Chapitre 27
Ashton
Assis face au bureau de l'adjoint de l'établissement, je tasse ma clope sur mon briquet et poireaute. Ce matin, je me suis fait toper dans le couloir par un des surveillants qui m'attendait de pied ferme. Résultat, convocation à la première heure. Je sais pas trop ce qu'on me veut, mais je pense que ça craint. J'ai le nez pour ça. Je sens les emmerdes à des kilomètres.
Dans moins de cinq minutes, je risque de sortir de là sur les nerfs. Et encore, le mot est faible. On va forcément me casser les couilles concernant le règlement ou une connerie du genre et je pourrais perdre mon sang-froid. J'ai beau me répéter qu'il faut que je me contrôle, que je suis là dans le cadre de la mission qu'on m'a confiée, rien n'y fait.
Je soupire et grogne à moitié pour la énième fois. J'ai horreur d'attendre. Puis merde, pendant ce temps, Ellyn est sans surveillance. Putain, s'il lui arrive quoi que ce soit dans l'enceinte du campus alors que je suis coincé ici, je risque de lui faire bouffer le placage acajou de son bureau à ce guignol. Ok, mec, respire, c'est pas bon là.
La porte s'ouvre à la volée sur le gars qui s'est occupé de mon admission et je lâche un rire nerveux.
Quoi, ce gus est aussi adjoint ?
Il m'observe, perplexe, remonte ses lunettes sur son pif et rejoint son siège.
— Monsieur Atkins, me salue-t-il sèchement.
Je lui adresse juste un hochement de tête. Je peux pas faire plus. Sa gueule me revient pas. Il me fait penser à ce type de l'orphelinat. Celui qui passait son temps à nous demander de la fermer. Même quand on faisait que jouer, ça lui convenait pas.
Il avise ma cigarette et se racle la gorge.
— Merci de ranger ça, m'ordonne-t-il.
J'inspire et tente de trouver un mantra qui me permettra de garder mon calme jusqu'à la fin. Oublier qu'en deux secondes , je pourrais lui foutre la trouille de sa vie. Profil bas, c'est ce qu'on m'a dit. Putain, mais je sais pas faire ça !
Quoi que je fasse, mes habitudes me traquent. Elles sont là, à l'affut du moindre moment où je baisserai ma garde. Je m'étais même pas aperçu que j'avais sorti une clope, faut le faire quand même. Irrécupérable ? Peut-être bien, après tout.
Résigné, j'attrape mon paquet et glisse la cigarette dedans avec décontraction. Si tu penses me faire flipper, tu te goures, il m'en faut plus que ça. Mon feu rejoint le reste dans ma poche et je plante mon regard dans celui du pète sec. Si t'enlevais le balai que t'as dans le cul, ça aiderait pas mal. J'esquisse un sourire en coin à ma connerie. Je me connais, je suis capable de lui sortir ça sans capter les mots qui sortiraient de ma bouche.
— On m'a demandé de faire un point avec vous sur votre arrivée et d'aborder certains sujets.
Pas la peine de demander de quoi il veut causer. Doit bien y avoir une dizaine de points du règlement intérieur que j'ai envoyé bouler depuis que je suis là. Pour ce qui est de mon intégration ici, on peut mieux faire, mais ça pourrait aussi être pire.
Je reste silencieux et étend mes jambes devant moi pour me mettre à l'aise, pendant qu'il sort un dossier à mon nom.
— Que pensez-vous de vos premières semaines ici ? Tout se passe bien ?
Je lève un sourcil. En vrai, je suis sûr qu'il n'en a rien à carrer.
— Ça va.
Je compte pas développer, ça servirait à rien. Il acquiesce, le nez plongé sur ses feuilles et attrape un stylo, sans un regard sur moi.
— Très bien.
Très bien ? Il se fout de ma poire ? Si ma peau n'était pas autant encrée et que ma gueule lui revenait, il chercherait à creuser. Il peut juste pas m'encadrer, c'est tout.
— Si tout va pour le mieux, passons à ce qui pose problème.
Nous y voilà. Il cherchait juste à pouvoir m'enchainer au plus vite.
Pour la première fois depuis qu'il est entré dans cette pièce, il ose enfin me regarder dans les yeux. Je ne me démonte pas et soutiens son regard. Hors de question qu'il pense qu'il m'impressionne.
— On m'a rapporté certains faits qui ne sont pas en adéquation avec le règlement des lieux.
S'il te plait, va droit au but et évite les phrases pompeuses.
— J'écoute.
Voilà, ça commence. Le premier mot qui sort sans que je le contrôle.
Il fronce les sourcils, prend un air plus sévère et je croise les bras sur mon torse. Il peut prendre toutes les expressions qu'il veut, il ne m'aura pas.
— Voici une liste. Elle recense vos comportements déviants.
Déviant ? Il m'a pris pour un putain de titan ? Appelez le caporal qu'il règle ça aussi, tant qu'on y est.
— Tout d'abord, pourquoi refusez-vous de porter l'uniforme ?
— Le jour où on m'imposera de porter quoi que ce soit est pas encore arrivé. En plus, je rentre pas dedans et niveau goût, c'est à chier.
Les chiens sont lâchés. Il va enchaîner et moi, je ne vais rien lâcher. Ses iris s'assombrissent et ses doigts se crispent sur le papier.
— Comment expliquez-vous le fait de garer voiture à cheval sur deux places de parking ?
— C'est soit ça, soit le premier qui la raye pourrait bouffer le bitume.
Il serre les dents tout en prenant note. Sérieux ? Il marque mes réponses ? Pourquoi au juste ?
— Le tabac dans l'enceinte de l'établissement ?
— Je suis souvent sur les nerfs. Mais j'avoue ne pas avoir vraiment d'excuse sur ce point.
Autant dire ce qui est. Même si je ne compte pas avouer que c'est surtout pour la provoque.
— Les retards répétitifs en cours ?
— Je me suis pas encore totalement fait à tous ces couloirs.
Bobard. C'est juste que je suis pas du genre à me presser pour y aller.
— Pourtant vous m'avez l'air débrouillard.
— Ça dépend pour quoi.
Voilà, ça, c'est fait.
Il soupire et commence à s'agacer de voir que j'ai réponse à tout. Pourtant, il va falloir qu'il s'y habitue, j'ai toujours été comme ça.
— Le lit que vous vous êtes fait livrer et celui qui a atterri dans le couloir ?
— Si je dors mal, je suis exécrable. Le lit était trop petit. Vous avez vu ma carrure ?
Il me considère et continue de reporter ce que je lui sors sur la feuille. Il m'énerve.
— Vos résultats sont catastrophiques. Vous devriez songer à intégrer l'équipe des Hater's. Avec votre carrure comme vous dites, vous feriez impression sur le terrain.
— Plutôt crever, je suis pas du genre à courir après un ballon.
Je me laisse légèrement emporter, là. Va falloir que je me calme.
— Et comment justifiez-vous être entré dans les toilettes des femmes ?
Comment il sait ça ?
Il doit remarquer mon air interrogateur, car il esquisse un sourire satisfait.
— Les caméras de surveillance, précise-t-il.
Je hausse les épaules nonchalamment. Après tout, quel mec n'a pas au moins fait ça une fois dans sa vie ? Je suis pas le seul, si ?
— Disons que je me suis laissé... emporter.
Il secoue la tête, exaspéré, écrit sa dernière phrase et referme le dossier avant de m'observer. Ça me rappelle ce jour où j'ai fini chez les flics et où on m'a posé cet ultimatum. « Soit t'acceptes la formation, soit c'est la prison. »
Quoi, ils ont des cachots ici ?
Mon dossier en rejoint d'autres dans le tiroir et il appuie ses coudes sur le bureau.
— Je vais devoir informer vos parents de votre comportement.
Un rire amer m'échappe. Mes vieux ? Je suppose qu'il parle de Jeff. De toute façon, il n'y a que cette possibilité.
— Ils m'ont précisé que vous avez du mal à accepter toute forme d'autorité ou ce qui s'en approche et de les tenir au courant de tous débordements.
Je m'y attendais un peu. Ils n'enverraient pas un ancien délinquant sur ce genre de mission en le lâchant totalement dans la nature. Il leur fallait bien un référent sur place, même s'il n'est pas officiel. Quelqu'un qui puisse garder un œil sur moi et leur rapporter le moindre de mes faits et gestes qui sortirait du cadre. Je crois que je viens de le trouver.
Il me fixe sans que je réagisse et ça a l'air de le faire chier. Quoi, il aimerait que je fasse plus de vagues, histoire de pouvoir me plomber bien comme il faut juste derrière ? Pas question que je lui donne ce qu'il veut.
— J'ajouterais que si vous souhaitez un peu vous rattraper, le conseil de l'établissement vous recommande de vous impliquer un peu plus dans la communauté.
Il compte m'étouffer avec ses conneries ou quoi ? M'impliquer dans la communauté ? Si je lui disais que je suis déjà assez impliqué comme ça avec les Hater's qui comptent certainement me choper dès qu'ils trouveront une faille, ça passe ou pas ? Personne peut me saquer parce que je sors du lot. C'est leur communauté qui a un sérieux souci, pas moi.
Je me redresse en repoussant la chaise qui racle le sol et fourre les mains dans mes poches. Il lève le nez sur moi, tout à coup plus pâle et je plante mon regard dans le sien. Le pire, c'est qu'il me cherche, mais que dès que je bouge, il flippe.
— J'vais voir ce que je peux faire.
— Bien, vous y gagnerez.
Je lève un sourcil et lui tourne le dos pour sortir de son satané bureau sans un mot de plus. Si lui peut pas me voir, la réciproque est vraie. Je mets ma main à couper que s'il avait eu un lascar de l'équipe devant lui, il aurait été tout mielleux. On sait à quel point ces types-là sont mis sur un piédestal. Il aurait très vite trouvé un arrangement pour passer tout ça à la trappe. Seulement, je suis pas l'un d'eux et en plus de ça, ma dégaine ne lui revient pas.
Une fois dans le couloir, les dents serrées, je tire mon portable de ma poche et tape rapidement un message pour Jeff. Il va me péter un câble. En même temps il savait aussi dans quoi il s'embarquait avec moi et je suis pas certain qu'il s'attende à ce que je sois irréprochable. Même si c'est clair, il y a une différence entre l'être et enchaîner les boulettes volontaires.
MOI : Tu vas sûrement recevoir un coup de téléphone de l'adjoint alias le type au balai dans le cul. J'ai un peu débordé.
Je range mon portable et avance à la recherche de la salle informatique. Ils veulent que je m'implique ? Pas de souci, je vais le faire. Peut-être pas comme ils l'imaginent par contre.
Arrivé devant la pièce, je vérifie par la fenêtre que Pitt est bien là et quand je le repère planqué derrière son écran, j'esquisse un sourire. Il a l'air totalement dans son monde. Je dirais même qu'il est méga concentré.
Je pousse la porte, avance entre les rangées de tables où trônent des PC dernier cri sous le regard d'une dizaine de geeks et me plante devant celle de mon pote. Il ne m'a pas encore remarqué et je suis obligé de toquer sur son bureau. Surpris, il lève le nez sur moi, clique rapidement avec sa souris plusieurs fois et tout à coup, je trouve qu'il a l'air suspect. Qu'est-ce qu'il foutait pour avoir la gueule de quelqu'un qui a quelque chose à se reprocher ?
— Qu'est-ce que tu fais là ? s'étonne-t-il.
Pendant quelques secondes durant lesquelles le mot coupable clignote sur son front, je sonde ses iris. Finalement, je hausse les épaules.
— J'ai une mission pour toi.
— J'aime pas ça.
Je ricane et contourne la table pour poser mon cul sur la chaise à côté de lui, tandis qu'il me suit des yeux.
— Fait pas cette tête. C'est rien de fou.
— Avec toi, je m'attends à tout. Ce qui n'est pas grave pour toi, pourrait moi me conduire à appeler les flics.
J'éclate de rire et tous les regards se braquent sur moi. Pourtant, même si je viens de faire exploser leur petite bulle de silence, personne n'ose la ramener. À croire que je pourrais leur faire la peau sur le champ. Ils ont vraiment un grain.
— Chacun gère les choses à sa façon. Disons que j'ai plus de sang-froid que toi.
— Sang-froid, c'est vite dit, mec. T'as vu à quelle vitesse t'as foncé sur Tyler dans la ruelle ?
— C'était un cas de force majeure.
— Alors toi et moi on n'a pas la même définition du mot urgence, réplique-t-il.
Je me marre et il me regarde plus sérieusement.
— Alors, accouche. Pourquoi t'es là ?
Je grimace et il fronce les sourcils. C'est moi ou il se fait du mouron ?
— Je ressors du bureau de l'adjoint, j'ai été convoqué.
— Merde, pourquoi ?
— On s'en fout.
— Ok, même si on n'y va jamais pour rien. D'ailleurs tu devrais pas être en cours plutôt qu'ici ?
— Si, mais justement j'ai une urgence.
— C'est bien ce que je dis, tu devrais revoir tes priorités.
Je soupire et désigne l'écran de son ordinateur du menton.
— Je dois m'impliquer un peu plus dans la communauté selon eux.
— Quoi, le club info' ? Nan, oublie. Si un des PC a le malheur de pas vouloir faire ce que tu veux, tu vas le défoncer à coups de poings.
J'esquisse un sourire en coin. Il a pas tort. Cela dit, ce serait une bonne planque de m'inscrire dans ce club. Je me pointerais, me foutrais dans un coin sans rien toucher et tout le monde y trouverait son compte. À méditer.
— Tu devrais pas me soumettre des idées de ce genre.
— J'ai rien soumis du tout moi. C'est ton cerveau qui détourne tout du but initial.
Je lui donne une tape amicale sur l'épaule et il soupire. C'est clair que quand on pense au but initial de ma mission j'ai foiré dès le départ.
— Y'a moyen que tu me fasses des flyers qui déchirent avec ton bordel là ?
Il avise l'écran, perplexe et acquiesce.
— Avec ce genre de bolide, on peut tout faire.
Je zyeute l'ordinateur et me fends la poire.
— On a pas la même vision du mot bolide, Bro'.
Dernièrement, avec lui, ce surnom ressort fréquemment sans que je m'en rende compte. Ça fait bizarre. Du temps où je traînais dans mon quartier, il n'y avait que deux personnes à qui je donnais ce blase. Mon frère et Keyden.
— Disons plutôt qu'on aime pas les mêmes engins.
Ça me va, après tout, chacun son truc. Lui, il est plutôt du genre processeur. Moi V8 et double-corps.
— Du coup, pourquoi tu veux des flyers ? me questionne-t-il.
— Une soirée. J'vais organiser la fiesta du siècle. Je dois m'impliquer et m'intégrer, non ?
Il bugue et ouvre la bouche.
— Je suis pas sûr qu'ils parlent de ce genre d'investissement.
Je hausse les épaules. Je vois pas en quoi c'est gênant, tous les gars de l'équipe en organisent et on leur dit rien. Pourquoi avec moi ça ne passerait pas ?
— Pourtant, c'est ce que je compte faire.
Mon coloc' me dévisage et soupire. Il vient de capituler. Je ne changerai pas d'avis, il le sait.
— Ok, explique-moi ce que tu veux. Mais je te préviens, tu m'as jamais demandé de faire ça.
— Deal. Et dans l'idée, j'aimerais un truc genre boite de nuit. Sombre avec des néons, tu vois le délire ?
— Ouais, je vois, ouais.
Ça va déchirer.
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