2.1
J'étais au fond du trou.
La joie éphémère du karaoké n'avait été qu'un mirage, et je ne pouvais pas me leurrer : ça n'allait pas, vraiment pas.
La nuit, je me réveillais sans aucune raison valable, la gorge affreusement nouée, et je me retrouvais tout à coup incapable de me rendormir ; je n'avais plus qu'à compter les minutes en essayant de ne pas trop penser, et surtout pas à lui, parce que si je m'engageais sur ce chemin glissant, je terminais invariablement en larmes.
Souvent, je rêvais d'eux. Par eux, j'entends Taehyung et Hayoon. Au début de mes rêves, c'était toujours la même chose : moi, avec Tae, heureux parce qu'il est là, et parce que ça suffit. Et puis elle, qui arrive sans que je ne puisse rien y faire. Parfois, elle sortait tellement de nulle part que ça en deviendrait presque drôle ; une fois elle tombait du ciel comme un oiseau, l'autre fois elle était cachée dans le placard de la cuisine, la fois d'après c'était en réalité Yeontan depuis le début. Sauf qu'à partir du moment où elle était là, Taehyung cessait de me regarder. Et c'était si douloureux rien qu'en rêve que je me retrouvais incapable d'en rire.
Quand il ne faisait pas nuit, et que le soleil se disputait la première place avec les nuages orageux dans le ciel, je devenais alors paralysé. Incapable de faire la moindre chose.
Heureusement, Namjoon était là, et Namjoon parvenait parfois à me faire oublier l'inconfort étouffant qui me bouffait, et à me faire bouger un peu. Mais malheureusement, jamais très longtemps ; après, il partait travailler.
Après, je me retrouvais de nouveau seul.
Comme dans notre grand appartement, à Taehyung et moi.
Comme trop souvent ces derniers temps.
Comme toujours, me semblait-il.
Dans un de ces moments, j'avais fini par craquer. Parce que la solitude était trop pesante, le silence trop étouffant, et le brouhaha de mes pensées trop assourdissant, j'avais – enfin – osé débloquer Taehyung. La ribambelle de messages n'avait pas tardé à arriver. J'avais observé mon téléphone vibrer entre mes doigts, le cœur tambourinant à toute allure dans ma poitrine, autant d'espoir que de terreur.
Namjoon avait beau m'avoir assuré l'inverse, je ne pouvais m'empêcher de le craindre : et si, dans ses messages, il me révélait qu'il était en réalité vraiment avec Hayoon ? Qu'il m'avait trompé avec elle au-delà du baiser que la moitié de la Corée et moi même avions vu ? Qu'il voulait rompre avec moi, mais qu'il n'avait pas trouvé le courage de me le dire ?
Ce que j'y trouvais fut tout l'inverse.
Des excuses, des « je t'aime », des « je suis désolé », encore, des « tu me manques », des « reviens, je t'en supplie », des « laisse moi t'expliquer, parlons en au moins ».
Je n'en tirais pas la satisfaction que j'aurais dû ressentir.
Étrangement, le soulagement ne se manifesta pas. Son amour que j'espérais pourtant tant ne fit que rajouter une petite pierre à l'édifice de ma peine, sans que je ne comprenne vraiment pourquoi.
Peut-être parce qu'il me donnait de l'espoir, et que j'en avais assez, d'espérer, que ça faisait trop mal.
Peut-être parce que ça me ramenait à un avant qui me manquait affreusement, qui m'avait semblé si idyllique, si immortel.
Peut-être parce qu'au fond, je n'étais plus si sûr de ce que je voulais faire de nous.
« Laisse moi t'expliquer », qu'il écrivait dans ses messages.
Mais m'expliquer quoi ? Il y avait-il vraiment une raison qui justifiait qu'il ait embrassé son amie à la télévision sans m'en avoir parlé ?
Et puis, d'autres fois, je me disais au contraire que c'était moi qui avais un problème. Moi qui avais complètement surréagit, et que ce n'était qu'un baiser de rien du tout, pour la promotion d'un film, et qu'après tout, ce n'était pas comme si c'était la première fois que Taehyung embrassait une actrice dans le cadre d'un tournage ou je ne sais quoi. Je m'en voulais et me trouvais ridicule.
Quand ça arrivait, Namjoon était là pour me répéter que ma réaction n'avait rien d'excessive, et qu'elle était entièrement légitime. Parfois, j'arrivais à le croire. D'autres fois, c'était plus compliqué.
Enfin, voilà.
Dans ma tête, c'était un bordel sans nom.
Mes émotions négatives se chamaillaient sans cesse pour prendre le dessus, jusqu'à ce qu'elles ne soient toutes trop épuisées et ne laissent place à un vide assommant. L'amour gueulait à ma rancune de se taire, ma rancune me suppliait d'étouffer mon amour et d'arrêter de me morfondre pour lui. Je ne savais plus quoi faire, avec tous ces sentiments. Ils me broyaient le cœur et l'esprit avec une persévérance épuisante.
Ça me fatiguait. J'étais si fatigué.
En revanche, il y avait quelque chose que je savais.
Je ne pouvais pas rentrer chez Taehyung. Pas maintenant. Je voulais prendre le temps d'y voir plus clair avant de prendre la moindre décision irréfléchie, alors j'avais demandé à Namjoon si je pouvais rester encore un peu.
Et évidemment, il avait accepté.
« Aussi longtemps que tu voudras. »
Je me demandais ce que j'aurais fait sans lui.
Maintenant, je commençais néanmoins sérieusement à manquer de vêtements ; ceux que j'avais fourrés à la hâte dans mon sac ne suffisaient pas, et je ne pouvais pas éternellement voler la garde robe de mon ami, qui devait enchaîner les lessives tous les quatre matins. Non, il allait falloir que je prenne mon courage à deux mains, et que j'aille chercher plus d'affaires à l'appartement. Sur le long terme, si je restais plus longtemps, il allait aussi falloir que je songe à trouver un moyen d'aider Namjoon avec le loyer et les courses : mon ami n'était clairement pas riche, et je m'en voulais de vivre à ses dépens ainsi.
Mais pour l'heure, penser à tout ceci m'épuisait trop. Je n'avais ni le courage de repasser à mon appartement ni celui de penser à l'argent.
Alors, je me retournais dans ma couette, et lançai une énième série que je ne regardais qu'à moitié, roulé sur le canapé de mon ami, tandis qu'au dehors le soleil avait enfin gagné sa bataille contre les nuages.
Je verrai tout ça demain.
________
Debout devant la porte de notre appartement, je pris une grande respiration, fébrile. Dans mes mains moites, mes clés glissaient un peu, et je dus raffermir ma prise dessus pour ne pas qu'elles m'échappent. Allez, Jungkook, inspirai-je. Ça va le faire.
Je m'étais enfin résolu à aller chercher mes affaires, et le moins qu'on puisse dire, c'est que je ne n'en menais pas large. Je savais que ça me ferait bizarre de retourner ici, vu mon état ces derniers jours ; ce que je ne savais pas, c'était à quel point. Me retrouver face à cette porte était étrange : j'avais l'impression d'être comme projeté quelques semaines plus tôt, et tout d'un coup, dans mon cerveau, tout paraissait normal. C'est étonnant cette capacité à retrouver une sensation de routine aussi vite.
Parce que tout ça, ce n'était qu'une séduisante illusion. Ma routine, elle s'était pétée la gueule ; et je venais y foutre un nouveau coup de pied définitif en allant chercher de quoi ne pas rentrer.
J'ignorais si c'était un acte de courage ou de lâcheté.
Je jetai un énième coup d'œil à l'heure sur mon téléphone, puis me donnai finalement une petite tape sur la joue pour me donner du courage.
16h32. C'était tout bon, normalement.
Taehyung ne devrait pas être là.
Nous étions vendredi, et tous les vendredis, il allait chez Yoongi, que ce soit quand il avait un tournage ou non. C'était donc le jour parfait pour cette opération ; je ne me sentais clairement pas encore de le voir.
Après un dernier coaching mental, j'enfonçai enfin la clé dans la serrure, et déverrouillai la porte qui s'ouvrit dans un silence habituel. Je n'eus en revanche pas à attendre cinq secondes pour qu'un jappement que je connaissais bien et le bruit de petites griffes qui raclent le sol ne parviennent jusqu'à moi.
— Hey, Tannie, chuchotai-je en m'accroupissant au niveau du petit chien qui me bondit dessus.
Ce dernier sautilla en aboyant autour de moi, et durant quelques secondes, mon cœur se réchauffa d'une douce chaleur. Je lui avais manqué, vraisemblablement. Lui aussi.
— Moins fort, ris-je alors qu'il lâchait un énième petit aboiement. Tu vas finir par alerter tout le voisinage.
Pour toute réponse, il me lécha la main, et partit gambader à toute allure dans l'appartement. Un sourire m'échappa bien malgré moi. Je me redressai, et essuyais ma paume toute baveuse contre mon jean avant de refermer la porte.
Le vide de l'appartement me fit alors face.
Ses hauts murs blancs. Ce grand salon avec ce canapé qui avait accueilli tant de nos soirées avec Taehyung. La télé où nous avions vu tant de séries. Le bar cuisine qui séparait la pièce du reste, où il m'avait embrassé de si nombreuses fois. Les escaliers qui montaient à la mezzanine où nous nous étions étreints dans les bras l'un de l'autre si souvent.
Ce n'était plus vide, c'était plein ; trop plein de souvenirs.
Une boule me noua la gorge, mais je n'eus pas le temps de m'y attarder plus que Yeontan revenait déjà en boulet de canon dans mes jambes. Il me balança deux trois mots à la gueule – mais, pour une raison évidente qui est que je ne parle pas le chien, je n'en compris pas un –, puis repartit tout aussi précipitamment à l'étage.
Je n'eus pas le temps de me demander la cause de ses allers-retours excités.
Là, en haut de l'escalier, Taehyung venait d'apparaître.
Le poids qui me tomba dans la poitrine me coupa la respiration d'un coup.
Je le regardais sans le voir. Je crois qu'il en était de même pour lui. Ses cheveux étaient désordonnés, son regard hagard, et vu sa tenue et les cernes qui soulignaient ses yeux, je ne doutais pas un seul instant du fait qu'il devait sortir du lit. Je ne me posais même pas la question de pourquoi si tard dans l'après-midi. Tout ce que je retins, c'est qu'il était bel et bien là, devant moi. J'étais incapable de penser à quoique ce soit d'autre.
Et puis, sa voix s'éleva, et Taehyung brisa cet instant hors du temps :
— ... Jungkook ?
La réalité me frappa alors en pleine face. Je reculai d'un pas, et son regard se troubla tandis qu'il avançait vers moi.
— Tu es revenu ?
Mon cœur se comprima dans ma poitrine, un sentiment de culpabilité venant le ronger sans attendre.
Sa voix puait l'espoir.
Comment lui répondre que non, que j'étais venu uniquement pour partir plus longtemps, et que là, face à lui, je n'avais qu'une envie, fuir le plus loin possible ?
Ou me jeter dans ses bras.
Merde.
C'était trop tôt, c'était clairement trop tôt. Mon cerveau était encore bien trop en bordel pour me confronter à lui.
Incapable de réfléchir correctement, je laissai échapper d'une voix blanche en réponse :
— Tu n'es pas chez Yoongi ?
Il sembla lire entre les lignes à ma réponse, et ses pieds s'arrêtèrent au beau milieu de l'escalier, en même temps que ses épaules s'affaissaient en que son regard perdait la jolie lueur d'espoir qui l'embellissait quelques instants plus tôt. Il avait compris. J'aurais voulu le rassurer et me contredire, parce que le voir dans cet état m'était tout simplement insupportable, mais je ne le fis pas. Les mots restèrent bloqués dans ma gorge.
— ... Non, répondit-il finalement, sans plus aucun enthousiasme dans sa voix. J'étais fatigué, alors je n'y suis pas allé...
Son regard s'accrocha au mien. Je le détournais, et répliquai en manquant de bégayer sur tous les mots :
— Je... Je suis venu récupérer des affaires. Pour chez Nam, tu sais.
Risible.
Cette discussion était risible. On se répondait sans aucun lien, et je me demandais comment nous pouvions nous retrouver à discuter si maladroitement alors que nous étions en couple depuis plus de quatre ans. Ce n'était pas nous, ça. Ce n'était pas le couple que je chérissais tant. En face de moi, ce n'était pas le Taehyung taquin et un peu trop fier dont je m'étais épris. Je n'étais pas le Jungkook gentiment maladroit mais affectueux qu'il avait aimé.
Nous avions l'air de deux inconnus, et cette constatation me fit si mal que je dus déglutir difficilement pour dénouer ma gorge.
Taehyung sembla se faire la même réflexion, et un soupir inhabituellement lourd lui échappa, en même temps qu'il recommença à descendre lentement les escaliers.
— Kook, je suis désolé.
Je me crispais, mais le laissais s'approcher sans reculer. Bientôt, ses deux yeux tristes furent juste en face de moi.
Taehyung n'était pas triste. Jamais.
Taehyung s'énervait quand quelque chose le contrariait, Taehyung le tournait au sarcasme, Taehyung faisait la gueule, mais Taehyung ne pleurait pas. En quatre ans de relation, je pouvais compter sur les doigts de ma main les fois où c'était arrivé.
Alors son regard brillant d'émotions dans le mien me bouscula encore plus que je ne l'étais déjà.
Les lèvres sèches, je répétais sans être capable de dire autre chose :
— Je suis juste venu récupérer des affaires.
Parce que si je lui confiais autre chose, je m'effondrerai. Parce que si j'acceptais de l'écouter, ce ne serait plus lui, mais nous deux, qui pleureront. Parce que je n'étais pas sûr d'être capable de résister à mon envie de le serrer contre moi encore longtemps.
Taehyung baissa le regard, une main fatiguée venant passer dans ses cheveux désordonnés.
— Je... D'accord, admit-il finalement. Et même si c'est tout ce dont j'ai envie, je ne te retiendrai pas.
Ses deux yeux revinrent se planter dans les miens, et il tenta d'un ton qui manquait cruellement d'assurance :
— Mais maintenant que tu es là... On peut bien en profiter pour discuter un peu, non ?
Je ne répondis pas tout de suite. Dans ma poitrine, mon coeur tambourinait à toute allure, autant d'attente que d'appréhension. Discuter. Je n'étais pas prêt. Clairement pas. Ce n'était pas ce qui était prévu.
— S'il te plaît, rajouta-t-il dans un souffle.
Mais face à cet homme si important pour moi, je cédai.
Quelques minutes plus tard, après qu'il m'ait à nouveau laissé remplir mon sac, je me retrouvais assis en face de lui sur le bar-cuisine. Il déposa un chocolat chaud devant moi, et je fronçais les sourcils en voyant la boisson qu'il tenta discrètement de faire couler dans son verre. Pas son habituel café. Mais un soju qu'on ne sortait que pour de rares occasions, et qui moisissait habituellement au fond du placard le reste du temps.
— Ce n'est pas trop chaud ?
— Non, c'est parfait.
Il hocha la tête, et vint s'asseoir en face de moi, l'air gêné. Quand il ne me regardait pas dans le moindre détail, comme pour imprimer mon visage dans son esprit, il fuyait mon regard ; et depuis que nous nous étions posés pour discuter, il adoptait plutôt la seconde option. Je ne pouvais pas lui en vouloir : moi même j'ignorais si je voulais le voir ou esquiver ses yeux à tout prix.
Le silence s'installa un instant.
Je n'avais aucune idée de comment le briser ; Minhyunk et Seojoon me diraient sûrement de le confronter en lui balançant à la gueule tout ce qui m'avait blessé, Namjoon me dirait de m'écouter avant tout, et Mina d'essayer de parler posément. Honnêtement, je n'étais capable d'aucune des trois options.
Lui cracher ses quatre vérités à la figure ?
Si l'envie m'avait envahi plusieurs fois durant ces derniers jours, son visage triste avait suffit à me faire oublier instantanément cette idée.
M'écouter ?
Si je le faisais, je risquais de terminer dans ses bras, et je n'étais pas sûr que ce soit ce que je voulais vraiment.
Parler posément ?
Mais pour dire quoi. Et est ce que ça servirait à quelque chose. Mon cerveau était à la fois trop plein et trop vide, et j'étais incapable de trouver les mots.
Heureusement, Taehyung s'en chargea de lui même, d'une voix hésitante :
— Tu m'en veux ?
Quelle question conne.
Mais quelque chose dans son intonation me disait que ce n'était pas une vraie question, qu'il connaissait déjà la réponse, et qu'il la posait uniquement pour débuter la discussion parce que lui non plus, il ne parvenait pas à trouver les bons mots. J'ignorais donc la pique dans mon coeur pour répondre simplement :
— Oui.
— Je suis désolé.
Il me l'avait déjà dit, tout à l'heure. Il me l'avait aussi écrit des dizaines de fois dans ses messages. Ma gorge se noua, et je dus déglutir difficilement avant de demander :
— Alors pourquoi... ?
Sa mine se fit piteuse et il baissa son attention sur son verre.
— Je ne comprends pas, Taehyung. Pourquoi tu l'as embrassée comme ça, si tu me dis que tu es désolé ?
— Je...
Il s'agita imperceptiblement : ses doigts ripèrent d'un geste régulier contre le bord du verre, il s'humecta les lèvres, et réarrangea sa position sur sa chaise. Il tenta de redresser son regard dans le mien, sans réussite : il ne fallut qu'une seconde pour que ses yeux coupables dévient derrière la fenêtre.
— Je ne sais pas, répondit-il finalement. La vérité, c'est que je n'ai pas vraiment d'excuse. Je me suis mis dans un rôle pour l'interview. J'étais trop pris dans le jeu et dans l'instant présent, et... J'ai oublié le reste jusqu'à complètement déconner. Je ne sais pas. Je suis désolé.
— C'était la seule fois ?
— Hein ?
— Avec Hayoon. C'était la seule fois où tu t'es pris au jeu au point de m'oublier ou il y en a eu d'autres ? demandai-je amèrement.
Immédiatement, il secoua la tête, son regard venant enfin retrouver le mien. La détresse et la sincérité que j'y lus me serra le cœur.
— Oui, bien sûr que oui, répondit-il précipitamment. Je veux dire, je n'ai jamais rien fait avec elle. Je ne te trompe pas, Kook, je te le promets.
— Ce n'est pas ce qu'a vu la moitié de la Corée l'autre soir...
La tromperie.
C'est un mot dur, douloureux, avec autant de définition que de personnes. Où elle commence et où s'arrête-t-elle ? A partir de quel moment peut-on dire « je me suis fait tromper » ? Pour certaines personnes, le flirt suffit à rentrer dans sa définition. Pour d'autres, le baiser est la frontière à ne pas dépasser. Pour d'autres encore, c'est l'acte sexuel qui marque le point de non retour.
Pour moi, je ne savais pas vraiment.
Taehyung m'avait-il trompé ?
Peut-être. Mais je n'étais pas sûr. Il m'était d'autant plus difficile d'y voir clair qu'il m'avait dit dès le début que sa relation avec son amie était fictive.
Ce que je savais, en revanche, c'est que les regrets de Taehyung en face de moi étaient réels. Je le connaissais bien assez pour parvenir à déchiffrer l'expression peinée de son visage, l'inclinaison anxieuse de ses sourcils, et tout son langage corporel qui allait avec.
Et peut-être qu'au fond, c'était tout ce qui m'importait.
Peut-être que savoir si son baiser avait été oui ou non un acte de tromperie n'était pas le plus important, à l'instant.
Parce qu'il n'avait été qu'une goutte.
Une goutte qui avait fait déborder un vase plein depuis déjà un moment.
— Je suis désolé, répéta-t-il à nouveau, et j'arrêtai de compter le nombre de fois où ces trois petits mots s'étaient échappés de sa bouche depuis que j'avais reposé un pied dans cet appartement.
Probablement plus de fois qu'en un mois entier, si j'en croyais mes souvenirs. Taehyung n'était pas du genre à s'excuser.
— J'ai fait le con, et je sais pas quoi te dire de plus, mais je t'aime.
Je me crispai. Ça ne l'arrêta pas.
— Je t'aime et... Et je n'ai pas envie que ça s'arrête, toi et moi.
Dans mon corps, tout se cassait la gueule ; mon cœur tombait dans ma poitrine, ma voix s'oubliait dans ma gorge, et mon ventre se nouait à m'en faire mal. J'avais l'impression de voir un cauchemar se matérialiser devant moi, et le vertige que ça me donna manqua de me faire fermer les yeux.
— Tu m'as terriblement manqué, ces derniers jours, et j'ai beaucoup réfléchi.
Cette discussion avait des airs de rupture, et je détestais ça.
— Je ne veux pas que tu me qui-
— Je ne t'ai pas quitté, le coupai-je soudainement, incapable d'en entendre plus.
J'avais le souffle court ; c'était stupide, c'était lui qui ne faisait que parler depuis tout à l'heure. Mais mon cœur tambourinait si vite et si fort que j'avais l'impression de courir un marathon.
Mes terreurs que je traînais depuis quelques mois ne m'avaient jamais semblé si réelles et si concrètes : elles étaient là, face à moi.
L'idée que mon couple avec Taehyung pourrait bel et bien s'arrêter me riait au nez, et le fait qu'il l'ait lui-même verbalisé, même si c'était pour me dire qu'il ne le voulait pas, me plongea dans une terreur blanche.
Je ne pourrais pas.
J'étais incapable de vivre sans lui.
Il fallait absolument que ça s'arrange, entre nous, parce qu'autrement, je n'y survivrais pas.
Mes mots précipités semblèrent le rassurer, et il s'autorisa enfin à respirer là où je me retrouvais complètement privé de mon souffle. Le tambourinement de mon coeur dans ma poitrine prit un rythme angoissé, et alors que j'aurais dû être soulagé qu'on soit toujours ensemble, un drôle d'inconfort me saisit.
Je tentais de l'ignorer de toutes mes forces, et de me concentrer sur l'homme que j'aimais pour le faire disparaître.
Ne plus penser à Hayoon. Ne plus penser aux problèmes. Ne plus penser à la rupture.
Et quand il osa finalement lever une main et la glisser délicatement le long de ma joue, je me dis que peut-être, on pourrait y arriver. Recommencer comme avant. Comme quand tout ça n'existait vraiment pas. Ma poitrine s'allégea en même temps que son pouce glissa délicatement contre ma peau, et nos deux regards s'ancrèrent pour de bon, cette fois.
Le sien reflétait de la tendresse et des remords.
Le mien, je n'en savais rien.
Je n'arrivais même pas à comprendre ce qui se passait dans mon propre corps.
— Pourquoi tu ne reviendrais pas à l'appart... ? tenta-t-il alors doucement.
Revenir ici ?
— Je ne t'embêterai pas, promis, et je te laisserai le temps qu'il te faut, mais ce serait tout de même plus pratique, continua-t-il.
Ma gorge se noua.
— On pourrait se refaire des soirées, et...
Non.
Je n'écoutais pas la fin de sa phrase ; ma tête se secoua de droite à gauche avant que je n'aie vraiment le temps de réfléchir :
— Je préfère rester chez Namjoon pour le moment.
Son regard se fit déçu. J'aurais préféré qu'il acquiesce et qu'il ne rajoute rien, mais il ne put s'empêcher d'insister :
— Tu es sûr ? Ça serait mieux, pour nous deux...
Pour lui, peut-être. Pas pour moi. Déjà que je n'étais clairement pas préparé pour cette discussion, je l'étais encore moins pour rester et recommencer comme avant, je le sentais. Il fallait que je prenne du recul. Que je prenne le temps de mettre de l'ordre dans mes pensées. Dans mes émotions qui étaient malmenées depuis le début de la conversation.
Je l'aimais, et je ne voulais pas le quitter, oui ;
Mais j'avais enfin la lucidité de réaliser que ça ne pouvait plus continuer de la même manière.
— Je suis sûr. J'ai besoin... D'espace.
— Je t'en laisserai.
— Taehyung, s'il te plaît. N'insiste pas.
Son regard se troubla un instant, et je vis qu'il se retint de dire quelque chose. Ça aurait pu se terminer là. On aurait pu mettre fin à cette discussion prématurée sans compliquer les choses davantage, parce qu'elles l'étaient déjà bien assez ainsi. Mais il rajouta, et le semblant de calme que j'avais essayé de trouver vola en éclats :
— Ok... Mais ce n'est pas durable, t'en as conscience ça ? Sans argent, ça risque d'être compliqué. Je peux t'en envoyer le temps que-
La mention de mon indépendance financière inexistante suffit à réveiller mes insécurités, et l'agacement monta en moi très rapidement tandis que je le coupai un peu plus sèchement :
— Je me débrouille. Pas besoin de ton argent.
Il sembla un peu confus, et fronça les sourcils.
— Tu vas la payer comment, la bouffe et tout le reste ?
— Je me débrouille, répétai-je en crispant ma mâchoire.
Parce que la vérité c'est que non, je ne me débrouillais pas du tout ; c'était Namjoon qui payait tout.
— Tu n'as pas de métier, répliqua-t-il.
Et je détestais le fait qu'il me mette cette réalité à la gueule. Qu'il me rappelle, encore une fois, combien j'étais incapable de me débrouiller seul rien que sur le plan pratique.
À mon cocktail d'émotions vint se rajouter la colère, que je dirigeais vers lui sans me retenir. Je me relevai de la chaise, et m'écartai de lui, avant de saisir le sac que j'avais préparé préalablement et de le hisser sur mon épaule, le regard fermé.
— C'est bon, j'en ai assez entendu. Je m'en vais.
— Kook, je-
— Tais toi !
Je me retournais vers Taehyung, et cinglai :
— Je vais chez Nam si je veux, je rentre ici si je veux, et le reste ne te regarde pas !
Il m'observait, l'air complètement déboussolé par ma soudaine colère, mais je ne fis pas plus attention à lui et tournai à nouveau les talons pour quitter l'appartement, le coeur brûlant.
Ce n'est que dans la rue que le picotement de la colère s'atténua. Tout ce que j'avais ressenti cet après-midi sembla s'évaporer tour à tour, ne laissant place plus qu'à une fatigue intense.
J'étais épuisé.
Usé.
J'avançais avec un désagréable goût d'inachevé au fur et à mesure que je m'éloignais de l'appartement, et au final, tout ce que cette discussion me laissa, fut de l'amertume et de l'inconfort.
Je n'avais pas fait les choses jusqu'au bout. Ni comme il le fallait. Cette confrontation était arrivée trop tôt, et j'avais l'impression d'y être allé en pantin manipulé par ses émotions plutôt qu'en Jungkook mature qui avait pris le temps de réfléchir ; maintenant, j'en sortais encore plus désorienté qu'avant.
Au détour d'une ruelle, je m'arrêtais finalement, et la peine vint m'étreindre le coeur et l'angoisse me nouer la gorge en resongeant à la fin de notre discussion. Taehyung avait raison. Ce n'était pas durable. Avant même de parler du plan émotionnel, j'étais incapable de vivre par moi-même rien que d'un point de vue pratique. Il fallait que ça change.
Je ne réfléchis pas davantage, et sortis mon téléphone. Trois sonneries retentirent dans le vide jusqu'à ce que la voix de mon jeune ami ne me parvienne.
Je déglutis difficilement. Puis, du bout des lèvres, je lâchai finalement :
— Hey, Yeonjun. Dis, la proposition de mannequinat avec ton amie, ça tient toujours ?
_____oOo_____
Voici la suite !
Désolée pour l'attente, ce chapitre a été bien galère à écrire :')
J'espère qu'il vous a plu ! N'hésitez pas à me laisser un retour \(・◡・)/
Jungkook a encore du chemin à parcourir, mais les choses bougent un peu, lentement mais sûrement ᕦʕ •ᴥ•ʔᕤ Ce n'est hélas pas toujours simple de se sortir d'une dépendance affective malgré la situation :'(
Je suis curieuse, vous en avez pensé quoi, de leur conversation et de Taehyung ?
Et de la potentielle décision de Jungkook que laisse sous entendre la dernière phrase ? 👀
Sinon guys, peut-être bonne nouvelle !
Ce mois-ci c'est le nanowrimo, soit un challenge d'écriture qui consiste à écrire 50 000 mots en un mois ! Je l'avais déjà fait l'année dernière, et je le refais cette année : il me fait écrire genre 10x plus que d'habitude, donc si je tiens le rythme, y a moyen que ce chapitre soit le dernier retard de Rumors haha :') J'ai déjà écrit la moitié du suivant ᕦʕ •ᴥ•ʔᕤ Bien sûr, ça dépendra d'autres paramètres, donc je promets rien, mais j'ai pour objectif de terminer la rédaction de Rumors en novembre pour terminer la publication en décembre \(・◡・)/
Mine de rien, on est plus proches de la fin que du début... ʕ'•ᴥ•'ʔ
Bref, sur ce, un grand merci de me lire, et à bientôt pour la suite ! ♡
( Et merci à Anevy_de_Girondif pour la correction de ce chapitre ! )
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