Chapitre 6
Ashton
Un coup d'œil sur mon portable m'indique qu'il est presque dix-huit heures. Je sors de ma chambre pour ensuite descendre et rejoindre le parc. J'ai reçu un mail ce matin, qui m'informait que la livraison de mon lit aurait lieu aujourd'hui. Hors de question que je la loupe. C'est mort, je ne passerai pas une nuit de plus dans celui où je pionce depuis presque une semaine. Je trace vers le portail, ouvert et surveillé par les deux chiens de garde de la dernière fois. Une fois franchi, je m'adosse contre le mur de briques qui entoure le campus et surveille la rue tout en tirant une clope de mon paquet.
Les gardiens m'observent puis se lancent un coup d'œil sceptique. Ils pensent certainement que je commence à me montrer plus raisonnable. Que je me résous à enfin suivre le règlement en me voyant allumer ma tige de nicotine à l'extérieur de l'établissement. Pourtant, j'en suis encore loin. J'essaye juste de faire passer le temps en attendant mon nouveau plumard. La patience, c'est pas mon fort. C'est ça ou bien tourner en rond en râlant. Pas sûr qu'ils apprécient les mots qui pourraient sortir.
Voilà cinq jours que je suis arrivé. Concernant Ellyn, j'en suis toujours au même point. Elle me fait courir partout. Cette fille est un fantôme, elle trouve le moyen de disparaître à chaque fois que je tourne la tête. Pour l'heure, elle se trouve dans sa chambre avec Mia. J'ai vérifié par la fenêtre avec les jumelles que j'ai récupérées à la villa avant de descendre. Elles étaient toutes les deux devant leur placard en plein dilemme et je sais pas pourquoi, mais j'ai l'impression que ça sent la soirée.
Lorsque je suis retourné dans la baraque, j'ai aussi embarqué un kit de surveillance que j'ai trouvé au fond du coffre. Il faut à tout prix que je trouve le moyen de me faufiler dans sa piaule à un moment où elle n'y est pas. Tout ça en réussissant à passer le vigile sans me faire griller. Avec des micros en plus, au moins je ne manquerai aucune info.
Alors que je tire sur ma cigarette, j'aperçois un camion au nom du magasin en ligne approcher. Je m'écarte du mur, toujours sous le regard curieux des deux hommes qui surveillent l'entrée. Ils n'ont pas pété un mot depuis que je me suis pointé. Je leur fous les jetons ou quoi ? Je fais signe au conducteur afin de lui faire savoir que ce qu'il transporte est pour moi et il s'aligne devant le portail, s'apprêtant à entrer lorsque les deux gars lui barrent la route.
— Aucun camion n'a la permission d'entrer, sauf autorisation exceptionnelle de la direction, m'informe le plus grand.
Je grogne, agacé, pendant que le conducteur baisse sa fenêtre pour me demander s'il y a un souci. Je soupire, lui explique qu'il ne pourra pas passer et il recule pour se ranger le long du trottoir afin de ne pas gêner la sortie des véhicules. Lorsqu'il descend de la cabine pour aller ouvrir les portes arrière, je le rejoins après avoir lancé un regard noir aux deux casses couilles. Je sais qu'ils font que leur taff, mais ça commence à me souler. Le type monte dans la remorque, puis approche les cartons du bord, tandis que je les réceptionne pour les caler contre le mur, ma clope coincée entre mes lèvres. Les gardiens refusent ensuite qu'il entre pour m'aider sous prétexte qu'il n'y est pas autorisé et je me retiens sévère de les envoyer chier. Le livreur me tend le bon de livraison, que je signe, puis, compatissant, remonte dans son camion, avant de démarrer. Blasé, je fixe le matelas et la couette, protégés par une enveloppe plastifiée et le gros carton qui contient le lit.
OK, va falloir que je me tape le parc à traverser et les quatre étages en portant ça.
Je jette mon mégot, attrape le colis contenant le plumard et le soulève avant de passer devant les deux emmerdeurs.
— Vous pouvez au moins surveiller que personne n'embarque le reste ? ordonné-je.
Ils acquiescent d'un léger mouvement de tête et m'observent faire. Ils se demandent certainement ce que je fous et si je compte vraiment installer ça dans ma chambre. Qu'ils m'en empêchent pour voir. Je traverse le parc, chargé de mon colis encombrant et les étudiants qui flemmardent sur l'herbe me scrutent se lançant des regards interrogateurs. Bah quoi ? Ils n'ont jamais vu quelqu'un emménager ou quoi ? Sortez vos téléphones et prenez moi en photo aussi, tant qu'on y est. On sait jamais, que personne ne vous croit quand vous le raconterez ! Voilà, ça y est, j'enrage.
Je ne regrette pas à ce moment les deux années de sport et musculation intensive. Ce truc doit bien peser une soixantaine de kilos. En montant les quatre étages avec ça sur les épaules, autant dire que je n'aurais pas besoin de repasser par la baraque pour me défouler dans la salle d'entraînement. Une fois en haut, je pose le carton contre l'un des murs de la chambre et vire mon t-shirt. Je crève de chaud. Sur la lancée, je redescends et réitère l'opération avec le matelas, toujours sous les mêmes regards. Seulement, cette fois, celui de plusieurs gonzesses me matent sans se cacher. J'esquisse un sourire. Mettez un mec plutôt bien foutu et couvert de tatouages au milieu d'un jardin, ajoutez à ça qu'il soit torse nu et porte quelque chose d'assez lourd pour faire ressortir ses muscles et c'est un succès garanti. Comme dans ces putains de pub. Je suis sûr que je viendrais à me mettre à tondre, qu'elles passeraient tout leur temps à me reluquer et qu'elles trouveraient ça super passionnant.
De retour dans ma piaule, je traîne sur le plancher le lit d'une personne pour le sortir de la pièce. Je fous un bordel monstre en le tirant jusque dans le couloir, mais je m'en cale. Il termine le long du mur et je l'observe en me grattant l'arrière de la tête. Ils en feront ce qu'ils veulent.
De retour dans la chambre, je déballe le premier colis et attrape la notice de montage. C'est quoi ce charabia ? Je la retourne plusieurs fois, comme si ça pouvait rendre tout ce chinois un peu plus clair, puis trouve enfin le bon sens et la bonne langue. Tout en plissant les yeux, je tente de déchiffrer les étapes à suivre et me frotte nerveusement la nuque. Concentré, je remarque du coin de l'œil mon coloc' qui se plante à ma droite, ahuri.
— J'peux savoir ce que tu fous ?
— J'essaye de comprendre ce merdier, c'est carrément du chinois, râlé-je.
Il soupire, exaspéré et m'arrache la feuille des mains.
— J'te parle pas de ça couillon ! Je te parle de ton lit dans le couloir et du bordel que tu fous ! On t'entend jusqu'en bas !
Je hausse les épaules pendant qu'il déchiffre les premiers hiéroglyphes.
— Je change de lit. L'autre est trop petit et me tue le dos.
Il se marre et secoue la tête. Apparemment, il trouve ça drôle. Pas moi.
— T'es au courant que le règlement interdit ce genre de truc ?
Je lève un sourcil et un rictus se pointe au coin de mes lèvres.
— J'ai une gueule à suivre le règlement ?
Il quitte la notice des yeux pour lever le nez sur moi et m'observe.
— Tu veux la vérité ? T'as une gueule à te foutre de tout et rien respecter.
Cette fois, je me fends la poire. Finalement, je l'aime bien ce type.
— Alors, t'y comprends quelque chose toi ? l'interrogé-je.
— J'ai l'air con ?
Je hausse à nouveau les épaules et m'adosse contre le mur pendant qu'il s'accroupit devant les nombreuses pièces. Les bras croisés sur mon torse, je mâte ce qu'il fait.
— Un peu, mais j'suis sûr que tu caches bien ton jeu, me moqué-je.
Il secoue la tête, amusé, et me lance un regard de défi.
— Ton pieu j'te le monte en maxi trente minutes, assure-t-il.
— OK, ton prix sera le mien affirmé-je, alors qu'il pouffe de rire.
— J'dois te rappeler que je suis autant blindé de tune que toi ?
En effet, j'avais oublié ce détail. Faut dire que j'ai pas l'habitude de vivre dans ce genre de monde. D'où je viens, tout se négocie et se marchande.
— Vu comme ça, soufflé-je.
Il commence à bosser et le pire, c'est qu'il parait emballé par cette activité. Comment on peut kiffer monter des meubles, sérieux ?
— J'te rends juste service et si un jour j'ai besoin, tu feras la même.
J'acquiesce, me sors une clope, puis m'approche de la fenêtre pour l'ouvrir. Mon briquet déjà à la main, je m'assois sur le rebord et l'allume, tandis qu'il me suit du regard.
— À ce rythme, je sais pas combien de temps tu vas tenir ici, soupire-t-il.
Je glisse un regard sur lui tout en laissant échapper un nuage de fumée et rit doucement.
— Ça aussi, je m'en cale.
— Ouais, j'ai cru comprendre. Tu vas à la soirée ce soir ?
Je lève un sourcil. Là, il m'intéresse.
— Quelle soirée ?
Il lève les yeux sur moi, étonné que je ne sois pas au courant.
— Quoi, t'es pas au parfum ?
Je secoue la tête, indifférent. Pourquoi on me parlerait de cette fête alors qu'on m'évite comme la peste ?
— J'te rappelle que la plupart n'osent pas m'approcher. L'invit' a dû se perdre en route.
Il grimace, désolé, tout en tournant une vis avec la clé fournie avec tous ces morceaux de bois.
— Bah, maintenant, tu le sais. Jason organise une fête pour son anniv' comme tous les ans et ça risque d'être une tuerie, m'informe-t-il. Ellyn y va. C'est soit ça, soit la fiesta spéciale Saint-Valentin du Campus. C'est toi qui vois.
Il ajoute ça dans un haussement de sourcil qui me fait marrer. Plutôt crever que de choisir la deuxième option. Les petits cœurs rouges accrochés un peu partout dans les couloirs m'ont déjà filé la gerbe plusieurs fois.
— J'pensais que tu m'avais conseillé de laisser tomber avec elle.
— C'est vrai, mais qui ne tente rien n'a rien, sourit-il.
Pour le coup, je valide totalement. Ça fait partie d'un de mes dictons favoris.
— Je comptais pas laisser tomber de toute façon.
Le coin de ses lèvres s'étirent. Il n'a pas l'air surpris et la seconde qui suit, il replonge le nez dans son occupation.
Après une trentaine de minutes, il se redresse et observe son travail, fier de lui. Je lui adresse une tape sur l'épaule pour le remercier, mais surtout reconnaissant. Ça évitera que je me pète le dos une nuit de plus. Je déballe le matelas, le pose sur le sommier et pousse le lit à la place où se trouvait l'autre. Il occupe presque la moitié de ma partie de la chambre, mais je m'en fous, au moins je dormirai bien. Une fois la couette étalée dessus, j'admire notre œuvre. Bordel, je m'imagine déjà pioncer dedans. Ça va être magique.
— Faut que je bouge, m'annonce-t-il en récupérant son sac. Je t'enverrai l'adresse de la soirée.
J'acquiesce et me laisse tomber sur mon pieu, histoire de tester le matelas et soupire d'aise.
— Merci, Pitt ! lancé-je, alors qu'il s'apprête à passer le pas de la porte.
— Brad, rectifie-t-il.
— Je sais, m'amusé-je.
Il secoue la tête, exaspéré avant de disparaître. À peine la porte fermée, que mon téléphone vibre dans la poche arrière de mon fute. Je l'attrape et découvre déjà son message qui m'informe de l'adresse où a lieu la fête. Comment il a eu mon numéro ce con ? Au pire, je m'en fous.
J'esquisse un sourire, emballé à l'idée de bouger ce soir. D'une pierre deux coups. Ça me permettra par la même occasion de remplir ma mission en gardant un œil sur Ellyn. Je me redresse sur mes coudes pour jeter un coup d'œil par la fenêtre avec les jumelles et vérifier où en est la jolie brune.
Je l'aperçois devant son placard, en train de ranger les fringues qu'elle n'a apparemment pas retenu de porter et me demande ce qu'elle va mettre. Cette fille m'intrigue. Elle a piqué ma curiosité. Et, lorsque c'est le cas, les personnes qui me connaissent vraiment savent que généralement ça ne peut terminer que d'une seule façon. Elles finissent toutes par céder, à un moment ou à un autre.
Je me lève, range les jumelles dans le tiroir du bureau et donne un tour de clé. C'est ici que je planque tout le matériel dont j'ai besoin pour ma mission et que je dois avoir tout le temps à portée de main. Mon flingue, le dossier concernant Ellyn, ma carte pro' que je ne prends que lorsque je sors du campus et j'en passe. Si quelqu'un venait à l'ouvrir, il comprendrait tout de suite qui je suis et ce que je fais là. Ça pourrait griller ma couverture. Du coup, je garde toujours la clé de ce tiroir sur moi et finalement, il n'y a que Pitt qui entre ici. Au pire, s'il est accompagné ça m'étonnerait qu'il laisse qui que ce soit fouiller. Je pense qu'il a conscience que je suis du genre à vite perdre les pédales. Les portes des dortoirs ferment à clé, seulement quelqu'un pourrait aussi s'y introduire à un moment où aucun de nous deux n'est là. Je préfère me dire que ça n'arrivera pas.
Un coup d'œil sur mon téléphone pour vérifier l'heure et je constate qu'il est déjà presque dix-neuf heures trente. J'observe par la fenêtre et constate que la plupart des étudiants commencent à quitter le campus pour le week-end, pressés de rentrer chez eux. Quant à moi, je dois attendre que la nuit tombe. Pas le choix, si je veux avoir une chance de réussir à installer le matériel de surveillance dans la chambre d'Ellyn, il faut qu'il y ait le moins de monde possible.
Je sors de la piaule et dévale les escaliers. En attendant, je décide de me rendre à la cafèt' pour manger un morceau. J'ai la dalle !
Sur le chemin, je croise la belle brune avec sa pote. Leur sac sur le dos, elles portent les fringues qu'elles ont choisies pour la soirée sur leur bras et je les suis du regard. Elles ont sûrement décidé d'aller se changer chez l'une d'elles. Je suis censé la suivre, mais le plus urgent pour le moment, c'est de poser les micros.
Ce soir, c'est le moment où jamais de tenter de me rapprocher d'elle. Pour pouvoir remplir mon contrat et veiller sur elle de près, il faut qu'elle me laisse l'approcher un minimum. Ce qui jusque-là, a été un échec total.
Je me répète la dernière règle en boucle afin qu'elle s'imprime dans mon esprit : « Ne pas développer de relation personnelle avec le client ».
Je lâche un rire sans joie. C'est pas comme si cette fille n'était pas attirante. Ni comme si mes yeux qui parcourent son corps et mon esprit en manque, me poussaient à m' imaginer en train de lui faire tout un tas de choses. Tu peux le faire mec, tiens bon !
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