2.5
Namjoon avait à peine franchi le pas de la porte que je lui avais déjà bondi dessus tel un animal enragé.
— Nam, Nam !
— Oula, qu'est ce qui se passe ?
Sans lui laisser le temps d'enlever son manteau, ses chaussures ou quoique ce soit, je le chopais par la manche pour le tirer jusqu'au bureau dans le coin de son studio, sur lequel son ordi trônait fièrement au milieu des restes de mon repas de midi et du bordel habituel. Il put à peine cligner des yeux avant que je lui pointe l'écran avec précipitation.
— Regarde ! m'exclamai-je, tout impatient.
Cela faisait des heures que je rongeais mon frein en attendant qu'il revienne pour lui partager la grande nouvelle, et je n'en pouvais plus : l'excitation et la joie allaient finir par me faire imploser en mille morceaux. Devant son regard confus qui parcourait les lignes en face de lui, je rajoutai en sautillant sur place :
— Je suis riche !
Ma première paie était tombée.
Pour la première fois de ma vie, en ouvrant mon compte bancaire ce matin, j'y avais trouvé de l'argent supplémentaire que j'avais gagné, moi.
Le sentiment que ça m'avait procuré était difficile à décrire ; en tout cas, maintenant, je sautais comme une puce. Si les voisins d'en dessous venaient râler, je ne m'en étonnerais même pas.
Mon ami sembla alors réaliser la grande nouvelle, et un beau sourire naquit sur ses lèvres en miroir de ma joie. Il se retourna vers moi et me prit dans ses bras sans hésiter.
— C'est super, Kook ! Tu vois que t'as bien fait d'accepter la proposition de Yeonjun.
— Ouiii !
J'en avais douté quand j'étais en face de l'objectif à me faire photographier sous tous les angles, mais maintenant, j'étais aux anges. La vie qui m'avait parue si insurmontable s'était soudain éclaircie : moi aussi, j'étais capable de gagner de l'argent. Moi aussi, je pouvais me débrouiller. Moi aussi, j'y arriverai.
Trop heureux, je m'écartais de lui, et fanfaronnai en posant mes deux mains sur ses épaules :
— Ce soir, on commande au resto que tu veux ! Je paye !
— Oula, t'es sûr ? Tu ferais mieux de garder ton argent, c'est une dépense évitable...
— Oui, mais on s'en fiche, maintenant, puisque je suis riche !
La façon dont il plissa les yeux et se mordit les lèvres pour s'empêcher de rire ne me dit rien qui vaille.
— Quoi ? demandai-je suspicieusement.
— Alors... T'es mignon, Jungkook, mais avec 400 euros, tu vas pas aller bien loin. C'est à peine le prix de mon loyer.
... Ah.
Mon visage afficha une mine dépitée, et je grimaçais. Je m'étais peut-être un peu emballé, mais il faut dire qu'avec Taehyung qui gérait toutes les dépenses chez nous, ça ne m'aidait pas à avoir une vision réaliste de l'argent.
Namjoon sourit tendrement devant mon air déçu, et me donna une petite pichenette sur le nez.
— Mais c'est tout de même super ! rajouta-t-il, l'air sincèrement heureux pour moi. Une première paie, ça se fête ! Et ce n'est que le début !
Sa propre joie rattrapa mon enthousiasme qui s'était dissipé, et je m'autorisais à laisser un sourire étirer mes lèvres. Mon ami me fit signe de m'asseoir sur son lit, puis fouilla dans sa poche de son manteau – que je lui laissais enfin aller déposer – pour en ressortir son téléphone. Il se laissa tomber à côté de moi, chaleureux.
— Au final, t'as pas tort, ça mérite bien un petit resto, sourit-il. Mais je paye aussi.
— On fait moit-moit ?
— Deal.
Il me serra la main, et je ne pus m'empêcher de ressentir une chaleur apaisante dans mon coeur. De toute manière, le peu d'argent que je gagnerai pour le moment, je le partagerai avec lui : je refusais de lui laisser payer le loyer et les courses tout seul encore plus longtemps. Et savoir que maintenant j'étais enfin capable de l'aider un minimum me réjouissait.
Enfin. Si payer la moitié de son loyer me bouffait déjà la moitié de mon argent, je n'allais pas aller bien loin, mais c'était la dure réalité de la vie de jeune adulte, j'imaginais.
Devoir travailler régulièrement sans pouvoir se reposer sur ses lauriers.
Je me demandais un instant si j'allais réellement poser à nouveau pour je ne sais qui. Katia m'avait assuré qu'elle retravaillerait avec moi avec plaisir, et Yeonjun m'avait dit que je recevrai probablement des propositions une fois les photos sorties, par d'autres potentiels intéressés. Pour le moment, ça me semblait flou et lointain. Je n'étais pas sûr d'en avoir envie. Mais le bonheur que m'avait procuré de recevoir cette petite paie en valait bien la peine.
Je préférai ne pas me prendre la tête avec ça pour l'instant. Je voulais essayer de profiter de la soirée et de ma bonne humeur, bien trop rare en ce moment, et m'amuser à fond. Voir l'enthousiasme de Namjoon face à ma propre joie me réchauffait le coeur.
Finalement, on commanda deux pizzas, qu'on mangea en même temps qu'on jouait à Mario Kart – ce qui était franchement une mauvaise idée, le carton ayant terminé au sol vous le dira –, et quand on en eut marre des jeux vidéos, on resta simplement allongés sur son lit à papoter de tout et de rien.
Je savourais cette bouffée d'air frais avec reconnaissance.
Mais, le lendemain, il dut à nouveau partir travailler, et je me retrouvais une nouvelle fois seul avec le fantôme de Taehyung.
_________
Quelques jours après ce moment de joie, les photos de la nouvelle collection de Katia sortirent. Et moi avec, du coup. Dire que je n'avais pas été stressé toute la journée aurait été un mensonge, et je n'avais cessé de zieuter les commentaires le jour même où elles avaient été publiées.
Il y avait quelque chose d'étrange, à se voir ainsi, affiché sur les réseaux sociaux pour attirer le regard. C'était à la fois mon visage et mon corps, mais on aurait dit que ce n'était pas moi. J'avais l'impression de regarder quelqu'un d'autre.
Finalement, le soir venu, j'avais compris que je craignais les moqueries dans le vide : ceux qui regardaient le compte de l'amie de Yeonjun étaient principalement des amateurs de mode, et s'il y avait bien sûr eu quelques commentaires sur moi – principalement positifs –, la plupart parlaient des nouvelles pièces que présentait la styliste. Elle semblait avoir son petit public de niche, et ça me réconforta de voir qu'apparemment, j'avais bien réussi mon boulot : mettre ses vêtements en valeur sans faire tache. Ça aurait pu s'arrêter là. Un petit succès à une petite échelle, qui m'aurait amplement satisfait.
Et puis, était venu un phénomène que je n'avais pas anticipé.
Certaines personnes se mirent à me reconnaître sur les photos, comme étant « le mystérieux ami de Kim Taehyung avec qui il a frôlé le scandale gay. ». Et en quelques jours seulement, les photos avaient explosé. J'étais loin du niveau de réaction que suscitait chaque action de Taehyung, mais le nombre de likes sur les publications où j'apparaissais était au moins dix fois plus important par rapport à ce que faisait habituellement Katia, et pour moi, c'était déjà mille fois trop.
Elle, elle était ravie, bien sûr : ça lui faisait plus de visibilité.
Moi, j'avais la désagréable impression que Taehyung s'était à nouveau approprié mon succès.
Que ce dernier n'était causé que parce que j'étais un « ami » de lui, parce que je le connaissais, et parce que ses fans ne pouvaient s'empêcher de vouloir s'immiscer dans sa vie privée ; pas parce que moi, j'en valais la peine.
C'était épuisant, d'essayer de me détacher de lui, pour que les internautes m'y rattachent directement sans poser de questions. Je crois que je comprenais un peu plus à quel point les médias devaient peser sur ses épaules, maintenant. C'était le jeu de la célébrité, et j'avais accepté d'avoir à dealer avec dès lors que je m'étais mis en couple avec Taehyung ; mais je devais avouer que plus le temps passait, et plus parfois, j'aurais sincèrement aimé m'en passer. Même là, alors que l'effet était en soit plutôt positif, – j'avais ramené du succès à mon employeuse, et les commentaires sur l'image de moi étaient globalement franchement flatteurs cette fois-ci, à un tel point que ça me mettait mal à l'aise –, j'aurais voulu qu'elle ne soit pas là.
Namjoon avait tenté de me rassurer en me disant que malgré le gros coup de pub que me faisait involontairement Taehyung, c'était mon travail qu'on complimentait, pas le sien, mais j'avais bien du mal à y croire. Je m'efforçais de ne pas broyer du noir plus que je ne le faisais déjà, mais franchement, ça me dépitait.
Et évidemment, avec le bruit que ça faisait, Taehyung n'avait pas pu passer à côté. On ne se parlait plus énormément, depuis notre dernière discussion au café – et hormis dans mes rêves –, juste quelques rares SMS de temps en temps pour s'assurer que l'autre allait bien. J'en avais reçu un de sa part à cette occasion : il me disait que les photos étaient très réussies, et que j'étais beau.
Ce n'était pas grand-chose, mais je savais que c'était sa manière à lui de me montrer qu'il me soutenait dans mes actions, malgré sa réaction lorsque je lui avais annoncé que j'allais faire du mannequinat. C'était gentil.
Ce n'était pas grand-chose, mais chaque petit mot de sa part me rappelait à quel point il me manquait, et ça me faisait mal.
J'étais fatigué. Fatigué de l'aimer ainsi. Fatigué d'être loin de lui. Fatigué d'essayer de me détacher en vain. Fatigué de moi-même.
J'avais la désagréable impression de faire toujours un pas en avant, et deux en arrière.
Parfois, je me disais que ça ne servait à rien, cette pause, et que je ne faisais que nous priver de moments passés ensemble. Que je nous faisais du mal inutilement, parce que je n'étais pas dupe ; il n'allait probablement pas aussi bien qu'il tentait de me le faire croire dans ses SMS. J'hésitais alors à le rappeler, à lui dire que j'étais désolé, que je m'étais trompé, et qu'on pouvait recommencer.
Mais recommencer quoi. Cette relation dans laquelle je m'étais lentement noyée ?
Je n'étais pas sûr d'en être capable.
Moi, j'aurais tout donné pour remonter le temps. Revenir à nos premières années, celles où tout était si parfait, où tout était si simple, et avant que ces putains de médias ne viennent mettre leur nez dans notre relation. Arrivé là, je figerais l'instant. Je l'empêcherais de s'échapper, et de nous amener à cette situation merdique, où être avec lui ne m'allait pas, mais où être loin de lui ne m'allait pas non plus. Qu'on oublie les derniers mois.
J'aurais tout donné pour un de ces « je t'aime », parce qu'ils me donnaient de la valeur, parce qu'ils me montraient que j'existais, qu'ils me faisaient sentir comme la personne la plus précieuse du monde ; et parce que je l'aimais aussi.
Parfois, l'envie de courir me refondre dans ses bras en pariant à pile ou face pour que notre relation reparte sur le bon pied me démangeait de l'intérieur à m'en empêcher de dormir.
Mais mes amis me disaient de tenir encore un peu.
Alors, pour eux, et pour moi, je voulais bien essayer.
_________
— Les jeunes, de nos jours, c'est quand même plus ce que c'était.
— Tu parles comme un vieux, et après t'oses te plaindre que je t'attaque sur ton âge...
— Non mais, je suis sérieux, insista Minhyunk. Comment ça se fait que tu ne sois jamais allé en boîte de ta vie ?
Je haussai les épaules, pas plus dérangé que ça par cette information. Mina n'y allait bien jamais, elle non plus, et elle se portait très bien. Je n'étais pas sûr non plus que ce soit le truc de Namjoon. Et puis, ce qu'il avait affirmé n'était pas tout à fait vrai non plus : j'y avais déjà posé les pieds une fois, au lycée. Je me refusais simplement d'y songer trop.
Mais peu importe ce que j'en dirais ; mon ami était bien déterminé à me changer les idées, et à me faire découvrir le monde de la nuit.
Je ne savais pas si l'idée m'angoissait ou me donnait envie.
— Seojoon est pas venu ?
— Il est de service de nuit, ce soir.
— Chier'.
Minhyunk plissa les yeux en me regardant, les bras croisés contre sa poitrine et les lèvres pincées.
— Mais dis donc, tu commencerais pas à faire du favoritisme pour lui ? Qu'est ce qu'il y a, tu t'es déjà lassé de ton bon vieux psy gratuit, c'est ça ?
Je levai les yeux au ciel, et le bousculai gentiment en avançant vers l'entrée de la boîte.
— Dis pas n'importe quoi, répondis-je. Tu resteras toujours mon trentenaire préféré.
— Espèce de sale petit garnement, va.
Je pouffais en accélérant mon pas, anticipant la tape sur le dos qu'allait me mettre Minhyunk. Hélas pour moi, je ne pus pas courir plus loin que jusqu'au videur de la boîte, qui me stoppa net, et mon ami me rattrapa sans attendre.
— Aïe ! me plaignis-je lorsqu'il frappa le haut de mon crâne.
— Ça t'apprendra à me rappeler sans cesse que je suis bientôt trentenaire.
Pour toute réponse, je lui tirai la langue, et je tentai de me faufiler dans la boîte directement. Sans résultat, puisque le videur me stoppa net en m'agrippant le bras avec une poigne qui me fit pâlir.
— Halte là, papiers d'identité.
— Hein ?
— Ce n'est pas un endroit pour les mineurs ici.
L'information prit son temps à monter à mon cerveau, puis quand ce fut le cas, je rougis furieusement de honte. À côté de moi, Minhyunk ne se gêna pas pour ricaner comme une hyène, et il me passa devant en m'envoyant un baiser volant.
— On se retrouve à l'intérieur.
— Attends, gredin !
Il ne m'attendit pas, et je me retrouvais seul face au videur qui ne semblait pas déterminé à me laisser passer. Grommelant, je fouillais dans mes poches à la recherche de mon porte-monnaie, que j'avais heureusement eu la présence d'esprit de prendre. Non mais sérieusement, pourquoi il me demandait ça, à moi ? J'avais presque vingt-deux ans, crotte, ça se voyait !
Ou pas, vraisemblablement.
Vu la gueule méfiante que tira le videur en avisant ma carte d'identité lorsque je lui tendis enfin, j'eus un soudain doute. Mais finalement, il me la rendit, et me laissa enfin rentrer.
Je rejoignis Minhyunk qui n'avait pas fini de se moquer.
— Je suis peut-être trentenaire, mais moi, en attendant, j'ai pas une tête de gamin, fanfaronna-t-il.
— Gneugneugneu...
Je préférais ne pas relever plus que ça, vexé comme un pou. Pourtant, physiquement, j'avais grandi, et je le savais : ma mâchoire s'était affirmée depuis le lycée, ma carrure s'était précisée, et je ne faisais pas si jeune que ça. Il faut croire que le comportement jouait aussi.
Mais pas le temps de bouder plus : une fois dans la boîte de nuit, la musique vint directement me frapper les tympans, et mon coeur se cala par automatisme au son des basses qui semblaient faire vibrer tout le bâtiment. Je fus soulagé de constater qu'il y avait du monde, mais pas trop pour autant. On pouvait toujours avancer sans étouffer, et de ce que j'avais entendu des endroits du genre, c'était pas toujours gagné.
Face à cette vie nocturne que j'avais ignoré ces dernières années, je déglutis difficilement.
Minhyunk, lui, semblait comme un poisson dans l'eau. Il m'attrapa par la manche et nous fraya un passage dans le dance floor où s'agitaient plein de silhouettes jusqu'au bar.
— Tu veux boire quoi ? me demanda-t-il à l'oreille en forçant sur sa voix pour se faire entendre.
— Euh...
Ma connaissance en alcool approvisionnant les zéros, je buguais un peu. Avec Taehyung, nous ne buvions pas beaucoup. Et quand c'était le cas, c'était uniquement du soju simple, alors toutes les bouteilles que je voyais derrière le barman, je n'avais absolument aucune idée de ce à quoi elles correspondaient.
Devant mon évidente hésitation, mon ami pouffa, puis commanda deux boissons sans attendre plus. Il m'en posa une devant moi, et me lança :
— Ce soir, t'oublies ce con de Taehyung, et tu t'éclates, ok ?
Oublier Taehyung, aka mission quasiment impossible. Mes pensées trouvaient toujours une bonne excuse pour dériver sur lui.
— Ok ? insista Minhyunk, et je réalisais que je devais regarder dans le vide d'un air chelou.
J'avisais le verre qu'il m'avait acheté, les gens qui dansaient au centre de la salle, la boule disco clichée qui projetait les lumières, et les grosses enceintes qui vibraient au rythme des basses. Puis, après avoir dégluti pour me donner du courage, je le levais, et il frappa le sien contre le mien.
— Ok, acquiesçai-je finalement.
J'allais essayer.
Sans attendre, je portais le verre à mes lèvres, et le descendis rapidement. Minhyunk lâcha un rire devant la belle grimace que j'affichais. La vache, ça chauffait encore plus que dans mes souvenirs.
— Doucement, s'amusa-t-il en me donnant une tape dans le dos.
Je lui fis signe que c'était ok, et il se releva, me traînant par le bras vers la piste de danse. Dans ma tête, tout se mélangeait, et je ne pus m'empêcher de songer encore une fois à Taehyung, et au seul autre moment où j'avais mis les pieds dans une boîte de nuit, et où j'avais bu à m'en bourrer la gueule.
Lui aussi, il m'avait attrapé par le poignet pour me tirer sur la piste de danse.
Et après, nous avions échangé notre premier baiser, là, sous le battement de la musique bien trop forte et les lumières multicolores.
Mon cœur se serra. Une envie de pleurer me remonta le long de la gorge en songeant à cet instant où tout avait commencé, et je m'efforçais de quitter mes souvenirs, de cesser de vivre dans le passé pour me concentrer sur le présent.
Je portais mon attention sur Minhyunk, qui faisait le zouave plus qu'il ne dansait. Sur ce nouveau son qui venait de se lancer, et que je ne faisais qu'entendre à la radio ces derniers jours. Sur la foule qui s'agitait, se mouvait, évoluait comme une seule et même entité. Je m'attendais presque à voir Taehyung en sortir, dans sa tenue noire, avec ses ondulations que j'aimais tant, et son sourire taquin qui m'avait complètement fait flancher.
Mais non.
Il n'était pas là.
Il n'y avait plus que moi, ici, jeune adulte à qui la vie tendait les bras.
Je fermais les yeux un instant, et rejoignis Minhyunk dans sa danse, tentant de n'écouter plus rien d'autre que la musique, et de la laisser occuper mon esprit jusqu'à m'en empêcher de penser. En cet instant, je fus heureux qu'elle soit aussi forte ; elle ne laissait la place à rien d'autre qu'à elle.
Quand je rouvris les paupières, mon ami me regardait, et il souriait. Je réalisais alors que j'avais commencé à me laisser aller et que je bougeais avec lui au son des basses. Un sourire prit place sur mes lèvres à mon tour.
Et je cessai de réfléchir.
Je m'amusais, tout simplement, à faire le con avec lui. Je passais au bar reprendre un verre et libérer un peu plus mon cerveau de ces souvenirs qui l'emprisonnaient, puis nous nous mîmes à gigoter comme des imbéciles. Je n'en avais rien à faire de danser n'importe comment. D'être ridicule, ou d'attirer des œillades amusées. Je m'éclatais, je revivais, et il n'y avait rien de plus beau.
Comme au karaoké avec Mina et mon meilleur ami, j'oubliais le monde. Comme à notre soirée de la semaine dernière avec Namjoon, je laissais faire. Comme lorsque je m'étais confié à Seojoon, je m'autorisais à exister.
Parce que je n'étais pas seul.
Et que même sans Taehyung, ils étaient là, eux, mes amis, et qu'il ne fallait pas que je l'oublie.
Pendant les trente minutes qui suivirent, on gesticula comme des zouaves avec Minhyunk, jusqu'à crever de chaud et en avoir marre de danser. Si mon ami s'était moqué de moi en voyant ma tenue lorsqu'on s'était rejoints, en me disant que je n'avais fait aucun effort, je ne regrettais maintenant pas mon short long. Lui, dans son super jean, il faisait moins le malin ; la chaleur était accablante.
On se glissa jusqu'au bar à nouveau. Je voulus commander un autre verre d'alcool, mais Minhyunk me coupa, secouant la tête avec un grand sourire :
— C'est tout pour ce soir, p'tite tête. Le but c'est de se détendre un peu, pas de finir complètement arraché.
À contre coeur, je me contentais donc d'un verre d'eau. Voyant la tête de ceux qui gisaient sur les rares places assises, je me doutais bien qu'il avait raison. Si je pouvais éviter d'être bourré à en faire des conneries dont je ne me souviendrais même pas, je ne disais pas non. Autant se souvenir des bons moments puisqu'ils existaient encore.
À l'affût d'un peu de calme, on sortit au niveau du coin fumeur, bien que ni lui ni moi n'ayons l'intention de fumer. L'odeur y était franchement désagréable, mais quitter un instant le brouhaha ambiant de l'intérieur faisait du bien.
Minhyunk s'adossa à la rambarde, et se tourna vers moi avec un beau sourire.
— Alors ? Tu t'amuses ?
— Comme un fou. Merci, Minhyunk.
Pour toute réponse, il me sourit, et il avait l'air sincèrement heureux. Ça me fit un petit quelque chose, et j'enfilai une gorgée de mon verre d'eau en silence tandis qu'il descendait le sien. Le court blanc qui s'installa entre nous n'avait rien de gênant, au contraire. Il nous détendait les muscles et nous laissait relâcher la pression de la danse.
Ce fut lui qui finit par le briser, en me voyant zieuter vers un groupe non loin, qui fumait en papotant :
— Y en a un qui t'intéresse ?
— Quoi ? demandai-je en me retournant vers lui, confus.
— De mec. Y en a un qui te plaît ?
— Hein ?
Je m'empressai de secouer la tête de droite à gauche, presque outré.
— Mais pas du tout !
— T'aurais le droit, tu sais, dit-il simplement.
— C'est pas la question, je les regardais même pas pour ça !
— Hm.
Il ne rajouta rien, mais la façon dont il se mit à siroter son verre était bien assez éloquente : il n'en pensait pas moins, et il avait envie de me dire quelque chose. Sûrement réfléchissait-il à si c'était le bon moment ou non, de peur de gâcher cette soirée où j'étais censé me détendre.
Honnêtement, je préférais qu'il ne dise rien : je craignais ne pas avoir envie de penser à ce de quoi il voulait probablement parler.
Malheureusement pour moi, il reprit finalement, d'un ton précautionneux :
— Tu sais, Kook... Je dis pas que c'est le cas là, mais si un jour, tu rencontres un type qui te plaît, et que t'as envie de tenter une expérience... Tu pourrais. Tu le sais, hein ?
Je soupirai, et secouai négativement la tête, sans pour autant me braquer comme j'aurais pu le faire avant. J'étais fatigué de fermer les yeux sur les problèmes.
— Je ne suis pas sûr, répondis-je dans un souffle.
— Pourquoi ?
— J'aurais l'impression de le tromper.
Il ne répondit pas tout de suite. Moi, je laissais mon cerveau figurer pour la première fois l'idée d'échanger un baiser avec quelqu'un d'autre que Taehyung, et ça me sembla absurdement irréaliste. Mes lèvres, posées contre d'autres que les siennes ? Impensable. Il avait été ma première expérience, et honnêtement, je n'avais pas spécialement envie d'en avoir d'autres. Je ne voulais pas connaître le goût d'un baiser si ce n'était pas le sien.
Au regard que me lança Minhyunk, j'aurais presque dit qu'il avait lu dans mes pensées. Il haussa les épaules, et me lâcha :
— Ce ne sera pas vraiment le cas, vu l'état actuel de votre couple.
— On est en pause, pas séparés.
— Justement. C'est pas le but d'une pause ?
Je fronçai les sourcils, confus.
— Vivre d'autres choses et tenter d'autres expériences, pour savoir si on a envie de nouveau, ou si on préfère finalement rester dans notre vie d'avant, continua-t-il sans me lâcher des yeux.
Je voyais ce qu'il voulait dire, mais je n'étais pas sûr d'être d'accord.
Et puis, dans tous les cas, je n'allais pas me forcer.
— Je n'ai pas envie, répliquai-je simplement.
— Et rien ne t'y oblige, répondit-il.
Il posa son verre terminé sur la rambarde, et j'eus une pensée pour tous les pauvres gens qui devaient faire le ménage dans les boites de nuit au petit matin, et retrouver les verres égarés, nettoyer l'alcool qui collait au sol, ou les autres substances auxquelles je préférais ne pas penser. Puis, avec un sourire compréhensif, il posa une main contre son dos, et rajouta :
— Mais ne t'interdis pas de vivre si un jour ça te tente, ok ? Peut-être que connaître autre chose t'aidera à mieux savoir de quelle manière il compte pour toi.
Je ne répondis rien.
Minhyunk n'insista pas, et après une dizaine de minutes de plus à savourer l'air frais de la nuit, on retourna à l'intérieur de la boîte pour un second round de danse. Ses paroles me trottèrent dans la tête, et j'eus plus de mal à me concentrer : je ne pouvais empêcher mon regard de dériver sur tel ou tel mec, et de me demander ce que ça ferait, d'être en couple avec eux plutôt qu'avec Taehyung, et s'ils m'attireraient.
Finalement, aucun n'attira mon attention assez pour passer outre l'immense barrière qui me disait que je ne voulais de ce genre de relations qu'avec Taehyung, et nous quittâmes la boîte de nuit à quatre heures du matin, bien claqués et lessivés.
Minhyunk me conduisit chez lui et me laissa me coucher sur le canapé avec une couverture, avant de rejoindre Seojoon qui devait déjà dormir dans leur lit.
Cette nuit-là, malgré l'épuisement de la danse et de la boîte de nuit, j'eus du mal à trouver le sommeil.
_____oOo_____
Nouvelle update ! J'avais prévenu que ça risquait d'être plus rapproché avec le calendrier de l'avent ;D
J'ai pris beaucoup de plaisir à écrire ce chapitre, alors j'espère qu'il vous aura plu !
N'hésitez pas à laisser un petit commentaire pour me dire ce que vous en avez pensé, je suis curieuse \(・◡・)/
Le chemin pour réapprendre à vivre par soi-même est un peu long, mais Jungkook y arrive de plus en plus... Bientôt des retrouvailles ? 👀
Il reste à priori cinq chapitres sans compter l'épilogue si mon plan ne change pas d'ici là, la fin se rapproche... Ca va me faire bizarre :')
Sur ce, j'espère que vous vous portez bien, et à très bientôt !
Merci de me lire ♡
( Et un grand merci à Aveny_de_Girondif pour la correction de ce chapitre ! )
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro