2.3
— Sérieusement, qui mange des glaces au chou-fleur ? demanda Minhyunk, une moue dégoûtée sur le visage.
— Ceux qui veulent un peu de folie dans leur vie, j'imagine.
Je lui pointai un autre parfum dans la vitrine, et rajoutai:
— Après, t'en as aussi au lard fumé si tu veux.
— Berk.
Il plissa le nez, balayant sa main devant lui comme pour faire partir une odeur, ce qui était factuellement strictement inutile puisque nous étions dehors. J'aurais bien voulu faire un tour à l'intérieur de cette glacerie insolite, mais Minhyunk m'avait bien fait comprendre que lui vivant, il ne poserait même pas un orteil dedans. Quant à Seojoon, il mimait de n'avoir rien entendu, zieutant innocemment la devanture d'une librairie pour échapper à une potentielle idée moisie de ma part – ou de la part de son mec.
C'est vrai que ces parfums étaient tellement farfelus que ça donnait envie de voir quelqu'un y goûter...
— Eh, Joon ! le héla mon ami.
— Hm ?
— T'as pas chaud ?
— Non merci, ça ira.
Minhyunk ricana, et je pouffai en voyant Seojoon s'éloigner encore plus de la boutique du diable. Vraisemblablement, les glaces, ce ne serait pas pour cette fois. Bien que dans l'idée, je ne dirais pas non : l'air était particulièrement lourd sur la ville, et j'étais en nage. D'autant plus qu'après cette agréable sortie avec mes deux amis, j'avais autre chose de prévu.
Un rendez-vous qui n'arrangeait en rien la moiteur de mes mains.
Rien qu'y penser me noua la gorge d'appréhension.
— Ça vous dit d'aller boire un verre ? suggéra alors Minhyunk, et je secouai la tête de droite à gauche.
— Je retrouve Tae au café dans moins d'une heure.
La voici. La cause de mon angoisse montante.
J'avais enfin pris une décision, et je m'étais résolu à appeler mon copain pour discuter un peu de nous deux, et de ce qu'on était, maintenant. Dire que je me chiais dessus était un euphémisme. Mais comme ce n'était pas très distingué formulé ainsi, comme me l'avait si justement fait remarquer Seojoon lorsque nous nous étions salués quelques heures plus tôt, disons simplement que j'angoissais. Énormément. Un peu trop, même.
Je n'avais pas fermé l'oeil de la nuit, et complètement en panique, j'avais harcelé Minhyunk de messages dès le matin. C'est pour cette raison que mes deux amis étaient là : ils s'étaient gentiment proposés pour me changer les idées avant mon entrevue avec Taehyung.
Et je leur en étais sincèrement reconnaissant, parce que sans eux, je serais probablement actuellement en pleine crise de nerfs.
— Dommage.
Minhyunk se tourna vers son mec, et lui balança :
— Tu peux arrêter de faire genre de t'intéresser à cette librairie, on va pas te forcer à bouffer une de ces horreurs. En revanche, si quelqu'un veut une vraie glace...
— Ça, je dis pas non.
Nous nous mîmes tous les trois d'accord pour chercher un supermarché qui vendrait des glaces à des parfums plus classiques, puis on s'en acheta une chacune avant d'aller se poser dans un petit parc non loin du café où j'avais rendez-vous avec mon copain. A l'ombre des arbres, l'air paraissait moins étouffant, et la fraîcheur de notre gourmandise me fit le plus grand bien. J'essayais de me concentrer sur l'instant présent ; sur le rire de Minhyunk, la voix de Seojoon, le froid contre ma langue, le brouhaha des enfants qui jouaient non loin, la chaleur du soleil qui perçait les feuillages contre ma peau. Me centrer là dessus. Et de ne surtout pas penser à l'après.
J'y arrivais plutôt bien, puisque finalement, quand Minhyunk nous annonça une dizaine de minutes plus tard qu'il devait partir, je me sentais détendu. La rigidité dans mes épaules et la lourdeur dans la poitrine s'étaient enfin décidées à me laisser un peu de répit.
— On se revoit ce week-end, me sourit-il en me tendant son poing pour que je le tape avec le mien. Quinze heures ?
— Quinze heures, confirmai-je avec un petit sourire. À bientôt, et bonne chance pour l'entretien !
— Merci p'tite tête.
Il commença à s'éloigner, avant de se retourner et de me pointer du doigt en haussant les sourcils.
— Et toi, tu te dégonfles pas, c'est clair ? Sinon je t'utilise comme cobaye pour mes prochains entraînements de taekwondo.
— Très clair.
Après un dernier signe de main, il détala. Mon aîné en était au même stade que moi, malgré nos années d'écart : il cherchait un boulot. À la différence près que lui il avait enchaîné les expériences professionnelles, et qu'il touchait de l'argent grâce au chômage. Enfin, plus pour longtemps, de ce que j'avais compris. D'où le fait que Seojoon l'ai un peu poussé à se bouger le cul, parce qu'ils payaient leur appartement à deux.
Désormais seul avec ce dernier, je me laissais tomber contre le dossier du banc dans un petit soupir d'appréhension. Je n'avais pas besoin de regarder l'heure pour savoir que si mon ami venait de partir, alors il ne devait pas me rester bien plus de dix minutes avant l'instant fatidique.
Seojoon posa une main réconfortante contre mon épaule, et glissa :
— Ça va aller.
Je tournai le regard vers lui, avant de hocher lentement la tête.
— Je stresse, répondis-je néanmoins.
— Je sais.
Il ne rajouta rien, et à vrai dire, il n'avait pas besoin de rajouter quoi que ce soit. Rien que de savoir qu'il était là et qu'il m'écoutait me suffisait largement.
Depuis qu'il m'avait confié une partie de son passé, je me sentais plus proche de Seojoon. Je crois qu'il en était de même pour lui. Alors qu'auparavant je me confiais toujours d'abord à Minhyunk, je me surprenais à avoir parfois envie d'aller d'abord le voir, lui, en premier. Allez savoir pourquoi. Mais il régnait entre nous un sentiment de confiance qui me dénouait les épaules et m'apaisait la tête.
Nous tuâmes les dernières minutes à discuter de tout autre chose, et il prit soin de ne pas laisser mes idées se noircir à nouveau ; puis il fut temps que je me lève et que j'aille voir Taehyung, et j'en avais tout, sauf envie.
— Tu veux que je t'accompagne jusqu'au café ? proposa Seojoon une fois debout.
— T'embêtes pas...
— Si je propose, c'est que ça ne m'embête pas.
— Alors je veux bien.
Je lui adressai un sourire reconnaissant, en PLS interne. L'avoir à côté de moi sur la route ne serait pas plus mal : ça m'empêcherait de partir en courant au premier croisement de rue, parce qu'honnêtement, mon corps ne demandait que ça. J'avais prévu de revoir Taehyung, bien entendu, mais jusqu'à il y a quelques jours, pas aussi vite. Pas comme ça. Et encore moins pour lui dire ce que j'avais à lui dire.
Mais cette fois-ci, contrairement à la dernière fois où il m'avait pris par surprise, j'étais prêt.
Et j'étais bien déterminé à aller jusqu'au bout des choses malgré la trouille bleue qui courait dans mes veines.
— Allons-y, soufflai-je du bout des lèvres.
Seojoon hocha la tête, et me suivit tandis que je m'engageais dans les petites ruelles du quartier où nous étions. Quelques minutes seulement plus tard, bien trop tôt à mon goût, la devanture du café où j'avais rendez-vous apparut. Et à sa terrasse, une silhouette que je reconnaitrai entre mille malgré sa casquette et le masque qui cachait son visage.
Je m'arrêtai soudain, et déglutis, la gorge sèche.
Dans ma poitrine, mon coeur faisait un boucan infernal ; et je préférais ne pas essayer de déchiffrer ce qu'il essayait de me dire.
— Ça va bien se passer, ok ?
Je tournai la tête vers Seojoon pour me donner du courage.
— Tu en es capable.
Il avait l'air sincère, en me disant ça. Alors peut-être bien qu'il avait raison.
J'en étais capable.
Et j'allais le faire.
Je hochai la tête, puis me donnai une micro gifle qui fit pouffer gentiment mon ami avant de marcher d'un pas assuré jusqu'à la table où mon copain m'attendait, Seojoon sur les talons. Il ne releva la tête que lorsque je m'arrêtais devant lui.
— Oh, te voilà.
Maladroitement, il se leva, et je crus un instant qu'il allait me faire une accolade, mais il sembla dissuadé par quelque chose. Je me demandai un instant quoi avant de voir Seojoon posté derrière moi avec les bras croisés et les épaules hautes. Vraisemblablement, il lui restait des réflexes de sa carrière de garde du corps...
— Salut, murmura-t-il donc simplement à la place, l'air un peu gêné.
— Hm, salut.
Seojoon le regarda de travers, la posture intimidante, et je ne pus m'empêcher d'être un peu touché devant son attitude aussi protectrice.
Mais je n'avais pas besoin qu'il me protège. J'étais un grand garçon, et je pouvais le faire tout seul.
Taehyung faisait partie de ma vie ; c'était à moi de gérer la façon dont nous allions faire maintenant.
— Seojoon, c'est bon.
Mon ami décroisa les bras, semblant réaliser l'attitude qu'il avait pris inconsciemment, et je lâchai en lui adressant un petit sourire reconnaissant :
— Tu peux y aller. On se revoit bientôt.
Il hocha lentement la tête, avant de répondre :
— Hm. À bientôt.
Puis, après un dernier regard de travers pour mon copain, il partit, nous laissant tous les deux seuls. Un court silence un peu gênant s'installa, suspendu dans le temps, semblant à mi-chemin entre la réalité et le rêve, comme si nos vies ne nous appartenaient pas vraiment, avant que nous ne nous asseyions tous les deux. Taehyung se racla la gorge et fut le premier à le rompre.
— Il me fait un peu peur, ton pote. Je sais pas ce qu'il a contre moi, mais...
Il interrompit sa phrase avant de l'avoir terminée. Évidemment que si, il se doutait bien de ce qu'il pouvait avoir contre lui. Il suffisait que je me sois confié à Seojoon pour que ça explique son regard de travers et sa posture défensive. Je ne pris pas la peine de lui faire remarquer qu'il aurait probablement agi de la même manière dans tous les cas vu son aversion pour les célébrités, et fermai simplement la carte des boissons.
— Oublie ça. Commandons, si t'as choisi.
Il acquiesça, et quelques minutes plus tard, nous avions nos boissons en face de nous : un thé glacé pour lui, et un chocolat chaud pour moi. Ce n'était vraiment pas adapté à la température, mais c'était plus fort que moi : cette boisson était la seule qui avait le pouvoir de me réconforter un minimum. Et là, j'allais en avoir besoin.
Après un court silence plein de non-dits, il retira son masque, se racla la gorge, et demanda d'un ton qu'il s'appliqua à faire doux :
— Comment tu vas ?
J'aurais pu mentir. Dire « ça va », comme d'habitude, pour éviter les questions et ne pas alourdir l'ambiance. Mais elle était de toute manière déjà bien assez pesante, et aujourd'hui, j'avais décidé d'être honnête. Pour toute réponse, je soufflai donc du bout des lèvres :
— Bof. Et toi ?
— Bof aussi.
On s'échangea un sourire un peu triste. Au moins, là dessus, nous étions sur la même longueur d'onde...
Il porta son verre à ses lèvres pour pouvoir boire une gorgée de son thé frais, non sans adresser un petit regard méfiant autour de lui avant, et à la façon dont ses épaules se crispèrent, je devinais sans mal ce qui devait lui passer par la tête. Il avait peur d'être vu, encore. Ou plutôt, d'être vu avec moi.
Ma pensée se confirma lorsqu'il demanda en reposant lentement le verre :
— Pourquoi ne pas être allés discuter à la maison ?
Je déglutis difficilement, tentant de dénouer ma gorge.
— J'avais besoin d'un endroit plus neutre, répondis-je en triturant mes doigts sous la table.
— Neutre ? Je ne comprends pas.
— N'essaye pas de comprendre ça, alors, ce n'est pas important.
Il s'apprêta à dire quelque chose, mais se mordit l'intérieur de la joue pour se retenir. Son regard parcourut nerveusement les tables autour de nous, sur lesquelles les quelques clients ne nous prêtaient aucune attention, puis sur la petite ruelle pauvre en passants. Mon coeur s'alourdit un peu plus dans ma poitrine.
— On ne va pas nous voir, Taehyung, soupirai-je.
Il parut un peu gêné que j'ai pris ses angoisses sur le fait, mais marmonna néanmoins :
— On sait jamais...
— On ne va pas nous voir, et au pire, ils verront juste un célèbre acteur en couple avec Lee Hayoon parler dans un café avec un ami. Rien de bien problématique.
Même si j'avais tenté de limiter l'amertume dans ma voix, elle ressortait bien suffisamment dans mes mots, et Taehyung baissa alors la tête, l'air honteux. Il s'humecta les lèvres, puis chuchota :
— Excuse-moi.
Excuse-moi. C'est tout. Pas de « Tu as raison, on s'en fiche des médias. ». Ni de « Et ils se tromperont, parce que c'est toi que j'aime. ». Encore moins de « Je suis désolé, je vois bien que ça te blesse, et je vais corriger le tir : au moins mettre fin à mon faux couple stupide avec Hayoon. »
Je n'étais même pas déçu. Je m'y attendais, je crois : Taehyung était tellement angoissé par ça depuis des mois qu'il n'allait pas changer d'avis en quelques jours, quand bien même je m'étais laissé aller à espérer que mon absence lui fasse reconsidérer la chose. Tant pis. De toute manière, peu importe ce qu'il allait me dire, il fallait que j'aille au bout de ma décision ; et je craignais d'avoir du mal à le faire s'il me regardait plus longtemps avec ces yeux coupables et plein de regrets, qui ne me donnaient qu'une envie, le pardonner et retourner dans ses bras.
J'inspirai donc, et commençai avant même de me laisser le temps de réfléchir :
— Il faut qu'on parle.
La tentative de sourire qu'il m'adressa me serra le coeur.
— On est là pour ça, non ?
Oui. Et ce que je m'apprêtais à dire n'allait sûrement pas te plaire.
La nervosité grimpa en moi d'un coup, me grignotant l'estomac, rendant mes mains moites et mon souffle fébrile. Quand le doute revint s'insinuer en moi, je pensais à Minhyunk et Seojoon, et au briefing qu'ils m'avaient donné ce matin. Ne pas flancher. Aller au bout des choses. Et le plus dur serait fait.
— Qu'est ce que tu voulais me dire ? me demanda Taehyung, une pointe d'inquiétude mal camouflée dans la voix.
Je voyais bien qu'il angoissait. Il avait beau tâcher de ne pas le montrer, il se doutait sûrement que le fait que j'ai voulu discuter ici, et pas dans notre appartement, comme il l'avait si bien fait remarquer, n'était pas anodin. Je pouvais presque entendre les battements anxieux de son cœur jusqu'au mien, qui battait à l'unisson. J'aurais voulu pouvoir le rassurer. Mais hélas, ce n'était pas ce qui était au programme.
Je pris une grande inspiration.
Puis, du bout des lèvres, je lâchai enfin :
— Je pense qu'on devrait faire une pause.
Le temps s'arrêta. Taehyung se figea, me regardant d'un air que je ne lui avais jamais vu avant. Les discussions du café se floutèrent jusqu'à ne devenir qu'un brouhaha confus et étrangement lointain. Le soleil ne projeta plus aucune chaleur sur nos peaux.
Il n'y avait plus que lui ; lui et moi, et nos deux yeux accrochés l'un à l'autre dans un dialogue d'émotions muettes.
Et puis, alors que je commençais à penser qu'on avait vraiment réussi à figer l'instant, Taehyung bougea enfin. Il laissa échapper un mot, une petite syllabe, à la fois si fragile et pourtant prononcée d'un ton qui ne laissait pas place à la discussion :
— Non.
— Je reformule, rétorquai-je devant ça. J'aimerais qu'on fasse une pause.
— Non.
Taehyung se recula dans son dossier, commençant à s'agiter. Une de ses mains vint rabattre nerveusement ses cheveux vers l'arrière, tandis que de l'autre, il s'enfonçait les ongles dans la paume de sa main, le visage traversé de mimiques qui trahissaient totalement les émotions qui le parcouraient. Si depuis que nous nous étions assis, il s'était efforcé de les camoufler, il n'y arrivait plus ; et sa voix claqua à nouveau dans l'air :
— On ne peut pas. Pas besoin d'en arriver là. Je vais faire des efforts, ok ? Je vais faire des efforts, et ça va s'arranger, ça va bien se passer. Tu devrais rentrer à l'appart. Tu dis ça parce que ça fait un moment qu'on a pas vraiment été ensemble, mais je t'assure qu'on en a pas besoin.
Il parlait d'une traite, enchaînant ses phrases comme s'il craignait de me laisser en placer une, de peur que je le contredise. La fausse assurance dans son ton dénotait avec sa poitrine qui se soulevait de plus en plus vite.
— Taehyung, je...
— Non, répéta-t-il, formel. Les pauses c'est pour les gens qui ne sont plus sûrs de s'aimer, et c'est des conneries, parce que nous deux, on s'aime, et on le sait. Tu me l'as dit la dernière fois.
— Tae-
— Je ne sais pas qui t'as mis cette idée stupide en tête, mais c'est de la connerie. On a pas besoin de ça. On-
— Mais tu me laisses parler, oui ? l'interrompis-je à mon tour en haussant le ton.
Il se tut, le souffle court, tandis que je tentais de contenir l'énervement qui tentait de monter en moi. Au fond, je savais bien que ce n'était pas réellement de l'agacement. Que c'était une émotion qui montait pour en camoufler d'autres, plus vulnérables, et j'étais désolé pour Taehyung, parce que je voyais bien que ça le blessait. Mais il était temps qu'il m'écoute, un peu. J'en avais assez qu'il pense pour nous deux.
— J'y ai réfléchi, enchaînai-je, irrité. Je ne te dis pas ça par dessus la jambe sans y avoir pensé, ça fait des jours que ça me bouffe le sommeil, alors arrête de parler comme si je ne savais pas ce que je faisais. Je suis assez grand pour avoir mon propre avis, merci.
Il y eut un instant de flottement, durant lequel Taehyung me regardait avec un regard blessé que je ne lui avais jamais vu auparavant. Un moment, je crus qu'il allait accepter sans plus faire d'histoires ; l'instant d'après, ses sourcils s'inclinèrent dans une expression contrariée, et il rétorqua d'une voix plus sèche :
— Arrêtes tes conneries, Kook.
Je connaissais ce ton. Je connaissais cette expression. C'était celle qu'il prenait toujours avant une dispute, et mon coeur se serra dans ma poitrine en voyant le chemin qu'allait prendre la discussion.
S'il te plait, Taehyung, le suppliai-je silencieusement. Pas maintenant. Je ne voulais pas finir cette conversation sur une mauvaise note ; c'était déjà bien assez difficile comme ça.
Mais mon copain avait toujours tendance à réagir à la contrariété par la colère, alors je vis celle-ci recouvrir la peine dans son regard, et il rajouta, m'enfonçant une énième épée dans le coeur :
— C'est pas parce que c'est compliqué entre nous en ce moment qu'il faut faire une « pause ». Et puis, tu ferais quoi, hein ? Tu veux quitter l'appart pour de bon ? Sans argent ? Ne me fais pas rire.
Il recommençait, putain. Ce putain de sujet de mon indépendance commençait sérieusement à me courir sur le haricot.
— Si, si, c'est ce que je fais faire, rétorquai-je sèchement. Et pour ta gouverne, sache que j'ai trouvé un travail. Alors merci de t'inquiéter, mais ça ira.
Il parut un instant confus, et demanda en fronçant les sourcils :
— Un travail ? Quel travail ?
— Je vais poser pour une marque de vêtements.
Le rire incrédule qui s'échappa de ses lèvres ne me plut pas. Ma poitrine se comprima, et je pris une inspiration silencieuse.
— Mannequin ? répéta-t-il, hébété. Toi ?
— Oui, moi. Ça te pose un problème ?
— Je croyais que tu ne voulais surtout pas te retrouver de l'autre côté de la caméra.
Et il n'avait pas tort, en soi. Je lui avais déjà dit maintes et maintes fois combien j'avais tout sauf enfin d'avoir un métier comme le sien, où mon image serait partagée et deviendrait un produit à analyser et suranalyser. Si j'avais mis autant de temps à dire oui à Yeonjun, c'était en grande partie pour ça ; ce n'était pas ce que je voulais.
Néanmoins, si j'avais décidé de le faire maintenant, il n'avait pas son mot à dire. Alors son ton donneur de leçons, il pouvait se le garder pour lui. Je m'adossais contre mon dossier à mon tour, et répliquai, croisant les bras contre ma poitrine :
— Et bien j'ai changé d'avis.
Un rictus nerveux prit place sur ses lèvres. Il ne tenait pas en place : sa main ne cessait de rabattre ses mèches, son regard bougeait beaucoup trop souvent pour que ce soit naturel, et il ne cessait de réarranger sa position sur sa chaise. S'il avait pu, il se serait levé pour faire les cent pas. Il secoua la tête de droite à gauche, et répondit :
— C'est n'importe quoi. C'est totalement ridicule. Tu aurais pu rester à l'appart le temps de te trouver un vrai boulot qui te plaît, au lieu d'aller accepter le premier venu.
— Mais je ne t'ai pas demandé de commenter, en fait ? rétorquai-je.
— Je commente parce que tu fais des conneries.
C'est qu'il insistait, en plus. Devant son ton irrité, mon propre agacement quant à ses réactions explosa, et je répondis en me penchant sur la table pour le regarder droit dans les yeux, et lui montrer que j'étais sérieux :
— Écoute, Taehyung. J'ai accepté ce boulot justement parce que je ne veux plus continuer comme ça, à vivre à tes dépens en attendant de trouver le top. J'en ai ras le cul, j'ai besoin d'indépendance, ok ? J'ai besoin de pouvoir m'acheter un truc sans me dire que c'est ton argent que j'utilise. J'ai besoin de pouvoir faire ce que je veux sans avoir de comptes à te rendre. J'ai besoin d'exister par moi-même, juste moi, tu captes ?
— Parce que je t'empêche de le faire ?
— Oui ! m'emportai-je. Oui, merde ! Sans toi je ne suis rien ! Tu me bouffes complètement la vie et je n'en peux plus !
Mes éclats de voix attirèrent l'attention des clients, mais je ne m'en préoccupais qu'à peine ; je ne voyais plus que Taehyung, qui s'était tu. Je ne voyais plus que son regard blessé, que toute trace de colère avait déserté pour laisser place à une peine profonde. Je ne voyais plus que l'humidité dans ses yeux, qui menaçait de couler d'une seconde à l'autre.
Il s'était reculé dans son siège, et j'avais l'impression de l'avoir frappé.
Je crois que mes mots l'avaient vraiment heurté. Choqué, peut-être. Devant son expression profondément blessée et décontenancée, ma colère s'évapora à son tour, et je voulus me contredire, mais je ne trouvais pas les bons mots. C'était vrai, Taehyung me bouffait ; mais ce n'était pas que de sa faute. C'était aussi la mienne, qui m'était raccroché à lui dans tous les aspects de ma vie jusqu'à n'exister que pour lui. C'était aussi moi, qui l'avais placé au centre de tout. Moi, qui m'étais empêché d'aller vivre d'autres choses loin de lui. J'en avais fait le centre de mon monde, et nous en payions désormais tous deux le prix.
Je voulus lui dire quelque chose, mais sa voix s'éleva avant ; un souffle bas et fragile, que la peine faisait trembler :
— Excuse-moi.
Son regard ne me quittait pas, rempli de douleur comme je ne l'avais jamais vu.
— Je ne savais pas que tu le vivais comme ça, murmura-t-il du bout des lèvres. Je ne voulais pas te faire du mal. Je... Je voulais faire les choses bien, je te jure. J'ai fait de mon mieux. Mais j'ai dû louper quelque chose, je suis désolé.
J'avais mal. Affreusement mal. Je ne crois pas que mon coeur ait un jour été si douloureux dans ma poitrine ; voir Taehyung ainsi, entendre sa voix avec une telle fragilité, ce n'étaient pas des choses que je m'étais préparé à vivre un jour.
Après tout, Taehyung était mon pilier, alors j'étais parti du principe que Taehyung était fort.
Peut-être l'était-il moins que je ne l'avais cru.
Peut-être que lui non plus, il n'était pas assez solide pour porter tout ça.
Peut-être que vivre pour deux était aussi épuisant que de ne vivre que pour l'autre.
— Si tu veux vraiment faire une pause...
Les yeux incapables de me détacher de cet homme que j'aimais tant soudain si vulnérable, mon coeur se comprima affreusement dans ma poitrine. L'envie de me terrer dans ses bras me prit le coeur plus fort que jamais.
— Je ne vais pas t'en empêcher, capitula-t-il finalement, et ma gorge se noua.
Je l'aimais. Je l'aimais tant.
— Mais je t'attendrai.
Je l'aimais si fort que c'en était douloureux.
— Je t'aime, Kook.
Hélas, parfois, l'amour ne suffisait pas.
________
Quand je rentrais chez Namjoon après notre café, la première chose que je fis, c'est me blottir contre lui et pleurer jusqu'à ne plus avoir assez d'eau pour le faire, la poitrine étouffée par les sanglots et le coeur par la peine. Je restais glué à lui jusqu'à la tombée de la nuit.
Ça y est, j'y étais.
Au point que j'avais le plus redouté dans ma vie.
Et dès lors, je savais que quoi que soit ce qui allait suivre, ce serait marqué du signe du changement, aussi terrifiant soit-il.
_____oOo_____
Je suis à l'heure omg :0
Genre zéro jours de retard :0
Sortez le champagne
Enfin bref :')
J'espère que ce chapitre vous aura plu, hésitez pas à me laisser votre avis ♡
Jungkook trouve enfin le courage de s'éloigner de Taehyung, espérons que ce soit pour le mieux des deux côtés ! ᕦʕ •ᴥ•ʔᕤ
Et on entre donc dans la dernière partie de l'histoire !
Il reste moins de 10 chapitres, si y a pas de changements dans mon plan entre temps...
Un immense merci de me lire, hésitez pas à commenter, et on espère à la semaine prochaine pour un deuxième chapitre à l'heure 〜(꒪꒳꒪)〜♡♡
( Un grand merci à Anevy_de_Girondif pour la correction de ce chapitre ! )
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