Prologue
Le 10 mars 2002
J'aimerais être ailleurs.
N'importe où sauf ici.
Je souffre, je me noie, je meurs.
J'ai eu beau m'attarder à l'école pour mes cours de soutien, rentrer en marchant, m'éterniser dans ma chambre...l'heure du dîner est arrivée et c'est avec une grande nervosité que je suis assise à la table de ma famille d'accueil. Madame et Monsieur Windwood y prennent place, ainsi que cinq autres enfants. Jade et moi sommes les seules filles et je suis plus âgée qu'elle. La fillette de six ans ignore ce qui se passe dans cette maison. En réalité, je suis la seule au courant. À treize ans, c'est moi la plus âgée. Depuis que Jake a quitté la maison il y a quelques semaines, j'ai encore plus peur. J'avais l'impression que Monsieur Windwood gardait plus ses distances lorsqu'il était là puisque sa chambre était à côté de la mienne. Mais une fois que le jeune homme a eu dix-sept ans, il a été émancipé. De toute façon, il n'était presque jamais présent à la maison, venant de temps en temps prendre des vêtements. Il dormait presque toujours chez des potes ou rentrait très tard. Sa chambre n'est pas encore tout à fait vide, mais elle le sera bientôt.
Malheureusement...
Maintenant, j'ai l'impression d'être seule au monde.
Seule. Seule. Seule.
Mon père s'est fait la malle alors que je n'étais qu'un bébé et ma mère est décédée il y a quelques années. J'ai habité quelques mois chez sa sœur, mais sa consommation excessive d'alcool n'a pas plaidé en sa faveur. Résultat : je suis passée d'une maison d'accueil à une autre et j'ai atterri ici à l'âge de dix ans. Madame Windwood est une femme sévère qui aime la discipline et qui possède une assez grande maison pour y accueillir plusieurs enfants. Elle n'a pas besoin de travailler puisqu'elle reçoit de l'argent pour prendre soin de nous... argent qu'elle qui disparait dans ses poches puisqu'elle nous fournit seulement le strict minimum, soit de quoi nous vêtir et de la nourriture qui goûte la merde. Je ne suis pas difficile, mais manger du macaroni au fromage tous les jours me donne envie de gerber. Bien sûr, elle sort l'artillerie lourde lorsque les services sociaux nous visitent, mais nous demeurons muets, ayant peur des représailles. De toute façon, qui nous croirait ?
J'ai une chambre à moi seule...bien que je préfèrerais que ce soit le contraire. J'ai tellement peur que je parviens à peine à m'endormir le soir. Et surtout depuis quelques mois...Le monstre ne se cache pas sous mon lit. Il est tout près, près, près.
Nous nous asseyons tous à la grande table pendant que Madame Windwood nous sert nos macaronis, puis le silence tombe pendant que nous mangeons. Je me dépêche afin de trouver une bonne excuse pour sortir de table, mais je ne suis pas assez rapide. La grosse patte de Monsieur Windwood se pose sur ma cuisse.
Horreur ! Je veux partir loin loin loin.
Je me crispe, mais personne ne le remarque puisque la nappe cache tout ce qui se passe sous la table. Effectivement, qui pourrait se douter des tendances de pédophiles du maître de la maison ? Il est aimable avec tout le monde et aide même les plus jeunes à faire leur devoir. Mais moi, je connais la noirceur qui l'habite. C'est un monstre.
— J'ai des devoirs à faire, annoncé-je en me levant en vitesse. Bonne soirée.
J'étouffe. Tranquillement.
Je ne pourrai pas étudier. Pas plus que je ne pourrai m'endormir. Je resterai éveillée, l'oreille aux aguets, jusqu'à ce que j'entendre un bruit de serrure. J'aurai beau verrouiller ma porte, comme à tous les soirs, l'homme possède un double. Il entrera dans ma chambre et me briser encore plus que je ne le suis déjà. Puis, il repartira silencieusement et je resterai seule dans mon lit à pleurer.
Ne pas faire de bruit. Se taire. Ne rien dire.
Je hurle en silence.
À chaque soir, c'est ainsi.
J'ai mal, j'ai mal, j'ai mal.
Toutefois, ce soir, quelques minutes après qu'il soit parti, j'entends la poignée de porte tourner. Pourquoi revient-il ? Mon cœur s'accélère d'effroi et je serre ma couverture contre moi. La porte s'ouvre doucement et je suis pétrifiée. J'ai envie de hurler d'anxiété.
Le monstre est revenu !
— Marélie, m'appelle une voix que je reconnais immédiatement malgré l'obscurité de ma chambre.
— Jake ? Qu'est-ce que tu fais ici ? demandé-je à voix basse.
J'essaie de taire les tremblements de ma voix, mais c'est peine perdue.
Je tremble de peur.
— Je suis venu chercher les derniers trucs que j'avais laissés dans ma chambre. J'ai vu Monsieur Windwood sortir de la tienne. Qu'est-ce qu'il voulait ? Il est plus de vingt-deux heures.
— Euh...
— Est-ce qu'il t'a fait du mal ?
Le mal dort sur le même étage que moi.
Jake n'est pas dupe. Je crois qu'il a percé la tendance perverse du maître des lieux, mais je n'en suis pas sûre.
Puisque je ne réponds pas, Jake s'avance et allume la lumière. Je cligne des yeux, momentanément éblouie.
— L'espèce de porc ! s'écrie Jake en remarquant à quel point je suis bouleversée.
— Chut ! Il va t'entendre.
— Depuis combien de temps...
Je détourne les yeux de son regard polaire. Je ne le connais pas beaucoup, mais il m'intimide toujours autant. Il est si beau...mais à la fois si distant. Je ne connais pas son histoire, mais je suis sûre qu'il a vécu beaucoup d'horreurs avant d'arriver ici. Comme moi. Il étudie en mécanique automobile et s'est trouvé un job récemment. C'est tout ce que je sais de lui.
— Quelques mois, réponds-je, le visage rouge de honte.
— Lève-toi, me dit-il alors. Nous partons.
— Quoi ? Où ?
Ai-je bien entendu ? Il veut que je m'enfuie avec lui ?
— Loin d'ici. Apporte seulement un sac à dos avec le nécessaire.
— Mais...s'ils nous retrouvent ?
— Ce ne sera pas le cas. Nous allons changer d'identité et de pays. Jamais ils ne nous retrouveront.
Je le fixe avec circonspection. Pourquoi m'aide-t-il ? Nous nous connaissons à peine.
— Je...commencé-je, mais il m'interrompt avant que je ne puisse poursuivre.
— Marélie, si tu restes ici, il te détruira...si ce n'est pas déjà fait. J'avais en tête de commencer une nouvelle vie ailleurs, alors je t'offre de m'accompagner. C'est à prendre ou à laisser.
Il ne m'en faut pas plus pour accepter de sortir de cet enfer. Le jeune homme conduit une veille voiture qu'il a lui-même retapé et nous sautons dedans.
— À partir de ce jour, tu t'appelleras Ray, me dit-il. Et moi Jarek.
— D'accord.
— En t'emmenant avec moi, je deviens un kidnappeur puisque tu es mineure, alors ils ne doivent jamais nous retrouver, tu comprends ?
Je hoche la tête.
— Une dernière chose, dit-il en démarrant. Ne me considère jamais comme ton frère. On aura beau habiter ensemble, jamais tu ne seras une sœur pour moi.
— D'accord...
Et moi qui croyais avoir trouvé en lui un grand frère protecteur ! Je me suis trompée sur toute la ligne. Il prend ses distances avec moi, comme avec tout le monde.
— Bien, alors allons-y.
J'ignorais que je fuyais avec un compagnon de voyage qui fermerait à jamais la porte de son âme, la rendant impénétrable à quiconque, même à moi. Ce type restera toujours un mystère à mes yeux.
Je me demanderai tous les jours pourquoi il m'a proposé de l'accompagner. Je me sens aussi seule qu'avant, néanmoins, il m'a sauvé la vie et je ne le remercierai jamais assez.
Nous n'avons jamais reparlé du passé. Nous l'avons laissé derrière nous.
Depuis ce jour, nos fuyons (l'amour) ensemble.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro