Chapitre 34
Ashton
Le cul posé derrière le volant, avec en fond une playlist de The Score et Pitt comme passager, j'ai les yeux rivés au loin sur l'angle de la rue. Quand les filles ont refusé de nous laisser taper l'incruste à leur sorte de soirée pyjama d'horreur, on a tiré la gueule. Ensuite, on s'est mis d'accord. On pouvait pas les laisser sans surveillance. Les parents de Mia ne sont pas là et l'autre malade pourrait passer à l'action à tout moment.
Du coup, nous voilà garés comme des cons, une rue plus loin à surveiller. Où du moins à guetter le moindre signe suspect. La nuit et le fait qu'il pleuve des cordes n'aide pas. En plus, impossible de stationner dans l'impasse où vit Mia. C'est trop à découvert, elles nous auraient grillées instantanément.
De temps en temps, je vérifie que les mouchards que j'ai mis en place sur le téléphone et dans le sac de la Diablesse la signalent au même endroit. Mon pote trouve ces gadgets fascinants. Depuis que je lui ai montré, il a le nez collé sur l'écran de la tablette à tout bidouiller. Il a quand même été jusqu'à me dire qu'il se verrait bien devenir agent secret. Je sais pas ce qu'il a fumé ou si c'est l'effet Mia, mais il est complètement dézingué le pauvre. Parfois, il me fait peur. Il y a cinq minutes, je lui ai demandé à quoi il pensait lorsque je l'ai vu les yeux perdus dans le vague à sourire comme un idiot et il m'a répondu : « À ces yeux. Tu trouves pas qu'elle a des yeux magnifiques ? » Qu'est-ce que j'en sais moi, c'est pas ma nana.
Il est foutu, c'est clair.
Je commence grave à me faire chier. Les choses n'ont pas changé, je déteste poireauter. Je soupire pour la énième fois et il quitte l'écran pour lever le nez sur moi.
— Tu veux une cacahuète ?
J'en peux plus de ses cacahuètes. Si j'en bouffe ne serait-ce qu'une seule autre, j'ai l'impression que je vais me transformer en M&M's. Lui, il kiffe. Il en gobe une toutes les deux secondes. Je sais pas comment il fait.
— Non, ça va. J'suis pas loin de l'overdose, là.
Il se marre et reprend une poignée.
— On fait un shi fu mi ?
Je lève un sourcil et le fixe. Il délire ou il est sérieux ?
— T'es assez flippant des fois.
Il hausse les épaules, nonchalamment.
— Je dis ça pour toi. T'as l'air de t'emmerder. Encore pire, on dirait que tu vas exploser. Donc de nous deux, je sais pas qui est le plus flippant.
— J'aime pas attendre.
— Ça, merci, j'ai cru comprendre. Et sinon, tu sais que pour ton job, c'est ce que tu feras principalement ?
— C'est pas mon job. Juste un truc de passage pour me remettre sur les rails. 'Fin pour le moment j'ai déraillé bien comme il faut.
Vu comment ont tourné les quatre règles que j'étais censé ne contourner sous aucun prétexte, on peut même dire que j'ai carrément saboté les rails et les wagons moi-même.
Il grimace et reporte son attention sur la position des émetteurs.
— Tu m'as pas dit comment ça fonctionnait. J'veux dire, ce contrat avec les parents d'Ellyn. T'en a pour combien de temps ?
Il fallait bien que la question tombe. Voilà le moment où je suis censé lui balancer que je m'éterniserai pas ici.
— Dès qu'on aura mis la main sur ce fils de pute, on m'affectera sur une autre mission. Je suis engagé pour deux ans envers le centre, mais si demain ici tout est réglé, je serai obligé de mettre les voiles.
Il relève vivement la tête vers moi et m'observe comme s'il avait mal entendu.
— Tu veux dire que tu te casseras comme ça ?
Je grimace et acquiesce. Mon estomac se tord à cette idée. Laisser Ellyn alors que j'ai l'impression que rien que quelques heures loin d'elle, c'est pas vivable, j'imagine pas ce que ça pourrait donner si je devais partir.
— J'ai pas le choix. Si je romps mon engagement, ils mettront un terme à notre accord. Ce sera la taule directe.
— Et tes études ?
Je ricane doucement, même si le cœur n'y est pas.
— Tout ça, c'est qu'une couverture. Puis, tu penses vraiment que les études c'est pour moi ?
— Ça pourrait, t'es pas plus con qu'un autre.
Bien tenté, mais je me vois pas le nez plongé dans les bouquins. J'ai toujours été à chier à l'école.
Je secoue la tête tout en sortant mon paquet de clope.
— Et Ellyn ?
C'est comme un coup de poignard. Qu'est-ce que je pourrais répondre à ça, putain ?
— Je sais pas. J'en ai aucune idée. Tu me crois si j'te dis que rien que d'y penser, ça me rend malade ?
Il esquisse une moue désolée et hoche la tête.
— Je te crois sur parole. Ça fait un moment que j'ai compris que tu la kiffes vraiment. Bien avant que tu percutes toi-même.
Mon regard se perd devant moi, tandis que je joue avec ma cigarette entre mes doigts.
— Je sais que je pourrai pas la laisser derrière moi. Mais si je le fais pas, je sais ce qui m'attend. J'aime déjà pas être enfermé dans notre piaule ou même dans l'enceinte du campus tout court. Alors imagine entre quatre murs et des barreaux.
Il m'adresse une tape sur l'épaule et soupire.
— Faut que tu penses à toi. À ce qu'il y a de mieux pour toi.
La réponse à cette question surgit immédiatement dans mon esprit. Ce qui m'est arrivé de mieux depuis une plombe, c'est elle. Sans aucun doute, c'est Ellyn. Le truc, c'est que si je reste alors ça me conduira vers le pire.
— On trouvera une solution. Le moment venu, je peux en toucher deux mots à mon père. Il est avocat. Je suis sûr qu'il y a un moyen.
J'acquiesce, surtout pour lui faire plaisir. Les formateurs ont été clairs, mon avocat et le juge aussi. C'est ma seule option.
— T'as raison. Pour une fois dans ma vie j'aurais peut-être le droit à un miracle, plaisanté-je à moitié.
J'y crois pas trop. Ma bonne étoile on a dû oublier de me la distribuer. Je suis né sans. Pas sûr non plus que le karma soit de mon côté. Je me vois pas comme quelqu'un de mauvais. J'ai jamais fait de mal à personne. Seulement des conneries. Comme n'importe quel ado complètement paumé et à l'abandon aurait pu en faire. Je pourrais me persuader que la roue finira par tourner, mais je préfère pas. Si ça implique de me casser la gueule derrière parce que j'y aurais trop cru sans que ça arrive, je passe mon tour.
Du coin de l'œil je le vois qui me zyeute et j'esquisse un sourire en coin.
— Fait pas cette tête, Bro'. Ça va l'faire.
Il opine, tandis que j'ouvre la portière de la caisse. J'ai besoin d'une clope.
Au moment où je mets un pied hors de l'habitacle, je fronce les sourcils. Le bruit d'une alarme au loin me parvient et je lance un regard presque paniqué à mon coloc'. Il écarquille les yeux, surgit hors de la bagnole, sort son téléphone et jure entre ses dents. Je l'imite, attrape mon portable et lâche un juron.
La seconde qui suit, je saisis mon flingue planqué sous mon siège et on a pas besoin de se mettre d'accord. La trouille au bide, mélangé à une rage bouillonnante, je m'élance aussi vite que je peux, Pitt sur mes talons.
Sous la pluie battante, nous courons comme des dératés et plus nous approchons, plus l'alarme me pète les tympans. Mon esprit, lui, tourne la même chose en boucle. Si ce malade l'a touchée, il est mort.
À hauteur du portail, dos au mur, je fais signe à Pitt de rester planqué. Le souffle court, je penche la tête, juste ce qu'il faut afin d'avoir vu sur l'allée pendant que les lumières de plusieurs maisons voisines s'allument alerté par le boucan. Je glisse un regard sur mon pote qui semble complètement angoissé à l'idée de ce qui peut se passer à l'intérieur et me penche vers lui.
— J'vais jeter un œil. À mon signal, tu rappliques.
— Mais je...
— J'te demande pas ton avis.
Il serre les dents, mais je ne traîne pas et m'engouffre sur les pavés, arme au poing. Pas question qu'il se retrouve entre deux feux et qu'il soit blessé. Ce type peut être armé et de base, il n'est même pas censé être là. Je comprends qu'il soit sur les nerfs, mais s'il venait à se faire buter, jamais je pourrai me le pardonner. C'est moi qui l'embarque là-dedans, je suis responsable.
Dans la pénombre, seulement éclairé par la lumière de la lune, j'avance tout en essayant de distinguer quelque chose sous ces trombes d'eau. Avec cette sirène infernale, pas moyen non plus d'entendre quoi que ce soit d'autre. Quasiment à l'aveugle, je rejoins la porte d'entrée et lorsque je tente de l'ouvrir, constate que c'est verrouillée. Intérieurement, je me dis que c'est plutôt bon signe. Il faut que ce soit le cas.
Sans perdre une seconde, j'envoie un message à Ellyn pour l'avertir que je suis là. Je pourrais l'appeler. Le truc, c'est que si ce type est dans la baraque et qu'elles se sont cachées, une sonnerie trop forte et prolongée, lui révélerait leur position.
Mon palpitant ne semble pas vouloir se calmer et les yeux rivés sur l'écran, j'attends sa réponse pendant que la pluie s'abat sur moi. Si dans dix secondes rien ne se passe, j'enfonce cette putain de porte. Et si je dois tirer dans la serrure pour venir à bout des points de sécurité, alors je le ferai.
À deux doigts de péter un câble, seulement guidé par la peur, je m'apprête à passer à l'action quand le battant s'ouvre sur ma Diablesse. La pression redescend et j'ai la sensation de mieux respirer. Inquiet, je l'analyse de la tête aux pieds, pendant que je dégouline, complètement trempé. Un peu plus serein, je finis par siffler pour avertir Pitt que la voie est libre.
Sans que je puisse me contrôler, je pose ma main sur la joue d'Ellyn et plonge mon regard dans le sien.
— Tout va bien ? T'as rien ?
Elle secoue la tête tandis que planquée derrière elle, la tête de Mia apparaît.
— Non, mais j'te jure qu'il y avait quelqu'un. J'ai pas rêvé.
— J'te crois, soufflé-je.
Au même moment, mon coloc' déboule comme un malade puis se faufile entre nous pour foncer sur sa copine qui s'accroche à son cou comme si sa vie en dépendait. Lorsque je reporte mon attention sur cette fille qui me rend complètement fou, je surprends ses yeux braqués sur mon gun. Ses pupilles font des allers-retours entre mon visage et le Glock que je serre dans mon poing.
Comme si ça allait changer quelque chose, je me magne de le ranger dans mon dos, tandis que sa meilleure amie, rassurée par notre présence, éteint cette foutue alarme.
— On devrait rentrer et fermer, c'est plus sûr, suggère Pitt.
J'acquiesce et baisse les yeux sur Ellyn.
— Où tu l'as vu pour la dernière fois ?
— Il m'observait à travers la baie vitrée.
En un regard, je fais comprendre à mon pote de faire gaffe à elles.
— J'reviens. Personne ne sort de là tant que je suis pas revenu.
Ma Diablesse fronce les sourcils. Elle ne valide pas l'idée, mais je ne lui laisse pas le temps de dire quoi que ce soit et m'éloigne.
Je saisis de nouveau mon flingue et avance dans le jardin, tendant l'oreille. Je sais que ce que je viens de faire ne lui a pas plu. Seulement, ce qui m'importe, c'est d'être certain que ce taré ne soit plus dans les parages.
Sur mes gardes, je progresse sans y voir grand-chose et me fige lorsque je distingue une silhouette sur ma droite. Lorsqu'il me repère lui aussi, il détale et je m'élance à sa poursuite sans réfléchir. Il se trouvait à plusieurs mètres et a pas mal d'avance. Il y a peu de chance pour que je le rattrape, mais pas question que je lâche l'affaire tant que je l'aurais encore en vue.
À travers les arbres et les bosquets, il se faufile et me donne l'impression de connaître le parc comme sa poche. Je suis désavantagé. Dans mon ghetto, j'aurais eu le dessus. Chaque rue, chaque raccourci ou recoin, chaque immeuble. Aucun endroit n'avait de secret pour moi.
À chaque foulée, il met un peu plus de distance entre nous et je sens que lentement la rage qui m'anime bouillonne plus fort dans mes veines. Si je le perds maintenant, alors je n'aurai peut-être pas d'autre occasion de le choper avant longtemps.
Il s'enfonce dans le petit bois au fond de la propriété, j'entends ses pas sur les feuilles devant moi et j'accélère. Je pousse les muscles de mes jambes à se dépasser. Chaque impulsion diffuse une vive brûlure dans mes cuisses que je me force à ignorer, puis, soudain, la forêt s'arrête.
Une dizaine de mètres devant moi, je le vois se hisser sur un muret et disparaître de l'autre côté. Quelques secondes après lui, je l'imite et franchis le mur de pierre pour atterrir dans une petite rue. Ses semelles résonnent sur le bitume tandis qu'il trace vers l'intersection et aussitôt je m'élance.
Plus à l'aise sur le macadam éclairé par les lampadaires, doucement je reprends l'avantage. Je vais l'avoir. Je dois mettre la main sur lui. Je m'imagine déjà lui foutre mon poing dans la gueule. Ça, c'est seulement si j'arrive à me contrôler. Par contre, si je perds les pédales, les flics risquent de le récupérer en plus mauvais état.
Un bruit de moteur me parvient tout à coup, des crissements de pneus approchent et une berline pile au croisement. Dès que je comprends ce qui se passe, je me fige, ancre mes pieds sur le sol pour me mettre sur mes appuis, pointe mon arme sur lui et enlève le cran de sécurité.
— Arrête-toi, putain !
De là où je suis, je pourrais l'avoir. Je me suis entraîné pour ça encore et encore chaque jour sur des cibles jusqu'à ne plus jamais rater le mille. En une fraction de seconde, je percute. Ce n'est pas une putain de cible. C'est un être humain. Je n'ai jamais fait ça et je sais même pas si j'en suis capable.
Il ouvre la portière tandis que je le tiens toujours en joue, tourne la tête vers moi sans que je puisse voir son visage, puis saute dans l'habitacle.
La caisse redémarre en trombe et je reste comme un con avec ma conscience qui m'a poussé à ne pas tirer.
Frustré, je lâche un cri qui s'élève et résonne dans la ruelle, avant de poser mes mains sur mes genoux, à bout de souffle.
Les dents serrées, je reste un instant à me traiter silencieusement de tous les noms, puis me redresse. Blasé, je fixe le point où la bagnole a disparu et passe une main dans mes cheveux tirant presque sur mes mèches.
— Fait chier !
Après un moment à faire rageusement les cents pas, je m'arrête et tourne les talons pour retourner chez Mia, en rogne contre moi-même.
Je tourne en boucle ce qui s'est passé et essaye de comprendre à quel moment j'ai merdé. Ce que j'aurais pu faire pour foutre la main sur lui sans en arriver à devoir sortir mon flingue.
C'est comme si cet enfoiré avait tout prévu. Il n'a pas bougé en entendant l'alarme. Comment il a su que je me pointerais ? Et comment le conducteur de cette bagnole savait à quel moment précis débarquer pour le récupérer ? Tout ça, c'est pas net. Quelque chose m'échappe. Y'a aussi cette posture que ce type a eue juste avant de monter dans la voiture. Ça me rappelle quelqu'un sans que j'arrive à mettre le doigt dessus.
Soudain, tout ça s'évapore pour laisser place au regard de ma Diablesse. À ses iris accrochés à mon arme. À cette expression complètement perdue qui, une fraction de seconde, a assombri ses traits. Je grimace en réalisant qu'il va falloir que je m'explique. Je vais devoir lui servir un autre bobard. Plus ça va, plus ça me fatigue. Je devrais peut-être trouver un moyen de tout lui expliquer. Vraiment. Sans mensonges. Il y a forcément une solution. Je dois juste trouver le bon moment, les bons mots.
Elle va me détester.
Jusque-là, on s'est dit la vérité. À petite dose, sous forme de questions réponses, le plus souvent. Mais la vérité.
C'est clair, elle m'en voudra à mort.
Est-ce que c'est un risque que je suis prêt à prendre ? J'en sais rien, putain. Si on m'assurait qu'elle serait en pétard un temps, mais qu'ensuite elle reviendrait, peut-être. Seulement, là je fais face qu'à des doutes et j'aime pas ça. J'ai pourtant l'habitude de l'incertain. Des choses et des personnes qui vont et viennent. Qui disparaissent. Avec Ellyn, c'est différent, C'est pas quelque chose à quoi je pourrai me faire. J'ai besoin d'être sûr.
Lorsque j'arrive, ils sont tous les trois en train de discuter. La première chose que je me demande, c'est de quoi ils peuvent bien parler. La deuxième, comment je suis censé faire face à ce qui me pend au nez. Là non plus, aucune réponse.
Au loin, je distingue les gyrophares de la voiture de l'équipe de surveillance qui s'éloignent. Ça me va. J'aurai pas à répondre à leurs questions. Franchement, ils ne se sont pas foulés. Ils ont dû faire le tour de la baraque, demander ce qui s'est passé et mettre les voiles.
À peine à leur hauteur, que Pitt m'attrape le bras et m'emmène à l'écart. Je croise les yeux d'Ellyn, remplis d'interrogation et suis mon pote. Pour le moment, c'est la meilleure option. Celle de lui faire face maintenant, craint un max.
— Merde, t'étais passé où ? Tu l'as vu ?
Moi qui voulais éviter l'interrogatoire. Enfin, ce qu'il y a de bien avec lui, c'est que maintenant, il est au courant de tout.
— Je l'ai coursé, mais il m'a échappé.
— Comment ça ?
À bout de nerf, je passe une main sur mon visage et soupire.
— Une bagnole est arrivée, je l'avais dans ma ligne de mire. Et putain, j'ai pas pu tirer. Tu le crois ça ?
Il me fixe et acquiesce, comme si, pour lui, le fait que je n'ai pas réussi à le faire soit une évidence.
— Le faire pour de vrai, c'est différent. T'as rien à te reprocher.
Si seulement je pouvais voir les choses comme lui. Moi, tout ce que je vois, c'est que ce déséquilibré est encore dans la nature. Qu'Ellyn est toujours en danger.
— T'as le modèle de la voiture ? La plaque ?
— Une M3. J'ai pas vu la plaque. Trop loin et avec la flotte qui tombait... Fait chier putain, craché-je entre mes dents.
Mon pote fronce les sourcils et réfléchit, pendant que je jette un coup d'œil furtif aux filles qui discutent.
— C'est pas courant dans le coin ce genre de caisse.
— C'est c'que je me suis dit. Cette bagnole fait tache dans le décor.
Même si moi je kiffe les anciens modèles BMW, c'est clair qu'aucun fils à papa aux alentours se trimballerait avec ça.
— Y'a pas mal de voitures comme ça qui traînent sur les Docks. Des trafiquants, des gangs.
Je lève un sourcil, un peu perdu.
— Y'a de ça part ici ?
Il ricane et hausse les épaules.
— L'envers du décor. Chaque paradis comme celui-là à sa part d'ombre, non ?
— Ouais, sûrement, moi, j'ai surtout fréquenté l'ombre donc j'en sais trop rien.
— Tu devrais creuser de ce côté-là. Peut-être qu'un gang a décidé de se faire du fric en faisant pression sur la famille d'Ellyn.
Ça se tient. Je dirais même que ça m'étonnerait pas.
— Mais pourquoi sa famille à elle ?
Mon pote grimace, sort son téléphone, pianote dessus et me le tend. Lorsque je baisse le nez dessus et découvre un article de journal qui met en évidence la famille la plus riche du coin, les Reeves, je comprends mieux.
— Ça fait d'eux une cible de choix. Pourquoi prendre plus petit quand on peut avoir les plus gros, soufflé-je.
Pourtant, l'attitude de ce type, sa façon de bouger, de me narguer presque, reste dans un coin de ma tête. S'il fait partie d'un des gangs des Docks, pourquoi j'ai l'impression de l'avoir déjà vu ?
— Tu sais si des lascars du campus les fréquentent ?
— Aucune idée, mais ça m'étonnerait pas. Pour certaines soirées, c'est là-bas qu'ils s'approvisionnent pour les extras. Pourquoi ?
— Ce mec, je sais pas mais j'ai eu l'impression de l'avoir déjà croisé. Donc, ça pourrait s'expliquer si c'est un étudiant. Mais pourquoi l'un d'eux ferait ça ? Pourquoi il se pointerait ici ? Ça colle pas.
— À moins qu'il doive des tunes, soulève-t-il. La drogue ça coûte cher. Et parfois ils paient en rendant service.
— Ils sont tous pétés de tune. Comment il pourrait en manquer pour régler ce qu'il doit ?
Pitt ricane doucement et secoue la tête.
— Leurs parents sont bourrés de fric, oui, mais ça veut pas dire qu'ils ont tous accès à une carte bleue illimitée. Certains contrôlent jusqu'au moindre centime.
— Donc ils s'approvisionnent en contrepartie de services.
— C'est ça. Tu comptes faire quoi ?
— Mettre Jeff au courant de tout ça, y compris des nouvelles pistes. Plus ça va, plus j'ai l'impression d'être dans le flou et j'ai horreur de ça. Ellyn m'a grillé avec mon flingue, elle t'as posé des questions ?
Au fond de moi, j'espère que non, qu'elle soit passée à autre chose. Je rêve, c'est clair.
— Ouais, j'ai dit que j'en savais rien. Qu'on était chez moi quand on a reçu leurs messages. Comme j'habite pas loin, c'était plus crédible vu qu'on est arrivé super vite. Pour ton arme, j'ai dit que tu l'avais sortie de ta voiture juste avant qu'on débarque. J'vais rester avec Mia ce soir, ses parents sont en voyage d'affaires et avec ce qui s'est passé...
— T'as raison, c'est mieux. Merci de m'avoir couvert, même si franchement je suis dans une merde noire.
Il m'adresse une tape sur l'épaule et esquisse un sourire.
— J'ai dit que j'étais de ton côté.
J'opine et me sors une clope que j'allume dans la foulée. Maintenant, il va falloir que je fasse front.
J'inspire une taffe, puis m'approche d'elle.
— Tu veux que j'te ramène ?
Je préfère y aller franco. Si en plus, je peux remettre de quelques heures le moment où je devrais m'expliquer, je prends. Ça me permettra de cogiter à ce que je peux lui servir de mieux.
Le regard de la Diablesse me transperce de part en part et je me raidis.
— Chez toi.
Et merde.
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