L'amante
« Madame, j'en suis vraiment navrée mais je ne peux pas donner mon aval pour votre avortement. »
Drago observait Astoria du coin de l'œil, inquiet malgré lui. Assise face à ce gros médecin à la barbe noire, elle était blanche comme un linge. C'était le troisième rendez-vous auquel il l'accompagnait en deux semaines et le troisième refus auquel il assistait. Il n'avait pas posé de question mais il supposait que la jeune femme en avait déjà eu avant qu'elle ne réclame son aide.
« Mais enfin... Je vous dis que je ne peux pas le garder. Je suis bien assez grande pour prendre en considération les risques et choisir en toute connaissance de causes !
- Je comprends bien votre demande, madame. Mais vous êtes à dix-sept semaines aménorrhées, le fœtus ne présente aucune anomalie développementale, vous êtes en pleine forme et la grossesse ne présente aucun danger. Vous êtes mariée, vous avez un emploi. J'aurais accepté de vous prescrire un avortement si vous aviez été à neuf semaines car l'avortement médicamenteux présente moins de risques mais à votre stade, il faut passer par la chirurgie. Je refuse d'administrer une telle procédure pour un avortement de confort. »
Astoria éclata en sanglot et ayant pris l'habitude de se retrouver dans ce genre de situation avec elle ces dernières semaines, Drago passa entoura ses frêles épaules de son bras.
« Mais qu'est-ce que je vais faire...
- Vous avez encore d'autres options... Vous pouvez accoucher sous X et proposer l'enfant à l'adoption.
- Merci. » Drago mit fin à l'habituel discours que prononçait les médecins après chaque refus.
Comme à chaque fois, Astoria se mettait dans un état infernal. La maintenant fermement contre lui, il l'entraina hors du cabinet de la petite ville moldue dans laquelle elle l'avait trainé. La nuit était tombée rapidement et les réverbères répandaient une lumière sinistre dans l'allée. Jugeant qu'une nouvelle fois, elle n'était clairement pas capable de rentrer dans son domicile conjugal, Drago l'amena chez lui par transplanage d'escorte. Comme lors du précédent rendez-vous, il l'assit sur le canapé, face à la cheminée, alluma un feu d'un coup de baguette, et fit chauffer de l'eau d'un deuxième. Il ressortit du fond du placard la tisane florale qu'il servait à sa mère lorsqu'elle venait lui rendre visite, c'est-à-dire rarement, et ouvrit le placard sous l'évier en jetant un coup d'œil au-dessus de son épaule pour vérifier qu'Astoria ne venait pas fouiner.
Parfaitement rangées par distillerie, puis par saveur, les bouteilles de Scotch lui arrachèrent un sourire satisfait. S'il y avait bien une chose dont Drago Malefoy raffolait secrètement, c'était le Whisky moldu ! Son père avait été le premier à l'initier aux plaisirs œnologiques. Savoir différencier le bon vin du mauvais ainsi que le décrire représentait pour lui un pilier fondamental de la vie de la Haute Société Sorcière. Drago avait gouté son premier Whisky-Pur-Feu à treize ans et avait tout d'abord détesté ça ! Le liquide lui avait embrasé la gorge, le privant de toute découverte gustative. Et puis un soir, quelques mois après avoir décroché son emploi chez Belby & Cie et loué cette maison dans une petite ville moldue, il s'était à nouveau rendu dans le pub du coin pour noyer sa frustration. Si ces ancêtres l'avaient vu, ils avaient dû se retourner dans leur tombe ! Mais à vrai dire, Drago s'en fichait. C'était d'ailleurs par provocation qu'il s'était donné pour objectif de gouter l'intégralité de la vitrine moldue du pub.
Et dans son ivresse, le Glenmorangie de dix ans d'âge avait illuminé ses sens.
Il avait par la suite plongé en secret dans les diverses variétés de Whisky moldu, se découvrant une passion pour les saveurs fumées produites sur les iles écossaises. Mais ce soir-là, Drago recherchait plutôt la fraicheur d'Oban. Après s'être servi un verre généreux en inspirant goulument les effluves d'alcool qui se répandaient dans sa cuisine, il remit la bouteille à sa place exacte et ferma le placard d'un coup de baguette bien placée.
Astoria quant à elle prenait bien ses aises chez lui. Après avoir retiré ses chaussures, elle s'était glissée sous le plaid qui ne servait qu'à décorer la pièce, et s'était allongée en position fœtale, les yeux plongés dans les flammes. Patient, Drago s'assit sur son fauteuil préféré et reprenant son livre de chevet, se plongea dans la lecture.
Du moins il essaya. Il ne cessait de jeter des regards mi-anxieux, mi-agacé à la masse pleurnichante qui, après avoir ruiné sa chemise, ruinait son canapé en toile.
Au bout d'une trentaine de minutes, après un énième coup d'œil à sa montre, il reposa son livre.
« Ton mari va t'attendre, Astoria. »
Elle tourna vers lui ses grands yeux verts cernés.
« Est-ce que... Est-ce que je peux rester ici ce soir ? »
Drago retint à grande peine un rire panique.
« Pour que tout le monde croit que je suis le père ? Il n'en est pas question. »
Astoria se redressa en position assise, les cheveux décoiffés, le maquillage coulant, et baissa les yeux vers son ventre que Drago trouvait encore bien plat.
« Il va falloir que tu le dises à Dennis.
- Il y a peut-être d'autres solutions, encore...
- Je pense qu'il faut que tu arrêtes de te voiler la face. Le médecin, tout à l'heure... Combien tu en as vu, Astoria ? » Elle releva vers lui son regard humide, sans prendre la peine de lui répondre. Il savait qu'il avait tapé juste. « Il faut quand même que tu m'éclaires... Pourquoi t'être marié avec cet homme, de dix ans de plus que toi, alors que tu savais qu'il voudrait des enfants rapidement et que tu ne veux pas de cette vie ? »
Elle laissa échapper un rire froid.
« Daphné a eu de la chance. Elle a l'homme qu'il lui faut, et elle a toujours voulu de cette vie. Mes parents ont bien fait leur travail avec elle... Mais moi j'ai toujours voulu plus. Je veux de l'indépendance, je veux réussir seule. Ce mariage c'est... c'était le moins pire. J'avais accepté la proposition de Michael, je ne sais même pas trop pourquoi... Sans doute parce que je voulais montrer à mes parents que j'étais libre, que je ferais ce que je veux, mais ils ont quand même gagné. Mon père avait besoin de soutien pour devenir Président du Magenmagot alors... De toute manière, tous les hommes de bonne famille veulent la même chose que Dennis.
- C'est faux. Si je me marie un jour, je n'obligerais pas ma femme à pondre des héritiers à la chaine et à abandonner ses ambitions. Mais je ne suis pas forcément de bonne famille. »
Astoria se redressa plus encore, le fixant d'un air indéchiffrable.
« Pourquoi... Comment tu peux en arriver à penser comme ça ? Les Malefoy n'ont jamais été très enclin à laisser des libertés à leurs femmes.
- On voit où ça les a menés. » Amer, Drago fixa les flammes en reprenant une gorgée de son breuvage. « Ma famille a brillé pendant des siècles. Ils ont amassé tellement de galions que même les amendes exorbitantes après la guerre ne nous ont pas ruinées. Et tout ça pour quoi ? Je voulais enseigner les potions, je me retrouve comme archiviste dans la cave d'une boite minable. » Elle ne disait plus rien, elle continuait de le fixer de ses grands yeux verts, immobile. « Toute cette société dans laquelle on a grandi, où on nous enseigne que l'ambition rime avec le fait d'écraser tous les autres. Ça rime à rien. Il n'y a que très peu de grande famille sorcière qui ont été épargnées par la guerre. Ta famille en fait partie, mais ton père n'a pas à être fier de ce qu'il t'a imposé. Regarde où tu en es aujourd'hui.
- J'ai toujours su que tu en avais plus dans le crane que tu voulais bien le montrer, Drago.
- Mais ça ne t'aide pas beaucoup.
- Non. J'aurais aimé... » elle reposa son mug sur la table du salon et il remarqua le rouge qui commençait à teinter ses joues. « J'aurais aimé que tu apparaisses dans ma liste de potentiels futurs maris.
- Je n'aurais sans doute pas eu le même raisonnement si j'y avais figuré, Astoria. Et tu ne m'aurais sans doute pas choisi.
De nouveau, le silence s'installa, troublé uniquement par le crépitement du feu dans l'âtre, et brièvement par la voiture moldue qui s'engagea dans l'allée voisine.
« Tu sais Drago » souffla alors Astoria. « Tu ne devrais pas être aussi dur avec toi-même.
- Je ne suis pas...
- Bien sûr que si. Tu t'imposes de travailler pour ces idiots de Belby depuis des années dans une cave insalubre, tu ne te permets aucune vie sociale... As-tu déjà entendu parler des expériences de Milgram, Drago ? J'imagine que non, c'est un psychologue moldu. On ne s'intéresse que rarement aux expériences moldues mais c'est bien dommage, parce que nous fonctionnons exactement comme eux, n'en déplaise à l'esprit étriqué de nos alleux. Suite à une guerre moldue dans les années 40, très similaire à celle que nous avons nous-même vécu d'ailleurs, il s'est posé la question de la soumission à l'autorité. Comment réagissons-nous lorsqu'une personne supérieure hiérarchiquement nous donne un ordre ? Sommes-nous réellement capables de nous élever contre un ordre si celui-ci est immoral, à l'encontre de nos propres valeurs ? Et bien Drago, Milgram a étudié des sujets de tout horizon, de tout sexe, de toute origine et de tout âge. Il les a mis en situation de torture, leur ordonnant d'envoyer à une personne qu'ils venaient de rencontrer des décharges électriques si celle-ci ne parvenait pas à répondre à une question idiote. Une personne dont ils savaient que la santé cardiaque était fragile et que l'exercice pouvait tuer. Tiens-toi bien Drago : en s'imaginant dans cette situation, tout le monde se dirait incapable d'administrer des décharges électriques à un pauvre homme mais les résultats ont été vérifiés et re-vérifiés encore et encore... Sous la simple consigne d'un scientifique demandant d'augmenter la puissance de la décharge au fur et à mesure des erreurs, sans aucunes menaces, sans précision concernant la nature de cette demande, 90% des sujets ont administré des décharges indiquées comme « très dangereuse » et 65% ont donné la mort, Drago. 65% ! Deux personnes sur trois ! »
Il la fixait d'un air détaché mais les paroles d'Astoria brulaient en lui, combattaient cette culpabilité qui ne le quittait plus depuis des années. Et ce pourcentage clignotait en lui avec une puissance dévastatrice.
65%. 65%. 65%. 65%.
« Tu n'as tué personne, Drago. Tu as été bien meilleur que 65% des personnes l'auraient été dans ta situation. »
Drago n'empêcha pas un maigre sourire de s'étaler sur ses lèvres. Il ne savait pas vraiment quoi penser de l'information qu'elle lui donnait. Après tout, lorsqu'il avait reçu l'ordre de tuer Dumbledore, il était très proche de mener sa mission à bien. Rogue lui avait volé ça : la vérité sur sa vraie nature. S'il n'avait pas pris sa place, il aurait été soit un meurtrier, soit un lâche. Mais il aurait su.
Est-ce que cette expérience moldue remettait tout en cause ?
Le silence s'éternisa dans les crépitements du feu.
« Bon, il faut que tu y ailles, Astoria. »
Hochant la tête, elle se leva et il la suivit pour lui ouvrir la porte.
« Merci en tout cas... Merci pour tout. »
Drago tira la porte vers lui et l'air glacial de l'hiver s'engouffra à l'intérieur, le glaçant en comparaison à la chaleur du feu de cheminée. Astoria resta plantée face à lui, son bonnet recouvrant ses cheveux bruns, ses tâches de rousseur apparaissant alors que son fond de teint s'était estompé, et ses yeux vert brillant d'une flamme étrange.
C'était surement la dernière fois qu'il la voyait, se rendit-il compte avec une peine grandissante. Elle allait rentrer auprès de son époux, lui annoncer sa grossesse et poserait sans doute sa démission dès le lundi suivant. De toute manière, l'expertise chez Belby & Cie durait depuis bien trop longtemps.
Astoria se rapprocha de lui, sans doute pour l'enlacer, mais contre toute attente, elle posa ses lèvres sur les siennes dans un éclair. Puis le visage écarlate, elle se tourna vers la sortie.
Drago en resta bouche bée. Planté devant la porte ouverte alors que la chaleur s'échappait de son foyer.
Contrairement à l'idée que tout le monde se faisait de lui, Drago Malefoy n'avait jamais été à l'aise avec les femmes. Il n'avait jamais été à l'aise avec l'idée d'enchainer les conquêtes, il n'avait jamais vraiment su comment réagir face à leurs sautes d'humeur et leurs caprices, et de toute manière, on lui avait répété toute son enfance qu'il aurait un mariage arrangé et qu'il ne devait en aucun cas risquer d'engendrer un héritier hors de ces liens sous peine d'être déshérité et de jeter la honte sur la noble famille Malefoy. A Poudlard, il n'avait jamais vraiment cherché à séduire des femmes. Il était bien sorti pendant un an avec Pansy, mais pour l'un comme pour l'autre, il n'y avait ni sérieux, ni sentiment. Ils s'embrassaient, ils couchaient ensemble lorsque vraiment ils le voulaient. Mais Drago n'avait jamais cherché à aller plus loin. Et puis lorsque son père avait été enfermé à Azkaban, son estime de lui-même était si basse qu'il n'avait même pas songé à se trouver une petite amie.
Il regarda Astoria s'éloigner d'un pas pressant sur le chemin qui traversait son jardin. La belle Astoria. La belle et enflammée Astoria. Une femme que son père aurait détestée. Une femme bien trop indépendante et bien trop ambitieuse pour son rang. Et qui malgré l'étau du mariage arrangé refermé sur elle, continuait de se battre corps et âme pour défendre sa liberté et rester maitresse de sa vie.
La belle, l'enflammée, la courageuse Astoria. Et son caractère de harpie qu'il avait tant détesté à Poudlard.
« Astoria ! »
Il ne se posait même pas la question de savoir ce qu'il faisait. Il ne se posait même pas la question des conséquences de ses actes. Pour la première fois depuis de nombreuses années, Drago avait envie de construire et d'entretenir un lien humain. Et même si c'était avec la petite sœur insupportable de Daphné qui, finalement, était peut-être un peu plus que la camarade qu'il avait côtoyé à Poudlard, il n'avait aucune envie de se priver.
Drago franchit les quelques mètres qui le séparait d'Astoria, se fichant d'être pieds nus sur les dalles verglacées de son jardin. Elle eut à peine le temps de se retourner qu'il saisit sa taille et retrouva la douceur de ses lèvres.
Peut-être était-ce l'âge qui rendit l'exercice plus agréable. Peut-être était-ce l'aspect interdit de leur baiser. Peut-être était-ce l'affection qu'il s'était surpris de développer envers la jeune femme.
Il ne sut qu'en penser mais, qu'importe la raison, le résultat fut le même. Une chaleur l'envahit au milieu de ce froid glacial. Il resserra ses bras autour de sa taille si fine enroulée dans sa cape. Il sourit lorsque, dans un gémissement, Astoria glissa ses mains sur ses épaules dans un gémissement, puis dans ses cheveux et sur sa nuque. Puis plaqua sa poitrine contre son torse.
« Tu peux peut-être rentrer un peu plus tard, non ? Il n'est que dix-neuf heure...
- Dennis a sans doute oublié que je dinais chez Lisa ce soir...
- Voilà qui est dommage pour lui... »
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