Chapitre 44
Ashton
Cette nuit, j'ai dû dormir trois heures à tout casser. Depuis que j'ai ouvert les yeux, je garde Ellyn serrée contre moi. L'avoir entre mes bras est la seule chose qui m'empêche de péter les plombs. J'arrête pas de repasser en boucle ce qui s'est passé sur les Docks. Savoir que j'étais à deux doigts d'en apprendre plus me rend dingue. À deux minutes près, Red crachait le morceau.
Un détail m'a interpellé à force de cogiter. Ceux qui ont débarqué se sont donné de la peine pour essayer de m'avoir quand j'ai pris la fuite. Ils ont essayé de me buter et je me demande pourquoi. J'étais persuadé qu'ils étaient là pour les armes, mais à bien y réfléchir, ils avaient l'air de vouloir ma peau. J'ai l'impression qu'ils étaient au courant que j'allais venir. Qu'ils ont attendu que j'entre dans l'entrepôt pour ensuite se pointer. Est-ce qu'ils avaient peur que Red balance quelque chose ? Peut-être qu'il s'agissait du gang à l'origine des menaces qui pèsent sur la famille d'Ellyn.
Ma Diablesse remue dans son sommeil et me tire de mes pensées. J'appréhende le moment où elle se réveillera. Elle n'a pas cru ce que je lui ai raconté hier, même si elle n'a rien laissé paraître. Je songe de plus en plus à tout lui raconter. À quoi bon garder le secret ? De toute façon, je suis déjà foutu. Le juge qui suit mon dossier, et s'assure que je tiens bien mes engagements, me ratera pas. J'ai la sensation d'avoir déjà tout perdu.
Son souffle dans mon cou me file des frissons et je passe encore et encore mes doigts sur son bras en frôlant sa peau. Elle bouge de nouveau et je baisse les yeux sur elle, tandis que sa main glisse sur mon torse. Ce geste à lui seul éveille ce désir que je ressens constamment pour elle. Jusque-là, il n'y a qu'elle qui a eu cet effet sur moi. Sans savoir pourquoi, j'espère secrètement qu'elle restera la seule, même si je ne me fais pas d'illusions : tout ça n'est qu'un rêve. Lorsqu'il se terminera, mon cauchemar reprendra ses droits. La chute risque de faire mal.
En râlant, elle ouvre les yeux et un sourire en coin étire mes lèvres. La moindre chose qui vient d'elle me rend niais à un point que je n'aurais jamais imaginé. Le pire, c'est que je kiffe ça.
Son visage quitte le creux de mon cou et elle lève le nez sur moi. Ses billes ébène où ces derniers jours, il manque cet éclat que j'aime tant, plongent dans les miennes et j'observe ses traits encore endormis. Depuis que je suis rentré, je ne suis qu'une boule de nerf. Pourtant en la voyant comme ça, j'ai juste envie d'être différent. J'ai jamais été doux ou prévenant. Avec elle, ça se fait naturellement. Elle a ce pouvoir sur moi et j'adore ça. Et encore, si elle n'avait que celui-là.
— Bien dormi ?
Elle acquiesce et pose son menton sur mon épaule, sondant mes iris.
— Et toi ? T'es rentré tard, souffle-t-elle suspicieuse.
Je grimace en dégageant avec douceur une de ses mèches noires qui tombe sur sa joue. Est-ce qu'elle s'imagine que j'ai pu aller voir une autre nana ? Elle sait quel genre de mec j'étais avant. Enchaîner les filles, sans aucune attache. Passer d'une blonde à une brune, selon mon envie. Je comprendrais qu'elle ne me fasse pas complètement confiance.
— Ça s'est éternisé, désolé.
Ses lèvres se froissent, son nez se plisse et je devine que je viens de faire une boulette. Elle sait que je lui mens. Alors, putain, pourquoi je m'obstine à le faire ? C'est évident. J'ai peur de la perdre. Je retarde le moment où je devrais tout lui avouer. Pourtant, dans les deux cas, que je lui dise, ou que j'attende qu'elle l'apprenne par la force des choses, le résultat sera le même.
Elle fronce les sourcils, puis comme si elle devinait mes tourments, elle m'embrasse. Un baiser bref, doux, avec une pointe de reproche.
— Je vais à la douche.
Son corps quitte le mien et je la suis du regard, tandis qu'elle file vers la salle de bain.
Je me redresse sur mes coudes, retiens un râle de douleur quand ma blessure se rappelle à moi et fixe les escaliers, où elle vient de disparaître. Blasé que ça tourne comme ça, j'inspire et passe ma main sur mon visage. Nuit courte, niveau de colère loin du raisonnable, culpabilité. Le cocktail parfait pour qu'un rien me fasse complètement vriller.
Assis sur le bord du canapé, je prends un moment pour peser le pour et le contre. La seule chose qui en ressort encore et encore, c'est que je suis dans une merde noire. Mon sang bout toujours dans mes veines, après ce qui s'est passé hier, et penser à tout ça ne m'aidera pas à retrouver mon calme.
Mon paquet de clopes à la main, je me lève, sans même prendre mon café, sors sur la terrasse et allume une cigarette. L'air frais me fait du bien et me permet de chasser ce qui tourne en boucle dans ma tête. Les yeux rivés sur le parc, je profite de ces quelques secondes, où rien ne parasite mes pensées.
Après avoir enchaîné plusieurs doses de nicotine, je rentre. Une fois à l'étage je rejoins la chambre et fais les cents pas en glissant quelques regards sur la porte de la salle de bain. Le bruit de la douche me parvient et les doigts crispés dans mes cheveux, le peu de calme que j'avais réussi à trouver recommence à se faire la malle.
Afin d'éviter de creuser une tranchée à force de faire des aller-retour, je me sors une nouvelle cigarette, ouvre la fenêtre et pose mon cul sur le rebord avant de l'allumer. Quand je suis comme ça, je les embrase les unes après les autres. C'est con, parce que ça sert pas à grand-chose. Du moins, ça m'occupe, c'est déjà ça.
J'entends l'eau se couper et un grognement m'échappe, tandis que je jette un coup d'œil sur le battant toujours fermée. Le bruit de la poignée agit sur moi comme un électrochoc. Je jette ma clope et bondis sur mes pieds au même moment où Ellyn sort de la salle de bain enroulée dans une serviette.
— Faut que j'te parle.
Je... non... pourquoi ça sort comme ça ?
Ma Diablesse sursaute, pose sa main sur sa poitrine.
— Merde, Ash !
Je lui ai fait peur... encore.
Nos regards s'accrochent et je fronce les sourcils. Elle a pleuré. C'est à cause de moi ? Parce qu'elle sait que je lui mens ?
Mon cœur se broie contre mes côtes et en quelques pas, je la rejoins.
— Qu'est-ce qui t'arrive ? C'est moi ?
— Non, me coupe-t-elle.
Elle cherche à me rassurer. Mais alors, si c'est pas à cause de moi, pourquoi elle est dans cet état ?
— J'suis pas con El'. Depuis quelques jours, ça va pas et je...
— C'est pas toi, souffle-t-elle d'une petite voix.
Ça lui ressemble pas.
Dans mon esprit une tempête se lève déjà et je me jure que qui ce soit, celui qui lui a fait du mal est déjà mort.
— Qui ?
— Écoute, Ash, je...
— Qui putain ?
Son regard se fait plus triste encore et m'anéantit.
— Tyler.
Tout un tas de films se joue sous mon crâne. Si ce fils de pute l'a touché...
— J'ai plus accès à la salle de danse, complète-t-elle.
Un rire un peu dingue passe la barrière de mes lèvres et tout espoir d'enterrer ce qui c'est passé hier est réduit à néant. Je savais qu'il ne me faudrait pas grand-chose, mais là, c'est comme si elle venait d'allumer la mèche d'un putain d'engin explosif.
J'enfonce aussitôt mes doigts dans la poche de mon jean, récupère les clés de ma bécane et sans un mot, trace vers la sortie. La rage au bide, je dévale les escaliers jusqu'au sous-sol, enfourche ma moto sans penser à mettre mon casque, tandis qu'Ellyn hurle derrière moi au même moment où je m'élance.
Elle me supplie de revenir, de ne pas y aller, mais je ne l'entends déjà plus.
Lancé à pleine vitesse, les pointillés sur le bitume défilent et ne forment plus qu'une ligne continue. Je m'engouffre sous le pont et le hurlement du moteur résonne tout autour de moi dans le tunnel. Le vent fouette mon visage et une seule chose tourne sous mon crâne. Je vais le démolir. Si je mets la main sur lui, il ne va rien comprendre à ce qui va lui tomber dessus.
Ce qui arrive est ma faute. Si elle n'était pas avec moi, il ne l'aurait pas balancé. Je me suis promis que quoi qu'il arrive, elle ne perdrait jamais ce qui la rend heureuse. Lorsqu'elle danse, elle rayonne. Elle donne l'impression de vivre comme personne. De vivre comme jamais je ne vivrai. À travers elle, je touche mon rêve du bout des doigts. Voir cette peine dans son regard a eu raison de moi. Elle abandonne et ne compte pas se battre pour récupérer ce qu'on lui a enlevé. Moi, il est hors de question que je me résigne. Elle retrouvera ce qu'elle aime.
Arrivé dans la rue où se trouve le campus, je ralentis puis scanne mon badge étudiant au portail. Il coulisse et je m'engouffre dès que l'ouverture me permet de passer avec ma bécane. Sans prendre la peine de rejoindre le parking pour stationner, comme le règlement l'exige, je trace vers le bâtiment des dortoirs des mecs et coupe le contact devant. Mon palpitant, lui, ne réduit pas la cadence. Il cogne contre mes côtes et ça me ferait presque mal. Mes muscles sont tendus et j'ai une idée bien précise de ce que va donner la suite.
Quatre à quatre, je monte les marches pour rejoindre l'étage où se trouve la chambre de Tyler. Je regrette de ne pas lui avoir encastré la tête dans le mur la dernière fois. C'est pas le placo qui aurait dû manger à sa place. Il méritait d'en prendre une bonne. Ce n'est que partie remise. Je savais que tôt ou tard on en arriverait là, mais j'étais loin d'imaginer que ce serait parce qu'il aurait dénoncé ma Diablesse.
J'entre sans frapper. Son pote, posé sur son pieu, sursaute et je jubile déjà. Je scanne la pièce sans repérer celui que je cherche et fonce sur la seule personne présente. Il se crispe et se redresse d'un bond.
— Il est où ?
Cet abruti hausse les épaules et fait mine de ne pas savoir. À d'autres, il sait où il se trouve. C'est à peine s'ils ne se tiennent pas la main pour aller pisser. Toute la patience dont je peux faire preuve m'a quittée au moment où Ellyn m'a avoué ce qu'il se passait et je ne cherche pas plus loin. Je le saisis par le col avec brutalité, mon regard planté dans le sien et il déglutit péniblement.
— Où ? répété-je.
— Si tu fais ça, t'es mort.
Un rire mauvais m'échappe et je serre les dents.
— Crois-moi, j'en ai rien à foutre de crever.
De toute façon, j'ai rien à perdre. C'est pas comme si j'avais une vie toute dorée comme eux ou que quelque chose d'extra m'attendait.
Il capte que je ne blague pas et baisse les yeux sur son téléphone un éclair de panique traversant ses iris.
— Le terrain.
Il bégaye à moitié et je le relâche aussitôt.
— T'as intérêt à c'que j'le trouve là-bas.
Ma voix rauque prouve à quel point la colère m'anime. Il observe une seconde fois son portable et je penche la tête. Est-ce qu'il compte vraiment faire ce que je crois ? Un rictus étire le coin de mes lèvres. Il ne semble pas avoir compris.
— Tu peux les prévenir, j'en ai rien à branler, sifflé-je entre mes dents.
Sans rien ajouter, je tourne les talons et quitte la chambre.
En bas de la résidence, j'avise ma moto. Quelques gouttes tombent sur moi et la pluie me fait abandonner l'idée de la prendre. J'enlève les clés du contact, tire une clope de mon paquet sous le regard agacé des vigiles et l'allume. Ça doit les faire chier de ne pas arriver à avoir un total contrôle sur moi. Pourtant, va falloir qu'ils s'y fassent. Je serai jamais l'un de ces chiens bien dressés.
Avec toujours la même idée en tête, je prends la direction du stade tout en tirant nerveusement sur ma cigarette. La pluie redouble et trempe mon t-shirt, mais c'est le dernier de mes soucis. De toute façon, je suis tellement en rogne que j'en crève de chaud.
Les gradins se profilent devant moi et lorsque je distingue la silhouette de l'autre fils de pute qui court, mon sang ne fait qu'un tour. Le peu de bon sens que j'ai pu avoir jusque-là se fait la malle. À vrai dire, j'ai même plus envie d'en avoir ou de faire des efforts. Il va payer pour ce qu'il a fait. C'est comme ça que je suis et que je resterai. Œil pour œil, dents pour dents.
Je jette ma tige de nicotine à moitié entamé et fonce sans réfléchir. Lorsqu'il m'aperçoit, il se fige, mais c'est trop tard. Je le percute de plein fouet pour le faire basculer et une fois au-dessus de lui, il a à peine le temps de monter ses avant-bras au niveau de son visage pour se protéger.
Mon regard est complètement fou. Dans le sien, tout un tas de choses passe. De la panique, de l'amusement, de la colère. Moi, une seule chose me submerge : la haine.
Un premier coup part et mes phalanges s'écrasent sur sa mâchoire. Il tente de me bloquer, de se débattre, mais rien n'y fait. L'adrénaline qui m'envahit mêlée à ce que je ressens me rend complètement incontrôlable. Imprévisible. Voilà qui je suis vraiment. Il a sous les yeux le type, qui, quoiqu'il fasse, en est toujours réduit à en arriver là parce qu'on l'y pousse.
En même temps que je cogne, ma vue se brouille. Je sais même pas pourquoi tout à coup les larmes me viennent. Je n'ai jamais pleuré. Ou du moins, plus depuis que j'étais tout gamin. Ça remonte à l'orphelinat. Autrement dit, ça fait un bail. Soudain, je percute. J'extériorise. Il fait les frais de tout ce que j'ai refoulé jusque-là. De ce rêve que j'effleure et qui va finir par s'évaporer.
— Je t'avais prévenu, craché-je.
Mon poing explose sa lèvre. Il grogne, donne une impulsion pour inverser les rôles et se retrouve au-dessus de moi. Je bloque le premier coup qu'il tente, encaisse le second. Le goût du métallique sur ma langue me fait voir rouge et en une fraction de seconde, je suis de nouveau en position de force. Je m'acharne. Me déchaîne. Peu à peu, il manque de force et ne tente même plus de se défendre. Je n'arrête pas pour autant.
Soudain, une douleur me déchire le flanc droit et je suis éjecté à côté de lui, étendu sur l'herbe qui baigne maintenant dans la flotte. Plusieurs visages apparaissent au-dessus du mien, tandis que je me tiens les côtes et s'ensuit une pluie de coups de pied. Les Hater's. Ils sont une dizaine.
D'instinct, je me mets sur le côté et me recroqueville sur moi-même. Je n'aurai pas le dessus, c'est évident. Je protège ma tête, comme je peux, grogne, insulte, crache du sang. Ma respiration est de plus en plus saccadée et compliquée. Chaque inspiration est un supplice.
Lorsque ça s'arrête, j'ai le souffle coupé par la douleur.
Entre mes avant-bras qui enveloppent toujours ma tête, je les vois embarquer Tyler. L'un d'eux me balance à dernier coup de savate à l'arrière du crâne et je trouve à peine la force de râler.
Les voix s'éloignent, je me laisse aller sur le dos. Ma poitrine se soulève et s'abaisse à peine et les yeux rivés sur le ciel gris, je fixe la pluie qui tombe sur moi. Je baigne dans l'eau qui transforme presque le terrain en marre. Il vaudrait peut-être mieux que ça s'arrête là. Je tousse, grimace, tremble. J'ai froid. Le visage de mon frère apparaît dans mon esprit et sa voix se répercute comme un écho : « Aller frangin, t'es plus fort que ça. »
À quoi bon ?
Juste après, c'est ma Diablesse qui le remplace. Son sourire, son regard, la sensation de sa peau contre la mienne. Faiblement, je saisis mon portable. Sous les coups l'écran a morflé, mais je parviens à accéder à mes contacts pour trouver Pitt et taper un message.
Moi : Sur le terrain.
Mon bras retombe mollement. Je sais même pas si j'ai eu le temps de l'envoyer. Un voile noir passe devant mes yeux et mes paupières se ferment sans que je puisse lutter.
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