2.8
Yeonjun n'avait pas menti. Il s'était bel et bien fait du orange carotte.
C'était la première chose que j'avais remarquée lorsqu'il était arrivé, tout pimpant et heureux, et pour cause ; la couleur était tellement pétante qu'elle agressait les yeux. Sachant qu'il avait terminé son contrat avec Celine il y avait moins d'une semaine, la teinture devait être toute récente. Autant dire qu'il n'avait pas perdu son temps.
Le pire, c'est que ça lui allait bien.
Je savais que je ne devrais pas m'en étonner car il s'appelait Choi Yeonjun et que même le plus laid des vêtements lui seyait à merveille, mais tout de même. Porter aussi bien une couleur aussi peu naturelle était rare. J'osais à peine imaginer ma tête avec une de ses folies capillaires, de peur de me mettre à rire si fort que j'emmerderai toute la rue.
Mais là, je pouvais ; et pour cause, d'une part je n'étais pas dans la rue mais dans la voiture de mon cadet, et de l'autre je n'avais pas du tout la tête à rire. J'étais plutôt en train de me ronger les ongles à appréhender sur les évènements qui allaient suivre.
Le petit mois séparant l'invitation du gala en lui-même s'était écoulé à toute vitesse, et maintenant, nous étions déjà seulement à deux jours de l'évènement. Qui disait gala, disait impression de ne rien avoir à y faire, angoisse d'y recroiser Taehyung, stress de ma première sortie en tant que « célébrité » ( Mettez les guillemets. Je ne me considérais clairement pas dans le même panier que l'autre énergumène à côté de moi ou que l'acteur. ), et toutes les joyeusetés qui allaient avec. Je n'y étais même pas encore, que je regrettais déjà d'avoir accepté de m'y rendre. Cette vie n'était clairement pas faite pour moi.
Mais si vous me trouvez un peu drama queen à stresser autant alors qu'il restait encore 48h qui m'en séparaient, attendez d'entendre la suite : qui disait gala, disait Jimin qui revenait en Corée. Et nous étions actuellement en route pour aller le chercher à l'aéroport.
N'ayant pas mon permis, j'avais proposé à Yeonjun m'y accompagner – après tout, il était pote avec Jimin aussi au lycée –, et honnêtement, je n'en menais pas large.
Parler avec lui au téléphone en regrettant une complicité perdue était une chose.
Constater en face à face que c'était bel et bien le cas en était une autre.
J'avais terriblement peur de ne pas réussir à me comporter naturellement avec Jimin, et que je réalise qu'en effet, notre amitié était sous terre. L'idée me retournait l'estomac à elle seule.
— Son avion atterrit à quel hall ? me demanda mon cadet lorsqu'on arriva au niveau des parkings de l'aéroport.
— Le deux, normalement.
— Ok.
Il suivit le grand panneau qui indiquait le fameux hall, avant de rajouter dans un petit rire qui visait sûrement à me détendre avant que je ne me transforme en balai :
— J'espère qu'il n'y aura pas une troupe de fans pour l'accueillir.
Ça ne marcha pas, et je me retrouvais au contraire à stresser encore plus.
C'est vrai ça, Jimin était une célébrité mondialement connue. Est ce que ça n'était pas imprudent de le récupérer en voiture comme ça, comme s'il s'agissait de n'importe qui ? Et ce qu'on n'aurait pas mieux fait de le laisser prendre un taxi et de nous retrouver plus tard ? Est ce que...
— Oh, regarde, une baleine volante qui danse la salsa !
— ... Hein ? Où ça ?
Je clignais des yeux, confus, regardant par automatisme dans la direction pointée par Yeonjun. Ce dernier pouffa gentiment à ma crédulité et je me retournai vers lui avec un regard vexé.
— Haha, très drôle.
— C'était pour te détendre un peu, se défendit-il en se marrant. À ce rythme, tu vas imploser avant même d'avoir vu ton pote ! Arrête de te prendre la tête cinq secondes, je suis sérieux.
— Je t'y verrais... marmonnai-je en glissant contre mon siège.
Mauvaise répartie avec lui. Évidemment, à ma place, il serait probablement tout détendu à faire comme si rien n'avait changé et que la dernière fois qu'il avait vu son ami était la veille. J'aurais aimé en être capable aussi. Les bras croisés contre ma poitrine, la mine boudeuse et le ventre noué par l'appréhension, je grommelai :
— De toute façon, tu peux pas comprendre, ça te fait ni chaud ni froid toi...
Il me jeta un regard en coin. Il arrêta sa voiture devant un distributeur de tickets sans rien dire, et je crus d'abord qu'il n'allait pas répondre, avant qu'il ne lance simplement après que la barrière qui nous barrait l'accès au parking se soit levée :
— Tu sais, ça m'arrive de stresser moi aussi.
Je haussai un sourcil.
— Jure ?
— Ouais. Comme tout le monde.
— Ben tu le caches vachement bien.
— Ce n'est pas que je le cache, c'est que j'ai appris à le gérer, c'est tout.
— Ouais, fin' t'étais déjà pas des masses angoissé au lycée, fis-je remarquer en resongeant à cette période où il semblait déjà détaché de tout, avant d'ajouter : alors ça fait un moment que ça ne doit plus t'handicaper...
Il pouffa doucement, et admit :
— Bon, ok. J'ai peut-être des prédispositions.
Cherchant une place, il attendit de finir son créneau et de garer correctement la voiture, puis rajouta :
— Mais ce que j'essaye de te dire, c'est que ton stress là, c'est pas une fatalité. Tu peux le combattre.
Un petit soupir fatigué s'échappa de mes lèvres. J'étais épuisé ; et pour cause, je n'avais quasiment pas fermé l'œil de la nuit, et Namjoon n'avait même pas été là pour me changer les idées hier soir. Pas qu'il n'était pas présent dans l'appart, non – c'était chez lui, et je n'allais tout de même pas le foutre à la rue – ; mais j'avais bien entendu fini par lui parler du retour de Jimin, et du fait que j'allais le voir aujourd'hui, et ça le travaillait lui aussi. Je le voyais bien. Il n'avait pas la tête à se préoccuper de mes propres angoisses ; les siennes devaient déjà lui donner assez de fil à retordre comme ça.
En tout cas, si mon cadet avait une technique pour faire passer un peu cette boule d'angoisse qui pesait dans mon ventre, je ne disais pas non. Je me tournais vers lui, et demandai donc :
— Ok. T'as un conseil pour déstresser ?
— Imagine toi en face de Jimin.
— J'ai dit pour déstresser, pas pour me faire paniquer encore plus.
Il leva les yeux au ciel, et insista :
— Arrête de m'interrompre et fais ce que je te dis.
... Bon. De toute manière, ça allait arriver en vrai dans quelques minutes, et j'avais déjà passé la nuit à me faire vingt mille scénarios différents de cette scène, alors une fois de plus ou une fois de moins... Je fis ce qu'il me dit, à contre-cœur, essayant de lutter contre mon envie de repartir illico lâchement de l'aéroport.
— Ok, maintenant, imagine-le sur la cuvette des chiottes, avec un pantalon sur la tête et des chaussettes dépareillées.
— Quoi-
— Il fait peur, comme ça ?
— Non, mais-
Je n'y tins plus, et laissais échapper un rire franc. Yeonjun avait décidément le chic pour me prendre de court dans ses réponses. Le plus drôle, je crois, c'est que pour une fois il avait l'air totalement sérieux : il semblait presque irrité que je ris de son conseil.
— Tu me fatigues, Jun'. Me dit pas que c'est vraiment ta technique pour te débarrasser du stress.
— Si, pourquoi ?
— Mais t'as imaginé combien de gens sur les chiottes dans des tenues étranges ?
— Oh, une bonne centaine.
J'éclatais de rire à nouveau. Lui, il perdit enfin son air sérieux, trahi par ses lèvres qui s'étirèrent dans un sourire amusé à leur tour. Il me donna un coup de coude, puis rajouta malicieusement :
— Alors prends garde à ne pas me mettre dans des situations angoissantes, si tu ne veux pas y passer à ton tour !
— Pitié, non ! ris-je.
Il sourit, vraisemblablement satisfait de voir qu'il avait réussi à me défaire un instant de mes angoisses. Moi, je savourais ce petit instant de respiration avant qu'on ne se mette en route pour récupérer la star.
Le calme avant la tempête, comme on dit.
— Allez.
Yeonjun détacha sa ceinture et ouvrit enfin la portière, un petit sourire encourageant aux lèvres.
— Dis toi que que tu stresses ou pas, ça va pas t'aider avec ton pote. Donc pas besoin de le faire, puisque ça sert à rien, ok ?
— Quel homme pragmatique.
— Je sais je sais, se vanta-t-il faussement.
Si seulement c'était aussi simple...
Sans râler néanmoins, et tout de même un peu plus détendu, je quittais à mon tour sa petite voiture d'occasion. Elle était à son image : verte et jaune, dans un coloris hideux qui attirait tous les regards. Après réflexion, maintenant qu'il était riche et célèbre, Jimin allait peut-être faire une syncope devant ce moyen de transport.
Tant pis.
Ça le rapprochera de ses origines.
On quitta le parking pour s'engager dans le fameux hall 2, avant de partir à la recherche de l'endroit des arrivées. On le trouva sans mal : il y avait une foule de gens qui attendaient pour récupérer leurs valises sur les tapis roulants, et je ne pus m'empêcher de déglutir en voyant ça.
— L'avion est déjà arrivé... ? chuchotai-je à Yeonjun, qui me regarda chelou, se demandant sûrement pourquoi je chuchotais à son oreille au lieu de parler normalement.
Ne me posez pas la question. Moi-même, je n'en avais aucune idée. C'était comme si je craignais que Jimin nous repère et nous saute dessus d'un moment à l'autre. Ce qui était complètement con, puisque s'il était bel et bien là, le but était, justement, qu'il nous repère.
Mais que voulez-vous, mon cerveau n'était pas toujours très logique.
— Apparemment. Tu le vois ?
— Euh, non.
Et puis, vu le monde et vu la taille de Jimin, c'était pas gagné. L'inverse était plus probable : il repérerait Yeonjun et ses cheveux carotte avant moi.
— Il t'a dit comment il était habillé ? redemanda mon cadet qui tentait vraisemblablement de le trouver dans la foule.
— Non plus. Comme une star, j'imagine... marmonnai-je en haussant les épaules.
— Tu veux dire, comme le type à l'écart des gens là bas, avec une casquette, des lunettes de soleil, un masque, et qui se dirige actuellement vers nous ?
... Oh. La description semblait plus que coller, et lorsque je tournais la tête dans sa direction, c'était avec la gorge nouée et la boule au ventre. Je cessais alors de respirer tandis que la silhouette s'approchait de nous.
C'était bien lui.
Je ne pouvais pas voir son visage, mais même après tout le temps écoulé, je reconnaîtrai sa démarche entre mille.
La nervosité ne se contenta plus de m'angoisser ; elle me grignota l'estomac tout entier en me figeant sur place.
Jimin arriva à notre niveau, et si je n'en menais clairement pas large, le ton incertain avec lequel il nous salua me fit comprendre qu'il n'était probablement pas mieux que moi :
— Hey... Salut, Jungkook, et salut, Yeonjun. Ça fait un bail.
— On vous a déjà dit que la panoplie lunettes de soleil, chapeau et masque, ça vous rend plus suspects qu'invisibles ? répondit mon cadet en guise de bonjour. Non parce que franchement, hormis les criminels ou les célébrités, qui s'habille comme ça ?
L'improbabilité de sa remarque – tout à fait inadaptée pour l'instant – eut au moins le mérite de briser la glace rapidement. Jimin laissa échapper un petit rire qui sonna étrangement timide comparé aux souvenirs que j'avais de lui, et il répondit à mon ami :
— Disons que c'est toujours plus discret que rien du tout.
— Pas sûr, répliqua Yeonjun en haussant un sourcil.
— Quoi, tu veux que je teste ici ?
— Pourquoi pas.
Oulà. Bonjour, ça va déjà, non ? C'était quoi cette idée moisie qui pointait le bout de son nez alors que ça ne faisait même pas dix secondes que Jimin était arrivé ?
— Euh, je ne suis pas sûr que... commençai-je, rapidement coupé par mon cadet :
— Mais si, let's go !
— Bon, si vous le dites.
Jimin écouta la connerie de Yeonjun plutôt que ma tentative avortée d'avertissement, et libéra ses cheveux de sa casquette, remonta ses lunettes sur son crâne, puis retira son masque d'un geste automatique. Dire que revoir son visage après tout ce temps ne me fit rien serait mentir. Je sentis mon coeur se serrer, mais cette fois-ci, ce n'était pas sous le coup de l'angoisse ; mais sous l'étreinte d'une douce nostalgie, lorsqu'il m'adressa un petit sourire timide, mais sincère, et qu'il rajouta avec ça :
— Content de te revoir, Kook.
Ma gorge se noua. Je sentis ma poitrine se gonfler d'un agréable espoir, et je répondis à mon tour, honnête :
— Moi aussi.
Nous n'eûmes pas le temps de parler plus.
Parce qu'évidemment, se balader à visage découvert dans un aéroport bondé quand on est une star internationale attendue dans le pays pour un évènement qui a bientôt lieu, c'était une très mauvaise idée ; une première personne le reconnut, et ça suffit pour lancer une vague.
Finalement, il fallut même que la sécurité de l'aéroport intervienne, et elle nous escorta jusqu'à notre voiture, sous le regard de plein de monde et sous les caméras d'encore plus. Mortifié, je songeais déjà à toutes les photos qui allaient sortir sur les réseaux, et aux discussions que ça soulèverait ; après Kim Taehyung, voilà que j'étais vu en compagnie du fameux Park Jimin. J'allais faire des jaloux.
Putain, il fallait vraiment que j'arrête d'avoir des relations avec des célébrités.
________
Notre mésaventure de l'aéroport ne semblait pas avoir déplu à Jimin. Au contraire, je devais bien admettre que ça nous avait permis d'éviter la phase gênante des retrouvailles où on cherche les mots et où on ne sait pas comment s'exprimer face à l'autre ; dans le feu de l'action, il avait bien fallu réagir. Les discussions étaient allées toutes seules après ça et Dieu sait combien ça avait été un soulagement.
Au fond, je devais sûrement remercier Yeonjun d'avoir été là ( même si entre nous, je me serais bien passé d'imaginer mon ancien meilleur ami sur la cuvette des chiottes, j'avais pas pu m'en empêcher après son conseil discutable ), parce qu'il avait dédramatisé toute la scène.
Maintenant, après qu'il nous ait déposé tous les deux dans un hôtel, j'avais moins peur. J'étais seul avec Jimin, certes ; mais au moins, nous venions de nouveau de vivre quelque chose ensemble, et après des années sans le faire, ça suffisait à nous rapprocher un minimum.
J'avançais dans la chambre – ou la suite, je n'étais pas bien sûr – qu'il avait loué pour son petit séjour en Corée, me sentant comme un horrible intrus au milieu de tout ce luxe. C'était un hôtel cinq étoiles, et je me sentais presque con de lui avoir proposé de dormir chez mon père alors qu'il pouvait se payer un... un excès pareil. Même Taehyung n'avait jamais poussé son goût du luxe aussi loin, c'était dire.
Enfin, de toute manière, Jimin avait préféré se réserver un hôtel, pour ne pas prendre de risque et embêter mon père si jamais il y avait des problèmes avec les fans.
J'avoue que ce n'était pas si con, je n'y avais pas pensé du tout.
J'avais un peu du mal à figurer que mon ami du lycée était maintenant une star mondiale.
— Alors, qu'est ce que tu dis de la vue ? me demanda-t-il, parce que sa chambre se trouvait en haut d'une des plus grandes tours de Séoul.
— J'en dis que ça donne le vertige.
Il lâcha un petit rire, tandis que je m'avançais prudemment de la fenêtre. Ou devrais-je plutôt dire : de l'immense baie vitrée qui me donnait l'impression que je pourrais me défenestrer sans aucune raison à chaque instant et tomber pendant une minute entière avant d'espérer toucher le sol. J'étais habitué à la hauteur ; pas à être dans l'équivalent d'un avion.
Mais la vision était belle, je devais bien le reconnaître. C'était rare d'avoir une aussi bonne vue d'ensemble sur Séoul.
Sans réfléchir, je sortis mon appareil photo, et m'accroupis pour immortaliser l'instant. C'est le regard curieux de Jimin sur ma nuque qui me fit me retourner vers lui.
— Alors, t'as commencé à essayer des contrats de photographie ? demanda-t-il, assis au pied de son immense lit king size.
Un peu gêné, je rangeais mon appareil dans la poche de ma veste.
— Non, pas encore. Je me contente du mannequinat pour l'instant.
— Ça marche toujours aussi bien ?
— Ouais.
Je laissais échapper un petit rire nerveux, et rajoutai :
— J'ai même passé un cap : j'ai eu ma première proposition à l'international.
— Jure ? Où ça ?
— Aux États-Unis.
Avant qu'il ne puisse rajouter quoi que ce soit, j'agitais la main en l'air pour éluder le projet, et m'éloignais du vide angoissant derrière la fenêtre tout en précisant :
— T'emballes pas, c'est une petite marque. Et puis je vais probablement refuser de toute manière, je sais pas si j'ai envie de me casser à l'autre bout du monde comme ça.
Jimin sembla se rabrouer, et ravaler des mots, puis il répondit finalement sur un ton un peu taquin :
— Surtout si c'est un pays qui parle anglais, hein ?
Sa réponse me prit par surprise ; et la chaleur qui vint doucement m'envelopper le cœur termina d'effacer ma gêne face à lui.
Si sa phrase pouvait sembler sortir un peu de nulle part, quand on m'avait connu quelques années plus tôt, elle prenait tout son sens. L'adolescent que j'étais refusait catégoriquement de prononcer le moindre mot en anglais, parce que je disais que c'était la langue du démon et que je préférais mourir plutôt que la parler. La vérité, c'est surtout que j'avais des mauvaises notes et que je puais le seum parce que je n'y comprenais rien.
Cette névrose stupide m'avait suivi encore durant mes premières années de fac, et résultat, j'étais toujours incapable d'aligner deux mots en anglais, même maintenant.
Dure vie.
Mais que Jimin le mentionne et s'en souvienne me ramena à l'avant, et ça me fit tout drôle. Je crois que ça me touchait.
Un petit sourire apparut sur mes lèvres à mon tour, et je lâchai :
— ... Ouais. Surtout si c'est un pays qui parle anglais.
Je m'assis à côté de Jimin sur son lit, en même temps qu'il haussait un sourcil et qu'il me provoquait :
— It's pretty sad. I'd like to make you discover my new place, you'll see, it's really cool-
— Oh ta gueule ! le coupai-je en lui envoyant un coussin à la figure.
Enfin, le coussin en question était tellement moelleux que le choc avait dû être plus agréable qu'autre chose, mais passons. C'est l'intention qui compte.
Il ricana, et pour le couper avant qu'il ne me reparle en chinois – enfin, en anglais, mais vous avez compris –, je repris rapidement :
— De toute façon, cette proposition de contrat est probablement une arnaque. Je ne vois pas pourquoi une petite marque comme ça viendrait chercher des mannequins aussi loin.
— C'est parce que les asiatiques ont le vent en poupe, mon grand. Remercie la K-pop pour ça.
— Et pourquoi moi ?
— Parce que comme t'es nouveau dans le milieu, tu coûtes pas trop cher.
Il avait réponse à tout, ma parole.
Le monde du show-bis ne m'étant pas vraiment familier, je ne le contredis pas, puisqu'il devait avoir raison ; mais ça ne changeait rien à ma confusion face à tout ça. Parfois, j'avais l'impression que depuis que j'avais repris ma vie en main et commencé à travailler, tout allait trop vite. Je n'avais pas le temps de suivre que j'étais déjà bousculé d'un côté et d'un autre.
Le simple fait que je me retrouve là, dans une des chambres d'un des hôtels les plus coûteux de la ville, avec Jimin à côté de moi, en était la preuve.
Je n'avais rien vu venir.
À côté de moi, Jimin sortit un paquet de clope un peu écrasé de la poche de son jean, et la porta à ses lèvres en même temps qu'il cherchait son briquet. Je me demandais un instant s'il allait vraiment oser fumer dans un tel lieu mais...
Ah oui, oui, il avait osé.
Il expira une première fois sa fumée, et je me retins de faire une quelconque remarque, me contentant de plisser du nez.
Quelques instants plus tard, il était allongé sur le dos sur le lit où il s'était laissé tomber, le regard rivé sur le plafond, et l'air pensif.
— ... Ça fait bizarre, de retrouver la Corée.
— Tu m'étonnes.
— Ça fait chelou aussi que tu sois là.
Je ne répondis rien.
Ce n'était pas dit méchamment, et comment lui donner tort ? Ça ressemblait à un rêve brumeux, un mélange de souvenirs et de fantaisies de nos cerveaux. Mais c'était la réalité et ce n'était pas évident de s'en rendre compte.
Hochant la tête, je me laissais simplement tomber à ses côtés, et rivais à mon tour mes yeux sur le plafond.
Le silence nous enveloppa un instant, doux et apaisant. Rempli de souvenirs. De la tendresse de notre amitié. De l'amertume de notre séparation. De l'incertitude de nos retrouvailles.
Ce que je savais, c'est qu'il était là, à côté de moi ; et que c'était une chance à ne pas louper.
________
Jimin fumait beaucoup.
Il m'avait fallu moins de 48h pour réaliser qu'il s'enfilait au moins un paquet de cigarettes par jour, et qu'il n'allait nulle part sans son briquet. Je ne savais pas trop quoi en penser. Parfois, quand il sortait une clope et qu'il tirait dessus avec un regard plus vague que les autres, je me disais que si ça se trouve, sa super vie en Amérique n'était pas aussi parfaite que ce qu'il avait voulu me faire croire. Quand il expirait sa fumée dans un soupir, je croyais y lire une fatigue, un épuisement que je n'avais pas vu durant nos quelques facetimes. Il y avait dans sa posture une nervosité, un stress que seul la nicotine semblait parvenir à faire descendre, et je ne pus m'empêcher de m'inquiéter qu'il ait des problèmes.
Je n'osais pas lui demander.
Après tout, la seule fois où on avait abordé sa vie aux États-Unis durant nos discussions, il m'avait simplement confié ses réussites ; son nouveau rôle, sa nomination pour un prix prestigieux, sa petite amie avec qui il se tâtait d'officialiser les choses... S'il ne voulait pas me confier ses problèmes, je n'allais pas le forcer. Ce n'est pas parce que nous nous étions retrouvés que nous avions retrouvé directement notre complicité et notre confiance d'avant.
En attendant, Jimin tenait admirablement bien sa promesse ; il rattrapait le temps perdu avec moi.
Depuis qu'il avait posé un pied en Corée, et que je l'avais laissé à son hôtel le soir de son retour, il n'avait fait qu'organiser des sorties pour qu'on puisse passer des bons moments ensemble, à flâner dans la ville ou dans des lieux plus privés. Dire que j'en étais mécontent aurait été mentir. Je prenais plaisir à le redécouvrir, et puis, je n'allais pas me plaindre ; ça m'empêchait de trop angoisser pour le gala qui approchait à grands pas – et c'était peu dire, puisqu'il aurait lieu ce soir-même.
Le gala où je reverrai Taehyung.
J'avais de plus en plus de mal à faire comme si de rien était face à cette information.
À côté de moi, Jimin tira une énième cigarette de son manteau, et je ne m'en étonnais même plus. Nous étions allés grimper le long du Mont Inwang pour prendre l'air sans croiser trop de monde qui risquerait de le reconnaître, et nous savourions actuellement l'air frais de l'altitude, un splendide panorama de Séoul sous nos pieds. Le vent emporta la fumée qu'il relâcha et je posais mon regard sur lui.
Silencieux, il détaillait la ville qui s'étendait dans la vallée. Je me demandais ce à quoi il pensait. S'il songeait à ce soir, et à l'évènement qui arrivait rapidement, et à tout ce que ça impliquait. S'il songeait à ses parents, quelque part dans notre immense vue, minuscules, et avec qui ses rapports étaient désastreux depuis qu'il avait décidé de se lancer corps et âme dans sa carrière d'acteur. S'il pensait à avant. À Namjoon. À nous trois, insouciants, nous contant nos rêves comme s'ils étaient déjà écrits dans le destin. À notre amitié qu'il avait emporté de l'autre côté de la mer.
Jimin avait réussi, lui.
À quel prix.
— ... Tu penses que Namjoon accepterait de me parler ? demanda-t-il alors, rompant le silence de la montagne.
— Nam ? répétais-je bêtement en clignant des yeux, étonné qu'il amène le sujet de lui-même.
— Ouais.
Je me raclai la gorge, gêné, et déposais à mon tour mon regard sur Séoul en haussant les épaules.
— Tu le connais. Il accepterait de t'écouter même si t'avais tué toute sa famille.
Jimin eut un petit rire. Amer, plutôt que sincère, et il ne répondit pas tout de suite, prenant d'abord le temps de tirer sur sa cigarette. Le vent gifla nos visages, et manqua d'emporter sa voix lorsqu'il lâcha alors simplement :
— J'aimerais aller le voir, si tu veux bien.
— Maintenant ?
— Hm.
Je l'avisais, complètement décontenancé, tandis qu'il se détachait de la barrière qui nous séparait du vide en fumant un nouveau coup.
— Si on descend maintenant, on devrait avoir le temps de discuter un peu avec lui avant le gala, non ?
— Euh...
Incertain, je passais une main perdue dans mes cheveux, pour les rabattre un peu après tout ce vent. Aller voir Namjoon ? Comme ça ? Bien que j'avais rêvé durant des années que Jimin porte ses couilles et s'excuse face à lui pour qu'il puisse faire le deuil de leur relation sainement, ça me semblait d'un coup un peu soudain. Je n'avais même pas pu en parler avec mon ami avant. Est-ce qu'il avait vraiment envie de me voir débarquer comme une fleur avec son ex ? Pas sûr. Namjoon avait beau savoir que je passais ces jours-ci avec Jimin, ça me semblait un peu culotté.
Je me raclai la gorge, gêné, et commençai sans trouver mes mots :
— Oui, mais...
— S'il te plaît. Je n'aurais pas le courage si j'attends encore.
Jimin était sérieux. Je l'avais rarement vu aussi sincère, et je n'eus pas le coeur à m'opposer à la discrète lueur de supplication qui brillait au fond de son regard.
Pour toute réponse, j'hochai donc finalement lentement la tête, le coeur tambourinant dans ma poitrine, et nous redescendîmes la randonnée en silence.
J'envoyais un message à Namjoon pour le prévenir rapidement, qu'il ne tombe pas trop de haut quand même, et qu'il ait le temps de refuser s'il ne voulait pas ; mais tout ce que je reçus de sa part fut un sms qui disait qu'il nous attendait. Après ça, ce fut le trajet en taxi le plus long de toute ma vie.
Mon rythme cardiaque ne voulait pas ralentir ; je crois que mon cerveau avait bien du mal à se figurer que pour la première fois depuis des années, nous allions à nouveau nous retrouver tous les trois dans la même pièce. Même avant que Jimin ne parte aux États-Unis, ça n'avait plus été le cas ; leur rupture avait été si tendue qu'ils s'évitaient comme la peste. Savoir qu'ils allaient se revoir me donnait des sueurs froides. J'en oubliais complètement mes propres retrouvailles avec Taehyung qui me pendaient au nez.
Après ce qui me parut être une éternité et à la fois une poignée de secondes, le chauffeur nous déposa en face de l'immeuble qui m'avait accueilli avec Namjoon ces derniers mois, comme un refuge. C'était étrange de voir Jimin ici ; il n'avait pas l'air à sa place, comme s'il avait été collé sur un décor peint, rajouté après coup. Il me fit signe d'attendre et s'enfila une nouvelle cigarette.
Ce n'est qu'après cette dernière finie et jetée qu'il me suivit à l'intérieur, et je montais les étages avec une boule au ventre grossissante. Quand nous arrivâmes devant la porte de l'appartement de mon ami, je jetais un petit coup d'œil à Jimin, qui n'en menait pas large non plus. D'un accord commun silencieux, je toquai doucement.
Namjoon devait nous attendre, puisqu'il ouvrit à peine quelques secondes plus tard, et nous y étions ;
L'instant s'étira dans le temps.
Nous trois, comme au lycée, à respirer le même air. Eux deux, et après tout le mal qu'ils s'étaient faits, face à face, après des années. Je crus bien que j'allais mourir de nervosité face au regard de Namjoon posé sur Jimin et au regard de Jimin posé sur ce dernier. Puis, très simplement, l'hôte des lieux prit la parole, et le temps reprit son cours.
— Hey...
Jimin se racla la gorge, et tenta un sourire qui se cassait la gueule.
— Salut...
Son regard fuyait, refusant obstinément de rester sur le plus grand. Ce dernier ne s'en formalisa pas et lança simplement :
— Rentrez. On sera mieux.
Jimin ne le fit pas répéter deux fois. Il se faufila dans le minuscule appartement de mon ami en prenant garde à ne pas le toucher lorsqu'il lui passa devant, les yeux rivés sur le sol, et je m'approchais de Namjoon avec un petit sourire inquiet.
— Hey Nam... chuchotai-je.
Il me rendit mon sourire, mais je voyais bien le voile de tristesse dans son regard.
— Hey Kook.
— Ça va aller ? murmurai-je pour qu'il soit le seul à m'entendre, inquiet.
Pour toute réponse, il hocha la tête, et je dus ravaler mon inquiétude lorsqu'il ferma la porte derrière nous et s'avança dans le petit studio. Jimin y était, ses yeux parcourant les lieux sans laisser deviner ce qu'il se passait dans sa tête. Il se retourna vers nous en nous entendant arriver, et lança maladroitement :
— Alors, c'est ici que tu vis ?
— Ouais. Ce n'est pas très grand, désolé.
— C'est très bien, s'empressa de répliquer le plus petit à la réponse de Namjoon. C'est... Chaleureux.
Namjoon hocha la tête, gêné. J'aurais tout donné pour être dans son cerveau à l'instant et savoir ce qu'il s'y jouait. De l'angoisse ? De la peine ? De la colère ? Des remords ? Connaissant mon ami, c'était sûrement la plus gentille des émotions, mais je ne pouvais m'empêcher de craindre ce que ça pourrait lui faire. Après tout, il avait été vraiment blessé par cette histoire avec Jimin. Je ne voulais pas que cette discussion lui fasse du mal.
Mais que ce soit le cas ou pas, il était le plus loquace de nous trois : il nous proposa un truc à boire, que Jimin accepta discrètement, et quand je sentis qu'il était le moment de leur laisser un peu d'intimité pour qu'ils puissent s'expliquer, je me levais et prétextais vouloir prendre un peu l'air. Ni l'un ni l'autre ne me retinrent.
Dehors, dans le froid, je me mordais les ongles. Le vent ramenait la fraîcheur de l'automne, et ces jours-ci s'étaient considérablement rafraîchis ; je regrettais de ne pas avoir pensé à prendre de veste. Qu'importe. Je n'osais pas déranger mes deux amis dans ce qui devait être en train de se jouer quelques étages plus haut.
Malgré moi, je tendais l'oreille, comme craignant d'en entendre à nouveau un hausser la voix, et les disputes fendre l'air depuis le petit appartement, quelques étages plus haut.
Il n'y eut rien de tel.
Finalement, Jimin redescendit, et me dit simplement qu'il fallait qu'il parte se préparer pour le gala. Après un bref « à ce soir » et une rapide accolade, il me laissa là, et je m'empressai de remonter quatre à quatre les escaliers, dévoré par l'inquiétude pour Namjoon. Mon ami se retourna vers moi en me voyant arriver, et je fus instantanément soulagé de voir qu'il allait bien.
Je repris mon souffle, et m'approchais de lui, dont les yeux brillaient, mais dont un discret sourire flottait sur le visage.
— Alors ? demandai-je en le rejoignant, soucieux.
— Alors il s'est excusé.
— C'est tout ?
— Je ne demandais rien de plus.
Namjoon me prit dans ses bras sans prévenir. Surpris, je ne tardais néanmoins pas à le serrer contre moi à mon tour ; il enfouit sa tête contre mon épaule et je fus persuadé de sentir une larme y couler. Mon cœur se serra douloureusement dans ma poitrine.
— Nam... commençai-je d'un ton doux, ma main remontant dans son dos.
Il renifla, puis rajouta sans me lâcher :
— C'est bon. Je ne suis pas triste. Je suis juste... Soulagé. Merci, Kook.
Il ferma les yeux, et je le sentis détendre son corps, ses épaules nouées se relâchant dans mes bras.
— Merci... répéta-t-il du bout des lèvres.
Je n'étais pas sûr d'être celui à remercier : je n'avais rien fait. Ce n'était pas moi qui avais poussé Jimin à s'excuser, ni moi qui l'avais traîné ici par la peau du cul. Mais dans son étreinte, je sentis que ce n'était pas la question ; Namjoon avait besoin d'un câlin, et d'un gros, et qui de mieux placé pour lui donner ?
Alors je le serrais fort dans mes bras, très fort, le cœur moi aussi entouré d'une douce peine réconfortante.
Notre trio ne redeviendrait sûrement plus jamais comme avant, et aurait du mal à se reconstruire sur les ruines qu'il avait laissées ; mais désormais, il semblait possible de laisser la place à quelque chose de nouveau de s'épanouir.
Jimin ne serait plus un poids qu'on porte au coin du coeur ; et qu'il devienne un souvenir d'une relation que l'on chéri, ou un ami à nouveau, il n'y avait rien de plus beau.
_____oOo_____
Le chapitre des retrouvailles ! \(・◡・)/
Et ça risque de continuer dans le suivant, avec les retrouvailles de Jungkook et Taehyung... 👀
J'espère qu'il vous aura plu ! Je ne suis pas vraiment satisfaite de l'écriture, mais je me prendrai la tête si je fais une réécriture, pour l'instant j'ai hâte d'avancer et de vous dévoiler le final de cette histoire ᕦʕ •ᴥ•ʔᕤ
N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé !
Un avis sur Jimin, maintenant qu'on l'a vu un peu plus ?
Anyway, je vous embête pas plus longtemps, et je vous dis à bientôt pour la suite et le gala ! ( ꈍᴗꈍ)
Merci de me lire ♡
( Un immense merci à Anevy_de_Girondif, qui a corrigé ce chapitre super rapidement ! )
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro