Chapitre 55
Ashton
Dans mon sommeil, inconsciemment, un vide se forme. Un manque qui me pousse doucement à me réveiller. Sans ouvrir les yeux, je tente de resserrer ma prise sur Ellyn comme je le fais souvent, mais je ne la sens pas contre moi. Je tends le bras, pour chercher à ma gauche, le drap est froid.
Je râle et force mes paupières à s'ouvrir. Ces derniers temps, ma Diablesse à du mal à dormir. Rien d'étonnant avec tout ce qui se passe et ce qu'elle a appris récemment. Souvent, je la retrouve en pleine nuit au rez-de-chaussée en train de préparer le petit déj' pour le lendemain. Ou bien, à fumer une clope sur la terrasse ou à se défouler dans la salle de danse. Je préférerais qu'elle reste près de moi, c'est plus sûr. Seulement, elle cogite. Elle s'inquiète. De ce qui pourrait arriver à sa famille, à ses amis. À moi, en essayant de la protéger. Je la comprends. Je me fais du souci aussi en imaginant ce qui pourrait lui arriver si je n'étais pas assez attentif.
Je me redresse sur mes coudes et observe la chambre plongée dans le noir. Aucune lumière ne filtre sous la porte de la salle de bain. Elle n'est donc pas en pleine douche nocturne visée à ensevelir ses tourments.
J'ai bien cru qu'elle ne me pardonnerait pas. Son regard avait quelque chose de différent. De presque éteint. Je ne l'avais jamais vu comme ça. Me lancer à tout lui balancer a été un combat contre moi-même. Finalement, tout est sorti en vrac. Qui je suis. Pourquoi je suis là. Mes sentiments. Putain, ouais, mes sentiments. Je m'attendais pas à ça. Je savais que c'était fort, que c'était là, même si je gardais un voile pour me préserver, au cas où ça venait à se casser la gueule. J'ai pris une claque monumentale. Ce que je ressens pour elle semble ne pas avoir de limite. C'est flippant.
À moitié endormi, je me lève et me traîne en calbute jusque dans le couloir. Comme ces deux derniers jours, je descends et vérifie la cuisine en premier. J'enchaîne avec la terrasse, puis, la salle de danse. Rien. Elle n'est nulle part. Peu à peu, la panique et l'angoisse me gagnent. Et si elle était descendue, qu'elle était sortie et qu'on l'avait embarquée ?
Tout un tas de films se jouent sous mon crâne et je tourne dans toute la baraque comme un lion en cage. Bordel, où elle est ?
— Merde, Ash', qu'est-ce que tu fous ? me demande Pitt qui se ramène la gueule dans le cul.
Tout en attrapant mon téléphone, je continue mes allers-retours, les doigts crispés dans mes cheveux.
— El' a disparu. J'la trouve nulle part.
Il fronce les sourcils pendant que j'accède à l'application qui me permet de surveiller les mouchards que j'ai posés.
— Comment ça elle a disparu ?
Il s'approche de moi, pour jeter un coup d'œil sur l'écran au même moment où je me fige en découvrant où son portable borne. Mon sang se glace dans mes veines et mon palpitant cogne à m'en faire mal.
Nous échangeons un coup d'œil, je déglutis péniblement, puis comme si je recevais un électrochoc, j'enfile un fute et un t-shirt avant de saisir les clés de la Porsche.
— Attends, je préviens Mia.
Je ne l'écoute déjà plus et attrape mon flingue. Focalisé sur ce que je dois faire, j'ouvre la porte d'entrée à la volée et court vers ma caisse. Derrière moi, je l'entends jurer entre ses dents, mais je ne m'arrête pas pour autant. Je saute derrière le volant, en même temps qu'il bondit sur le siège passager et je le regarde de biais tout en mettant le contact.
— Descends, c'est hors de question que tu viennes, ordonné-je.
Il me fixe, sans ciller et secoue la tête.
— Avec toi ou rien.
Je grogne et me tourne vers lui.
— Putain, Pitt t'as aucune idée de ce dans quoi tu vas mettre les pieds. Descends de cette foutue tire !
— Pas question.
Je gronde, heurte le volant et démarre.
— Tu fais chier.
Le fait est que j'ai pas le temps de négocier. L'urgence, c'est de retrouver Ellyn. Et qu'elle aille bien. Il faut qu'elle aille bien.
Je lance sans tarder un appel sur le portable de Jeff et mets le haut-parleur. Les sonneries retentissent et alors que jusque-là, je trouvais qu'il répondait trop vite, cette fois j'ai l'impression qu'il met des plombes à décrocher.
— Ouais ? marmonne-t-il la voix endormie.
— Ellyn a disparu.
Le silence me répond et un instant, je me demande si la communication n'a pas été coupée.
— Attends, quoi ? reprend-il.
— Elle était à la maison pour la nuit avec Mia et Pitt. Je me suis rendu compte y'a dix minutes qu'elle était plus là. Son portable borne dans les Docks.
— Merde, gamin, qu'est-ce que t'as foutu ?
Je me retiens de l'insulter et serre le volant à la place entre mes doigts. Dans la foulée, j'accélère et distingue du coin de l'œil mon pote qui boucle sa ceinture.
— J'suis en route, j'vais la chercher.
Mon référent soupire à l'autre bout de la ligne et j'entends une porte qui claque.
— Ça craint ce coin. C'est pas à toi que je vais apprendre ça, je sais... mais fais gaffe. J'envoie du renfort.
Ses avertissements entrent par une oreille et ressortent aussitôt par l'autre. Je serai loin d'être prudent. Pas alors que ma Diablesse est là-bas et que je sais pas comment elle va. Je vais vriller, c'est certain.
— J't'envoie l'adresse d'où émet son portable.
Sans lui laisser le temps de placer quoi que ce soit d'autre, je raccroche et enfonce la pédale d'accélérateur.
— Tu penses qu'ils sont rentrés pendant qu'on dormait ? me demande Pitt.
— J'les aurais entendus.
Le truc, c'est que j'ai aucune idée de comment ça a pu arriver. J'ai beau réfléchir, je comprends pas. Pour pouvoir mettre la main sur elle, il fallait qu'ils entrent, qu'ils tombent au moment précis où elle était levée. C'est impossible. L'alarme aurait sonné. Elle aurait crié. Plus je me retourne le cerveau, plus je monte en pression.
— Ça va aller, on va la retrouver.
Un rire un peu barge passe la barrière de mes lèvres. Y'a plutôt intérêt. Il tente de me rassurer, mais il essaye surtout de s'en convaincre lui-même. Son doigt qui tape frénétiquement sur son genou le trahit. Il est loin d'être tranquille.
Lorsque j'entre enfin dans les Docks, l'ambiance change instantanément. Mon pote se tend un peu plus à côté de moi et je décide de couper le contact dans une ruelle à l'abri des regards. À bout de nerf, je vérifie sa position, puis sans un mot, sort de ma caisse et verrouille les portes avant que Pitt m'imite.
— Ouvre ça !
Je lui lance un regard désolé et me taille aussi sec.
— Putain, Ash', ouvre cette putain de caisse !
Sa voix me parvient de façon plus lointaine à mesure que je m'éloigne. Il doit me maudire, c'est clair, mais hors de question qu'il me suive. S'il lui arrivait quoi que ce soit, je me le pardonnerais pas. Quand je lui ai confié tout ce merdier, je me suis promis en même temps que je le tiendrais autant que je peux à l'écart du danger. Si ça implique de l'enfermer dans la bagnole en attendant que je revienne alors soit.
La rage au ventre à l'idée que quelqu'un ait pu la toucher, je progresse rapidement sous les lampadaires à moitié cramés des quais. Comme la première fois, des groupes sont réunis ici et là. Ils m'observent passer, méfiants, mais je ne m'attarde pas. Cette fois, je sais où je dois aller. Mes yeux font des allers-retours entre l'écran de mon portable pour m'assurer qu'elle ne bouge pas et l'obscurité devant moi. Le signal ne se déplace pas et indique qu'elle se trouve juste à côté d'un des bâtiments que je ne devrais pas tarder à apercevoir.
Des éclats de voix s'élèvent au loin. J'avance, me planque à l'angle du mur et jette un coup d'œil furtif. Un lascar fait des allers-retours nerveux devant un fourgon noir. Son smartphone collé à l'oreille, il est remonté à bloc.
— On avait dit deux heures du mat', crache-t-il... J'en ai rien à foutre ! On a rempli notre part du marché. Si t'es pas là dans cinq minutes, j'la bute. J'en ai rien à battre moi de cette nana... Non, elle est toujours dans la camionnette. Magne-toi.
La discussion est hachurée et je n'entends pas ce que son contact lui raconte, mais je m'en branle. J'ai les infos dont j'ai besoin. Ellyn est dans cette putain de camionnette.
Le gars raccroche et se sort une clope en glissant un regard mauvais vers la porte arrière du véhicule. Essaye un peu pour voir, connard. Je saisis mon gun, coincé dans mon dos, retire le cran de sécurité et inspire. J'oublis la première option qui est de le descendre à distance. Ça ne ferait qu'alerter ses gars. Le seul moyen que j'ai, c'est d'approcher discrètement et de le maîtriser. Je scanne les alentours et constatant que personne d'autre ne rôde, je m'élance, tant qu'il a le dos tourné pour aller me planquer derrière la carcasse d'une voiture cramée.
De là où je suis, j'entends des coups donnés depuis l'intérieur du fourgon. C'est elle. Je suis sûr que c'est elle. Si elle arrive à cogner contre la porte alors, c'est qu'elle est consciente. Qu'elle va bien. Il le faut.
— Arrête ton bordel ! gueule l'autre.
Je serre les dents et prend sur moi pour pas me jeter sur cet enfoiré et lui faire sa fête. Il faut que je sois plus malin.
Lorsqu'il repart dans l'autre sens, je reste baissé et cours jusqu'à hauteur du véhicule. Les coups se sont arrêtés et je meurs d'envie d'ouvrir pour la retrouver. Mon cœur bat jusque dans mes oreilles et tout mon corps est tendu à l'extrême. L'autre fils de pute fait demi-tour, et je me plaque le plus possible contre la carrosserie. Ses pas se rapprochent. Il n'est plus très loin et il va falloir que j'agisse vite. La voix de mon référent résonne dans mon esprit et je me répète ce qu'il m'a rabâché encore et encore : « Si tu n'es pas contraint de tuer ne le fait pas. Vivre avec ça, c'est un supplice de tous les instants. »
Pourtant, c'est pas l'envie qui m'en manque. La colère. La peur qu'ils lui aient fait du mal. Tout pourrait me pousser dans cette voie. Je n'ai jamais buté personne et dans le fond, j'espère ne jamais avoir à le faire. Seulement, quand il s'agit d'elle, j'ai l'impression de ne plus avoir de limites.
La lumière de sa clope incandescente éclaire légèrement la nuit et au moment où il s'apprête à faire volte face pour repartir, je surgis de ma planque. En à peine une seconde, je crochète son cou par-derrière et serre en même temps que je le maîtrise. Il se débat, puis tout en guettant le moindre signe suspect qui indiquerait qu'un de ses complices rapplique, je l'accompagne jusqu'au sol. Il est inconscient, mais respire encore. Mission accomplie.
Sans perdre un instant, je me précipite sur la porte arrière du fourgon et tente de l'ouvrir. Je tire comme un malade, mais elle résiste. Mon regard tombe sur le type allongé à mes pieds et comme un fou furieux, je me baisse pour fouiller ses poches. Cette fois, la chance est de mon côté. Je lui tire son trousseau de clés, puis me redresse pour déverrouiller.
Lorsque les traits de ma Diablesse apparaissent devant moi, la première chose qui me saute aux yeux, sont les bleus sur son visage et sa lèvre qui saigne. Je serre les dents, la rage au bide, tandis que recroquevillée dans un coin, elle se lève et court vers moi dès qu'elle me reconnaît. Je referme mes bras sur elle, la serre comme si ma vie en dépendait et inspire son odeur.
— Tu vas bien ?
C'est pas tout à fait une question. Plus une façon de me convaincre que c'est le cas. Je veux entendre sa voix. Plus que ça, j'en ai besoin.
— Ça va, prononce-t-elle avec culpabilité.
Blottie contre moi, elle lève le nez et écarquille les yeux, paniquée. Instinctivement, je l'enveloppe pour la protéger, tandis qu'un coup rapide, creux et métallique retentit derrière moi. Lorsque je me retourne, j'ai juste le temps de voir un gus s'écrouler.
Pitt apparaît, tout sourire, une clé à molette à la main et je le fixe. Comment est-ce qu'il a fait pour sortir, putain ?
— T'as oublié que l'électronique, c'est ma came, se vante-t-il.
Face à moi, il m'observe fier de lui et je dégaine mon flingue pour tirer dans le bras du lascar qui déboule juste derrière lui, arme au poing.
— Et t'as apparemment zappé que je t'avais demandé de rester dans la caisse, grogné-je.
— C'est ça, dit pas merci.
Des bruits de pas se rapprochent. Je me suis assez fait courser dans mon ghetto pour reconnaître un troupeau de gangsters en pétard. À vue de nez, ils sont au moins six.
Sans attendre, je glisse ma main dans celle d'Ellyn, conscient qu'il va falloir qu'on cavale.
— Tu peux courir ?
Elle opine, d'un bref mouvement de tête, et sans la lâcher, je trace en la traînant derrière moi, tandis que Pitt tape le meilleur sprint de sa vie. Les cris s'intensifient derrière nous, nous ordonnant de nous arrêter et en moins de temps qu'il en faut pour le dire, les balles commencent à fuser dans tous les sens.
Derrière ma Diablesse pour faire bouclier au cas où, nous accélérons. Dans un coin de ma tête, j'espère que d'autres ne sont pas en train de faire le tour afin de nous couper la route un peu plus loin. Le palpitant sur le point d'exploser, j'imagine ce qui pourrait leur arriver si je n'étais pas assez réactif.
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