Interlude
nda : pardon pour le retard T^T
nda bis : pour compenser, ce chapitre est genre, quatre fois plus long que d'habitude ;D
nda bis bis : il est donc du point de vue de taehyung, et même s'il n'est pas indispensable à la compréhension de la suite, je vous conseille fortement de le lire pour mieux comprendre les personnages ;)
nda bis bis bis : et sur ce... bonne lecture ! \(・◡・)/
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— Pourquoi tu as fait ça ?
— Hayoon, je...
— Ce n'était pas ce qu'on avait dit. Ce n'était pas ce qui était prévu !
Devant moi, Hayoon faisait les cent pas. Nous venions à peine de terminer l'interview et de quitter le plateau, et elle n'avait pas l'air pressée de partir ; elle s'agitait, sa main passant dans ses cheveux à intervalles réguliers, tandis que ses talons claquaient contre le parquet de notre petite loge.
Moi, j'étais incapable de répondre quoique ce soit. Mon cerveau semblait s'être pris dans la brume, et elle avait beau commencer à se dissiper, j'avais du mal à y voir clair.
Pourquoi j'avais fait ça ?
Je n'en avais aucune fichue idée.
— Qu'est-ce qui t'est passé par la tête, enfin ? Je ne comprends pas. On aurait pu refuser ! Prétexter de la pudeur ou je ne sais quoi, personne n'aurait rien trouvé à y redire. On était pas obligés de le faire !
Sans arrêter ses allers retours incessants, Hayoon insista :
— Mais qu'est-ce qui t'a pris ?
Je gardais le silence, assommé sous toutes ses questions. Et, peu à peu, je réalisais. La raison de son agitation. De son irritation. De mon propre inconfort qui grandissait. Je sortais lentement du rôle, et bientôt, il n'y eut plus la moindre brume ; je prenais alors pleinement conscience de ce que j'avais fait.
J'avais embrassé Hayoon en direct à la télévision.
Sous le regard d'une grande partie de la Corée.
Probablement sous le regard de Jungkook.
Le rôle n'excusait rien ; j'avais commis l'irréparable, et je ne pouvais plus remonter le temps.
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Chambre,
10 mois avant le présent.
Il paraît que c'est seulement lorsqu'on a perdu quelque chose que l'on se rend compte de son importance.
Moi, je n'y croyais pas.
Je savais très bien ce qui comptait pour moi, et je n'avais pas besoin de le perdre pour en être conscient : il y avait mon travail. Mon métier, pour lequel je m'étais battu, auquel j'avais donné toute mon énergie, à m'en froisser avec ma famille, et qui me donnait une raison de vivre. Il y avait Yoongi, qui m'accompagnait depuis ma jeunesse, qui avait été là quand j'étais au plus bas, qui partageait les instants où j'étais au plus haut, et avec qui je vivais mon rêve. Il y avait Yeontan, qui m'apportait une touche de douceur dont je ne pourrais plus me passer.
Il y avait Jungkook.
Celui avec qui j'avais décidé de construire ma vie. Celui pour lequel mon cœur battait un petit peu trop fort dans ma poitrine. Un rayon de soleil dans mon existence parfois un peu trop morne, qui était arrivé quatre ans plus tôt, et qui m'avait réconcilié avec l'amour.
Toutes ces choses là étaient importantes pour moi, et même sans les perdre, j'étais parfaitement conscient de la douleur que ça risquerait de m'apporter. J'avais besoin d'elles. Elles participaient chacune à leur manière à préserver l'équilibre de ma vie, et pour rien au monde je ne les aurais échangées contre quoique ce soit.
Alors cette théorie, je n'y croyais pas.
Là, allongé dans notre grand lit avec Jungkook qui dormait entre mes bras, je n'avais besoin de rien d'autre que sa vision pour comprendre combien il était important dans ma vie. Il n'y avait qu'à voir à quel point mes épaules s'allégeaient quand il était là, la manière dont mon cœur brûlait doucement dans ma poitrine en sa présence, et la façon dont mon corps se remplissait de douceur à sa vue.
J'aimais Jungkook. C'était un secret pour beaucoup, mais je l'aimais sincèrement.
Il avait été mon passé depuis quatre ans, il était mon présent, et il serait mon futur.
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Agence,
10 mois avant le présent.
— C'est qui, ce type avec qui t'es allé à Rome ?
— Hein ?
— Tu sais, le gars qui fait la une des couvertures people avec toi.
Je me crispai. La question n'était pas posée méchamment, ni avec le désir caché d'en savoir plus pour sortir des scoops ; c'était de la simple curiosité, mais la curiosité sur ce sujet me tendait. Surtout quand elle venait d'un ex-journaliste.
— Un ami, éludai-je.
— Et il s'appelle comment ?
Je haussai un sourcil en direction d'Hoseok.
— Je peux te le dire sans que tu le retrouves et que t'ailles le harceler pour qu'il te parle de moi ?
Hoseok éclata de rire. Il fit un signe de main comme pour envoyer valser l'idée, et répliqua :
— Évidemment. Voyons, Tae, je suis ton agent de presse, pas un de ces journalistes people qui tournent comme des vautours autour de la moindre information sur la vie privée des célébrités. Tu devrais le savoir, depuis le temps.
Je me détendis un peu devant son air sincère. C'est vrai, Hoseok n'était pas de ces gens là. C'était un chroniqueur – et agent de presse, du coup – qui travaillait régulièrement avec nous pour la promotion de nos films, et il n'avait jamais fait preuve d'indiscrétion ou sorti la moindre information qui ne relevait pas de l'aspect professionnel de notre vie.
Avec tous ces paparazzis qui me tournaient autour en ce moment, j'en oubliais presque que tous les journalistes n'étaient pas comme ça. Il fallait que je cesse de stresser autant.
— Excuse moi, lui souris-je d'un air embêté. C'est que je suis un peu sur les nerfs sur ce sujet, en ce moment.
— C'est normal.
Il haussa les épaules, reportant son attention sur son téléphone avant de conclure :
— Mais ne t'inquiète pas trop, les spéculations stupides comme quoi tu serais en couple avec ton ami n'ont aucune valeur. Ce n'est pas comme si vous vous rouliez des pelles. Personne n'y croit vraiment.
— Hm.
Pour l'instant, ne pus-je m'empêcher de penser. Le souci, c'était que Jungkook et moi, on n'était pas juste amis. Le souci, c'est que si, en effet, ça pourrait arriver qu'on nous prenne en photo à nous embrasser. À nous tenir par la main. À nous enlacer. Ça pourrait arriver, et cette seule perspective me tétanisait ; parce que je n'avais aucune idée des répercussions que ça pourrait avoir sur mon métier.
Plutôt, si, je savais que ça serait négatif. J'avais eu la mauvaise idée de me renseigner sur ce sujet quand l'idée d'être honnête m'avait effleuré l'esprit. La question était à quel point. Est-ce que ça détruirait totalement ma carrière, ou est-ce que ça la ferait juste ralentir, diminuer, et puis stagner ? Est-ce que j'avais suffisamment prouvé à mon public que j'en valais la peine ou est-ce qu'il me tournerait le dos sans ciller ? Je n'en savais rien. Et tout ça avait tendance à me bouffer l'esprit, ces derniers temps.
Mais je ne pouvais pas parler de mes angoisses, parce que ça reviendrait à avouer que j'étais en couple avec Jungkook.
Et encore moins à Hoseok.
Il restait tout de même un semi-journaliste, alors je préférais être prudent.
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Salon & Cuisine,
9 mois avant le présent.
La vie avec Jungkook avait l'avantage d'être confortable.
Mes horaires pouvant vachement varier d'un mois à l'autre selon si j'étais sur un tournage ou non, notre routine devait sans cesse s'en réadapter, mais nous avions tout de même nos petites habitudes qui persistaient tout le temps. Le matin, si l'un d'entre nous devait se lever pour partir bosser ou aller à la fac, il réveillait l'autre d'un simple baiser pour lui dire au revoir, puis repartait en le laissant dormir. Le soir, on mangeait quasiment invariablement posés dans le canapé devant un film x ou y, la nourriture fumant dans nos bols chauds. Et la nuit, on s'endormait dans les bras l'un de l'autre, bercés par nos respirations. Ça me plaisait. J'aimais ce quotidien qu'on avait construit, et qui m'apportait un réconfort certain.
Ce soir là n'échappait pas à la règle.
Jungkook venait de rentrer de la fac, et nous préparions les nouilles qui finiraient dans un bol puis sur nos genoux tandis qu'on larverait dans le canapé. Son torse contre mon dos, sa tête dans mon cou et ses bras autour de ma taille, il râlait depuis une bonne dizaine de minutes déjà :
— Ça me soûle, je comprends rien à leurs cours de merde... En plus, les partiels ils sont super tôt cette année, j'aurais jamais le temps de les bosser assez...
— Tu veux que je te fasse réviser ?
— Les commentaires de texte, ça se révise pas, maugréa-t-il.
Je levai doucement les yeux au ciel devant son ton défaitiste. Je tentai de me retourner pour lui faire face, mais ce ne fut pas chose aisée, vu la façon dont il se gluait à moi. Après quelques efforts, j'y parvins néanmoins.
— Kook.
Je pris son visage entre mes mains pour l'inciter à me regarder.
— Ça va le faire, ok ? Tu vas y arriver.
— Tu parles...
— Je suis sérieux. Il te reste encore un peu de temps, et j'ai confiance en toi. Tu es intelligent, doué, et tu vas gérer.
Un petit sourire prit place sur ses lèvres à mes mots, et il répliqua avec malice, appuyant doucement sa joue contre ma main :
— Quoi d'autre ?
Sa joie était contagieuse ; alors mes propres lèvres ne tardèrent pas à s'étirer à leur tour.
— Brillant, courageux, créatif, impressionnant.
— Continue, pouffa-t-il.
— Fort, magnifique, captivant, inspirant, talentueux, génial...
— C'est tout ?
— Et un tantinet narcissique, aussi, concluai-je en lui pinçant le nez.
Il rit, et quelques secondes plus tard, mes lèvres se déposèrent contre les siennes, épousant la forme de son sourire. Le mien fonctionna en miroir.
Devant le sourire de Jungkook, il était bien difficile de rester de marbre. Il avait la capacité étrange de rendre les problèmes insignifiants, et les soucis tout de suite bien moins graves. Si j'avais clairement abusé dans la quantité de qualités que j'avais énuméré, il n'en restait pas moins que j'en pensais les trois quarts, et je trouvais ça triste, qu'il ait si peu confiance en lui. Parfois, j'avais envie qu'il s'assume un peu plus. Qu'il trouve sa voie et qu'il y aille fièrement.
— Tae ? murmura-t-il contre mes lèvres après je ne sais combien de temps à s'embrasser.
— Hm ?
— Je crois que les nouilles sont trop cuites.
— Oh merde-
Les nouilles. Je le lâchai en vitesse, son rire résonnant à nouveau dans la pièce, et m'empressai de couper le feu sous la casserole d'eau bouillante. Je détestais les nouilles trop cuites. Jungkook me disait que j'étais psychorigide sur certaines choses – dont ça –, mais la vérité, c'était simplement que j'avais des bons goûts, moi. Tout le monde n'avait pas la capacité d'apprécier approximativement tout du moment que ça se mangeait comme lui.
Quelques minutes plus tard, nous étions comme chaque soir assis côte à côte dans mon grand canapé, sa tête sur mon épaule et ma main contre sa cuisse. Malgré les quelques rires que je lui avais arrachés tout à l'heure, je sentais bien qu'il n'avait pas trop le moral, et que cette histoire de fac lui pesait sur les épaules plus qu'il ne voulait bien le laisser paraître. Je n'aimais pas le voir comme ça. Jungkook était fait pour sourire, par pour se prendre la tête.
Alors, les yeux posés sur l'écran où se jouait un film que je ne regardais pas vraiment, tout en caressant délicatement du pouce la peau de sa cuisse, je cherchais un moyen de lui remonter le moral.
Quand le générique de fin défila sur l'écran, je lui proposai donc :
— Ça te dit, un week-end à Jeju un de ces quatre ?
— Juste nous deux ?
— Juste nous deux, confirmai-je.
Il me sourit. Et il hocha la tête, remplissant mon cœur d'allégresse par ce simple geste.
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Appartement de Yoongi,
9 mois avant le présent.
En ce moment, Yoongi planchait sur son prochain film.
Un drame intimiste, qui s'appellerait Come back to me, et dont l'histoire conterait la vie d'un père divorcé, et de son rapport avec sa fille dont il n'obtiendra pas la garde. C'était un scénario plutôt simple, comparé à ce qu'il avait l'habitude de proposer. Un pari peut être un peu audacieux. Mais j'avais confiance en ses idées et en sa manière de les réaliser, alors je ne doutais pas un seul instant de la réussite de ce projet. Mon ami avait l'impressionnante capacité à transformer une histoire moyenne en un film superbe en jouant sur la mise en scène et l'intention de jeu qu'il donnait à ses acteurs. J'étais déjà impatient de voir le résultat.
Et comme chaque fois qu'il élaborait le scénario et le story-board, je l'avais rejoint chez lui, pour qu'on en discute ensemble et que je puisse l'aider. Après tout, j'étais son acteur principal, alors mon avis était toujours bon à prendre, comme il disait. La vérité, c'était surtout que j'étais son ami, et que chacun des films que nous avions sortis jusqu'ici étaient des œuvres communes. Notre petite réalisation de notre rêve à nous. Il trouvait le scénario, et je l'aidais à affiner ses idées, à en combler les trous, et à préciser ses personnages. Tout simplement. C'était notre fonctionnement, et ça nous allait très bien.
Allongé au milieu des feuilles volantes – Yoongi avait une sainte horreur d'écrire sur ordinateur –, il fronça les sourcils, et lâcha en marquant quelque chose sur un papier :
— Si je demande à Hayoon de jouer le rôle de Sooha, ça te dérange ?
Je relevai la tête de la scène que j'étais en train de relire, confus.
— Hayoon ? Tu veux dire, Lee Hayoon ?
— T'en connais d'autres, des Hayoon actrices ?
Son ton ironique me fit lever les yeux au ciel, mais je n'y fis pas plus attention que ça, y étant totalement habitué. À la place, je pris quelques secondes pour réfléchir à sa question. Hayoon. Repenser à elle était étrange. Elle avait étudié avec Yoongi et moi dans la même école de cinéma, et elle avait été ma première relation sérieuse ; mais nous nous parlions peu, depuis quelques années. Pas que nous nous soyons quittés sur de mauvais termes, au contraire. Elle avait simplement fait son chemin et moi le mien.
S'il m'arrivait parfois de la voir jouer dans des séries ou des films, nos carrières ne s'étaient jamais croisées, car elle faisait plus de dramas, là où je me consacrais quasiment uniquement à des longs métrages. La question de Yoongi sortait donc un peu de nulle part.
J'essayais un instant de m'imaginer la revoir, elle qui avait partagé un petit fragment de ma vie. C'était étrange. Pas déplaisant, mais peut-être un peu gênant. Rien d'insurmontable en soit. Au fond, l'idée me mettait même un peu de baume au cœur.
Après tout, avant d'avoir été ma copine, c'était une amie.
— ... Non, répondis-je finalement. Ça ne me dérange pas.
— Tant mieux, parce que je l'aurais auditionnée quand même.
Un sourire amusé prit place sur mes lèvres.
— Ça valait le coup de poser la question, dis-moi.
— C'était histoire de te prévenir.
Yoongi haussa les épaules, puis avisa la feuille sur laquelle il essayait de lister tous les potentiels acteurs avec un air satisfait.
— Je pense qu'elle collera parfaitement au personnage. Bon, faut encore qu'elle dise oui, mais on verra bien. À essayer.
Ce fut à mon tour de hausser légèrement les épaules.
— Fais selon ton cœur, concluais-je.
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Dans un café privatisé,
8 mois avant le présent.
Hayoon avait accepté.
Aujourd'hui était le jour de la réunion de pré-tournage, et je ne pouvais m'empêcher d'être un peu nerveux. Ce n'était pas tant la revoir, qui me tendait ; j'étais simplement nerveux avant chaque début de projet. Parce que ça voulait dire devoir m'approprier un nouveau personnage.
Certaines personnes pensent qu'une fois qu'on sait jouer, c'est bon, on peut assurer n'importe quel rôle ; c'est complètement faux. Chaque nouveau personnage à incarner, c'est un départ à zéro. Il faut tout réapprendre. Changer son comportement. Changer sa vie. Son caractère. Incarner un personnage, pour l'incarner bien, n'est pas aussi simple que de se dire « je pleure » parce que le personnage est triste. Il faut comprendre pourquoi il est triste. Qu'est-ce que cette tristesse lui fait subir dans le corps. Et puis, une fois que tout ça est fait, il faut la ressentir. La vivre. Et là alors seulement, on est réellement vraisemblable, et on permet aux gens d'y croire. Chaque nouveau projet, donc, c'est un départ à zéro ; un risque de mal comprendre le personnage, de mal l'incarner, et de ne pas se montrer à la hauteur.
Ça, je ne pouvais pas me le permettre.
Je ne pouvais pas me permettre de rater.
De décevoir les critiques. Le public. J'avais toujours mis un point d'honneur à être le meilleur possible, et je comptais bien continuer. Je refusais de donner raison à ma mère, qui me répétait que ce n'était qu'un passe-temps d'amateur, et que de toute manière, moi, je n'avais pas la trempe des grands acteurs. Je refusais d'écouter mon père quand il me disait que ce n'était pas fait pour moi, et que je ferais mieux de laisser tomber, et de terminer mes études de médecine, comme tous le faisaient dans ma famille.
Ils se trompaient. Et je m'appliquais à le leur démontrer à chaque nouveau film. J'avais beau ne plus leur parler, je voulais qu'ils voient que j'avais réussi, moi. Qu'ils avaient eu tort.
Mon métier, c'était plus qu'une passion, plus qu'un moyen de revenus, ou même qu'une vocation : mon métier, c'était ma manière à moi de prouver au monde que j'existais.
Que j'en valais la peine.
J'avais trop longtemps enfoui mes propres envies, ma personnalité, et mon seul moyen de les faire exister, c'était de les vivre aux travers de tous ces personnages, de leur donner une contenance. Alors, il fallait que je fasse bien. C'était plus qu'important, c'était primordial.
Si je jouais mal et que je décevais le public, ce n'était pas simplement mon métier que je perdrais ; c'était tout ce qui me faisait exister depuis des années.
— Taehyung ?
Je sursautais furieusement, sortant de mes pensées pour relever la tête vers la nouvelle personne qui venait d'arriver. En la voyant, j'eus un petit instant de bug. Le temps que mon cerveau réalise.
Devant moi, Hayoon se tenait là, un petit sourire gêné aux lèvres.
Je lui rendis.
— Je t'ai sorti d'une grande réflexion, à ce que je vois, lâcha-t-elle d'un air embêté.
— Oh, non, non, t'inquiètes. J'étais surtout en train d'angoisser. Je ne t'avais pas vu arriver, excuse-moi.
Elle hocha la tête, et pointa la chaise à côté de moi.
— Je peux ?
— Bien sûr.
Ça faisait étrange, de l'avoir à nouveau à mes côtés après toutes ces années. Je ne savais pas trop comment réagir. Heureusement, Hayoon avait toujours été douée pour faire la discussion, alors ce fut elle qui reprit, en se tournant vers moi.
— Ça fait longtemps.
— Ouais, approuvai-je dans un petit rire nerveux. Très longtemps.
— Comment tu vas, depuis ?
Nous n'eûmes pas le temps de parler plus que Yoongi tapa dans ses mains pour attirer l'attention de tout le monde, et annonça qu'on était tous là, alors que la réunion pouvait débuter. J'adressai un sourire d'excuse à Hayoon pour lui faire comprendre qu'on discuterait plus tard, et elle me fit signe que ce n'était rien. Elle se concentra sur ce que racontait mon ami.
Ce fut seulement à la fin de la réunion qu'on put discuter un peu, rebriser la glace, et que la gêne entre nous s'évapora.
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Plateau de tournage,
7 mois avant le présent.
Lee Beomseok.
32 ans.
Au chômage.
Vis pour sa fille.
Avant de monter sous les caméras, c'était toujours le même rituel.
Je me répétais mentalement le nom du personnage que je devais jouer, qui devenait alors le mien, son âge, qui définissait alors les années d'expériences que j'avais de la vie, et son métier, qui devenait celui que je pratiquais. La dernière information était ce qui était important pour la scène précise que je m'apprêtais à réaliser ; avec ces quatre éléments, Kim Taehyung disparaissait, et laissait place à une tout autre personne.
Bien sûr, chaque personnage était bien plus complexe. Il fallait connaître sa vie, ses nuances, ses peurs et ses motivations, ses traumatismes comme ses aspirations ; mais j'avais passé tellement de temps à étudier les fiches que m'avait données Yoongi que c'était déjà devenu presque comme une seconde peau.
Il suffisait de s'y replonger dedans.
— Moteur !
Face à moi, Hayoon n'était plus Hayoon non plus, mais Sooha, ma collègue et amie à qui je m'apprêtais à révéler que le tribunal avait donné la garde de ma fille à mon ex-femme, et que je ne verrais plus qu'affreusement peu souvent mon enfant, que je chérissais pourtant de tout mon cœur.
— Ça tourne.
Rien qu'y penser me nouait la gorge, m'affaissait les épaules, et me comprimait la poitrine. Bientôt, la douleur serait si forte que Sooha me prendrait dans ses bras, pour apaiser un peu la peine qui brûlait en moi. Ça ne marcherait pas.
— Action !
Et je me mettrais en tête l'idée totalement folle d'aller récupérer ma fille et de partir avec elle, quand bien même je n'en avais nullement le droit.
Kim Taehyung n'était plus là ; il avait cédé sa place à Beomseok.
Ce ne fut que le soir, alors que le soleil commençait à décliner à l'horizon, qu'il rendit enfin son corps à son occupant. C'était la partie que je trouvais toujours la plus compliquée ; cet instant brumeux, où il fallait laisser partir la personne et toutes les émotions qu'on avait ressenties en vivant dans sa peau durant toute la journée, parce que c'était fini, et que ce n'était pas à nous. Souvent, chez moi, ça prenait un peu de temps.
Après une scène triste, mon cœur restait serré de longues minutes encore, jusqu'à ce qu'il ne finisse enfin par comprendre que le drame n'avait pas eu lieu dans ma vie. Après une scène joyeuse, le bonheur me suivait jusqu'à ce que mes problèmes ne se rappellent à moi. Pareil pour n'importe quelle émotion à laquelle je me prenais.
Il n'y avait que Jungkook qui avait le pouvoir de faire taire immédiatement toutes ces traces de sentiments qui ne m'appartenaient pas et de m'ancrer dans la réalité. Je rentrais chez moi, je le voyais, et je redevenais instantanément Kim Taehyung ; l'homme qu'il aimait, et qui aimait Jungkook en retour. C'est pour cette raison que généralement, je préférais ne pas trop tarder à la fin d'un tournage ; surtout lorsque que celui-ci me forçait à incarner un rôle qui faisait écho à certains de mes propres regrets.
Mais ce soir, à en juger par l'enthousiasme de mon ami, les choses risquaient d'être différentes.
— C'était super ! s'exclama-t-il. Je suis fier de vous, les gars, sincèrement.
Yoongi était content de la journée de tournage. Ça faisait plaisir, de le voir aussi léger, aussi inconséquent, avec un air satisfait sur le visage. Ces derniers temps, entre la naissance de Eunha et la pression de ce nouveau film, il semblait souvent sur les nerfs. Son allégresse de ce soir était un cadeau pour tous les membres de l'équipe.
— Pour fêter ça, je vous offre un verre. C'est ma tournée !
Un « ouais ! » général retentit, et je m'efforçais de mettre de côté les restes des émotions négatives de Beomseok qui flottaient en moi. Mon regard s'accrocha à celui d'Hayoon, qui semblait rayonnante, elle. Elle eut un sourire amusé en voyant ma drôle d'expression.
— T'as toujours pas appris à faire la dissociation, depuis le temps ? me taquina-t-elle en me donnant un petit coup de coude amical dans les côtes.
— Si, mentis-je.
Je savais pertinemment que ça ne servait à rien : Hayoon connaissait très bien ma façon de fonctionner. J'avais la même depuis qu'on s'était rencontrés lorsqu'on avait commencé à étudier ensemble, et elle avait appris à déchiffrer la moindre de mes mimiques et de mes expressions ; il était donc évident qu'elle n'avait aucun doute quant à l'origine des traces de tristesse qui entachaient mon sourire.
Comme elle savait que ce n'était pas ma propre tristesse, elle s'autorisa à en rire, et le son de sa taquinerie m'apaisa un peu le cœur.
— T'es pas croyable, Taehyung, pouffa-t-elle. Il faut vraiment que t'arrêtes d'autant t'investir émotionnellement dans ton jeu.
— C'est que comme ça que j'y arrive, rétorquai-je.
— Mh. Et c'est peut-être ce qui fait de toi un des meilleurs acteurs de la génération, dans le fond.
Sur ces mots, elle m'adressa un petit clin d'œil, puis partit rejoindre le groupe qui était déjà en train de débattre sur quel bar accueillerait notre troupe. Je la regardais, sans pouvoir retenir un sourire. Elle m'avait manqué. Sa légèreté et son positivisme étaient relaxants, et je crois que j'en avais besoin, dans cette période un peu tendue que je traversais.
La tristesse de Beomseok éloignée, je sortis mon téléphone, et envoyais un SMS à Jungkook pour le prévenir que je rentrerai plus tard ce soir, et qu'il n'était pas obligé de m'attendre pour manger.
Il le fit quand même, et après avoir passé une super soirée à profiter de mon ami de bonne humeur, des blagues de mes collègues et du rire de Hayoon, je retrouvais ses bras avec bonheur. Je me dis que j'avais tout de même de la chance, et que comparé à celle de tous les personnages que j'avais un jour été, ma vie était formidable.
En tout cas, elle était telle qu'elle était ; et elle me plaisait.
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Rues de Séoul,
7 mois avant le présent.
— Nooon ?
— Je te jure. Et après, il est venu se plaindre parce qu'il pensait que c'était du japonais.
Je lâchai un rire franc, et Hayoon le rejoignit bien vite à sa propre histoire. Il était tard ; et nous avions décidé de passer un peu de temps ensemble après le tournage. La nuit avait beau être tombée depuis un long moment et l'air avait beau être trop frais pour la modeste veste que je portais, je ne m'en préoccupais pas, préférant écouter mon amie me compter les mésaventures qu'elle avait vécues pendant que nous nous étions perdus de vue. Là, elle venait de raconter une histoire lunaire avec un réalisateur européen qui avait tourné avec elle en pensant durant des mois qu'elle était japonaise. Si ça n'avait pas été aussi improbable et qu'Hayoon n'en riait pas, j'aurais presque crié au racisme. En attendant, la situation était tellement improbable que c'en était plutôt amusant.
Hayoon me partagea d'autres anecdotes. Parfois sur son boulot, parfois sur sa vie privée. Je lui racontais également certaines de mes mésaventures, et ça me fit un bien fou. Avec elle, en rire était si simple. Le grave devenait léger et les sentiments négatifs laissaient place aux rires. C'était agréable. C'était détendant.
Finalement, notre marche nocturne nous amena jusque sur un pont, et on s'arrêta en plein milieu pour regarder Séoul qui s'étendait de part et d'autres du fleuve Han. Les yeux rivés vers les eaux plus bas, ce fut elle qui reprit la parole en premier :
— ... Ça me fait peur, l'eau, la nuit.
— L'eau ?
— Ouais. Elle devient toute noire, et on voit rien de ce qu'il y a dedans.
Elle m'adressa un regard taquin et rajouta :
— Genre, il pourrait, je sais pas, y avoir un terrible monstre marin enfermé là depuis des millénaires ?
— T'es bête, ris-je.
C'était une partie du scénario du dernier film dans lequel j'avais joué, où j'incarnais un plongeur qui trouvait des choses étranges au fond de l'océan. De l'océan, vous noterez. Pas du fleuve Han. L'idée me fit doucement sourire.
Une brise fraîche vint me faire frissonner, et je tournai la tête vers elle, qui me regardait déjà. Sa franche trop longue lui allait dans le visage avec ce vent, et je ne pus m'empêcher de pouffer tendrement en me remémorant toutes les fois où, à l'époque où nous étions ensemble, elle m'avait répété que « c'était fini, plus jamais elle ne ferait de frange parce que marre d'avoir les cheveux dans la figure », alors qu'elle craquait à chaque fois. Elle n'avait pas changé là-dessus, vraisemblablement.
Par automatisme, j'attrapai doucement une de ses mèches, que je glissai derrière son oreille. Elle me sourit timidement en guise de remerciement, mais ne rajouta rien.
Pendant un moment, ni moi ni elle ne parlions. Il n'y avait que le vent. Le silence relatif de la ville, qui malgré la nuit tardive ne dormait jamais totalement. Le bruissement paresseux de l'eau sous nous. Les rougeurs sur ses joues.
Et puis, finalement, avant que je n'aie pu vraiment réaliser ce qui allait se passer, elle murmura timidement :
— Tu sais, Tae...
Son regard, un peu fuyant, trouva place dans le mien.
— Je suis vraiment contente de te revoir. Tu m'avais manqué.
J'avais envie de lui dire qu'elle aussi, elle m'avait manqué, et que ça faisait plaisir de la redécouvrir. Mais je n'en eus pas le temps que, pudiquement, sa main prit place sur ma joue, en même temps qu'elle se rapprochait de moi. Je n'eus pas le temps de comprendre ce qui se passait qu'elle était déjà hissée sur la pointe des pieds, à quelques centimètres à peine de moi.
Ses lèvres contre les miennes.
Je restais figé un instant, la tête comme vide. Incertain de ce qui était en train de se passer. Je pensais à Hayoon. À ces baisers que nous avions déjà partagés. Je pensais à Jungkook. Et puis, le contact monta finalement à mon cerveau, et je la repoussais vivement.
— Non, lâchai-je rapidement. Non, non, on ne peut pas.
Son regard sur moi se fit blessé, mais je m'en préoccupais à peine en enchaînant, passant une main nerveuse dans mes cheveux :
— J'ai déjà quelqu'un. Et je l'aime. Je suis désolé si tu as mal compris mes gestes, mais tu es une amie, et-
— Tu as déjà quelqu'un ?
Sa petite voix me sortit de mes pensées, et je la regardais enfin. Voir sa mine triste et gênée me serra le cœur, et je déglutis difficilement lorsqu'elle rajouta :
— Quand je t'avais posé la question, tu m'avais dit que tu étais célibataire...
Évidemment.
C'est ce que je disais à tout le monde. C'est le mensonge que je ne cessais de prononcer, pour ne surtout pas qu'on découvre que j'étais en réalité en couple avec un homme, et il sortait tellement naturellement que même face à Hayoon, qui était pourtant une personne de confiance, je l'avais utilisé.
Devant son regard confus et blessé, maintenant, je me sentais affreusement con.
Je l'avais laissée espérer. Je l'avais laissée se faire des idées. Je l'avais laissée interpréter mes gestes comme quelque chose qu'ils n'étaient pas, et en repensant à la manière dont j'avais glissé une de ses mèches de cheveux derrière son oreille quelques minutes plus tôt, j'eus envie de me tarter.
— Je...
Je déglutis, et me passais une main gênée dans la nuque. Les prochains mots risquaient d'être compliqués à sortir, mais elle avait le droit de savoir ; je voulais qu'elle sache que ce n'était pas possible, entre nous, parce que j'en aimais déjà un autre.
— C'était un mensonge, soufflai-je finalement. Excuse-moi.
Je vis à ses yeux qu'elle était confuse, alors je rajoutai :
— Je suis en couple avec un homme. Il s'appelle Jungkook. Et je l'aime.
Le dire à voix haute me fit tout bizarre. Fugacement, je me demandais quand était-ce la dernière fois que j'avais prononcé ces mots, pour que la vérité en vienne à sonner plus étrange qu'un mensonge. Et pourtant, j'étais soulagé. Incroyablement soulagé. Un poids que je n'avais même pas conscience de sentir peser aussi fort sur ma poitrine s'évapora au même moment où ces mots franchirent la barrière de mes lèvres, et je me sentis enfin respirer.
J'aimais Jungkook, oui. Et j'avais le droit de le dire.
Il sembla néanmoins rapidement que mon soulagement n'avait pas grand-chose à faire là : elle, ça ne devait pas lui faire plaisir. Pas du tout. Elle baissa la tête, et regarda ses pieds avant de murmurer simplement du bout des lèvres :
— Oh... Excuse-moi...
La culpabilité ne me loupa pas, et devant son visage habituellement si jovial cette fois-ci triste, je me sentis à nouveau con. Très con.
— C'est moi qui m'excuse, corrigeai-je rapidement. Je... J'aurais dû t'en parler plus tôt, mais je n'osais pas, parce que...
— C'est un homme ?
Ma gorge se noua. Pour toute réponse, j'hochai lentement la tête.
Hayoon m'adressa alors un sourire doux à travers sa peine, et lâcha un petit rire qui n'en était pas vraiment un :
— Allons, Tae, souffla-t-elle d'un ton faussement léger, comme elle le faisait tout le temps quand elle essayait de se remonter le moral. Tu sais bien que je ne suis pas le moins du monde homophobe, quand même. Tu n'avais pas à avoir honte.
— Il ne s'agissait pas de toi...
— Et bien quoi, alors ?
— J'ai peur que les médias le découvrent...
Elle se tut un instant, durant lequel je retins ma respiration. L'espace d'une micro-seconde, je me mis à envisager les pires scénarios, et à regretter de m'être confié. Et si, jalouse, elle décidait d'aller tout raconter à un journaliste ? Et si elle ne gardait pas le secret et allait en parler à d'autres gens ? Et si...
Et puis, je me raisonnais. Si Hayoon me connaissait bien, je la connaissais également parfaitement. Ce n'était pas son genre. Vraiment pas. Son genre, c'était de sourire pour camoufler sa peine, et de se préoccuper des autres avant elle. Jamais elle ne ferait une telle chose.
À la place, elle sourit finalement, et répondit simplement :
— Je comprends.
Le vent envoya une nouvelle mèche de cheveux rouler sur son front. Je ne la rabattis pas cette fois-ci.
— Je n'aurais pas dû t'embrasser comme ça, lâcha-t-elle. On oublie, ok ?
Oublier, je ne demandais que ça. Mais je n'étais pas assez égoïste pour ne pas penser à elle.
— Mais...
— Je ne suis pas amoureuse de toi, me coupa-t-elle rapidement. Enfin, pour être honnête, je commençais à ressentir de nouveau des sentiments, mais ce n'était que le début, ok ? Je suis contente de savoir dès maintenant que ce n'est pas possible. Merci de me l'avoir dit.
Je n'étais pas dupe, et je voyais bien la peine dans ses yeux. Je savais cependant qu'elle ne voulait pas la montrer, alors je respectais sa volonté, et ne renchérit rien. Je la laissais continuer.
— On peut... Rester amis ?
— Évidemment.
Elle hocha la tête pour elle-même, son faux sourire aux lèvres.
— Amis. Parfait.
Et puis, elle termina de faire passer sa douleur au second plan lorsqu'elle me demanda, l'air en apparence léger, et un petit clin d'œil taquin accompagnant ses mots :
— Alors, Jungkook, hein ? Tu me racontes ?
________________________
Agence,
6 mois avant le présent.
— C'est une blague ? demandai-je d'une voix blanche.
— Je suis désolé, Taehyung. Si j'avais su à l'avance, j'aurais pu essayer de faire quelque chose, mais je viens de le découvrir.
Dans mes mains crispées, se trouvait un article de journal que je froissais totalement à force de le serrer comme si la force de ma volonté suffirait à le faire disparaître. Ça ne fonctionnait pas ; et il était toujours là. J'aurais beau le déchirer, le brûler ou le plonger dans de l'eau bouillante jusqu'à ce que toute l'encre disparaisse, ça n'effacerait pas son existence, dont des centaines de gens devaient déjà être au courant. Des sueurs froides me remontèrent le long du dos.
— Qui a pris cette photo ?
— Un certain Song Jaehyun. Je ne le connais pas, mais-
— Je vais lui foutre un procès au cul, à ce crevard !
J'explosai, me relevant de ma chaise pour faire les cents pas parce que rester assis alors que l'intégralité des médias people devaient s'incendier sur moi me paraissait tout simplement insurmontable. Jungkook et moi nous étions rendus à Jeju comme prévu, et notre voyage s'était formidablement bien passé ; jusqu'à aujourd'hui, ça avait été une superbe idée. Désormais, une petite série de photos de nous deux nous tenant la main en rentrant dans une chambre d'hôtel, je n'en étais plus si sûr.
Quand ? Comment ? Pourquoi maintenant ?
Et ce putain d'article qui accompagnait les clichés en clamant haut et fort qu'il s'agissait de la preuve de mon homosexualité, qui était l'enflure qui l'avait écrit ?
— Taehyung, calme toi, tenta de tempérer Hoseok en se relevant à son tour.
— Me calmer ?! Comment veux-tu que je reste calme quand je sais que des connards sont allés fouiller dans ma vie privée pour la balancer à la Corée entière ?!
— Je sais.
Il m'adressa un regard compréhensif, et répéta « je sais » d'un ton plus calme en accrochant mon regard, comme s'il voulait que je me calque sur son attitude plus posée. Ça ne marcha qu'à moitié ; ma colère partit, mais pour laisser place à une angoisse dévorante.
— Je te demande juste de réfléchir posément à ce que tu vas faire. De notre côté, on va essayer de limiter la propagation des photos, affirma Hoseok, et je manquai de lâcher un rire jaune en sachant bien qu'il était déjà trop tard. Toi, si tu veux lancer un procès en diffamation, il faut que tu y réfléchisses sérieusement avant. Attends peut-être de voir le réel impact de ces photos sur l'opinion publique.
Je me laissais tomber à nouveau sur ma chaise, la tête tournant en réalisant la situation.
— Si ça se trouve, enchaîna Hoseok, ils n'y croiront pas. Ce n'est pas comme si toi et ton ami vous vous embrassiez sur cette photo. De plus, lancer un tel procès risque d'être très long et très coûteux, autant en énergie qu'en argent. Et l'homosexualité n'est pas un crime. Il faut que tu sois sûr de toi avant toute chose. Est-ce que tu es certain que ça en vaut la peine ?
J'en avais le vertige. Un procès en diffamation. C'était une connerie ; ils mèneraient l'enquête, ils verraient que je suis bel et bien en couple avec Jungkook, et je le perdrais. Ils avaient raison, dans leur putain d'article. Ils ne mentaient pas ; ce n'était pas de la diffamation, juste une absence profonde de respect pour ma vie privé.
J'adossais ma tête contre ma main, avec l'affreuse impression qu'à force de tourner de la sorte, j'allais m'effondrer. Hoseok dû comprendre à mon visage que ça n'allait pas. Vraiment pas.
Il soupira, puis se posa à côté de moi pour appuyer doucement sur mon genou, dans une pression réconfortante.
— Écoute, Taehyung. Ça va bien se passer, ok ? Je suis ton agent de presse et gérer ce genre de situations, c'est aussi mon métier. Donc ne te prends pas trop la tête. En plus, rien ne dit que ton public te tournera le dos même s'ils croient à cet article : tu n'as fait de mal à personne.
— Kang Junhee n'avait fait de mal à personne non plus, et pourtant on ne le voit plus nulle part, soufflai-je d'une voix blanche.
C'était un acteur, comme moi. Prometteur, comme moi. Amoureux d'un homme, comme moi. La seule chose qui nous différenciait vraiment, c'était son courage ; lui avait osé l'avouer au grand public. Depuis, il n'avait plus que des contrats pour des petits films ou séries peu connues, et son nom commençait déjà à sombrer dans l'oubli. L'idée qu'il m'arrive la même chose me paraissait insupportable.
— Tu n'es pas Kang Junhee, répliqua Hoseok, mais je l'entendais à peine. Tu es bien plus connu que lui à l'époque de son coming out. Et puis...
Il marqua un silence, durant lequel ses yeux se perdirent sur mon visage, parcourant le moindre de ses recoins, de ses traits, de mon expression. Finalement, il ne termina pas sa phrase, et posa à la place une simple question qui me fit me raidir :
— Dis moi, Taehyung, cet ami, est-ce que c'est vraiment juste un ami ?
Je redressai vivement la tête, posant mon regard dans le sien.
— Pardon ?
— Est-ce que tu es en couple avec lui ? insista Hoseok. Il n'y a aucun soucis si c'est le cas, mais pour pouvoir t'aider et faire mon boulot correctement, j'ai besoin de savoir. Tu comprends ?
Je le regardais un instant sans rien oser répondre, déglutissant difficilement. Mon cœur battait trop vite sous le coup de l'angoisse, et j'étais incapable de savoir quoi répondre. Hoseok était gentil, oui. Mais et si... On ne savait jamais. Yoongi était au courant, et si je ne le connaissais pas depuis mon enfance et que je n'avais pas une confiance aveugle en lui, ce serait déjà trop.
Alors, lorsqu'il me reposa la question devant mon absence de réponse, je finis par murmurer dans un souffle, le cœur au bord des lèvres :
— ... Non. Jungkook est juste un ami.
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Café,
6 mois avant le présent.
Les jours qui suivirent après ça furent franchement désagréables.
Ça n'avait pas loupé, et depuis la sortie de ces photos dans les médias, j'étais accablé de questions, de journalistes trop curieux, d'interviewers un peu trop indiscrets, et jamais je ne m'étais senti aussi scruté de toute ma vie. Mon moindre geste et mes moindres mots étaient décortiqués et analysés dans tous les sens, c'était épuisant.
Non seulement je demeurais dans une angoisse constante à regarder l'opinion publique décortiquer ma vie et décider ce qu'ils allaient en faire, mais en plus, Jungkook avait été sincèrement affecté par cette nouvelle intrusion médiatique dans notre couple.
Il tentait de ne pas le montrer, mais je le voyais bien. Son sourire était moins rayonnant. Ses mots tendres, plus forcés. Sa silhouette plus tendue. J'aurais aimé être là pour lui, lui murmurer des phrases rassurantes pour l'aider à passer outre, et lui affirmer que ça allait bien se passer ; mais j'étais trop perdu dans mes propres peurs et ma colère pour faire ne serait-ce qu'une seule de ses options.
Au contraire, j'étais désagréable, facilement irritable, et je n'arrivais même pas à le soutenir comme je le voulais dans sa recherche d'emploi, dans laquelle il s'était lancé quelques semaines plus tôt.
Je m'en voulais.
Je m'en voulais, mais je continuais à agir comme un con, alors ça n'arrangeait rien.
J'étais juste rentré dans un désagréable cercle vicieux où je pourrissais l'ambiance un soir sur deux, puis où je me pourrissais le cerveau tout seul à regretter et à m'insulter de con. Jungkook n'avait clairement pas besoin de ça et je me détestais de lui imposer mon mal-être. Mais je n'y arrivais pas, c'était plus fort que moi ; j'avais beau essayer, l'aigreur sortait avant la tendresse, la colère avant la douceur, et tirer la gueule était tellement plus simple que de sourire. C'était stupide, quand j'y repense : j'avais beau être un acteur salué et reconnu, j'étais incapable de jouer suffisamment bien la comédie chez moi pour ne pas pourrir l'ambiance.
Alors, pour moins imposer mon humeur désastreuse à Jungkook, je commençais à sortir régulièrement le soir avec l'équipe de tournage. Le temps que ça passe, et que ça se tasse. Que je sois de nouveau capable de sourire et de garder mes angoisses pour moi. Je commençais à rentrer tard le soir, prétextant que le tournage terminait plus tard en ce moment.
Mais la situation ne pouvait plus durer.
Ça n'allait pas à Jungkook, qui commençait à se sentir seul, et qui ne comprenait pas pourquoi je rentrais de plus en plus tard.
Ça ne m'allait pas à moi non plus, parce que Jungkook me manquait, et que je n'arrivais plus à profiter de nos moments ensemble.
Il fallait que ça cesse.
Alors, je me creusais les méninges. Je réfléchis à m'en faire mal à la tête, allant jusqu'à songer à payer des médias pour qu'ils cessent de publier je ne sais quoi sur ma vie privée, ou pour qu'ils postent au contraire des articles qui démentiraient leurs précédentes spéculations.
Et puis, enfin, une idée me vint. Un énième soir où j'étais sorti avec l'équipe après le tournage au lieu de rentrer directement chez moi, j'allais voir Hayoon, et lui demandai discrètement :
— On peut parler ? En privé.
Elle m'adressa un regard confus, mais hocha la tête, et on se posa dans un petit café non loin du bar où nos collègues buvaient deux trois verres. Je me sentais mal pour ce que je m'apprêtais à lui dire, mais je ne voyais pas d'autres solutions, et si je vivais une semaine de plus de la même manière, j'allais vraiment finir par faire une crise de nerfs. J'ignorais donc ma culpabilité, et commençai, gêné :
— J'ai besoin de toi.
— De moi ?
Hayoon pencha la tête sur le côté, interrogative.
— Pour quoi faire ?
Je m'humectai nerveusement les lèvres. Sous la table, ma jambe tremblait sans que je parvienne à l'en empêcher, et je détestais cette réaction angoissée de mon corps ; habituellement, j'étais dans le contrôle. Contrôler assez pour pouvoir faire apparaître les émotions quand je le voulais, c'était ça, mon métier. Ce soir, et après ce mois éprouvant que je venais de vivre, je n'y parvenais plus.
Redoutant sa réaction, les épaules crispées et le dos droit, j'osai finalement lancer :
— Comme tu le sais, je suis en couple avec Jungkook...
— Oui, tu me l'as dit.
— Et les médias spéculent beaucoup sur nous en ce moment...
— J'ai vu ça.
J'avais l'affreuse impression de lui remuer le couteau dans la plaie. Quelle piètre ami je faisais. Je me demandais comment elle faisait pour rester si tranquille, et pour continuer à m'évaluer avec ce regard calme qui m'incitait à continuer comme si de rien était, alors même qu'un mois plus tôt, elle m'avait avoué recommencer à avoir des sentiments pour moi.
La suite ne voulut pas sortir, et là, face à elle, je me dis qu'il valait mieux que je renonce. Ce que je m'apprêtais à lui demander ne se faisait vraiment pas, et je ne pouvais pas lui faire ça. Elle était mon amie, malgré tout. Je refusais de la faire souffrir ainsi.
Mais face à mon absence de réponse et au soupir épuisé qui m'échappa, ce fut elle qui insista :
— De quoi est-ce que tu voulais me parler ?
Je ne répondis pas tout de suite, incapable de rajouter quoique ce soit.
— Tae, soupira-t-elle, dis-moi. Tu n'es clairement pas dans ton assiette en ce moment et je n'aime pas te voir comme ça.
Comme je ne rajoutais rien, le regard piteusement dirigé sur mes doigts que je mêlais et entremêlai à répétition, elle rajouta :
— Tu peux me parler, tu sais ? Je suis ton amie.
Et peut-être qu'au fond, elle avait déjà compris. Peut-être qu'elle avait déjà accepté. Quand je finis par lui avouer honteusement que j'aimerais qu'on simule un faux couple ensemble pour que les médias nous fichent la paix avec Jungkook, elle se contenta d'un sourire qui sonna un peu triste, et de hocher la tête en disant que ça pouvait être une bonne idée.
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Appartement,
6 mois avant le présent.
Jungkook n'avait pas apprécié.
Trop heureux d'avoir trouvé une solution, je n'avais pas pensé au fait qu'il puisse le prendre mal. Et le fait est qu'il l'avait pris vraiment mal. On s'était disputés à notre anniversaire de couple, tout ça parce que je n'avais pas trouvé de moment plus intelligent pour lui proposer mon idée.
Quand j'y repensais, c'était pourtant évident qu'il n'allait pas sauter de joie et que ça n'allait pas lui faire plaisir. On se voyait moins, et alors qu'enfin on avait prévu une soirée ensemble dédiée à notre amour, je lui sortais que je voulais me pavaner aux bras d'une autre. Je ne sais même pas comment l'idée que ça ne lui plaise pas ne m'avait pas effleuré l'esprit.
Mais, finalement, il avait fini par accepter.
Il avait réfléchi, et il avait compris où je voulais en venir, et que ce n'était pas contre lui, au contraire ; je lui en étais reconnaissant. Depuis que Hayoon et moi avions annoncé être en couple, tout le monde semblait avoir oublié que quelques jours plus tôt à peine, j'étais quasiment dans un scandale gay, et c'était tant mieux. J'avais l'impression de pouvoir enfin respirer.
Malheureusement, ça n'avait pas vraiment l'air d'être le cas de Jungkook : mon copain n'avait pas la forme, ces derniers temps. Il avait raté son année, et il préférait partir défaitiste plutôt que d'essayer de la valider aux rattrapages – ce qui nous valait des désaccords à chaque fois qu'on mettait le sujet sur le tapis, car j'étais intimement persuadé que cela n'était ni bon pour son avenir, ni pour son moral –, il n'arrivait pas à trouver un métier, et globalement, pas mal de choses semblaient lui peser dessus.
Aussi, lorsqu'il me confia qu'il se sentait seul, je négociais pendant trois heures avec Yoongi pour qu'il m'accorde un week-end durant lequel je pourrais passer du temps avec Jungkook. Je me sentais un peu coupable, à vrai dire. Avec cette fâcheuse habitude que j'avais prise de rentrer plus tard le soir, d'abord pour le protéger de ma mauvaise humeur, ensuite parce que c'était devenu naturel, j'avais l'impression de l'avoir un peu délaissé.
Il allait falloir que j'y remédie.
Lui assis en tailleur à même le sol avec ses photographies imprimées devant lui – il s'était mis en tête de refaire son portefolio –, moi assis sur une des chaises hautes de notre appartement, je l'observais tendrement tandis qu'au-dehors, la nuit était totalement tombée.
— Busan ? suggérai-je.
— Bof.
— Incheon ?
— T'as vu la météo, là-bas ?
— Quoi ? T'as pas envie d'aller crapahuter sous la pluie ?
Il pouffa, et redressa enfin la tête de ce qu'il était en train de faire. Nous étions en train de chercher où aller passer notre week-end en amoureux, et il n'aidait clairement pas, à refuser chacune de mes propositions. Il faut dire qu'on s'était mis d'accord pour rester en Corée, et que ce n'était clairement pas le pays le plus grand du monde. Et puis, les lieux touristiques sympas tels que Jeju, ce n'était même pas la peine d'y penser. La simple mention de cette île avait le don de ramener à moi mon aigreur vis-à-vis des médias.
Devant son regard un peu espiègle, j'haussai simplement un sourcil.
— « Crapahuter » ? Sérieusement ? se moqua-t-il.
— T'as un problème avec ce mot ?
— Non. Il est marrant. C'est juste un mot de vieux.
Il me tira la langue puérilement, et je levai les yeux au ciel.
— Dis celui qui traite de « gredin » un de ses amis.
— C'est pas pareil. Minhyunk est vieux, alors je m'adapte à son langage, voilà tout.
— T'es bête.
Il m'adressa un clin d'œil, puis répliqua :
— Mais jeune et pimpant.
Là-dessus, je ne pouvais pas trop le contredire. Trop jeune, même, parfois. Si au début de notre relation je n'avais pas prêté plus d'importance que ça à notre écart d'âge, me contentant de savourer la fraîcheur de son comportement, maintenant que nous vivions ensemble, c'était un peu différent. Jungkook pouvait être très immature, quand il le voulait. Quand il ne le voulait pas aussi, et c'était bien là le problème : il continuait à se comporter comme un adolescent sur bien des sujets, et c'était parfois un peu épuisant de sentir que je ne pouvais pas compter sur lui pour certaines choses.
Par exemple, bonne chance pour lui faire toucher le moindre document administratif. Il s'était trop habitué à ce que ce soit son père qu'il le fasse, et même pour sa fac, c'était moi qui avait dû m'y coller, parce qu'il « avait peur de faire une bêtise. » Alors lui demander de m'aider avec le loyer ou les impôts, ce n'était même pas la peine d'y penser. Pour lui, ça, c'était des trucs d'adultes ; il serait temps qu'il réalise qu'il en était un également.
Ce n'était pas bien grave, bien sûr, mais c'était tout de même parfois un peu contraignant.
Moi, plus le temps passait, et plus j'avais besoin de me projeter concrètement dans la vie qui nous attendait. Lui, il continuait de s'accrocher à ses rêves irréalistes de gosse, sans prendre en compte les réalités avec lesquelles il fallait composer.
Enfin.
Ça n'allait pas m'empêcher de l'aimer.
— Approche, lui lançai-je alors.
Son regard sur moi se fit curieux, et il se releva, décroisant ses jambes que j'aimais tant et qui me rendaient fou, avant de venir se poster juste en face de ma chaise haute. Je lus dans ses yeux qu'il s'attendait à ce que je l'embrasse. Mais, bien que ce n'était pas l'envie qui manquait, je lui plantai à la place une pichenette sur le front.
— Aie ! protesta-t-il.
— Ça t'apprendra à dire que je suis vieux.
— J'ai pas dit que t'étais vieux, j'ai dit que ton mot l'était.
— C'est cela, oui.
Il se frotta le front, faisant la moue. Ça m'arracha un sourire tendre et je tentai à nouveau, en prenant sa main :
— Gyeongju ?
— J'y suis déjà allé avec ma mère quand j'étais petit.
— Bon. Et toi, t'as des idées ?
Il hésita. Je le vis à la façon dont il mordilla discrètement l'intérieur de sa joue, à la manière dont son regard me fuit quelques microsecondes, et au court silence avant qu'il ne réponde. Et puis, à son tour, il tenta finalement :
— Daegu ?
Je haussai un sourcil perplexe.
— Daegu ? C'est pas la meilleure ville pour le tourisme, ça.
— Je sais. Mais c'est là où t'as grandi, et comme tu me parles jamais de toi, je suis curieux, avoua-t-il.
Il y avait des raisons, pour lesquelles je ne parlais jamais de moi. Pour lesquelles je préférais taire ma jeunesse, qui me renvoyait principalement à des souvenirs négatifs, et à des regrets qui encore aujourd'hui me plombaient parfois un peu le moral. À Daegu, il y avait mes parents. Que je ne voyais plus. À qui ne je parlais même plus. Et bien que pour rien au monde je ne referai ma vie différemment, parfois, je regrettais un peu d'avoir coupé les ponts aussi brutalement avec eux. Alors, y retourner ? Je n'étais pas sûr d'en avoir envie.
Mais c'était Jungkook qui me le demandait. Et ça changeait tout.
Je lui adressai un petit sourire, puis acquiesçai simplement :
— Va pour Daegu.
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Agence & Café,
4 mois avant le présent.
Je pensais que ça suffirait.
Je pensais que le fait que je sois officiellement en couple avec Hayoon serait suffisant pour que les médias arrêtent de s'intéresser à Jungkook et moi. Je pensais qu'on pourrait recommencer à s'aimer sans craindre les caméras. À vivre sans avoir à se retourner toutes les deux secondes de peur d'être suivis. Je pensais que ça irait.
Je me fichais un doigt dans l'œil, vraisemblablement.
Ils n'avaient pas attendu la fin de nos vacances à Daegu pour poster un nouveau cliché de nous assis côte à côte sur un banc. Il faut croire qu'il y avait encore des gens que ça intéressait.
J'étais à bout. Épuisé. Irrité. Encore plus quand Hoseok me planta sous le nez une photographie qui – heureusement – n'était pas parue dans les médias, mais qui n'aurait pas manqué de faire exploser Twitter une nouvelle fois si elle était sortie, vu la façon dont la tête de Jungkook reposait contre mon épaule et dont ma main choyait sa cuisse.
— Il va falloir que tu fasses attention, Taehyung. J'ai pu l'intercepter cette fois, mais ce ne sera pas toujours le cas.
J'observais la photographie, abattu, tandis qu'il continuait :
— Je ne sais pas ce que ton ami et toi vous faites, et ça ne me regarde pas, mais faites-le quand vous êtes sûrs d'être seuls.
Il y avait une pointe de reproche, dans sa voix. J'imagine qu'il avait dû comprendre que Jungkook et moi, c'était plus qu'une simple amitié. J'aurais pu me sentir con de ne pas l'en avoir informé quand il m'avait posé la question quelques semaines plus tôt ; à la place, je me sentis presque menacé par lui, et je le quittais plus tendu encore que quand j'étais arrivé.
Le soir, je retrouvais Hayoon dans un café du centre ville. Qu'il était agréable de me dire qu'il n'y avait aucun mal à ce qu'on nous voit ensemble. Au contraire, dans ma situation, ce serait presque du positif ; ça donnerait du réalisme à cette fausse relation, et ça éloignerait peut-être les doutes qui persistaient quant à mon vrai couple. Mais je ne parvins même pas à souhaiter que ce soit le cas : la simple évocation des médias et des paparazzis me révulsait purement et simplement. Si j'avais le malheur d'en croiser un, je ne donnais pas cher de sa peau.
— ... Tu sembles nerveux, commenta Hayoon, alors que je touillais depuis de longues secondes mon café noir en silence.
— Mmh. Rien de grave.
J'avais le cerveau déjà bien assez pourri à cause de ça. Je ne demandais qu'à oublier, alors je préférais parler d'autres choses. Malheureusement, mon amie ne parut pas être du même avis. Son regard soucieux posé sur moi, elle demanda, sans entamer sa boisson non plus :
— Tu ne devrais pas être avec Jungkook, ce soir ?
— Pardon ?
— Il est déjà tard, et ton copain doit t'attendre. En plus, tu ne le verras pas de la semaine prochaine avec le tournage. Pourquoi t'es ici et pas avec lui ?
Je me figeai sans répondre. C'est vrai, pourquoi j'étais là, alors même que Jungkook m'avait confié qu'il se sentait seul, en ce moment, et que je m'étais promis de faire des efforts pour ne pas faire de son ressenti une réalité ? Ce n'était pas comme s'il y avait des journalistes cachés dans notre appartement prêts à photographier la moindre de nos interactions.
Ma gorge ne noua, ma poitrine se serra, et le monde sembla soudain me peser sur les épaules. Du bout des lèvres, je confiai finalement :
— ... Ça ne va pas fort, en ce moment.
— Entre vous ?
— Non, moi. Toutes ces histoires de média me prennent la tête et je suis tout le temps à fleur de peau, c'est épuisant.
— Seulement les médias ?
— Oui. Enfin, ça, et tout ce qui en découle...
Dans « tout ce qui en découle », il y avait mon rapport avec Jungkook, aussi, et elle sembla le comprendre sans que j'aie besoin d'en dire le moindre mot. Son regard se fit doux, et elle demanda précautionneusement :
— Et tu ne penses pas que ça peut avoir un impact sur ton couple également ? Regarde. Tu es avec moi au lieu d'être chez toi, là. Je ne suis pas sûre qu'il le vive vraiment bien.
Je ne répondis rien, et face à mon silence, Hayoon soupira :
— Tu sais, je pense qu'il va sérieusement falloir que tu parles avec lui.
— ... Parler de quoi ?
— De tout ça. De vous deux. Je ne suis pas dans ton couple, Tae, et je ne vais pas te dire quoi faire, mais quand je me mets à sa place, je me dis que ce n'est pas durable comme situation. En plus, ces derniers jours l'ont encore prouvé, notre faux couple ne suffit même pas à vous débarrasser des médias.
Je la jaugeais du regard, incertain d'où elle voulait en venir. Elle posa sur moi des yeux compatissants, et tenta en déposant sa main par dessus la mienne :
— Ce que j'essaye de te dire, c'est qu'il va falloir que tu commences à songer à l'avenir. Tu ne peux pas lui demander éternellement de se faire tout petit pendant que tu fais semblant d'être avec quelqu'un d'autre.
Elle rabattit une mèche derrière son oreille, l'air un peu triste.
— Et... Peut-être qu'on devrait arrêter.
— Quoi ? Non !
Arrêter notre faux couple, surtout aussi vite, ce serait comme admettre à tout le monde qu'on était pas réellement ensemble, et que si on avait fait ça, c'était pour camoufler quelque chose d'autre. Il ne fallait pas. Surtout pas. Je me retrouvais soudain terrifié à l'idée qu'elle me dise qu'elle ne voulait plus, et je m'empressai de rajouter :
— Écoute Hayoon, j'ai besoin de ça, ok ? Si ça n'empêche pas des photos de fuiter, ça empêche au moins les gens de trop les interpréter. S'il te plaît.
Elle ne répondit pas immédiatement, les lèvres pincées et la mine marquée d'une expression que j'avais bien du mal à définir, à mi chemin entre l'angoisse et la tristesse. Mais finalement, après quelques secondes à nous observer en silence, elle capitula dans un soupir :
— D'accord. On continue, alors.
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Ile de Jeju,
2 mois avant le présent.
L'île de Jeju était définitivement un endroit maudit.
Je m'y étais rendu à contre cœur pour le tournage, après m'être une nouvelle fois disputé avec Jungkook parce que j'avais oublié de lui en parler, et dès mon arrivée sur l'île, le moral n'avait pas été au beau fixe. Tout semblait me rappeler l'omniprésence des médias dans ma vie ; car c'était ici, que tout avait vraiment dérapé, et que mon couple avec Jungkook était passé de « simple spéculation » par deux trois internautes de twitter à « quasi réalité » qui avait fait le tour de la Corée.
Ces superbes décors dans lesquels nous évoluions avec notre équipe ne parvenaient pas à compenser ce fait. Et puis, pour ne rien arranger, les scènes que nous tournions à Jeju étaient le climax du film, et les plus difficiles émotionnellement pour Lee Beomseok, qui avait fui jusqu'à l'île avec sa fille avant d'être retrouvé par des policiers sur celle-ci.
Autant dire qu'entre les séances de tournage dont je sortais moralement épuisé, l'absence de Yoongi qui avait préféré rester s'occuper d'Eunha, et les moindres recoins de l'île qui me rappelaient Jungkook et la relation actuelle merdique de mon couple, ça n'allait pas fort.
Heureusement, Hayoon était là.
Je passais le plus clair de mon temps avec elle, et nous allions marcher dès que nous avions un peu de temps libre. Nous avions parlé. Beaucoup parlé. De Jungkook, de moi, de mon couple, de mon envie d'avoir des enfants qui me faisait particulièrement mal en ce moment avec le personnage que j'incarnais, de l'avenir, et de ce qu'on allait faire, tous les deux. Sa présence était une véritable bouffée d'air frais au milieu de cet environnement étouffant.
Et puis, deux jours à peine après notre arrivée, et alors que je me disais seulement que ça allait le faire, le ciel me tomba sur la tête. Jungkook m'appela ; et pas pour prendre de mes nouvelles. Il avait appris que Hayoon était mon ex, et il le vivait mal, vraiment mal – évidemment. Comment pouvait-il le vivre autrement en apprenant que je lui avais caché une telle chose ?
Ce jour là, je fus incapable de jouer correctement. Jungkook m'avait raccroché au nez et ignoré tous mes messages, et l'idée qu'il me quitte me faisait si mal que je n'arrivais pas à enfiler la peau de Beomseok. Minho, un des acteurs secondaires, ne se gêna pas pour me le reprocher frontalement. Il n'avait jamais été très agréable avec moi et il semblait que l'absence de Yoongi lui faisait pousser des ailes.
Je tâchais de l'ignorer, mais à chaque nouvel échec de ma part, il revenait à la charge, toujours plus brut et agacé. Je n'en pouvais plus. Et j'étais fatigué.
— Ok, stop, clama la responsable de l'équipe après une énième prise de bec entre lui et moi qui avait commencé à monter dans les tons. On arrête là pour ce soir, ça ne sert à rien de forcer. On reprendra demain. En attendant, reposez-vous, et calmez-vous un peu, ok ? Il faut impérativement qu'on ait tout tourné avant le départ.
Personne ne protesta. Minho me coula un regard mauvais, les maquilleurs rangèrent leurs pinceaux, le cameraman remballa son matériel, et je m'empressais de m'isoler dans ma chambre d'hôtel pour respirer et faire redescendre la pression. Je déverrouillai mon téléphone, plein d'espoir. Espoir qui se cassa bien vite la gueule en constatant que je n'avais toujours aucune réponse de Jungkook.
— Putain ! jurai-je en envoyant valser le portable contre mon lit.
Quel con. Mais quel con. Je me pris la tête entre les mains, déchargeant ma colère que j'avais besoin de poser quelque part en tirant sur mes mèches à m'en faire mal. J'aurais dû lui dire plus tôt, qui était Hayoon pour moi. J'avais fait le parti pris de ne pas lui en parler en me disant que de toute manière, il n'y avait aucune raison qu'il le découvre, et voilà que ça me retombait sur la gueule. S'il pensait que je le trompais ou quelques conneries du genre, je l'aurais bien cherché.
— Taehyung ?
Trois coups retentirent à ma porte, suivis de la voix douce d'Hayoon qui s'éleva une nouvelle fois.
— C'est moi. Je peux rentrer ?
Mon silence lui répondit, mais elle sembla le prendre pour un oui, puisque quelques secondes plus tard, elle poussa doucement la porte, et vint s'accroupir en face de moi. Face à elle, je ne cherchais pas à me redresser, et à faire comme si tout allait bien. Elle m'avait déjà vu au plus bas, après tout ; elle avait été là à la période la plus compliquée entre moi et mes parents.
Elle soupira, puis posa une main réconfortante sur mon genou.
— Eh, Tae... Ne prête pas trop attention à ce que dit Minho, d'accord ? Ça arrive à tout le monde d'avoir du mal à rentrer dans son personnage. Il est juste jaloux parce qu'il voulait le rôle principal, et qu'il trouve ça injuste que ce soit toujours toi qui les ai dans les films de Yoongi parce qu'il estime que c'est uniquement parce que vous êtes amis. Alors ne l'écoute pas trop, d'accord ?
Son ton calme eut le don d'apaiser un peu la colère que je dirigeais envers moi-même, qui ne laissa plus que place à une tristesse et une culpabilité accablante. Je reniflai, et détournais le regard, honteux.
— Ce n'est pas ça... soufflai-je du bout des lèvres.
— Qu'est-ce qu'il y a, alors ?
Son regard inquiet posé sur moi me serra le cœur. Je m'humectais les lèvres, puis avouai après avoir dégluti difficilement :
— Jungkook m'a appelé, avant qu'on reprenne.
Immédiatement, je sentis ma gorge se nouer, et déformer ma voix. Les larmes me montèrent aux yeux, mais je m'efforçais de ne pas les laisser couler.
— Il a découvert que tu étais mon ex. Et il l'a mal pris.
Elle fit les gros yeux, confuse.
— Comment ça, il a « découvert » ? Ne me dis pas que tu ne lui avais pas dit.
Je détournai le regard pour toute réponse, honteux. Comprenant, elle se redressa, et se passa une main nerveuse dans les cheveux en expirant.
— Mais Taehyung... Ça ne va pas de lui cacher ce genre de choses ? Comment veux-tu qu'il te fasse confiance après ?
Elle commença à marcher en long et en large de la pièce, comme elle le faisait toujours quand quelque chose la contrariait. Elle n'avait pas changé non plus, là-dessus.
— C'est une question de respect, insista-t-elle. Merde, Tae. Même envers moi. J'ai accepté ton idée en pensant que Jungkook avait toutes les clés en main pour choisir lui aussi. Je suis censée réagir comment, maintenant ?
— Il aurait refusé, si je lui avais dit... lâchai-je du bout des lèvres.
— Mais justement ! Il aurait refusé, et ça aurait été son droit !
Elle continua de faire les cents pas, de s'énerver en s'efforçant de ne pas trop lever le ton, mais son irritation transparaissait malgré tout dans sa voix. Moi, je n'écoutais plus. La tête enfouie dans mes genoux, je laissais des larmes silencieuses rouler le long de mes joues, tandis qu'elle remuait le couteau dans la plaie à chaque mot qui sortait de sa bouche.
J'étais si fatigué.
Fatigué de ces médias qui me prenaient la tête et mon couple.
Fatigué de ne pas réussir à faire les choses correctement avec Jungkook peu importe combien je tentais.
Fatigué de ce film qui me vidait de mes émotions à chaque jour de tournage.
Fatigué d'avoir peur. Peur de tout perdre. De perdre mon métier, mon identité, et de le perdre, lui.
Quand j'y repense, c'était sûrement un avertissement. « Il paraît que c'est seulement lorsqu'on a perdu quelque chose que l'on se rend compte de sa valeur. ». Ce soir-là, alors que le sommeil me fuyait obstinément et que mes pensées ne quittaient pas mon copain, j'avais eu une chance de réaliser. Une occasion loupée. J'aurais pu prendre conscience d'à quel point il était tellement plus important que tout le reste, d'à quel point il était également si fragile, si proche de m'échapper, et en profiter pour essayer de changer les choses. Mais je n'en fis rien.
Quand il me rappela plus tard dans la nuit, et qu'il me demanda de lui dire ces mots qu'il réclamait tant, je me dis naïvement que c'était fini, que cette crise était passée, et que le pire était derrière.
Après tout, comme il me demandait si souvent de lui dire, je l'aimais.
Et je savais qu'il m'aimait aussi.
Alors, je ne voyais pas ce qui pourrait nous séparer.
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Lieu indéfini,
2 mois avant le présent.
2 mois avant la fracture.
Je terminais le séjour à Jeju dans une angoisse traînante. Je redoutais le moment où je reverrai Jungkook, et où je devrai lui parler, en face. Je craignais qu'il ne me repousse. Que quelque chose ait changé. Hayoon et moi avions à nouveau beaucoup discuté, quand elle avait finalement digéré ce que j'avais omis de dire à mon copain, et durant l'une de nos trop nombreuses conversations où elle tentait de me rassurer, elle m'avait dit ceci :
— Tu sais, je pense que tu devrais prendre le temps d'avoir une discussion posée avec Jungkook. Parle lui d'à quel point les médias t'angoissent, d'à quel point tu as peur de perdre ton travail, et de pourquoi tu lui as menti sur nous deux, mais laisse lui le choix. S'il veut qu'on arrête de faire notre faux couple, alors on arrête. S'il veut qu'on continue, alors on continue. Mais il faut que tu sois honnête avec lui, Taehyung. Tu lui dois bien ça.
Elle m'avait assuré que tout irait mieux si je faisais ça, et j'avais fini par capituler, bien qu'à contre-cœur. Elle avait raison, au fond. Quand bien même j'avais du mal à dire certaines choses à Jungkook parce que je craignais qu'il ne soit pas assez mature pour les entendre, si je voulais réparer correctement mes erreurs, il fallait que je sois transparent avec lui. Et j'étais prêt à le faire.
Dans l'avion qui nous ramenait à Séoul, Hayoon à côté de moi qui somnolait et la mer sous nous, je me repassais en boucle et en boucle ce que je voudrais dire à mon copain. M'excuser, d'abord. De vive voix. Lui expliquer ensuite. Me confier.
Et attendre son verdict.
Quoique qu'il dirait, je lui laisserai le choix, malgré l'angoisse qui venait me tordre l'estomac à l'idée qu'il me dise qu'il voudrait que j'arrête mon faux couple et que les médias se penchent à nouveau sur nous.
Pour lui, j'étais prêt à l'accepter.
Pour lui, j'étais prêt à accepter beaucoup de choses.
Pas assez, peut-être.
Mais ça, je ne m'en rendais pas encore compte.
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Appartement,
2 mois avant la fracture.
Jungkook était là.
Le voir me fit un bien fou, et je réalisais alors à quel point il m'avait manqué. À quel point j'avais eu peur, durant mon absence où nous avions été séparés de force, de ne plus le trouver à mon retour.
Je m'approchai de lui d'un pas mesuré, craignant qu'il ne m'en veuille encore trop pour mon mensonge pour avoir envie d'être proche de moi, mais il accueillit mon étreinte avec soulagement. Rassuré, je me laissais aller à lui. Je posais mon front contre son épaule, et je savourais sa présence. Son odeur. Son toucher. Sa respiration. Toutes ces petites choses qui faisaient partie de ma vie depuis quatre ans maintenant, et qui avaient le pouvoir de m'apaiser.
J'avais déconné trop longtemps avec lui.
Et il fallait que je rattrape ça.
La gorge nouée, le cœur serré, sa main choyant doucement ma nuque, je lâchai du bout des lèvres, sans me résoudre à m'éloigner de lui :
— Je suis désolé...
Je le sentis se crisper.
— C'est bon.
— Je-
— C'est bon, je te dis.
Il raffermit sa prise sur moi, en même temps qu'une drôle de sensation me remontait le long de la gorge. Pourquoi il me coupait, comme ça ? Il fallait qu'on parle. Il fallait qu'on mette les choses à plat pour repartir sur des bonnes bases. Son ton renfermé et catégorique m'incommodait.
— Kook... commençai-je en m'éloignant à contre cœur, pour pouvoir plonger mes yeux dans les siens.
Son regard était fermé, et la sensation de mon cœur qui battait dans ma poitrine devint soudain désagréable.
— Tu es sûr que tu ne veux pas qu'on en discute ?
— Pour quoi faire ?
Pour réparer mes erreurs. Pour que je puisse m'excuser correctement. Et pour qu'on puisse recommencer à s'aimer sans cette drôle de distance qui s'était installée entre nous.
— Je ne sais pas... On a pas pu s'expliquer correctement, au téléphone, et je ne veux pas que-
— Il n'y a rien à dire, me coupa-t-il une nouvelle fois.
Ses yeux se firent sérieux, déterminés.
— Tu n'as rien fait avec cette actrice, et tu m'aimes, non ?
Je restais un instant interdit. Complètement décontenancé. Je m'étais attendu à ce qu'il me demande des explications, ou au pire refuse de les écouter parce qu'il serait trop en colère contre moi ; mais certainement pas à ça. Pas à ce qu'il refuse la conversation et qu'il fasse comme si de rien était. Un sentiment de malaise grandit en moi au fur et à mesure que je comprenais qu'il était décidé, et qu'il refuserait toute discussion. Parce que moi, j'avais envie qu'on parle. J'en avais besoin.
Mais face à ces deux yeux que j'aimais tant, et qui me suppliaient de me taire, je flanchais.
Et, dans un souffle, je finis par lâcher :
— ... Oui.
— Alors il n'y a rien à dire.
Ses lèvres trouvèrent les miennes, et je me laissais aller à son baiser, ma bouche se perdant dans la sienne à défaut de pouvoir prononcer tout ce qui me brûlait la gorge depuis notre dernière dispute alors que j'étais à Jeju.
Non.
Jungkook se trompait.
Il y avait tant à dire.
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Lieu indéfini,
Moins d'un mois avant la fracture.
Chaque fois que je tentais de réaborder le sujet avec Jungkook durant les jours qui suivirent, il me faisait comprendre que lui n'en avait aucune envie. Et comme je sentais son moral précaire, en ce moment, et que c'était en partie de ma faute, je n'avais pas envie de forcer. Alors, finalement, je laissais couler.
Je me mis à faire comme si de rien était, moi aussi. A savourer les moments ensemble en ignorant les problèmes qui nous pendaient au nez. Après tout, au bout d'un moment, ils finiraient bien par se dissiper, et tout irait mieux ; c'est ce dont je voulais me persuader.
Mais je n'y parvenais pas.
Et au final, au fur et à mesure que le temps passait, un inconfort de plus en plus grand grandissait en moi.
A force de faire comme si de rien était et d'ignorer, je n'arrivais plus à être simplement moi, avec lui. Il fallait sans cesse que je le rassure. Que je sois normal. Que je me montre amoureux et souriant. Enthousiaste et affectueux. Que je fasse taire mes angoisses pour ne pas heurter les siennes. Même lorsque j'avais eu une discussion avec Yoongi à l'issue de laquelle il m'avait fait comprendre que Minho n'avait pas complètement tord, quelque part, et qu'il aimerait bien essayer de travailler avec d'autres acteurs, je n'avais pas réussi à me confier à Jungkook comme j'en avais tant eu besoin. J'avais gardé ma douleur et mes angoisses pour moi, parce qu'il en avait déjà assez comme ça.
J'avais l'impression de devoir jouer un rôle, même avec lui.
Le réaliser me donna le vertige. Mais comme en parler avec lui n'était pas une option, parce qu'il ne voulait rien entendre, et parce qu'il refusait obstinément d'écouter les problèmes, je me mis à faire ce que j'avais bien trop fait ces derniers temps ; je commençais à fuir, une nouvelle fois. Alors que je m'étais promis de ne plus le faire, je prétextais à nouveau que le travail terminait tard pour ne pas rentrer trop tôt. Quand mes collègues n'allaient pas prendre un verre au bar, j'appelais Hayoon ou Yoongi, et je l'invitais à passer du temps avec moi.
Tout tant que ça me permettait de fuir un peu l'ambiance faussée de notre grand appartement.
Ce serait toujours mieux que d'avoir à être confronté au fait que je n'arrivais plus à me sentir moi-même avec l'homme que j'aimais.
Malheureusement, le tournage de film n'était pas éternel, alors il finit par prendre fin. Mes mensonges bidons pour fuir l'appartement aussi.
Je me retrouvais donc à passer tout mon temps avec Jungkook. Pas que ce soit un problème en soi ; je l'aimais, et je voyais bien que ça le rendait heureux d'être avec moi, alors ça me faisait plaisir. Mais je me sentais mal. De plus en plus mal. Je prenais sur moi pour ne pas risquer de le blesser à nouveau, mais en faisant ça, je m'ignorais totalement, et si mon mal-être ne pouvait pas s'exprimer par les mots, il s'exprimait autrement. Je me sentais à fleur de peau. Épuisé mentalement, et j'avais beau enchaîner des nuits de 10h, la fatigue ne partait pas.
Quand j'en parlais à Yoongi, il me disait que je traversais ce qu'on appelle « une phase de crise » avec mon couple, que ça arrivait à tout le monde, et qu'il fallait que je tienne bon, parce que ça allait passer.
Quand j'en parlais à Hayoon, elle me répétait qu'il fallait que je lui parle, que je crève l'abcès, quitte à le brusquer un petit peu, parce que ça ne pourrait pas continuer éternellement comme ça et qu'on se faisait du mal tous les deux.
Quand je n'en parlais pas à Jungkook, il me prenait dans dans ses bras, glissait ses mains contre ma peau, ses lèvres contre les miennes, et s'offrait à moi à nous empêcher de penser.
Finalement, malgré toute ma bonne volonté à mettre mes humeurs de côté, je finis par craquer alors que nous étions chez sa mère, qui avait enfin accepté de me voir, et alors même que je m'étais promis de faire tout ce que je pouvais pour que ce séjour se passe bien, sachant combien il était important pour lui. Il avait suffit qu'il réagisse mal à mon annonce comme quoi j'allais faire une interview avec Hayoon pour qu'une dispute éclate, et que mon mal-être prenne la forme de la colère.
J'eus beau m'en vouloir et tenter de rattraper le tir, après ça, Jungkook sembla aller encore plus mal. Et plus Jungkook allait mal, alors moins je voulais le contrarier, donc moins je laissais mes humeurs exister, et plus je marchais sur des œufs.
Hayoon avait raison ; c'était invivable, et ça ne pouvait plus continuer. Je me promis de lui en parler après cette interview passée.
Malheureusement, il était peu être déjà trop tard.
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Plateau télé.
Quelques heures avant le présent.
Fracture.
Kim Taehyung.
28 ans.
Acteur.
Fou amoureux de Lee Hayoon.
Je rouvris les yeux, et les lumières du plateau m'éblouirent. A côté de moi, Hayoon m'adressa un petit sourire, ravissante dans sa robe blanche qui lui seyait à merveille. Le présentateur fit un signe derrière les caméras, on nous indiqua qu'on passait en direct, et puis, ça y est ;
L'interview commença.
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Appartement vide.
Présent.
Il paraît que c'est seulement lorsqu'on a perdu quelque chose que l'on se rend compte de son importance.
C'était à mon tour de le réaliser.
Debout dans notre chambre, devant l'armoire en désordre, je prenais alors seulement conscience de ce que j'avais fait,
Mais il était trop tard ;
J'étais seul dans notre grand appartement.
Et tu n'étais plus là.
_____oOo_____
... Et voilà :D
Sans mentir, je stresse un peu de vous partager ce chapitre, parce qu'il a été vraiment galère à écrire. J'avais beaucoup de choses à dire, mais d'un autre côté, je pouvais pas tout mettre, et j'ai du faire des choix, bref... J'espère que vous avez pu le comprendre malgré tout, et que vous y voyiez un peu plus clair dans le comportement de Taehyung \(・◡・)/
Je suis curieuse, que pensez-vous de lui, maintenant ?
Et de Hayoon ?
Et de la situation du taekook, du coup ? :')
Je voulais montrer que quand bien même Taehyung fait assurément de la merde, tout n'est pas tout noir tout blanc, et que même Jungkook peut avoir des tords dans le manque de communication évident de leur couple ^^ J'espère avoir réussi :')
Breeeef
Je ne vais pas m'éterniser parce que je poste déjà bien trop tard haha, mais n'hésitez vraiment pas à donner votre avis, je suis curieuse ! \(・◡・)/
Un immense merci de me lire ♡♡
Et promis, maintenant qu'on repasse aux chapitre normaux, je vais essayer de tenir le rythme d'un chapitre par semaine tous les dimanches ᕦʕ •ᴥ•ʔᕤ
A très bientôt ! ( ꈍᴗꈍ)
( Un grand merci à @Anevy_de_Girondif pour la correction de ce chapitre ! )
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