Ɓєfσяє I ƑαƖƖ AѕƖєєρ
ᴼᵘʳ ᴿᵒᵒᵐ
³ᴴ³³
Dans notre chambre commune, il n'y a pas grand-chose.
Une armoire qui regorge de vêtements sombres,
Une chaise où reposent nos fringues déjà utilisées et qui devient en nocturne une désagréable ombre.
Des tas de tableaux qui sur les murs gris sont fièrement accrochés,
Quelques photos de nous pour ne jamais oublier qu'on s'est un jour aimés.
Une seule table de chevet qui contient nos objets les plus intimes,
Un pot qui déborde de mes plus beaux stylos et de tout un paquet de mines.
Une lampe qu'on a acheté ensemble à un sculpteur dont je ne me souviens plus le nom,
Un carillon dont le cliquetis infernal sonne creux de toute raison,
Toi qui a glissé une jambe entre les miennes, et dont l'inlassable chaleur étouffe dans mon cœur les moindres peines.
Il y a une étagère aussi, remplie, où j'entrepose tout ce qui fait de moi celui que je suis ; un être humain avec un léger penchant artistique. Il y a tout un tas de pinceaux, un appareil photo, d'énormes tubes de peintures aux couleurs variées, une vieille palette cassée, une nouvelle déjà grandement délabrée, une montagne de carnets de brouillon excessivement décorés. Y'a des poèmes piètrement griffonnés, des mots doux abandonnés, des flacons de peinture percés qui sur le bois se sont déversés, des tableaux vierges empilés, des œuvres étranges en papier mâché. Il y a des lettres, aussi. Ecrites pour la plupart et finalement jamais envoyées, reçues parfois, de toi, ou d'autres qu'on n'a pas tardé à oublier.
Toi et ta bouche entrouverte, qui laisse couler entre quelques ronflements des gouttes de bave sur ma peau fluette. Rires fatigués.
Ta partie d'étagère est minuscule, elle ne consiste qu'en un tout petit coin de planchette en bois. Ce n'est certainement pas par choix, ou le choix s'appelle moi, mais tu sembles t'en contenter. Tu n'y as déposé que quelques dossiers que tu souhaites conserver, et quelques-unes de tes très maigres possessions que tu as jusqu'ici emporté partout où tu allais. Cette petite statuette en pierre que ta mère t'a donné, un bracelet que tu ne portes jamais par peur de l'abimer, une petite boite noire qui contient des mots dont ton cœur aime de temps à autres à nouveau s'imprégner.
Moi qui caresse ta peau hâlée pour ne pas sombrer.
Même dans ta partie d'étagère, aussi petite soit-elle, j'ai réussi à m'immiscer. En photo ; à moitié débraillé et grandement éméché, en costume et aux airs légèrement agacé, fatigué et « à croquer » comme t'aimes le répéter.
Moi qui pense à tes couleurs, à ta peau et ses douceurs, pour ne pas laisser triompher la peur.
Et puis y'a ces quelques pots de peinture corporelle que j'ai disposé là aujourd'hui, devant les photos de moi, parce que je compte les utiliser sur toi. Ou parce que ça n'avait pas sa place dans mon débarras. Je trouvais ça dommage d'être artiste, et de n'avoir jamais peint autre composition que du papier. Je trouvais ça triste d'avoir si belle texture que ta peau sous la main et de n'avoir jamais tenté de la colorer. C'est vrai qu'elle est un art à elle tout de seule, qu'elle n'a aucun besoin de couleurs pour prendre des aspects d'œuvre, mais je me disais qu'ajouter pigments frais au brasier qu'est ton épiderme lorsqu'il se confond avec le mien devait être de toute beauté, le genre de beauté dont on ne peut se passer, en particulier nous, humains aux cœurs d'Arts étrangement assoiffés.
Y'a pas mal de choses, dans notre chambre commune, finalement.
Soupirs éreintés.
Je caresse tes cheveux, ils sont d'une douceur infinie. Quand on s'est couchés, à peine lavés, ils humidifiaient mon torse nu et me faisaient frissonner. Mais ça fait des heures qu'on est allongés là et que dure ce moment, des heures que tu t'es endormi, et ils sont parfaitement secs, dorénavant. Et ton corps recroquevillé sur le mien m'apporte tant de chaleur que je me sens flancher, souvent, mes yeux se fermer contre ma volonté.
Je suis exténué.
Je tente de me rattraper, je continue de forcer mon regard sur cette chambre depuis longtemps partagée, je m'agrippe aux peu de choses qu'elle abrite sans broncher. Mes yeux passent mollement du velux en bois qui laisse entrer de la Lune une lumière tamisée, à la porte en chêne massif semblable à toutes les autres qui t'avaient tant fait craquer quand on était venu visiter cet appartement, il y'a de ça des années.
Tu t'en rappelles ?
Dans le noir on ne le voit presque pas, mais j'ai fini par la peindre elle aussi. Cette grande porte en bois que tu admirais tant pour ses jolies moulures raffinées tout du long de son ouvrant et sur son linteau extérieur. Je l'ai recouverte au trois quart de mes peintures à l'huile côté chambre, de couleurs vives et éclatantes qui brisent la monotonie des immenses pans de murs gris. Je me rappelle encore de la tronche que t'avais tiré en tombant sur les gribouillis qui jonchaient une de tes portes adorées.
Gloussement insonore.
Je pensais que tu ne comprendrais jamais que j'aie besoin de beaucoup de couleurs, en particulier dans cette pièce témoin toutes les nuits de mes bien trop nombreuses peurs. Mais étonnamment, tu n'avais rien dit. Je ne saurais certainement jamais si tu étais resté silencieux ce jour-là parce que tu ne voulais pas t'énerver, ou si c'est parce que tu avais compris, sans même que j'aie besoin de t'expliquer, en quoi cela importait. Je baisse mon menton dans un effort qui me parait surhumain pour te poser un doux baiser sur le crâne.
Mes paupières se referment.
Je les rouvre brutalement et porte une main tremblotante au thermo de café qui traine à mes côtés.
Je dévisse le bouchon d'un mouvement terriblement lent, rapproche mes lèvres du goulot désespérément,
Vide.
Je déglutis.
J'essaye de reposer l'objet le plus délicatement possible, pour ne pas nuire à ton sommeil qui pour sa part est toujours paisible, mon corps anesthésié par la fatigue tremblote face à l'effort, j'comprends que je ne vais pas encore pouvoir échapper longtemps à mon sort.
Alors j'essaye de penser à toi une dernière fois, à moi, à nous, aux peintures qui coulent sur les étagères et en font mon œuvre la plus criante de vie, à ces couleurs dont je badigeonnerai bientôt ton corps qui au désir sera soumis, à tes yeux, à la façon dont la toiture craque quand il pleut, au son des gouttes qui s'abattent actuellement sur la vitre, à ton sourire quand tu fais le pitre, à la faible lueur que profère la Lune, à tes fossettes quand on rit dans les dunes, à toi, à moi, à nous,
A la Vie,
A l'Amour qui nous unit.
Mes yeux se ferment.
Je te caresse une dernière fois. Ton visage apaisé du bout des doigts, ton torse nu d'un geste désespérément las. Puis je remonte dans tes cheveux, où mon index se coince dans un nœud.
Je rouvre les yeux péniblement, pour pouvoir sortir ma main de tes cheveux délicatement,
Mais déjà mes yeux se referment.
Et ma main ne répond plus.
Je déteste ça.
Je me sens partir, m'éloigner, échapper au sablier, sans toi à mes côtés, je me sens m'endormir, quitter le navire, sombrer au noir, sombrer au soir, abandonner Espoir. Tes couleurs auparavant si franches et si vives s'étiolent, je les perds de vue, je ne peux pas te suivre, une fois la nuit venue,
J'ai peur.
Je ne veux pas,
Rattrape-moi.
J'ai autant la trouille que le gamin de sept ans que j'étais quand tout ça a commencé.
C'est peut-être même pire.
Et pourtant, je ne peux pas leur échapper, malgré la terreur qui de moi s'est emparé, à Morphée et à la fatigue insupportable qui me ronge corps et âme assemblés. J'ai beau tout faire pour résister à ceux qui dans le noir ne cessent de me guetter, je ne peux rien faire d'autre que de constater que je m'en vais les rejoindre contre mon gré.
J'essaye une dernière fois de lutter, je rouvre les yeux comme un force né, je cherche à t'atteindre, à te supplier, de m'attraper, de m'aider, de me récupérer, de m'empêcher de sombrer,
Mais je suis complètement éreinté,
Mon corps ne répond plus,
Je l'ai complètement perdu.
Et toi, et le monde de tes nuits, couvert d'étoiles au préavis, vous éloignez. Anges et paisibles à la nuit tombée, vous vous rejoignez dans ce monde dépourvu d'êtres qui par la nuit ont été terrassés, dans cet univers que j'imagine être aussi doux qu'un tas de coton molletonné et aussi beau que ces ciels étoilés de fin d'été.
Et vous m'abandonnez,
A ce monde sombrement coloré,
Où se rejoignent démons,
Et morceaux brisés de carillon,
Etres humains vaincus,
Par un monde aux allures de Paradis Déchu.
Rhésus.
ᴶᵉ ˢᵒᵐᵇʳᵉˑ
ᵀᵉᶰᵈˢ⁻ᵐᵒᶤ ˡᵃ ᵐᵃᶤᶰ˒
ᴱˡˡᵉˢ ᵐᵉ ʳᵃᵗᵗʳᵃᵖᵉᶰᵗ ˡᵉˢ ᵒᵐᵇʳᵉˢ˒
ᴱˢᵖᵉ́ʳᵒᶰˢ ᵃ̀ ᴰᵉᵐᵃᶤᶰˑ
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