tenta de s'extirper le plus précautionneusement possible, mais Neil ouvrit les yeux et le considéra en silence. Durant la minute la plus longue de sa vie, Octave le regarda, hébété, et bafouilla :

« Je ne sais pas ce qu'il s'est passé. Vraiment pas. Vraiment vraiment pas.

— J'ai dû faire un rêve agité..., murmura Neil, sans toutefois lâcher prise.

— Peut-être. » fit Octave d'une voix blanche.

Neil resta silencieux encore quelques secondes avant de chuchoter :

« On n'est pas bien, là ?

— Euh... si, bien sûr.

— Je ne sais pas trop ce que je suis en train de faire, mais c'est certainement le moment le plus agréable de toute ma vie. »

Octave rougit violemment et bafouilla :

« Mais... Pourquoi, d'un seul coup, tu...

— Oh, ne fais pas ta vierge effarouchée, je voulais juste être bien. Ça te gêne à ce point ?

— Pas du tout, mais je ne m'y attendais pas. Est-ce que tu es le même Neil qu'hier soir ? Celui qui me snobait pendant le repas ? »

Neil éclata de rire.

« Est-ce que tu penses que je peux serrer des garçons contre moi devant mon père ?

— Eh bien... non. »

Octave était effaré. Neil lui avait caché le plus important. C'était inattendu, magnifique, effrayant. Maintenant, cela allait être une mission totalement impossible de le tuer. Il touchait le bonheur de beaucoup trop près.

« Est-ce que ça veut dire que tu... enfin, que tu serais... intéressé ? »

Octave était conscient du ridicule de sa petite voix à moitié brisée. Neil ne répondit pas, se leva, enjamba le Veratien et déclara :

« On verra ça après le travail. La baignoire est au fond à droite. »

Octave se demandait d'où sortait ce Neil à nouveau sérieux, puis il vit le capitaine passer sa tête dans l'encadrement de la porte. Son fils avait dû reconnaître ses pas au bout du couloir.

« Alors, moussaillon, on préfère pioncer ?

— J'allais me laver, capitaine, j'arrive tout de suite. »

Après de délicieuses sardines pour les pêcheurs et un bon bol d'algues pour Octave, ils retournèrent pêcher. De temps en temps, Neil lui lançait un regard éloquent ou lui souriait lorsque le capitaine était penché sur le bastingage ou ne les voyait pas. Le cœur d'Octave s'emballait à chaque œillade, et il ne voulait pas croire à sa chance. Sa première attirance était réciproque ! Il ne manquait plus que l'absence de sacrifice, et sa vie serait parfaite. D'où un petit problème. Il regarda pensivement dans l'eau pendant la pause-déjeuner des marins, et y aperçut soudain une forme familière. Un Veratien avait attendu que la pêche ne s'arrête pour lui signifier par sa présence qu'il avait une mission à accomplir. Nauséeux, il retourna s'asseoir sur le pont avec Neil et le capitaine pour manger des algues bien méritées.

Au regard du jeune pêcheur, il comprit que ce n'était pas le moment de lui adresser la parole. Neil voulait sûrement éviter un mot malheureux, une parole qu'il regretterait devant son père. Octave se contenta donc de manger en silence, considérant d'un œil accablé la quantité de poissons entassée sur le pont. Après plusieurs heures de pêche, le bateau revint au port et le Veratien s'étira les jambes en baillant. Le capitaine l'invita à nouveau à dîner et dormir chez lui, et c'est très gêné qu'Octave mangea ses algues du soir sans oser lever les yeux. Il avait réussi à cacher son attirance pour Neil pendant des heures, mais se retrouver si près de lui était très embarrassant. Il avait peur de rougir, de le fixer trop longtemps, d'éveiller les soupçons du capitaine. Ce dernier prit son silence pour une fatigue accrue, et il lui conseilla d'aller se coucher juste après la fin du dîner.

Seul dans la chambre de Neil, qui discutait un peu de la pêche du jour avec son père, Octave se déshabilla, écarlate. Il se dirigea lentement vers le miroir posé sur le bureau du jeune pêcheur et y observa son reflet. Que pouvait bien lui trouver Neil ? Etaient-ce ses cheveux, ses yeux, son visage ou son corps qui lui plaisaient ? Le fils du pêcheur était magnifique, mais Octave n'arrivait pas à juger sa propre apparence. Lorsqu'il entendit des bruits de pas se rapprocher de la chambre, il se jeta littéralement dans le lit et se cacha du mieux qu'il put sous les couvertures.

Il avait osé espérer que Neil se coucherait sans rien dire. Qu'il pourrait le tuer sans remords, sans avoir à combattre ses sentiments, juste en reléguant ses émotions au fond des océans. Qu'importe sa douleur, elle ne serait apparue que lorsque le cadavre noyé du jeune pêcheur remuerait doucement au gré des courants entre ses bras. Tout aurait été parfait, il aurait eu l'éternité pour s'en remettre.

Mais Neil s'était allongé à ses côtés et avait posé sa main sur son épaule, le questionnant du regard sur son attitude fermée.

« Tu m'en veux de nous cacher à mon père, c'est ça ?

— Pas du tout, répondit Octave, sincère. C'est le cadet de mes soucis.

— Il y a plus grave ? »

Le Veratien ferma les yeux. C'était vraiment le dernier des sujets qu'il avait envie d'aborder.

« Il y a toujours plus grave. » murmura-t-il simplement.

Confus, Neil le força à le regarder.

« Je vois bien que quelque chose te gêne, ne fais pas semblant de dormir.

— Ça me regarde, et puis ça ne te concerne pas, mentit Octave avec un faux sourire rassurant.

— Si tu le dis. Au fait, j'ai une question... Est-ce que tes parents savent que... ? »

Octave lui adressa un regard interrogateur, véritablement hésitant et perdu.

« Que quoi ? demanda-t-il en haussant les sourcils.

— Mais que tu aimes les hommes, idiot ! s'exclama Neil en éclatant de rire.

— Oh ! Oh, non, je ne m'en étais pas rendu compte avant hier, à vrai dire.

— C'est vrai ? »

Oh, Père, si vous saviez que j'aime les humains tout court... Neil le lorgnait avec amusement et surprise, agréablement étonné de cette révélation.

« Tu n'es attiré que par moi ? »

C'était presque une affirmation. Son sourire était lumineux, et Octave sentit son pauvre cœur Veratien glacé par la mer bondir dans sa poitrine. Neil se mit à lui caresser le bras du bout des doigts, et Octave frissonna. Etait-il possible de ressentir ce genre de choses ? Il n'était pas habitué à ne plus porter des écailles protectrices... Sa nouvelle peau était décidément pleine de mystères. Neil le regarda avec une intensité irréelle, et son visage s'approcha lentement du sien. Octave n'avait pas la moindre idée de ce qu'il allait lui faire, mais la sensation des lèvres du pêcheur sur les siennes lui fit perdre toute sa vitalité. Il se surprit à passer son bras autour du cou de Neil et à le serrer contre lui en appuyant plus fortement ses lèvres sur les siennes, ivre de ces nouvelles sensations, désespéré par ce que lui disait la petite voix moralisatrice qui s'insinuait dans ses pensées.

Lorsqu'il se sépara enfin du pêcheur, il eut envie de fondre en larmes sans retenue, mais ce n'était pas le moment. Ce ne serait jamais le moment. Neil lui souriait de toutes ses dents, ne paraissant pas imaginer une seule seconde que son amant aurait dû être son bourreau, un jour. C'était il y a si longtemps...

« Tu ne peux pas imaginer comme je suis heureux de trouver quelqu'un comme moi ici, installé dans ma chambre, avec moi tous les jours..., murmura Neil. Tu as été envoyé par le destin, peut-être la déesse de la mer... Elle nous a unis pour toujours. »

Si tu savais ce que la déesse de la mer voulait vraiment faire de toi...

Octave lui sourit, essayant d'avoir l'air le plus naturel possible. Il avait envie de hurler. Neil le prit dans ses bras, sans remarquer le moins du monde le regard perdu du Veratien, et pressa son front contre son épaule.

« Bonne nuit, Octave. J'espère que tu resteras ici pour toujours.

— B... Bonne nuit. »

Il ne parvint pas à trouver le sommeil, cette nuit-là. A chaque fois qu'il sombrait doucement, il se réveillait en sursaut, persuadé que Neil n'était qu'un cadavre dans ses bras et qu'il devait rentrer chez lui. Mais le jeune pêcheur se blottissait un peu plus contre lui, respirant lentement mais respirant tout de même, et Octave serrait les lèvres pour ne pas pleurer. Jamais il n'avait eu envie de sangloter de sa vie avant sa funeste rencontre avec sa proie désignée. D'ailleurs, qui pouvait bien pleurer dans l'océan ? Et surtout, qui voyait la différence ? La différence se faisait sur la terre ferme, le seul endroit où Octave avait pu ressentir plus que de l'ennui ou de la frustration Celui qu'il avait en face des yeux était l'amour de sa vie, le seul, le dernier, et il le savait très bien.

Lorsque le coq du quartier chanta, Neil remua contre le Veratien en se réveillant doucement. Il ouvrit de grands yeux en jaugeant la situation, puis parut se souvenir de ce qu'il s'était passé la veille.

« On s'est embrassés ! s'exclama-t-il avec un sourire radieux.

— Oui. Tu veux qu'on recommence ? »

Neil ne vit pas l'expression résignée d'Octave, ses lèvres pincées, ses yeux résolus et empreints de tristesse. Il avait pris sa décision quelques heures auparavant, lorsque le bruissement du reflux de la mer audible depuis la chambre lui avait empli la tête de l'idée fixe qu'ils ne s'en sortiraient jamais. On allait les tuer tous les deux, rien ne les protègerait, même si Veratia ne finissait pas ébouillantée à cause d'une malédiction fantaisiste. Fuir au milieu d'un désert ne changerait rien, car en plus de griller au soleil ils seraient poursuivis. Personne ne fuyait Veratia.

Neil lui toucha du bout des doigts la main, visiblement fou de joie, et s'approcha doucement de lui. Avec l'énergie du désespoir, Octave prit son visage entre ses mains et ses lèvres entre les siennes, avant de prendre une très grande inspiration. C'était la règle principale chez les Veratiens : pas de liquéfaction en-dehors de l'eau, sinon c'était la mort. Il n'avait pas le droit de le faire, mais c'était sa seule échappatoire. Il osa un dernier regard fixé dans les yeux de Neil, celui pour qui il faisait tout cela. Le jeune pêcheur commençait à avoir l'air de plus en plus interrogateur, et Octave sut qu'il devait le faire immédiatement.

Il ferma les yeux et se transforma en eau, se jetant avec l'énergie du désespoir qui lui restait entre les lèvres entrouvertes de Neil. Il sentit la surprise, la douleur, l'incompréhension, les mouvements brusques du pêcheur qui se noyait de l'intérieur, sacrifié sans le savoir, empli d'eau jusqu'à la gorge, choqué et agonisant. Octave s'éteignit lentement, perdant ses sensations au fur et à mesure qu'il tombait, sentant finalement la douleur sourde et glacée de la mort l'envelopper.


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