1.5
— Silence !
Tout le monde se tut, et un silence presque religieux envahit l'atmosphère. Ça avait beau ne pas être la première fois que j'assistais à ce genre de scène, je ne pus m'empêcher de retenir ma respiration, comme si le moindre souffle serait perçu par la grande perche tendue à bout de bras par un homme pourtant bien assez loin de moi, et risquerait de ruiner ce qui s'apprêtait à avoir lieu.
— Moteur ! tonna un homme.
— Ça tourne.
La femme avec le clap clappa. Ou, pour le dire autrement, la femme qui tenait ce fameux compteur de prises cliché dans les films vint faire claquer le petit panneau, sur lequel il y avait marqué un truc du style « Scène 57, prise 02 ».
— Action !
Et comme par magie, Taehyung se métamorphosa totalement devant mes yeux. Son air préoccupé et anxieux s'envola pour laisser place à un sourire radieux, me poussant presque à jalouser la caméra qui en était destinataire. Même à moi, il ne me souriait que très rarement comme ça, oh ; j'étais à deux doigts d'aller confronter la caméra pour lui demander des comptes.
En attendant, s'il y avait bien quelqu'un à qui je devrais demander des comptes, ce serait plutôt la fameuse Lee Hayoon, qui de ce que j'avais compris, devrait arriver d'une minute à l'autre.
C'était sûrement pour ça que Taehyung était si anxieux depuis tout à l'heure.
Sûrement.
— Coupé ! On la refait. Taehyung, fais attention à ton regard. Il faut que tu sois moins...
Je n'écoutais pas la suite, me contentant d'observer mon copain qui se faisait reprendre par son meilleur ami, tout en tâchant de calmer du mieux que je pouvais les tremblements nerveux de ma jambe.
Quatre jours s'étaient écoulés depuis que Taehyung était rentré de son voyage d'affaires improvisé à Jeju, et maintenant, le film sur lequel il bossait depuis des mois était presque fini – allélluia. Il ne lui restait plus que quelques scènes à tourner, les plus « simples » de ce qu'il m'avait dit – ou en tout cas celles qui demandaient le moins de matériel, de décors ou d'effets spéciaux.
Nous étions donc là.
Pour la première fois depuis plus de deux ans, Taehyung avait accepté que je l'accompagne sur son lieu de tournage ; si au tout début de notre relation c'était quelque chose que je faisais beaucoup, dès que les rumeurs entre lui et moi avaient commencé à naître, il s'était montré beaucoup plus réticent à m'emmener où que ce soit en rapport avec son travail. Je n'avais pas insisté pour ne pas aggraver le problème, mais dans le fond, ça m'avait manqué.
Sa carrière était si importante pour lui qu'elle faisait partie intégrante de sa personnalité ; je ne pouvais qu'être heureux d'y assister.
Enfin, presque.
Et ce presque, c'était la venue de cette Hayoon qui semblait me pendre au nez comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête. Rien que l'idée prochaine de la voir me donnait des sueurs froides et réveillait mes insécurités que Taehyung s'était pourtant appliqué du mieux qu'il pouvait à faire taire. Ces derniers jours, il avait été irréprochable : pas de « je fais la gueule pour rien », ni de « je rentre super tard le soir », et encore moins de « je parle une énième fois de ces médias et de ma super stratégie merdique. ». À la place, ça avait été câlins, soirées chill dans le lit ou le canapé, petits repas tout beaux ( commandés, il n'avait jamais le temps de cuisiner ), baisers et étreintes...
Il avait même accepté que je revienne ici quand je lui avais fait part du fait que les journées tout seul à l'appartement étaient trop longues.
Alors, bon, je n'avais aucune raison d'être aussi stressé.
Dites ça à ma jambe qui semblait trouver marrant de tressauter dans tous les sens depuis dix minutes.
— Jungkook.
Je relevai la tête, et souris à Taehyung qui venait de terminer sa petite scène.
— T'as une pause ?
— Ouais, répondit-il en venant s'asseoir à côté de moi. De toute façon je ne peux pas tourner la prochaine scène pour le moment.
— Pourquoi ?
À cette question, il sembla gêné, et son anxiété mal cachée réapparut immédiatement.
Oh.
Je crois que j'avais compris, en fait, je n'étais plus si sûr d'avoir besoin de la réponse. J'allais le couper avant qu'il n'ait pu dire quoique ce soit parce que je n'avais pas la moindre envie de lancer le sujet, mais il répondait déjà :
— On attend Hayoon, je dois la tourner avec elle.
— Hm.
Maintenant que j'y pensais, je n'avais aucune idée de quel rôle elle jouait, elle. Et si elle incarnait le personnage avec lequel Taehyung m'avait dit que son propre personnage avait une relation ? Et si, sous couvert de plateau, ils s'embrassaient tous les deux ?
L'idée me brûla de l'intérieur, et je m'empressais de la faire taire.
Je crèverais de jalousie, si c'était le cas. Déjà j'étais rarement ravi quand je voyais mon copain entretenir des relations fictives avec des inconnues, alors si en plus, c'était elle...
Mais non, je me faisais probablement du souci pour rien. Ça ne pouvait pas être ça. Et puis, Taehyung me l'aurait forcément dit. Ou alors, dans le pire des cas, il n'aurait jamais accepté que je l'accompagne ici. Je me prenais la tête pour rien.
— Viens, me lança-t-il alors, me sortant de mes pensées.
Je ne posais pas plus de question, non mécontent de délaisser mes angoisses, et le suivi jusqu'à un angle de mur, que j'avisais d'un air confus en me demandant pour quelle obscure raison il m'amenait là. La réponse apparut comme une évidence lorsqu'une fois à l'abri des regards, il saisit ma main dans la sienne et me vola un petit baiser.
— Je t'aime, Kook, murmura-t-il simplement, et cette phrase suffit à dénouer mes épaules.
— Quoi, t'as encore quelque chose à te faire pardonner ? demandai-je néanmoins sans pouvoir m'en empêcher, mais sur le ton de la plaisanterie, parce que même si oui, il y avait bien autre chose, je ne voudrais pas le savoir.
Il m'adressa un petit sourire à moitié tendre à moitié embêté, et je sentis mon cœur se réchauffer doucement dans ma poitrine lorsqu'il reprit la parole :
— Non. J'avais juste envie de te le dire. Il faut des raisons pour le faire maintenant ?
— Hm, non. Merci.
J'encerclais sa taille de mes bras pour le serrer contre moi, et rajoutai en me blottissant contre lui :
— Je t'aime aussi.
Pour toute réponse, ses doigts se mêlèrent aux cheveux de ma nuque, et j'aurais aimé que ça dure plus longtemps mais il se détacha rapidement. Je ne lui en tins pas rigueur. Je savais à quel point il était stressé à l'idée qu'on découvre notre relation, donc forcément, vu où nous étions, il ne devait pas être très à l'aise.
Ce n'était pas grave.
Il était là, et il m'avait autorisé à être là aussi, avec lui ; c'est tout ce qui comptait.
On s'assit contre le mur, et je dus lutter pour ne pas céder à la tentation de poser ma tête contre son épaule, tandis qu'il demandait :
— Ça va, tu t'ennuies pas trop ?
— Tu déconnes ? Ça se voit t'as pas vécu des journées tout seul chez nous, toi, pouffai-je à sa question.
— Figure toi que si, quand tu allais encore à la fac.
— Ne relance pas le sujet de mes rattrapages.
— J'ai rien dit.
Il leva les mains en l'air en signe d'innocence, pour me montrer que ce n'était pas son intention. Je le croyais aisément. Il faisait tout pour éviter les sujets désagréables depuis quatre jours, et je ne voyais pas pourquoi il changerait ça d'un coup, qui plus est sur son lieu de travail. Il fallait vraiment que j'arrête d'être aussi susceptible et à fleur de peau.
— Et tu te faisais pas chier ?
Je haussai un sourcil en posant la question pour éluder le sujet, ayant du mal à visualiser comment on pouvait ne pas s'ennuyer sévère en étant seul dans cet appartement.
— Ben, non ? Enfin, tu me manquais, bien sûr, mais y a Yeontan.
— C'est sûr qu'il est super pour faire la conversation.
— Fais attention à comment tu parles de notre fils.
Je pouffai, amusé. Le « notre » me faisait plaisir. J'étais prêt à surenchérir pour continuer sur ce sujet détendant, lorsque la voix plate de Yoongi nous fit sursauter.
— Bon, les tourtereaux.
Le réalisateur se tenait là, à l'angle du mur, nous regardant les bras croisés. L'espace d'un instant, je me demandais depuis combien de temps il était ici. Pas longtemps, j'imaginais. Du moins, j'espérais. Parce que sinon, ça voudrait dire que Taehyung et moi avions de sérieux problèmes de vue et ce n'était pas une bonne nouvelle. Ce qui me faisait penser qu'il faudrait que je pense à prendre un rendez-vous chez l'ophtalmo, un de ces quatre...
Il nous adressa un petit sourire, avant de reprendre maintenant qu'il avait notre attention :
— C'est pas que j'apprécie pas que vous vous bécotiez niaisement à l'abri des regards, mais Hayoon est arrivée, et plus vite on aura tourné les scènes d'aujourd'hui, plus vite on pourra rentrer chez nous. Donc, si monsieur l'acteur veut bien me suivre...
Immédiatement, l'allégresse s'envola de mon cœur, et je déglutis difficilement. Je crois que Taehyung fit la même chose.
Hayoon.
Alors ça y est, elle était là. Cette femme dont j'avais d'abord volontairement ignoré l'existence un maximum, car ça me faisait trop mal de me dire que quelqu'un d'autre s'affichait aux côtés de mon copain, puis que j'avais regardé pendant des heures durant sur internet après avoir découvert qu'il s'agissait de l'ex de Taehyung, englouti par la peur et la jalousie... Elle était ici, à quelques mètres de moi.
Dire que ça ne me faisait rien aurait été un mensonge.
Taehyung se releva, et sous la directive de Yoongi, il partit en direction de l'équipe des maquilleurs après m'avoir adressé un petit salut. Le réalisateur resta un instant face à moi, et attendit que je me lève.
— Ça va aller ? me demanda-t-il en me jaugeant d'un regard étrangement concerné.
C'était inhabituel, de voir Yoongi m'observer avec autant d'attention. Il n'était pas du genre à s'inquiéter pour les autres – et encore moins à montrer son inquiétude.
— Hm, oui.
— Vous avez mis les choses au clair avec Tae ?
— Oui.
Plus ou moins.
Je ne savais pas vraiment. Mais je savais qu'il m'aimait, et il m'avait promis qu'il n'y avait rien entre lui et l'actrice, et c'était tout ce qui m'importait.
Yoongi hocha simplement la tête, puis reparti diriger les différents employés en me laissant là, derrière ce coin de mur. Planqué. À l'abri des regards. Comme toujours depuis le début de ma relation avec Taehyung. Je devrais y être habitué ; mais aujourd'hui, ce sentiment me noua désagréablement la gorge.
J'étais là, caché, tandis qu'Hayoon était probablement sur le plateau, bien visible de tous. Avec Taehyung.
Un poids me tomba dans l'estomac, mais je l'ignorais, et m'efforçais de respirer un grand coup.
Tout va bien, Jungkook. Ce n'est qu'une amie de Taehyung. Rien de plus.
Une ex.
Oh, crotte, ces pensées désagréables ne pouvaient pas me laisser tranquille cinq secondes ? Bien décidé à ne pas me défiler, je rejoignais le lieu de tournage à mon tour, avec le cœur tambourinant d'angoisse à tout-va dans ma poitrine. J'avais les mains absurdement moites. Le dos parcouru de frissons désagréables. C'était stupide, d'être dans un tel état juste parce que j'allais la voir : mais quelque part, c'était comme si l'observer de mes yeux la rendrait réelle.
Ce ne serait plus qu'une image sur un écran. Ce serait une femme, une autre personne à part entière, avec toutes ses qualités et tout ce qui la rendait unique.
Je ne tardais pas à la trouver. Elle était au niveau des maquilleurs, elle aussi, et elle écoutait attentivement Yoongi lui donner des directives, Taehyung à ses côtés. Sans pouvoir m'en empêcher, je la détaillais du regard. Elle semblait plus petite qu'en vidéo. Son sourire était plus doux. Ses cheveux, moins longs que sur les dernières interviews que j'avais vues. Et elle était belle. Sincèrement belle.
Mon cœur se serra dans ma poitrine.
Il se passa peut-être encore deux-trois interminables minutes, avant que Yoongi ne les laisse et que Taehyung ne me repère. Il dit quelque chose à l'actrice sans que je ne l'entende, et quelques secondes plus tard, ils étaient tous les deux devant moi, comme dans un cauchemar.
— Kook, je te présente Hayoon, commença-t-il, un sourire mal à l'aise aux lèvres. C'est elle qui joue ma collègue dans l'histoire.
Je n'eus pas le temps d'être rassuré qu'elle n'ait pas le rôle de sa compagne, trop pris dans mes insécurités, et je me contentais d'incliner légèrement la tête face à elle en déglutissant.
— Enchanté.
— Et Hayoon, voici Jungkook, du coup.
Taehyung jeta un regard un peu nerveux autour de lui, avant de rajouter en baissant la voix :
— Mon copain.
La jeune femme m'adressa un sourire radieux, et me salua d'une accolade de main chaleureuse.
— Ravie de te rencontrer enfin en vrai ! Taehyung me parle beaucoup de toi, tu sais ?
— Ah ? bafouillai-je, sans savoir comment réagir.
— Oui ! La semaine dernière, il n'avait que ton nom à la bouche.
— Hayoon, arrête...
J'observais mon copain, qui semblait tout mal à l'aise, un peu surpris. Discret comme il était sur notre relation, ce que me disait l'actrice m'étonnait sincèrement. Mais si ça m'étonnait, ça eut également le don d'apaiser mes angoisses, au moins un peu, et devant son sourire doux et son air bienveillant, je me dis qu'après tout, Taehyung ne devait pas m'avoir menti. Il n'y avait rien entre eux. Elle ne serait pas aussi à l'aise, sinon.
Un poids s'envola de mes épaules, et l'espoir succéda à l'angoisse traînante qui m'accompagnait depuis le début de la journée.
Je pouvais enfin respirer correctement. Nous n'eûmes pas le temps de discuter plus que Yoongi les appela pour commencer à tourner, et elle me salua en me disant que ça lui ferait très plaisir de me parler plus tard, avant de rejoindre le réalisateur, suivie par Taehyung qui m'adressa un léger sourire. Je retournais donc à mon spot pour regarder la scène de film qui allait se jouer sous mes yeux, le cœur plus léger.
Et puis, on somma à nouveau le silence sur le plateau, on clapa à nouveau le début d'une nouvelle scène, et ils se remirent à tourner. Il fallut une dizaine de prises pour que la première scène soit bonne. Une vingtaine pour la seconde. Encore plus pour la troisième.
Vraisemblablement, Taehyung faisait pas mal d'erreurs, et je me sentais embêté pour lui à chaque fois qu'on le réprimandait à nouveau.
— Non, merde, Taehyung, concentre-toi un peu ! râla Yoongi en le reprenant une nouvelle fois, l'air à bout de patience. Ce n'est pas le moment de bégayer sur ton texte !
Je vis mon copain grommeler un truc dans sa barbe en se passant une main nerveuse dans les cheveux, irrité, avant qu'il ne réponde dans un soupir :
— Pardon...
— Je ne te demande pas de t'excuser, je te demande de t'appliquer. Tu as appris tes dialogues oui ou non ?
— Oui, bien sûr...
— Bon. Et bien en place, on reprend. Et on se concentre, s'il vous plaît.
Yoongi sonnait particulièrement désagréable, quand il était de mauvaise humeur comme ça. Je n'aimerais pas être sous ses reproches. J'envoyais un petit sourire rassurant à mon copain pour lui donner du courage, auquel il me répondit d'un air fatigué. Je le connaissais bien assez pour savoir qu'il commençait à être sur les nerfs, lui aussi, et vu la scène qu'il devait jouer, ça ne collait pas des masses.
— Allez, silence !
Tout le monde se tut à nouveau sur le plateau, et je retins mon souffle. Le « moteur » et « ça tourne » ne tardèrent pas à enchaîner, et c'était reparti. J'observais ce qui se déroulait sous mes yeux en priant pour que cette fois-ci ce soit la bonne et que Taehyung puisse respirer un peu. Heureusement, ils finirent la scène sans interruption. Mais alors que je pensais avec soulagement qu'elle était bien et que Yoongi devait être satisfait, ce n'était vraisemblablement pas le cas, puisqu'il ordonna sèchement de la refaire juste après.
Encore.
Et encore.
Je bougeais sur ma chaise, mal à l'aise.
Je commençais sérieusement à me sentir mal pour mon copain.
— Stop, coupez !
Je grimaçai devant le ton irrité du réalisateur qui venait d'arrêter la scène avant sa fin, et encore plus lorsque celui-ci incendia Taehyung de nouveau :
— Non mais bordel, Tae, tu nous fais quoi là ? Tu crois que j'ai que ça à faire de gaspiller mon temps à tourner en boucle une petite scène de rien du tout ? C'est trop te demander de t'appliquer ?
Mon copain voulut répondre quelque chose, mais il n'eut pas le temps de finir sa phrase que Yoongi relançait déjà :
— Je te préviens, personne ne rentrera chez soi tant qu'on n'aura pas une bonne prise. Alors maintenant arrête de jouer à l'amateur et fais un effort !
Il se pinça l'arête du nez et inspira profondément pour se calmer, puis conclut :
— On fait une pause de cinq minutes, et on s'y remet.
Le silence qui suivit sur le plateau ensuite n'avait pas été demandé cette fois-ci, et pourtant, dès lors que le réalisateur s'éloigna d'un pas énervé, il était presque parfait. Quelques murmures et messes basses s'élevèrent çà et là, puis Taehyung se dirigea vers moi après avoir échangé quelques mots avec Hayoon.
Son air blessé et agacé me fendit le cœur, et je me levai quand il fut à mon niveau, avec l'envie irréalisable de le prendre dans mes bras.
— Ça va... ? demandai-je maladroitement à la place.
— Mmh.
Non, ça n'allait pas. Ça se voyait à deux mille kilomètres.
Il avait l'air tout autant, voire plus affecté encore que Yoongi de ses erreurs.
— Eh, franchement, il est exigeant ton pote, lançai-je pour le rassurer. Je trouve que tu te débrouilles plutôt bien.
— Il n'est pas question de se débrouiller « plutôt bien », Kook, il faut que ce soit parfait.
— Parfait, parfait, c'est un bien grand mot...
— Et bien c'est ce qu'on vise. Je ne peux pas me contenter d'un « plutôt bien » pour un film professionnel comme ça. Yoongi a raison.
Il soupira, s'asseyant à son tour sur la chaise que j'avais délaissée quelques secondes plus tôt. Qu'il était dur de ne pas céder à une caresse réconfortante dans les cheveux ou à un baiser sur son front. Il avait l'air terriblement déçu par lui-même, et je n'aimais pas le voir comme ça ; Taehyung était quelqu'un de fier, parfois trop, et je savais bien à quel point il devait mal vivre ce qui était en train de se passer.
J'aurais aimé pouvoir lui donner la force de se reprendre et de faire les choses bien.
Mais il semblait que c'était plutôt le contraire, puisqu'il saisit doucement mon poignet en commençant, mal à l'aise :
— Dis, Kook...
Je lâchai un petit « mh » pour lui faire signe que je l'écoutais, trop confus par son pouce qui caressait discrètement la peau de mon poignet dans un geste affectif que je ne l'aurais jamais cru capable de faire dans un tel lieu, et qui faisait accélérer doucement mon coeur.
— Je...
Il s'humidifia les lèvres, hésitant, avant de reprendre d'un ton très doux :
— Est-ce que ça te dérangerait d'aller faire un tour en attendant que je termine ? J'ai du mal à me concentrer, en te sachant aussi proche...
Un poids me tomba dans l'estomac. Mes épaules s'affaissèrent, accablées par un sentiment de déception que je ne pouvais réfréner, et la chaleur quitta mon cœur aussi rapidement qu'elle était apparue.
— Ce n'est pas contre toi, s'empressa de rajouter mon copain face à ma réaction. C'est juste moi, ok ? Je suis désol-
— C'est pas grave, Tae, t'excuses pas.
Je forçais un sourire bien que le cœur n'y était pas, ne voulant pas lui plomber le moral plus qu'il ne l'était déjà.
— J'avais bien envie d'aller boire un truc, en plus, ça me dérange pas.
C'était un mensonge. Évidemment que c'était un mensonge.
L'idée que je le dérange, même involontairement, me nouait la gorge bien plus que de raison. J'avais beau me douter que ça ne lui faisait pas plaisir à lui non plus de me dire ça, je ne pouvais m'empêcher d'être déçu.
Je l'empêchais de se concentrer.
Pourtant, je ne faisais rien. Et puis, avant, ça ne lui posait aucun problème de jouer devant moi, au contraire. Il m'avait même confié au début de notre relation qu'il adorait ça, que ça lui donnait de la force, que ça le motivait. Alors qu'est-ce qui avait changé ? Qu'est-ce qui faisait qu'en ce moment, ça ne cessait de dérailler entre nous ?
Moi qui étais passé par la joie de pouvoir le suivre sur son tournage, puis par l'angoisse de voir Hayoon, au soulagement de ne constater aucune ambiguïté entre les deux, je me retrouvais maintenant accablé par un sentiment de déprime.
La journée n'était pourtant pas trop mal partie, malgré la présence de l'actrice. Alors pourquoi maintenant ?
— On se retrouve après ? lui demandai-je pour faire taire mes pensées désagréables.
— Bien sûr. Il ne reste plus que trois scènes, ça ne devrait pas être trop long.
— Hm.
J'avais envie de l'embrasser. Ou qu'il m'embrasse pour réconforter mon cœur peiné. Qu'il m'enlace, me serre contre lui, me prenne dans ses bras. La seule pression de sa main contre mon poignet me semblait ridiculement insignifiante face à la tristesse que ces simples mots me faisaient ressentir, et je sentais les larmes me monter aux yeux silencieusement.
J'avais envie qu'il m'aime.
Sans avoir à se cacher.
Sans avoir à faire croire qu'il aimait une autre.
Plus loin, Hayoon lui adressa un signe pour lui demander si tout allait bien, et il lui répondit d'un simple hochement de tête qui me brisa pourtant le cœur encore un peu plus.
Je pris néanmoins soin à ne rien montrer de ma tristesse. Je lui adressai un petit sourire, et murmurai simplement :
— À tout à l'heure, alors.
— À tout à l'heure.
Sa main lâcha mon poignet, sans que son regard embêté ne me quitte. On se dit au revoir d'un simple sourire, et je crus bien que l'absence d'un geste tendre allait me fendre le cœur pour de bon. Même une étreinte rapide, même un simple baiser sur la joue, même une main glissée furtivement dans ma nuque m'aurait paru mieux que ce vide.
Mais nous ne pouvions pas.
Parce que nous n'étions pas seuls.
Et que Taehyung avait décidé de ne pas m'aimer autre-part qu'à l'abri des regards.
Je quittai la rue dans laquelle se déroulait le tournage pour en rejoindre une autre, et errait à la recherche du premier café que je croiserai. Celui dans lequel je rentrais n'était au final pas très bon, et leur chocolat chaud avait un goût industriel qui ne parvint pas à me réconforter comme le faisait cette boisson d'habitude.
À la place, je me remémorais la fois où Taehyung et moi étions tous les deux allés dans un café encore plus moisi que celui-ci avant même d'être en couple.
Je me remémorais les heures où les médias ne s'étaient pas encore intéressés à nous, et où nous pouvions vivre aussi normalement que sa notoriété nous le permettait, sortant parfois dans la rue, partant en voyage sans craindre plus que de raison les paparazzis.
Je détestais ces journalistes.
Je détestais sa célébrité.
Je détestais son métier.
Je détestais Hayoon.
Je détestais toute cette putain de société qui n'était pas fichue d'accepter que deux hommes puissent s'aimer sans en faire tout un drame.
Je pris une nouvelle gorgée de mon chocolat chaud, dont le goût familier me noua la gorge, me ramenant à un avant qui n'existait plus.
Et j'éclatais en sanglots.
____________
Ses lèvres se déposèrent dans ma nuque, m'arrachant un frisson que la légèreté des draps ne put contenir. Je laissais ses mains glisser autour de ma taille nue et blottis davantage mon dos contre son torse, me perdant à savourer la chaleur de son corps, à oublier mes soucis dans la douceur de ses bras.
Taehyung était là. Contre moi.
Dans l'obscurité de la nuit et l'intimité de notre chambre.
Je glissai mes mains par-dessus les siennes sur mon propre ventre, et entrelaçai nos doigts. Son souffle chaud que je sentais s'échouer contre ma peau me berçait. Me donnait envie de fermer les yeux. De me laisser aller au sommeil.
Mais mon cerveau ne voulait pas.
Mon cerveau se posait des questions, mon cerveau avait peur, mon cerveau ne pouvait cesser de se rejouer encore et encore la journée.
Finalement, Taehyung avait terminé ses scènes avec brio, une fois que j'étais parti. Si j'en croyais le temps qu'il avait mis à me rejoindre, ça avait dû glisser tout seul, sans nouveaux accrocs. C'était donc vraiment moi, le problème. Moi qui l'empêchais de se concentrer sur son jeu d'acteur.
Je ne savais pas si je devais le prendre comme une preuve d'amour ou comme autre chose.
Ce que je savais en revanche, c'est que ça me blessait ; et qu'il fallait que je fasse taire ce sentiment désagréable.
Je tournais la tête en glissant mon autre main dans ses cheveux tandis qu'il déposait un nouveau baiser sur ma nuque, et il dériva doucement sur ma mâchoire, avant de finir sa route sur mes lèvres. Notre échange fut tendre. Long et doux, réconfortant et rassurant. Mon cœur se réchauffa légèrement tandis que je bougeais dans ses bras pour lui faire face et pouvoir approfondir notre baiser.
Je ne pouvais pas nier que je n'étais pas au top de ma forme, en ce moment. Mais après tout, Taehyung m'avait dit en rentrant ce soir que dans une semaine, il en aurait fini avec le tournage de son film. Dans une semaine, il ne serait plus absent tous les jours, à me laisser seul avec mon esprit qui ne faisait que psychoter. Dans une semaine, il pourrait à nouveau passer du temps à mes côtés.
Dans une semaine, tout redeviendra comme avant.
Ce n'était rien, une semaine. Juste sept petits jours qui se couraient après. Je pouvais bien patienter jusque-là. Sept jours à faire taire mes angoisses, ce n'était pas grand-chose à côté des derniers mois.
Ma main que j'avais nichée dans ses cheveux descendit le long de son cou, avant de glisser sur son torse que je connaissais par cœur. Je laissai mes doigts effleurer sa peau, me délectant des légers frissons que ça lui arrachait. Il me vola un nouveau baiser, puis murmura dans un souffle :
— T'as les mains froides.
— Tu veux que j'arrête ?
— Non.
Un sourire doux fendit ses lèvres, en même temps que les miennes trouvaient la courbe de sa mâchoire. Ses caresses remontèrent le long de mon dos pour nous rapprocher encore, et je le laissais faire ; plus j'étais proche de lui, mieux je me sentais. Plus j'étais proche de lui, et plus mes problèmes s'éloignaient.
Je n'avais besoin de rien de plus.
Rien que Taehyung.
Rien que son sourire.
Rien que nous deux, unis face à tout.
Plus que sept petits jours.
La sonnerie de mon téléphone nous interrompit alors, et j'émis un petit grognement mécontent en planquant ma tête contre son épaule. Il lâcha un petit rire à ma réaction, puis glissa une main dans ma nuque, s'éloignant du creux de mes reins.
Pourquoi fallait-il toujours que quelque chose nous empêche de profiter de notre temps ensemble ?
— Tu devrais décrocher, chou, lança-t-il, et je supposais qu'il avait attrapé mon téléphone.
— C'est qui ?
— Ta mère.
Je me renfrognais davantage.
Comme si j'avais besoin de ça.
— Laisse sonner.
— Kook...
— Laisse, j'te dis.
Il ne répliqua rien, mais son silence était aussi clair que s'il m'avait partagé directement son désaccord. Même lorsque la sonnerie s'évanouit finalement, ses mains ne repartirent pas courir le long de ma peau. Il se contenta de jouer avec les cheveux dans ma nuque, et je pouvais presque entendre ses pensées remuer dans sa tête. Il cherchait ses mots. Il allait parler, et briser notre petite bulle hors du monde pour me confronter à une autre partie de ma réalité que je m'efforçais de mettre de côté.
— Tu sais, murmura sa voix après un moment de latence, je pense que tu devrais arrêter de l'éviter comme ça. Ça va finir par abîmer vos liens familiaux...
— Comme si c'était pas déjà fait, grognai-je contre lui.
Il changea de position, m'arrachant un grognement d'inconfort lorsqu'il me força à me détacher de lui, et il s'arrangea pour s'asseoir, son dos contre le mur. Son regard inquiet croisa le mien un instant, et je m'empressai de le fuir en m'installant à mon tour, posant cette fois-ci ma tête sur ses genoux. Je l'entendis soupirer.
— Jungkook, elle tient à toi, tu sais ?
— Tu parles, maugréai-je.
— Je suis sérieux.
— Elle tient peut-être à moi, mais pas assez pour accepter que je suis assez grand pour savoir ce que je veux faire de ma vie, et qui je veux aimer. C'est pas à moi, qu'elle tient. C'est au gamin qu'elle a laissé au divorce.
Aïe.
Mes propres mots me blessèrent plus que prévu.
Il faudrait que j'apprenne à tourner sept fois la langue dans ma bouche avant de parler, tiens, ça m'éviterais de m'auto-faire mal.
La douleur que mes paroles avaient fait naître dans mon cœur me noua la gorge, et Taehyung sembla le voir, puisqu'il caressa délicatement mon front en dégageant les mèches de cheveux qui tombaient dessus.
— Ne sois pas si dur... murmura-t-il. Elle a du mal à comprendre, c'est tout. Crois-moi que si elle avait voulu te rejeter, elle l'aurait fait bien plus tôt. Je sais de quoi je parle.
À nouveau, je sentis la tristesse me tomber dessus, lourde, accablante, comme plus tôt dans la journée. Penser à ma mère était compliqué, depuis quelques années.
Depuis Taehyung en fait.
Autant mon père avait digéré mon homosexualité et ma mise en couple avec une star nationale étonnamment rapidement, autant pour elle, ça avait été une autre histoire. Elle n'avait cessé de me dire que c'était une erreur. Une « passe », comme elle aimait définir mon attirance pour les hommes. Un moment d'égarement dans ma vie. Elle n'avait jamais été à proprement parler méchante avec moi, mais ses propos et son refus de rencontrer Taehyung étaient bien assez blessants pour qu'un froid naisse entre nous. Et elle avait beau continuer de m'inviter, il s'aggravait d'années en années, parce que je ne venais plus, parce que je me trouvais des excuses pour éviter son regard qui me disait que je n'étais pas comme il le faudrait, parce que j'aimais toujours un homme malgré les années passées.
Et encore, c'était sans parler de mes choix d'avenir. Elle qui aurait aimé que je fasse des études de droit pour suivre sa voie et devenir un grand avocat, elle n'avait pas été heureuse quand je lui avais annoncé que je partais en licence de lettres. Encore moins quand je lui avais révélé que, finalement, c'était la photographie qui m'intéressait. Elle ne voyait aucun avenir là dedans, et même ce rêve là, elle le considérait comme une passe.
Dans ses yeux, je n'étais qu'un gamin perdu qui faisait n'importe quoi de sa vie, et qui n'avait pas encore trouvé la bonne voie.
Et ça me faisait mal.
Parce que je l'aimais.
Et que j'aurais bien aimé qu'elle me considère.
Déjà que Taehyung avait aussi la fâcheuse tendance à me considérer comme un jeune à qui il fallait tout apprendre...
— Papa aussi a eu du mal à comprendre, au début, répondis-je finalement après un court silence. Mais lui, au moins, il m'a fait confiance et il a fait attention à ne pas me blesser.
— Je sais, soupira-t-il.
Il m'incita à tourner la tête vers lui, et me fit signe de me redresser en ouvrant les bras.
— Viens là.
Je ne me fis pas prier. Je m'assis à mon tour et me laissais aller contre lui, profitant de son câlin réconfortant.
Je ne voulais pas penser à tout ça. Je ne voulais plus penser du tout. Ni à ma mère, ni à Jimin, ni à Taehyung, ni à cette Hayoon, ni à qui que ce soit.
Je voulais simplement être heureux ; réussir à profiter de ce que j'avais, car après tout, je ne m'en sortais pas trop mal. J'étais en couple avec l'homme que j'aimais, j'avais des amis qui étaient là pour moi, un toit au dessus de ma tête, de quoi vivre, et une santé formidable. Rien de bien grave qui aurait pu entraver significativement mon bonheur.
Alors, pourquoi était-ce si dur, en ce moment... ?
_____oOo_____
Coucou !! Voici la suite, enfin ! Je suis contente de reposter T^T
Déjà, désolée pour le retard, je vous expliquerai pourquoi à la fin de cette note ;^;
En attendant, j'espère que ce chapitre vous a plu !
On y croise rapidement Hayoon pour la première fois ! Une première impression sur elle ? 👀
Et on en découvre également un peu plus sur la relation de Jungkook avec sa mère :3
Hésitez pas à laisser un commentaire et à donner votre avis \(・◡・)/
Sur ce, du coup, j'aimerais revenir rapidement sur mon retard :
Le truc, c'est qu'à la bêta-lecture, on m'a fait très justement remarquer que j'avais mal amené un élément de l'histoire, et j'ai dû modifier le chapitre pour corriger un max ce problème. Le soucis étant également qu'il aurait mérité d'être introduit petit à petit dans les chapitres précédents, sauf que l'inconvénient de poster chapitre par chapitre, c'est qu'on peut pas trop faire de modifications sur ceux qui sont déjà postés :') Donc, je vous le dit ici : il y aura des minuscules rajouts dans les chapitres précédents. Mais comme je vais pas vous les faire relire, je les donne également ici : en gros, Jungkook ignorait plusieurs fois des appels sur son téléphone. Voilà, c'est tout, c'est bête mais ça a son importance mine de rien :')
Breeeef
Tout ce pavé pour dire : pardon du retard, j'ai bien galéré à trouver comment régler ce problème haha T^T
J'espère que vous avez aimé ce chapitre malgré le fait que sa rédaction ait été compliquée, et comme toujours, un immense merci de me lire ♡♡ Plusieurs personnes sont venues me dire qu'elles suivaient cette histoire, et ça me fait vraiment chaud au coeur ♡
A très bientôt pour la suite !
( Un grand merci à Anevy_de_Girondif et __un_cafe_ ( que j'arrive pas à mentionner parce que les mentions buguent T^T ) pour la bêta-lecture et la correction de ce chapitre ! )
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